Le Vent de la Chine Numéro 12

du 28 mars au 3 avril 2010

Editorial : Google, Rio Tinto : deux affaires phares

Le 23/03, jour du dénouement, l’affaire Google prit un tour inattendu—le groupe de Mountain View «coupant la poire en deux» annonçait qu’il partait, tout en restant. Or ce même jour, à Shanghai, le procès Stern Hu de Rio Tinto réservait lui aussi sa dose de surprise. Considérées ensemble, ces péripéties nous offre un reflet sans doute fidèle des coulisses du pouvoir !

[1] Google.cn en chinois déménage… à Hong Kong (google.hk). Ce faisant, il tient sa parole de ne plus contribuer à l’avenir à la censure. Conservant ses bureaux à Pékin, ses 600 employés dont 300 chercheurs, il adresse un message de fidélité à son public, tout en réservant l’avenir.

Amer, le régime taxe l’attitude de Google d’«entièrement erronée»: c’est que ce lâchage lui coûte une sévère perte d’image, intérieure et extérieure, surtout après neuf semaines de tentative de conciliation. David Drummond, chef juriste du groupe, affirme que la mainmise publique sur la toile, trop alourdie depuis les JO, aurait été la cause profonde du départ.

NB:ceci force l’Occident à ouvrir les yeux sur des années d’illusions, que le régime se libéraliserait en douceur sous la politique d’ouverture de Deng: la voie que la Chine est en train de s’inventer, n’est pas celle de l’Ouest.

[2] Au procès de Stern Hu et de trois de ses agents, une 1ère partie avait été ouverte au public: le temps de permettre aux accusés, en un pur coup de théâtre dans la tradition stalinienne, l’aveu improbable d’avoir pris et reçu des bakchichs en échange de secrets commerciaux. Jusqu’alors il se disait que ce cadre australien aurait dérangé le tout puissant «club de Shanghai» en bavardant sur les imposants profits «gris» du marché du minerai importé. Ces aveux permettent à l’Etat de légitimer son dossier. En échange, Hu pouvait espérer l’expulsion, une fois condamné, 5 ans minimum, (verdict d’ici mi-avril). Canberra, en tout cas, a noté le huis clos sur la 2de phase du procès, interdisant toute transparence et reniant l’accord judiciaire bilatéral.

On suit encore l’inattendue lune de miel entre Rio et Chinalco, dont la bisbille en 2009 avait contribué à faire arrêter l’Australien. Rio offre et Chinalco accepte des participations dans deux de ses mines, en Guinée (mine de fer où Chinalco met 1,35MM$) et en Mongolie (mine or et cuivre)…

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Affaire Google, procès Stern Hu : ces incidents ont suscité une réaction dure de Pékin, sans doute au détriment des relations extérieures. On peut soupçonner que Pékin a plus subi que choisi ses réponses. En l’affaire Stern, l’intérêt local peut avoir prévalu sur le général, au nom de la discipline du Parti. Sur Google, un consensus est perceptible, pour défendre un outil de pouvoir essentiel—mais qui sert aussi à couvrir des dérives locales.

Tout ceci semble confirmer le sentiment déjà présent lors du Plenum (avec son blocage face à toute réforme) d’une guerre de succession et d’un Congrès de 2012 déjà en filigrane, surgelant la vie politique du pays. L’apparente unité du Parti communiste chinois cache trois factions, et trois candidats: la Ligue de la jeunesse, fief de Hu Jintao avec son poulain Li Keqiang, le groupe de Shanghai de Jiang Zemin (dauphin Xi Jinping), l’outsider gang des petits princes, fils d’apparatchiks menés par Bo Xilai.

Depuis 2008, Xi est l’héritier désigné. Mais après l’échec de son élévation à la Commission militaire chinoise fin 2009, Li refait son retard, tout comme Bo fort de sa popularité lors du Plenum. En somme, toutes les cartes sont rebattues, toutes les réformes bloquées. Il ne reste que la course aux thèmes nationalistes et à la tolérance zéro, qui sont les ressorts de ces deux affaires. Mais finalement, ces rivalités affaiblissent le pays face à l’étranger, en nuisant à son image… Tel est le prix -politique- à payer par la Chine, de la crise mondiale !

 

 


A la loupe : « Protectionniste », la Chine !

L’éternel litige entre Chine et Etats-Unis sur la valeur du Yuan s’exacerbe à nouveau. L’Economic Policy Institute accuse l’Empire du Milieu d’avoir brisé 2,4M d’emplois yankee de 2001 à 2008, et porté le déficit bilatéral de 83MM$ à 226MM$ (2001-2009) par le jeu d’une monnaie sous-évaluée de 25 à 40%, et d’une loi laxiste en protection sociale et en environnement. Associant le prix Nobel d’économie P. Krugman et 130 sénateurs américains, une campagne fait pression sur Washington pour qu’ils décrètent, le 15/ 04, la Chine « manipulateur monétaire » et taxer les importations chinoises.

Il faut dire que la stratégie chinoise anticrise, apparaissant enfin dans son intégralité, fait froncer bien des sourcils. En plus des 400MM² de stimulus de l’an passé, du retour aux subventions à l’export et du blocage du taux du yuan au dollar depuis l’été 2008, la Chine a introduit un nouvel instrument : le CCC (Chinese compulsory certificate), système de certification de tout produit étranger, coûteux et long. Son but officiel: en étalonner la dose d’«innovation: indigène». Son effet: retarder ou interdire son entrée en Chine. Le résultat est spectaculaire : à l’American Chamber of Commerce in China, 38% des firmes membres se ressentent «pas bienvenues» dans le pays, écartées des contrats d’équipement—elles étaient 23% en 2008. 57% d’entre elles prévoient un recul de leurs affaires à l’introduction (d’ici l’été) de ce mécanisme. Et 37% d’entre elles en pâtissent dès maintenant—du fait d’une application anticipée par les provinces les plus enthousiastement protectionnistes.

Pour l’Union Européenne, l’ambassadeur Serge Abou arrive à la même conclusion d’une discrimination « pour les PME ». Mais côté USA, ce sont les plus grands groupes qui se plaignent, tels Microsoft, Adobe ou Cisco.

La Chine se défend, affirmant que ses mesures «équitables» sont aussi imposées aux produits locaux. Chen Deming ministre du commerce assure qu’en cas de taxes compensatoires US, son pays ne restera pas les bras croisés. Mais les autorités, inquiètes de cette levée de boucliers, multiplient les gestes pour faire baisser la tension. Wen Jiabao le 1er ministre rencontre (22/03) un groupe d’hommes d’affaires étrangers. Le départ de Google est qualifié de «cas commercial individuel».

Les 24-26/03, Zhong Shan n°2 du Ministère du commerce se rend aux USA pour négocier. Mi-avril, Hu Jintao irait à l’ONU pour un sommet nucléaire. Tous les soucis, assure la Chine, devraient être réglés lors d’un sommet stratégique en mai.

Enfin la rumeur court d’une concession que Pékin refusait jusqu’ alors:laisser passer au conseil de sécurité, par son abstention, les prochaines sanctions de l’ONU contre l’Iran…

NDRC: le reproche de manipulation monétaire est infondé, ignorant la tendance planétaire de déplacement des flux de l’Ouest vers l’Est et le profit que tire le citoyen euro-américain de ces produits moins chers. Les reproches protectionnistes sont davantage légitimes- mais une Chine déchirée ne serait l’intérêt de personne. Enfin, le ton très vif de part et d’autre, reflète aussi la campagne de succession en Chine, dont la marge de manoeuvre est limitée.

 

 


Joint-venture : ALSTOM-Chine : vers un new deal?

Présent depuis plus de 20 ans en Chine, Alstom, un des géants étrangers de l’énergie et du transport (18 usines, 9000 employés) semblait bien parti dans les années 2000, pour obtenir le mythique contrat du TGV Pékin-Shanghai : le monde extérieur ne croyant pas la Chine capable de construire seule.

Contrairement à Siemens ou à Kawasaki, Alstom n’a pas voulu transférer sa technologie la plus avancée comme l’AGV, son train de 3ème génération. Pour céder les droits sur ce prototype unique au monde, capable d’une vitesse commerciale de 360km/h, à force de recherche en allégement et intégration, P. Kron son président posait comme condition la signature d’un accord de partenariat où Alstom garderait la majorité.

18 mois plus tard, les attentes ont changé. Alstom se dit aujourd’hui prêt à transférer l’AGV (Automotrice à Grande Vitesse), «selon des conditions à discuter». Mais le partage de cette technologie ne se fera qu’à des conditions équitables : rien sans rien, et les partenaires savent à quoi s’en tenir sur les ambitions et enjeux respectifs.

Alstom offre en outre une coopération peut être féconde à l’avenir : celle sur la maintenance, et surtout ses prévisions en besoins d’entretien, générées instantanément par dialogue entre équipements embarqués et équipements fixes. Avec aussi une gestion centralisée de cette maintenance, qui sera un élément crucial pour aider ce réseau tout jeune à faire ses preuves, en y intégrant l’expérience acquise avant et ailleurs.

 

 


A la loupe : En un climat changeant

Voici venir une saison que la Chine du Nord connaît bien : celle des tempêtes de sable. 270M de Chinois du nord, en 16 provinces (2M de km²), ont senti du 19 au 23/03 une poussière dense tourbillonner et tout recouvrir, renversant les vélos à 100km/h et incitant la population à se masquer. Dues à la rencontre entre vents froids de Sibérie et ceux chauds du centre-sud, ces bourrasques accélèrent leur fréquence, de 10 par an dans les années ’80, à 24 ces années-ci.

Le pays se trouve en fait sous trois anomalies climatiques quasi-simultanées : neige et blizzard jusqu’à mars au Xinjiang, tempête de sable entre Pékin et Mongolie, sécheresse entre Yunnan, Guizhou et Guangxi. Cette dernière est la plus perturbante, avec un déficit en précipitations de 50 à 80% depuis 6 mois (75% dans le Ningxia), qui ne se relâchera pas avant juin, pensent les climatologues. Pour cette région d’ordinaire chaude et humide, jardin tropical du pays, le coup est rude. Ses récoltes sont amputées jusqu’à 50%, celle de sucre de canne du Yunnan passe de 2,5Mt à 1,6Mt (prix en hausse de 23,5%), celles de fleurs, de fruits, de thé, café, caoutchouc, et bien sûr celles de blé et maïs—30% des emblavures de Muyang, Yunnan sont perdues. Des centaines de rivières sont à sec ou quasi, y compris les sources du Fleuve des perles et les chutes de Huangguoshu, les plus hautes d’Asie, au débit de 25% seulement…

50M de riverains tentent de pallier les désagréments: stocker de l’eau, creuser de nouveaux puits. Pour épargner l’eau, on réutilise la même eau, d’abord pour laver les légumes, puis pour faire cuire le riz et laver la vaisselle, avant de la faire boire aux poules. On ne se lave plus depuis des mois, sauf les yeux.

Jusqu’à cette année, l’hypothèse d’un changement climatique brutal (sur 20 ans) passant de l’humide au désert (celle d’un recul permanent des pluies de 75% ou plus) avait été exclue par les scientifiques, confiants dans les évaluations mondiales. Plus maintenant. Et les crues estivales succédant à la sécheresse, évoquent le dérèglement: les 35000 glaciers du plateau tibétain et de la chaîne des Kunlun sont en train de fondre, faisant redouter une désertification -et, entre autres, la mise hors service de milliers de barrages, dont celui des trois Gorges.

Les conséquences d’avenir ont de quoi inquiéter : la Chine aura du mal à tenir son pari d’une récolte céréalière en hausse de 10% à 550Mt sous 10 ans. Au contraire, selon l’étude du mouvement environnemental Greenpeace, contestée par les milieux scientifiques, la récolte en grain aurait chuté de 23% d’ici 2050, mettant le pays en déficit par rapport à ses besoins, sa hantise. Pour prévenir, Pékin annonce la commande d’une enquête scientifique nationale sur le tournant climatique en cours.

Seule bonne nouvelle: en 20 ans, de 1990 à 2010, moyennant un investissement lourd, le régime a fait passer la part de sa population raccordée à l’eau potable, de 67 à 89%. Une contribution au progrès humain, salué par l’UNDP (United Nations Development Program) le 22/03, pour la journée mondiale de l’eau !

 

 


Argent : Export du CRH—rêves et tamtam

L’ultime maître mot du Ministère des chemins de fer, est «export». Ayant signé pour 2,3milliars de USdollars de contrats en 2009, la Chine livre du chemin de fer classique en Turquie et au Venezuela, et soumissionne en Arabie Saoudite (TGV), Russie, Brésil, Mexique, Iran, voire Pologne, Inde et Australie, ainsi que les 17 pays de son plan « TGV-Asie ». Pour tous les pays fournisseurs de minerais, l’offre pourrait être sans certification internationale, avec certification locale allégée.

Les USA aussi sont demandeurs—mais la Chine aura la concurrence des leaders mondiaux, plus chers mais surs. L’Amérique projette 13 lignes, avec 8milliards $ de financements, sur des trajets comme Tampa-Orlando, New York-Buffalo, Los Angeles-San Francisco, Chicago-Detroit.

Mais même avec les pays moins à cheval sur les normes, les 1ers retours évoquent des problèmes. Sur la ligne envisagée Kunming-Singapour, Thaïlande et Malaisie se désistent pour l’instant, estimant le projet trop cher et évoquant des questions politiques. Pour Bangkok, par exemple, la traversée de voisins comme Vietnam ou Birmanie éveille des problèmes de sécurité.

En Malaisie, les TGV sont pour « 10 à 15 ans », dit un haut cadre. De même, Taiwan, à qui Pékin préparait une liaison TGV par voie de presse, a vite rejeté la possibilité d’une telle réalisation à bref délai, tout en réprouvant la méthode d’annonces de TGV par mégaphone : réglons d’abord les problèmes politiques, avant de parler « tunnel » et liaison fixe !

 

 


Temps fort : Spécial Chemins de fer chinois – Pour un tour du monde, ou droit dans la grande muraille

Comme on l’a vu avec son plan de TGV-Asie (Vdlc n°10), la Chine déploie des projets ferroviaires pharaoniques. Depuis janvier, le Ministère des chemins de fer a commandé à ses groupes industriels 6000km de «CRH» (China Rail Highspeed) à 250km/h ou plus. C’est le quadruple du réseau français, lequel a mis 25 ans. Entre Tianjin et Baoding, le dernier chantier (annoncé le 21/03), prévoit 3,5MM$ d’investissement pour 158km de ligne mixte fret/ passager. Le 14/03 Wang Zhiguo, n°2 du Ministère, annonçait pour 2010 la ligne Canton-Shenzhen, pour 2011 celles Pékin-Wuhan, et dès 2012 quelques 13000 km de CRH, mettant Pékin à «moins de 4h» de Shanghai, à 380km/h de moyenne, précise Zhen Jian, patron du programme.

Ces fulgurants progrès ont été facilités par des financements en centaines de MM$, renforcés par le stimulus public. Exception dans l’économie chinoise, le rail est le seul secteur entièrement centralisé, sous le Ministère des chemins de fer, proche de l’armée. Face à la concurrence internationale divisée, le Ministère dispose d’un puissant levier sur des leaders tels Siemens, Kawasaki, Bombardier, Alstom. Il les a invités à ouvrir leurs usines avec des partenaires régionaux, leur a octroyé quelques contrats. En échange, ils durent former leurs futurs rivaux et leur céder le meilleur de leur savoir-faire, selon le principe dit «introduire, digérer, absorber, innover». 5 ans plus tard, la Chine détient sa techno-logie propre, manteau d’Arlequin basé sur des trains allemands et nippons. Conçus pour du 300km/h, ils ont reçu d’autres moteurs pour tourner à 350km/h sur des lignes comme Pékin-Tianjin et Chengdu-Canton: record mondial commercial.

Telle est la limite de ce succès: cette filière n’est ni testée, ni validée par groupe indépendant en terme de fiabilité, de sécurité et surtout de rentabilité. Légalement, elle est ; pour l’instant, inexportable.

«Aujourd’hui, faire tourner des trains à 300km/h dans des conditions raisonnables de sécurité», dit ce témoin, «ne pose aucun problème. La difficulté est celle du coût d’exploitation». Passés 320km/h, s’usent caténaires, rails et moteurs, tandis que la consommation en électricité s’envole. Les coûts d’entretien de ce matériel neuf n’apparaissent pas encore. A tout le moins, la dépense en électricité d’un CRH à 380, voire 420km/h tel qu’annoncé par le vice ministre Wang, sera incompatible avec le plan national de baisse de l’intensité énergétique.

Une autre étrangeté tient au dépôt à l’office national des brevets de 940 licences propriétaires en technologie de TGV (ingénierie, signalisation, gares, intégration et maintenance). Mais quelle est l’utilité de cette démarche, alors que ces brevets n’ont pas cours hors du pays et que pour tel ou tel choix d’équipement, le Ministère souverain n’en a pas besoin?

La réponse, ainsi qu’à celle de la course très coûteuse au record de vitesse, tient à une volonté d’annonce : celle de l’arrivée de la Chine sur ce marché du TGV. Le record de vitesse commerciale que la Chine va encore tenter d’augmenter vise à frapper les esprits pour établir une supériorité technologique de l’Empire du Milieu. L’annonce des brevets propriétaires, suggère une future certification internationale, rendant le TGV chinois exportable d’ici 5 à 10 ans sur les marchés riches d’Europe et d’Amérique, ce qui est le véritable enjeu.  

Tout ceci, à condition que le système qui se met en place, démontre au fil des ans sa fiabilité et sa rentabilité et notamment évite des accidents sérieux, comme celui qui causa 70 morts et 400 blessés à Zibo (Shandong) en avril 2008, à bord d’un train classique ayant franchi un aiguillage à 120km/h…

En résumé: la Chine a gagné le pari d’ un TGV à bas prix et de qualité raisonnable, alors que ce transport de masse et à basse pollution s’apprête à un essor sans précédent. La Chine semble viser l’exclusivité de son marché. Comme l’a fait le Japon. Mais saura t’elle faire mûrir cette technique d’emprunt? L’étranger ne peut qu’espérer un échec de sa démarche, ne serait-ce que pour l’intégrer au marché planétaire.

 

 


Petit Peuple : Nanjing : mémoires d’un buveur

Pour Yang Xiaonan, ex-buveur natif de Xinyang dans le Henan, la remontée de l’enfer a débuté 12 ans en arrière, et n’est pas finie. A 48 ans, Yang en fait 60, et haït tout de sa vie passée. Il se demande encore comment il a pu tomber si bas. L’inconscience du père a pesé lourd. Recevant chez lui et ne tenant pas l’alcool, cet officier imposait à son fils de prendre le relais des ganbei (干杯,«cul sec»). Aussi dès 16 ans Xiaonan, était bourré plus souvent qu’à son tour. Se réfugiant derrière sa carrière, sa molle mère prétendait ne rien voir. En 1981, à 19 ans, le jeune à son tour entra dans l’armée, ce qui ne fit rien pour le guérir de son vice. Au moins, d’une intelligence hors du commun, il parvint à combiner sa dépendance toujours croissante, avec une envie folle d’étudier, qui le rendit bientôt titulaire d’un diplôme de droit à Zhengzhou, d’ une maîtrise à l’Université de la Sécurité publique à Pékin. Il entrait dans la police nationale, officier d’élite marié à Meinü, de la brigade antidrogue, bientôt père d’un beau garçon.

La capacité de Xiaonan à absorber de telles quantités d’alcool  avait ébloui la pauvre, qui dut bientôt déchanter. Chaque matin, il lui fallait ses 2 demi-litres de Maotai ou Wuliangye, alcools  chers où passait son salaire. En cas de sevrage, Yang était pris par les symptômes du manque (tremblements, sudation, rage, délire)… Les 1ères années de leur union, Meinü parvint encore à le con-tenir. Mais au fil des ans, Yang dut monter sa dose, et apprit à faire violence pour obtenir son vin -ou après l’avoir bu.

Un soir de 1986, en état d’ivresse, il renverse en voiture une jeune fille : sa qualité de fonctionnaire lui permet de s’ en tirer en versant 7000  yuans de dommages.

Une nuit de 1989, buvant avec les collègues, il se dispute avec l’un. Il sort son revolver et tire, tandis que l’autre sauve sa vie en plongeant sous la table- la balle passe à 1cm de sa tête. Suite à quoi Yang s’endort… Il écope de 4 mois de suspension et d’un exil à un commissariat de campagne, où pour tromper l’ennui, il boit encore plus ! Réintégré à Pékin il fait subir aux siens le calvaire de tous les alcooliques profonds: pour une bouteille, il casse la tirelire de son fils, bat sa femme, lui arrache les cheveux, tire même sur elle avec l’arme de service – sans l’atteindre, heureusement.

Tant de fois avertie par téléphone, Meinü va le ramasser ivre mort dans la rue… Le haïssant, elle n’ose le quitter, par peur du statut de divorcée, des suites pour sa carrière.

Les choses sont si graves que le père s’arrache à sa retraite pour venir s’agenouiller devant Xiaonan, l’implorer d’arrêter, ne serait-ce que pour lui éviter de mourir de honte. Mais le fils, encore, se défile par des serments d’ivrogne. Enfin ses fautes répétées, et deux années d’échec au test d’évaluation usent la patience même de l’administration : il est licencié.

Meinü ne le quitte pas, et il ne quitte pas la boisson. Seule différence : les alcools qu’il s’envoie sont désormais de piètres gnôles. L’enfer continue ainsi jusqu’à cette nuit de 1998 où elle l’arrache à son somme éthylique, avec dans la main gauche, une bouteille du Wuliangye de ses années de gloire et dans la droite, un recueil des articles énumérant les étapes de sa déchéance. Le recueil portait comme titre manuscrit, « réveille-toi, mon mari ».

Au goulot, il se mit à boire, tout en lisant, et la honte lui monta au visage. C’était, il le savait, la dernière main tendue. Cette fois, il lui fit ce serment solennel : vaincre l’alcool ou mourir. Il avait 36 ans. Retourné à Xinyang chez ses parents, il se fit interner dans une maison de repos. Après 4 mois de lutte et de souffrances, la désintoxication était aboutie.

Pour repartir, les parents lui donnèrent les 1000 yuans de leur épargne. Il se lança dans un commerce de thé, et à force de talent et dur travail, disposait en 2003, d’1,29M ¥ de fonds de caisse et quelques employés. Assez pour réaliser le rêve de sa nouvelle vie : il ouvrit sa ligne téléphonique d’alcooliques anonymes, recruta des anciens buveurs pour tenir la permanence 24h sur 24. Depuis lors, jusqu’à ce jour, ils ont reçu chez lui, puis dans leur local pékinois, 30.000 personnes -même des étrangers. Un tiers, croit-il, aurait réussi à s’arracher.

Xiaonan est à présent une célébrité, sans cesse invité à la TV. Grâce aux fonds collectés, il prépare un projet, plus ambitieux encore : le 1er hôpital de Chine, entièrement dédié à la désintoxication éthylique.

Reste le souvenir de Meinü qui, le voyant sauvé, a enfin osé tirer un trait sur leur vie passée. Il le déplore, mais la comprend bien, et lui souhaite bon vent. Cette rupture, il la prend comme l’ultime prix à payer pour tú zhī fǎn (迷途知返) : « après avoir perdu la voie, savoir la retrouver » !

 

 


Rendez-vous : Pékin : Salon CHIC

28-31 mars : Pékin, Salon CHIC

29 mars – 1er avril : Hotelex Shanghai, Salon international de l’hôtellerie

29 mars – 1er avril, Shanghai : Expo Build China, Salon de la construction et du bâtiment

30-31 mars : Luxe Pack Shanghai, Salon du packaging des produits de luxe