Le Vent de la Chine Numéro 16

du 25 avril au 8 mai 2010

Editorial : Yushu post-séisme : secours et raidissement

7 jours après le séisme de force 7,1 à Yushu (Qinghai), les dégâts apparaissent dans toute leur ampleur : plus de 2.200 morts (officiels), 12.000 blessés, 210.000 maisons hors d’usage… L’Etat à réagi vite et fort.

Le 1er ministre Wen Jiabao et le Président Hu Jintao vinrent chacun soutenir les sinistrés. Dans une classe sous tente de l’orphelinat (cf photo), Hu inscrivit à la craie cette phrase reprise par toute la presse: «vous aurez de nouvelles écoles…de nouvelles maisons». Une prime aux foyers était annoncée: 8000¥ par disparu. 16 experts inspectaient la zone, préparant un plan de redémarrage au double concept:  reconstruire aux normes antisismiques, ce qui n’était pas jusqu’alors dans les moeurs, et ‚ favoriser la vocation touristique. En 2009 (janvier-octobre.) Yushu, ville traditionnelle tibétaine voyait 120.000 visiteurs dépenser 60M¥ (+90% par rapport à 2008), pour y découvrir les sources de trois grands fleuves d’Asie, Yangtzé, Fleuve Jaune et Mékong.

Un deuil était observé (21/04) à travers le pays: drapeaux en berne, cérémonie à la TV, et bars, cinémas et boites, fermés jusqu’à minuit.

NB: ces gestes de fraternité ne vont pas sans signes de raideur. Après le séisme, Pékin a refusé l’aide du Japon. Plus tard, il acceptait les donations mais persistait dans le refus de moyens humains, estimant ceux sur place déjà «en suffisance», ce qui est exact—avec sur ces routes, malgré neige et altitude, des km de «bouchons» de camions de ravitaillement.

Le 19/04, des barrages policiers apparaissaient sur ces mêmes routes, et les milliers de lamas venus de 12aines de monastères voisins (Qinghai, Sichuan) étaient «invités» à rentrer chez eux. Consigne notifiée par le Front Uni (structure de contrôle de toutes forces sociales hors Parti) et les bureaux locaux des affaires religieuses, sous prétexte de «ne pas gêner le travail des sauveteurs». La raison profonde était suggérée depuis Pékin par Jia Qinglin, patron de la CCPPC (Conférence Consultative Politique du Peuple chinois), n°4 dans l’ appareil qui évoquait des «forces hostiles tentant de saboter les secours», et appelait à «plus d’efforts d’unité et de stabilité». Les forces hostiles étaient les proches du Dalai Lama, natif de cette région de l’Amdo, lequel venait d’exprimer son souhait de visiter les sinistrés. Mais sous cette interdiction, les jeunes lamas régionaux se retrouvaient empêchés de secourir leurs frères et de fournir un soutien physique et spirituel, bien nécessaire à cette société pieuse traumatisée. Offrant leur aide en langue tibétaine, accoutumés à la rareté de l’oxygène, les lamas dispensaient inlassablement depuis 7 jours, des milliers de crémations, distribuaient des soupes et même un peu d’argent aux familles victimes (200¥).

Pékin a aussi pu se crisper de voir se rassembler sur place des lamas de Ganzi, impliqués dans les émeutes de 2008. Il pouvait aussi s’inquiéter de la réconciliation, à Yushu, de monastères historiquement divisés, ou de l’action naïve mais maladroite des 2000 lamas du monastère de Serda Lharong (Sichuan), d’un registre des fatalités qui décomptait 3.300 décès -bien plus que le bilan officiel global…

Tout ceci permet de deviner la rivalité sourde entre religion et régime, ce dernier préférant de plus en plus assumer seul la gestion des secours, même celle des morts, écartant les acteurs traditionnels de ces fonctions. L’enjeu étant de démontrer que seul le Parti peut assumer les destinées des régions et des ethnies du pays.

Reste à vérifier si cet impératif est compatible avec l’espoir de gagner maintenant la confiance des Tibétains, et de faire émerger en eux le sentiment d’appartenance active à la communauté nationale. L’argent et la générosité matérielle peuvent évidemment aider. Mais la soudure serait plus facile, si l’Etat parvenait à un concordat avec le clergé lamaïste. Ce qui est impensable, sans une dose de partage de compétences…

 

 


A la loupe : Salon de l’Automobile de Pékin — un record du monde

Du 23 au 27 avril, à Shunyi, le 11ème salon de l’automobile bat tous les records: 200.000m², 700.000 visiteurs, 70 marques (2100, en comptant les équipementiers), et 990 modèles de 16 pays. Exploit surprenant, il n’a fallu que 15 ans à ce pays pour se hisser à partir de rien au 1er rang producteur et consommateur, vendant 10,3M de véhicules privés en 2009 (+52,9%, même %age que le Français PSA) dont 30% par des marques autochtones.

«La surprise, note ce professionnel, est que les grandes marques locales sont privées»: BYD (Shenzhen) compte vendre 0,8M d’unités en 2010, Cherry 1M, et Geely en sortait 0,33M en 2009. C’est un peu moins que les groupes publics SAIC (Shanghai Automotive Industry Corp), Dongfang et FAW (First Auto Works), mais ceux là dépendent de leurs JV, et ceux-ci conçoivent et produisent en toute autonomie. En 2009 General Motors, avec ses JV avec SAIC et Wuling, fait 10% des ventes, Volkswagen 14% avec SAIC et FAW. Côté France, les 2 filiales de PSA, Citroën et Peugeot se partagent 3,5% du marché, et comptent pour percer davantage, sur leurs derniers « bébés » spécialement dessinés à Shanghai pour ce public local, les C5 et 408.

Le marché se bipolarise entre le low cost de la QQ de Cherry à 3700² (!), et le haut de gamme où l’Allemagne règne avec Audi (A8, 200.000 ventes espérées en 2010), Daimler (Mercedes F800; 100.000 ventes) et BMW (série 5 ; 120.000 ventes). Côté «tendances», cette voiture de luxe s’allonge chez toutes marques, à la demande du client en reconnaissance de sa réussite sociale. Flambée du pétrole oblige, le salon vit aussi une tendance généralisée à brider la consommation : la F800 hybride ne fait plus que 2,9l/100 et la Metropolis, concept-car de Citroën ne ferait, si produite, que 2,6l/100. Idem, le petit turbo est en progrès chez bien des marques.

Les constructeurs chinois foncent, avec 75 nouveaux modèles sur les 89 du salon (le salon 2009 n’en comptait que 54). On voit aussi une montée générale en qualité (Roewe 350, MG6 chez SAIC, S6 chez BYD, Emgrand-GE chez Geely, clone de la Rolls…). C’est leur réponse au projet de l’Etat d’imposer, d’ici 2015, aux ronds de cuir 50% de commandes locales.

NB : Cette dernière attitude est protectionniste, mais meilleure à tout prendre que celle d’un Japon où la voiture étrangère est absente: la Chine, au moins, partage.

Parmi d’autres tendances, on voit la progression de la formule SUV, dont les Chinois s’apprêtent à lancer 9 modèles. Rêve du public d’évasion, de quitter les sentiers battus -mais transgression aux consignes d’économies d’énergie. On voit aussi déferler 95 modèles à énergies nouvelles, dont FD3M pour BYD, M1 chez Cherry, G313 chez Geely.

Beaucoup sont des maquettes: symptôme révélateur, car on constate chez les « tout électrique » des problèmes (batteries lithium-ion qui chauffent), et l’Etat n’accepte de subventionner que cette filière, une fois qu’elle sera prête… Les ventes seront donc minimes.

Pourtant, ce pari, favorisé par l’Etat, reste assumé par tous, comme un va-tout sur ce marché encore vierge, où la Chine veut jouer un rôle égal à égal de leader mondial.

 

 


A la loupe : De volcan en exposition universelle

Même à 10.000km de la Chine, le volcan islandais a ses répercussions sur l’Empire du Milieu. Dès le second jour d’émission de ses nuages basaltiques (17/04), des dizaines de milliers de voyageurs restaient bloqués aux aéroports, des centaines de vols vers l’Europe ayant été annulés. Dont 2500 Français, chiffres consulaires (500 à Pékin, 1000 à Shanghai et 1000 à Hong Kong), et devaient régler, quasi-seuls, leurs problèmes de visa, d’hôtels etc.

Lundi 19/04, suite au décollage d’un vol Air France (rerouté vers Bordeaux afin d’éviter la nappe de poussière en suspension), la tension régressait. Mais les compagnies ne vendaient plus de nouveaux billets avant le 5 mai -délai nécessaire pour résorber le « trop plein ».

Ces perturbations troublaient le déroulement d’événements sino-internationaux (missions, salons, expositions) ainsi que le fonctionnement des groupes expatriés, aux cadres en va-et-vient entre leur base locale et leur siège : rares étaient ceux aux états-majors chinois au complet.

Grâce à la reprise d’environ la moitié des vols à partir de jeudi, le Salon de l’Auto de Pékin (23-27/04) (cf ci-dessous), pouvait in extremis réunir les PDG des constructeurs européens.

Mais à l’Exposition Universelle de Shanghai, José Frèches, Commissaire du pavillon français et différents sous-traitants ne rejoignaient leur poste qu’à 8 jours de l’ouverture. De même, le salon NEPCON de l’électronique vivait (20/04, Shanghai) une ouverture chaotique. Et si la visite du Président Sarkozy était maintenue (27-28-30/04, Xi’an-Pékin-Shanghai), la présence de sa suite (presse, conseillers) était tout sauf certaine.

Pour rassurer les tour-operators, les aéroports de Shanghai faisaient le 18/04 cette promesse rare en Chine : tout retard de vol durant l’Exposition entraînerait repas et boissons gratuits après 2 heures, hôtel gratuit après 4h (à charge des compagnies). Durant les 6 mois de la durée du show, cette garantie visait les 3 à 5M de visiteurs étrangers gagnant Shanghai par la voie des airs. Au total, 100M sont attendus, dont 90% Chinois.

Autre front mal stabilisé: l’Expo-même, où six jours de «soft opening» (20-25/04) ont révélé des dysfonctionnements. Les 200.000 visiteurs du 1er test (50% d’un jour normal) firent des heures de queue derrière les quelques pavillons ouverts, ce qui provoqua quelques dégâts (bris de vitre au pavillon allemand). D’autre part les bâtisseurs travaillaient contre la montre : à J-5, 20 pavillons restaient en construction (sans parler de décoration).

Le Pavillon chinois (pyramide inversée de 69m de haut, 160.000m²) ne montrait que quatre salles. Il fut néanmoins remarqué, tout comme la splendeur du pavillon d’Arabie Saoudite (signé Sir Norman Foster, au coût de 146M$, record de l’Expo).

Enfin, la sécurité locale est sur les dents : les opérateurs des scanners aux 870 bouches de métro; les 30.000 policiers ayant arrêté en 11 jours, 6000 voleurs, bateleurs forains, prostituées ou marchands ambulants; les îlotiers et dizaines de milliers d’agents en civil, sur l’expo ou à bord des bus… plus de repos, jusqu’à fin octobre !

 

 


Argent : Grandeur et chute d’un chevalier d’industrie

Pour Huang Guangyu, PDG-fondateur de Gome, 2de chaîne nationale d’électroménager (700 surfaces), il est minuit moins 5.

En prison depuis novembre 2008, il était jugé (22-24/04) à Pékin. Deux ans d’enquête ont permis de l’accuser de délit d’initié, trafic de devises et 668.000$ de bakchich. Il risque de longues années de prison.

Monté à Pékin en 1987, à 17 ans, sans capital, Huang, cantonais d’origine, avait ouvert quelques magasins avant de gagner la confiance des producteurs nationaux et du Conseil d’Etat, soucieux de garder la juteuse filière aux mains de compatriotes.

Depuis 10 ans, l’Etat a brisé des milliardaires, tels Zhou Zhengyi (promoteur, Shanghai, 2006) ou Yang Bin (empire de l’orchidée, Shenyang, 2003), toujours pour infraction aux lois, mais toujours aussi avec une cause aggravante : pour Zhou, le besoin de frapper Chen Liangyu, Secrétaire de Shanghai, son soutien, et pour Yang, le besoin d’enrayer son projet de zone économique sino-nord-coréenne.

Pour Huang, ex-homme plus riche de Chine en 2008 (6,5MM$), la cause profonde reste secrète. Gome avait failli couler, avant que Bain Capital (US) investisseur, ne le dépanne, reprenant 25% pour 448M$ (cf VdlC 2009 N° 19 ). Excellente affaire : depuis son retour en bourse, le cours a triplé !

 

 

 

 


Pol : ‘Davantage de dons d’organes!’

Depuis l’été, le ministère de la santé a discrètement ouvert un nouveau front à sa réforme, en déployant dans 10 provinces, la dernière étant Canton, un réseau de don d’ organes.

La Chine sous cet angle vit une contradiction redoutable, avec 1,5M de patients en attente pour seulement 11.000 transplantations/an (ce qui la met quand même au 2d rang mondial). Croyant en la réincarnation, le Chinois répugne à céder ses organes. Transgressant la loi, dit le vice ministre Huang Jiefu, 95% des transplantations viennent de prisonniers exécutés (100.000¥ le foie, 50.000¥ le rein) : l’organe est déclaré provenant d’un parent proche.

Même ainsi, le système marche mal : les 2034 receveurs de 2004 n’étaient plus que 1118 l’an dernier. Aussi le nouveau système-test consiste en une ONG de la Croix Rouge, supervisant toute la chaîne, du don à l’opération, tout en faisant des campagnes d’incitation au don.

La loi aussi va changer, pour permettre aux familles de donner les organes d’un être cliniquement mort. Les 1 million de Chinois aujourd’hui sous dialyse, et les 0,3M de malades du foie prient que le test soit étendu à la nation entière—ou encore, que la Chine, avancée en recherche sur ADN, clonage et cellules souches, maîtrise une source d’organes de synthèse.

 

 


Temps fort : FINANCE : « Combattre l’action par l’inaction »

Le 19/04, la bourse de Shanghai chuta de 4,8% : le Conseil d’Etat venait de resserrer le crédit immobilier. Il renforça ses mesures le lendemain, affichant ainsi sa volonté arrêtée de refroidir la spéculation foncière, ayant fait voler les prix de 11,7% en moyenne en mars. La réaction mitigée des intéressés semble lui donner raison : les analystes tablent sur une fermeté de la demande malgré le durcissement des conditions, tant la province, l’étranger et les citadins sont avides d’achat d’immeuble.

Par son regard sur la bulle foncière de Tokyo en 1990, l’économiste Takatoshi Ito fait comprendre le désir de Pékin de prévenir l’éclatement de la sienne. Les situations se ressemblent. Comme au Japon d’hier, les prix chinois ont flambé, inaccessibles aux vrais usagers. De même, le crédit est aisé et les taux d’intérêts quasi-nuls : fruit du choix politique de Pékin (comme à Tokyo hier) de garder son ¥ bas. Enfin, pour protéger son patrimoine, en l’absence d’une bourse diversifiée et fiable, le Chinois n’a d’autre choix que d’investir dans la pierre.

Depuis longtemps annoncé, l’éclatement serait inévitable si (à l’inverse du Japon des années ’90), la Chine ne disposait pas de capacité de relance (ses réserves de bras sous-employés), et si elle n’avait déjà pris de réelles mesures d’austérité, telles celles décrites plus haut. On pourrait décrire cela par ce proverbe antique, 静以制动 jìng yǐ zhì dòng, « combattre l’action par l’inaction ».

C’est pour satisfaire ses lobbys à l’export que la Chine garde sa monnaie basse, soudée au US$ (6,83/1). La technique consiste en un rachat systématique obligatoire des devises sur son sol. Or, la démarche attire une masse croissante et hors contrôle de «hot money», transferts spéculatifs attendant tranquillement la réévaluation : depuis 2005, la Chine a dû tripler à 2400MM$ ses réser-ves en devises. Autres effets pervers : quand la monnaie chauffe, tout chauffe, même les coûts de production, incitant les industriels à sortir du pays. Même le marché foncier, fruit inévitable d’une politique monétaire non durable, qui atteint aujourd’hui le point de rupture.

Vu sous cet angle, Pékin tente d’empêcher l’éclatement de sa bulle, et la longue dépression qui débuta au Japon il y a 20 ans : dans l’immédiat, il faut prévenir les émeutes d’oubliés de l’accès à la propriété et l’effondrement d’une bourse minée par la spéculation et l’excès de crédit.

Sous cet angle, d’autres mesures sont déjà prévisibles, à échéance pas trop lointaine : la remontée graduelle des taux d’intérêts (jusqu’à +5%), celle des fonds de réserves des banques (jusqu’à 8%), et bien entendu, l’appréciation limitée du Yuan, évoquée dans nos numéros précédents.

Dernière innovation : sur le territoire de la capitale, un comité de coordination vient d’être constitué pour rédiger un nouveau règlement des expropriations, doté de plus équitables tarifs des compensations. L’instance supervisera toutes les opérations, confisquant les terrains gelés par les spéculateurs et bloquant toute transaction irrégulière. C’est sans doute un signal pour tout le pays. Mais en créant ce comité, Pékin feint d’ignorer qu’il tire 40% de son budget des ventes immobilières, et que sa situation de juge et partie l’empêchera d’accéder à une relation d’indépendance avec promoteurs et banquiers.

Autrement dit, ces crises de la monnaie et de l’immobilier (qui n’en sont qu’une) font prendre conscience d’une étape encore tue, à laquelle le régime n’est pas prêt, mais sans laquelle rien ne se réglera : la fin du monopole constitutionnel de l’Etat sur le sol.

 

 


Petit Peuple : A Fasi, de culot et de ruse

A Fasi (Hubei), le 23/03, Chenghui et Lin, cousines de 10 et 11 ans, retournaient à l’école après avoir déjeuné chez les grands-parents -chez qui elles habitaient—leurs parents ayant migré en ville pour y travailler.

Il était 12h30, et il pleuvait. Détail banal, mais qui allait se graver dans leurs esprits à jamais, vu l’épreuve qui approchait, une femme au masque blanc sur le nez, quoiqu’aucun smog ce jour-là ne justifie telle précaution. « Bonjour les enfants», fit-elle, bouche en coeur, « savez-vous où est  Wangjiawan? », avant de les prier de l’y conduire. Bien polies, elles acceptèrent (c’était sur leur chemin). Mais voilà qu’arrivés à cette rue déserte, deux hommes surgirent, qui les saisirent, jetèrent à l’épaule comme sacs de riz, avant de détaler avec la rabatteuse, sourds aux piaillements des gamines.

Après une demi-heure de marche à travers champs, le trio et leurs victimes parvinrent à une cabane de pêcheurs au bord d’un étang: ils s’y séparèrent, un des gars s’enfermant avec les enfants dans la bicoque, la femme et l’autre allant quérir une fourgonnette. De leurs chuchotis et de la route à faire qu’ils évoquaient, elles devinèrent que leur rapt avait été commandité. Leur sort était scellé, soit comme épouses forcées, soit comme futures prostituées. Elles sont des dizaines de milliers chaque an à subir ce sort, au service des dizaines de millions de jeunes campagnards privés d’épouses par le déficit en filles à marier, lui-même le résultat de la pratique de l’avortement sélectif…

A l’intérieur, sous le regard patibulaire du kidnappeur, les cousines pleuraient toutes les larmes de leurs corps. Bientôt Lin épuisée somnola, roulée en boule sur le sol en terre battue. Chenghui cependant, tout en pleurnichant d’un oeil, ouvrait l’autre grand, et ne perdait rien. A terre, parmi autres objets bons pour le rebut, traînaient quelques briques. A mesure que le temps passait, le bandit exprimait une nervosité croissante. Déjà dans la tête de l’écolière, un plan prenait corps.

Pour comprendre ce qui va suivre, il faut dire que les cousines, au fil des années partagées chez les aïeux, s’étaient créé des codes secrets: quand à 15 heures, Chenghui fit du coude à Lin, celle-ci saisit le message au quart de tour, et se remit à hurler de sa voix fluette et suraiguë. Exaspéré, le malfrat voulut la faire taire, la menaçant, l’attrapant par les cheveux, s’apprêtant à la corriger d’un bout de corde. Mais pour frapper, il fallait s’accroupir. C’était ce qu’escomptait l’aînée, qui espérait aussi tromper sa vigilance durant ces quelques secondes. En catimini, elle avait attrapé une brique : de toute ses forces, de trois-quarts arrière, elle le cogna à la tempe.

Le résultat dépassa ses espérances : il roula sur le côté, assommé. Aussitôt, les fillettes s’élancèrent, prirent la porte et la tangente vers le bourg. Pour autant, elles n’étaient pas sorties de l’auberge. Son étourdissement n’ayant duré que quelques secondes, le malandrin était à leurs trousses à grandes enjambées (car grand il était), comblant son retard à une vitesse désespérante. Ce qui les sauva fut un fossé entre deux rizières, ancien canal d’irrigation rempli de vase. Main dans la main, Lin et Chenghui avaient eu la chance de bien le passer, s’aidant des genoux et des mains. Stressé, l’homme tomba et s’embourba tandis que les fillettes disparaissaient dans le lointain.

Parvenues à la ferme, elles furent accueillies par leurs grand-mères et les policiers, qu’elles avaient alertés. Guidés par elles, Les hommes retournèrent illico à la cabane, mais trouvèrent le nid vide, les oiseaux envolés.

L’histoire fit grand bruit dans la presse chinoise. D’abord par le fait en soi rarissime, d’un kidnapping raté. Et surtout parce que « par culot et par ruse» (有勇有谋, yǒu yǒng yǒu móu), en gardant la tête froide, Cheng-hui et Lin avaient réussi à reconquérir leur liberté.

 

 


Rendez-vous : A Shanghai le 30 avril, l’inauguration de l’Exposition Universelle 2010

30 avril, Shanghai : Inauguration de l’Exposition universelle – période 1er mai – 30 octobre

27-29 avril, Shanghai : EPTEE, Salon de la protection de l’eau, de l’air, des déchets, de l’énergie et du recyclage

27-30 avril : Shanghai : Salon du vélo et de la moto

4-6 mai, Shanghai : CWS et IFAT, Salons de l’eau, et du recyclage, déchets et sources d’énergie naturelles 7-9 mai, Pékin : Salon international de l’alimentation bio

7-9 mai, Pékin : CIHIE, Salon de l’industrie de la santé