Le Vent de la Chine Numéro 13

du 17 au 23 avril 2005

Editorial : La Mouche verte du coche, en Chine   

«Des savants voyous ont pris en otage l’aliment de base mondial n°1, et font subir au public chinois des tests inacceptables» : en ces termes choc, le 13/4, Greenpeace dénonça le riz OGM «illégalement vendu» en 2004 à Wuhan (Hubei).

Parmi les lots acquis sur 2 marchés, Genescan, labo international en aurait isolé 19 contenant des traces transgéniques, voire la protéine Cry1Ac fauteuse (peut-être!) d’allergies chez les souris de labo. Greenpeace croit que 1200t du riz douteux seraient passées dans la chaîne alimentaire en Chine,au Japon, en Corée, voire en Union Européenne et sauf réaction rapide, le volume décuplerait en2005 !

Mais ces propos sont contestés par les experts chinois comme étrangers :

[1] dans leur manipulation génétique, les OGM chinois évitent tout risque et éliminent les gènes marqueurs qui retiendraient antibiotiques et autres produits sensibles;

[2] 1200t sont une goutte d’eau dans la mer de la production nationale de riz;

[3] les bénéfices du riz OGM sont sans doute irremplaçables en Chine, avec 22% d’humanité à nourrir sur 7% de territoire cultivable.

Le riz OGM élimine les pesticides, renforce la vitamine A, dont nombreux Chinois sont en carence. Plus tard, l’ OGM devrait mieux retenir l’eau —permettre la culture en terre sèche du nord…Le but de l’action,croient les experts,serait d’inquiéter une opinion locale peu formée et de dissuader Pékin de légaliser la culture OGM, riz et blé (ce qu’il veut faire sous 2 ans). Greenpeace  gagnerait ainsi la légitimité qui manque à sa croisade mondiale anti-OGM.

Greenpeace marque un point cependant : les 1ères vérifications par un journaliste US, nourrissent le soupçon que ce riz révolutionnaire, dit “anti-peste” dans la région de Wuhan où il est testé, ait été vendu aux paysans comme semence, malgré les affirmations de l’université Huazhong, responsable du programme de recherche…

NB : Greenpeace aiguillonne la Chine sur d’autres affaires, tels l’import d’aliments OGM par Kraft et Campbell, ou le recyclage des vieux navires et PC, viviers de poisons – plomb, bromure, mercure…

Pékin a ordonné une enquête sur les allégations de Greenpeace, avec une surprenante patience face à cette remise en cause d’une de ses stratégies vitales d’avenir : fruit de peu d’années d’études, Greenpeace fait preuve ici d’une bonne maîtrise des manières de promouvoir sa cause, sans offenser les maîtres du pays !

 

 


A la loupe : Les petits cailloux blancs du groupe Accor

C’est clair, les Jeux Olympiques de Pékin 2008, doivent apporter l’âge d’or d’une hôtellerie déjà gâtée par l’éveil du monde à l’existence de la Chine, le tourisme, les voyages d’études, sans compter les candidats investisseurs, 90% des 30M de visiteurs/an.

Le secteur admet avoir fort appris de Hong Kong, sur l’art de «gâter le client». Il veut se réorienter, de l’inévitable «cinq-étoiles marbre et or au Centre ville», vers un style plus sobre, hôtels privés, bien dessinés, de taille moyenne, sur les beaux sites.

Un tel concept semble la définition même du groupe Accor, présent depuis 1985 au Céleste Empire et qui annonce (12/04) le doublement de son réseau chinois avant 2007, pour atteindre 50 hôtels sous quatre de ses griffes, aux qualités et prix bien différenciés. Accor compte sur cet atout, label de qualité dans un pays où seuls 10% des hôtels fonctionnent en chaîne. Il va ainsi rattraper en Chine ses clients traditionnels de passage, et formera une clientèle locale de nouveaux bourgeois, qui part à la découverte du monde, où il retrouvera les 4000 hôtels et 463.000 chambres du groupe. L’échéance de 2007 est fixée pour bénéficier de l’effet JO : dès 2008, en effet, 50M de Chinois sortiront du pays qui deviendra dès 2010 la 1ère nation voyageuse. Et dès 2020 (selon la fédération mondiale du tourisme WTTC), la Chine avec 100M de touristes, sera la 1ère destination, battant la douce France!

D’ici 2007, outre Novotel déjà présents + un à ouvrir fin dec. 2005 à Zhongguancun (Pékin), apparaîtront 11 Sofitel (5étoiles), réseau de luxe. Après un test réussi à Tianjin (avec plus de 90% d’occupation), 20 Ibis (3 étoiles) naîtront dans les grandes villes, à partir de 2007.

Le label Mercure viendra peu après. Seul le démocratique Formule 1 manquera à l’appel – mais Accor voudra peut-être l’introduire, lors d’un prochain Circuit de Shanghai ?

 


Joint-venture : Cnooc et Minmetals achètent le temps

— Depuis six mois, Minmetals, géant des métaux non ferreux tentait de reprendre (5,6MM$) le Canadien Noranda et Cnooc, n°3 pétrolier guignait son homologue US Unocal (13MM$) : tous les 2 ont raté, même si Minmetals s’accroche (pour un Noranda qui désormais coûterait 8MM$).

Unocal a été repris le 4/04 à 17MM$, prix d’ami, par son compère Chevron.

Ce double échec sanctionnait la tentation de brûler les étapes et une double méfiance, celle des vendeurs ET celle  de Pékin (co-investisseur par Banque du Développement  interposée), face au risque de faillite ultérieure.

Remis de leur ivresse, ces groupes passent à des investissements moins flambards.

Minmetals décroche (13/4) un contrat  de fournitures à Gerdau Acominas, sidérurgiste brésilien pour 240M$, et va racheter au chilien Codelco, pour 0,5MM$ la mine de Gaby (cuivre).

Cnooc(8/04) rachète 17% des sables bitumineux de l’Alberta, pour 121M$, le reste demeurant au propriétaire MEG, gisement rendu rentable par l’envolée des cours, aux réserves de 2MM de barils d’équivalent pétrole.

NB : Le bitume canadien apprendra à Cnooc (China National Off-shore Oil Corp) les techniques modernes d’extraction et raffinage, qu’il réutilisera ensuite sur les champs chinois ”épuisés”. Ainsi, ce que Minmetals et Cnooc rachètent surtout, est  le temps d’apprendre.

— Le financement “mezzanine” arrive en Chine, type de prêt lourd à 8-10 ans,offert par des Cies financières quand les banques refusent d’intervenir, qui doit son nom à sa priorité en cas de faillite entre 2 étages, après la banque, avant les autres créanciers. Doté de 200 à 600M$, Development Partners est dans les langes, JV entre FMO (Netherlands Development Finance Company, agence semi-publique des Pays Bas) et Value Partners, fonds local. Seront bénéficiaires des PME des villes de l’intérieur.

Cette manne va avec une pluie de conditions signifiant “dilettantes, s’abstenir!”: l’entreprise doit être moyenne plutôt que petite- l’investissement ira jusqu’à 250M$. Elle doit être sans accès aux banques étrangères. Elle doit prouver sa profitabilité, et son potentiel. Priorité ira à l’éducation, la pharmacie, la banque, l’agriculture et au commerce de détail. Ainsi, venue du bout du monde, c’est une forme moderne d’assistance à la fusion-acquisition, loin des régions riches!

BHP Billiton a fini par céder (13/04) : le minéralier australien renonce aux 10$/t de hausse aux aciéries chinoises, en révision du forfait de transport (cf VdlC n°12).

La pression a été vive, de la part des acheteurs et du pouvoir, jouant sur la visite imminente du 1er ministre australien John Howard à Pékin (18/04) pour lancer les pourparlers d’accord de libre échange (ALE).

Surtout, le pool chinois mené par Baosteel a su traiter à part avec Rio Tinto, avec son produit qui part de la même région minière. BHP baisse pavillon, sous prétexte de garder bons rapports avec le pays qui achète 25% de son minerai de fer. Mais le débat reprendra, prévient Graeme Hunt, PDG du groupe, “dès l’an prochain”!

 

 


A la loupe : Bruits de Hong Kong, vagues du Japon

[1] Quand Tung Chi-hwa quitta son poste de gouverneur de Hong Kong deux ans avant terme, Donald Tsang, son successeur statutaire, voulut limiter son stage à ces 2 ans. Mais l’opposition objecta : la constitution fixait le terme à 5 ans! Tsang en appella à l’ANP – le Parlement chinois, qui vient de trancher (12/04), en faveur de Tsang et des deux ans : « Abus, tonna l’opposition, «entaille dans le contrat d’autonomie locale, selon le principe de ‘un pays/deux systèmes’», …

Par hasard, tout ceci arrive lors de la publication du rapport du Département d’Etat sur l’ex-colonie de Sa Majesté, qui évoque l’an passé une « lourde ingérence » chinoise dans les affaires de la RAS – Région administrative spéciale, et un frein au processus de réforme électorale…

[2] Après les théâtrales manifestations anti-nippones à Pékin, Canton et Shenzhen (9 et 10/4), la bisbille sino-japonaise continue, dégradation contrôlée, chaque bord se gardant de commettre l’irréparable.

Le 13/4, Tokyo annonce l’accélération de l’octroi de licences de forage pétrolier au large des îles Sankaku / Diaoyu revendiquées par la Chine, qui parle (14/4) de provocation, alors que d’autres monômes intervenaient dans Pékin et Shanghai le 16/4, Canton le 17, cette fois interdits -du bout des lèvres.. .

Pour l’élargissement du Conseil de sécurité, Pékin soutient Berlin, Delhi, mais barre

Tokyo. Les 2 pays se rejettent mutuellement la faute, tout en sachant que bientôt, il faudra s’expliquer.  Justement,  le 14/2, une mission de l’ANP rencontrait à Tokyo ses collègues de la Diète. Le ministre des affaires étrangères N. Machimura allait à Pékin (17/ 4), promettant d’être « ferme », mais suggérant aussi (concession!) de créer une commission mixte d’évaluation de l’histoire, tandis que le 1er ministre Koizumi espérait voir Hu Jintao à Jakarta, en marge du sommet Afrique/Asie!

Autant de signes que le Japon se met à réfléchir sur l’impact de ses visites officielles régulières au mausolée infâme de Yasukuni, à son regard désinvolte sur son passé récent, voire au soutien militaire qu’elle vient de promettre à Taiwan : gestes incompatibles avec un bon voisinage !

 

 


Argent : Shenzhen la mutante, n°1 de la franchise

— La plus ambitieuse base aéronautique du pays démarre (24/03) ses travaux à Yanliang—Xi’an (Shaanxi).

Sur 40 km², le pôle high tech concentrera usines, centres de formation et de design, de tests et de R&D – recherche et développement-, sous quatre métiers : le développement d’avions moyens et grands, la reconversion de moteurs, la recherche et l’emploi de matériaux nouveaux (alliages, composites) et les services.

Elle se structurera en quatre zones : construction aéronautique, ensembliers, formation et centre d’affaires.

Principaux promoteurs, AVIC1 et Xi’an Aircraft travaillent pour Airbus aux ai-les de l’A320 – 15M$ de contrats partagés avec 4 autres firmes en Chine. D’ici 2010, ces fournitures seront passées à 120M$, notamment par les 5% de participation à l’A350, où les firmes chinoises interviendront jusque dans le design. Sur ce site, sans doute !

— Fruit inattendu des années d’ouverture : la Chine qui, en ’90, ne connaissait que les danwei, magasins d’Etat, est passée n°1 mondial de la franchise, avec 90.000 commerces dans 50 secteurs, du magasin au restaurant en passant par le salon de coiffure.

 La franchise a chaussé ses bottes de 7 lieues en déc 2004, grâce à un règlement du secteur, levant des restrictions sur la distribution (OMC oblige). Mais c’est surtout le succès qui pousse la franchise : 80% des investissements réalisés sous cette fortune réussissent, grâce à l’atout de la chaîne, et du savoir-faire fourni par les franchiseurs  (US, nippons, et souvent taiwanais), tandis que 80% des indépendants, se lançant en franc-tireurs, mordent la poussière.

La Mecque chinoise de la franchise est Shenzhen, poussée par la voisinage de Hong Kong. 60% des franchises y sont dans l’alimentaire et les services, tels cafés et glaciers. La franchise typique (alimentaire) exige jusqu’à 72.000$, contre 2400 à 12.000$ à la laverie.

Enfin, Shenzhen innove en modifiant chez elle la règlementation, pour concilier protection du consommateur et franchise des services urbains. L’idée étant de confier en franchise (avec instance paritaire de surveillance) les monopoles de l’eau, du gaz, de l’électricité et des déchets (collecte et recyclage) !

 

 


Pol : Pour les yeux de l’or noir vénézuelien…

— Le 1er ministre français, JP. Raffarin se libère de la campagne du référendum de l’Union Européenne pour une visite éclair en Chine.

Les 21-23/04,  il sera à Pékin,Shenyang et Shanghai *, avec 5 ministres: MM. Bussereau (agriculture), Goulard (transports), Dobert (recherche), Loos (commerce extérieur, qui aura fait 5 aller et retour Paris-Pékin en 2005) et Muselier (Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères).

Le climat politique est au beau fixe, d’autant que US et Japon sont au frais. Des avancées sont à attendre en terme de filières voire contrats, dans l’équippement nucléaire, ferroviaire (TGV) et aéronautique (A380). Seule ombre au tableau : la levée de l’embargo européen des ventes d’armes, remis en cause par la pression US, et le vote de la loi anti-sécession.

* rencontres avec la communauté: Pékin le 21/4, à 17:00, Shanghai le 23/4, à 19:00.

— Quatre groupes viennent de signer avec le Venezuela des lettres d’intention pour des usines : bel exemple de :

1.  la stratégie chinoise de collecte de matières 1ères, tous azimuts, souvent dans des Etats menacés de sanctions à l’Ouest, et

2.  les liens étroits entre Cies chinoises et leur Etat. En novembre 2004, Pékin promettait 100MM$ d’investissements en 10 ans pour tout le Cône Sud. Au Venezuela, Hugo Chavez a confié à la Chine le développement d’une poche gazière et de 15 gisements pétroliers, et la promesse de 120.000 barils/mois.

En retour, Pékin paie 410M$ d’investissement pétrolier, 700M$ de crédits de construction de logis.

Aujourd’hui, Foton s’apprête à aller produire grues et tracteurs, Haier, des frigos et machines à laver, Lang Chao, ses ordinateurs, et Zhucheng Zhengtai clonera son usine à machines de cartonnage.

La question de fond, étant la rentabilité de ces investissements politiques. Mais les candidats chinois sont aidés par le marasme de leur marché intérieur, et la saturation de ceux à l’export (US, Union Européenne) : Haier ferait tout pour échapper à l’”abominable” (sic) marché intérieur, perclus de chausse-trappes et sans profit !

 


Temps fort : Giboulée d’avril et douche écossaise, sur la nature chinoise

Début 2005, pour son 10. anniversaire, la SEPA (l’Administration de protection de l’environnement) signalait sa montée en puissance en interrompant 26 chantiers de barrages ayant omis de se soumettre à une étude d’impact environnemental. Une telle audace n’était possible que par la protection rapprochée de Wen Jiabao, le 1er ministre qui plaçait aussi en mars dans son discours d’ouverture de l’ANP – le Parlement – (c’était une 1ère!) cette politique au sommet des priorités de la nation.

Un mois plus tard, des problèmes lourds se chargent de rappeler l’état critique de l’environnement chinois, et que sa défense est loin d’être entrée dans les moeurs.

Le Guangdong entame la saison des coupures de courant, 3 mois à l’avance (les usines perdent jusqu’à 3 jours de travail/semaine, et 1,2MM$ sur trois mois). C’est la pire sécheresse en 50 ans, avec les réservoirs quasi à sec, tandis que se multiplient les troubles respiratoires.

Plus vive encore, une alerte vient de Hua’xi (Zhejiang), où 13 usines chimiques construites en 2002 sans concertation, plombant cultures et poumons, finirent par désespérer les riverains, qui bloquèrent l’accès. Comme la police usa de violence (deux vieilles mortes), 30.000 habitants se soulevèrent le 10/4, chassant 1.000 policiers, blessant 50 personnes et détruisant 50 véhicules.

Face à cette  tension, les instances se divisent : le ministère de l’eau conteste les normes de pureté de la SEPA pour la rivière Huai, aujourd’hui au dernier degré de souillure. Le ministère se satisfaisait de l’offre de la commission de l’eau de la Huai, pour une «demande d’oxygène chimique» (DOC) de 382.000t/an, mais la SEPA exige 460.000t,  mettant ministère et commission en porte-à-faux, tandis que la « souris » SEPA « rugit » toujours plus fort face à la crise qui s’installe, Robespierre de la défense de la nature!

 

 


Petit Peuple : Taixing, la petite fille sur la péniche

Wang Yue ferait une belle héroïne de cinéma.

Depuis sa naissance en 1990 sur une jonque du Yangtzé, elle vit ses parents se briser les reins à transporter du sable pour une paie de misère. Chaque année sur la péniche, le ventre de maman s’arrondissait, jusqu’à ce que le ciel leur accorde un héritier, au 8èmeessai! Depuis 2 ans déjà, le couple l’avait placée avec ses soeurs à Taixing (Jiangsu) chez la grand-mère, pour ne plus les avoir dans les jambes au milieu des flots.

Le problème vint en 2000: l’ancêtre décéda. Après les funérailles, il fallait vivre : les Wang donnèrent 500¥ à l’aînée et repartirent, pour ne réapparaître que 4 fois l’an, gardant contact épisodique, par téléphone chez la propriétaire. Quand la bourse était vide, l’aînée se rendait au RV sur le débarcadère, où un marinier lui portait les petits billets des parents. Aguerrie

(百炼成钢 bai lian cheng gang, «trempée comme l’acier, à la dure»), Wang put nourrir ses soeurs ET aller à l’école, quitte à réviser été comme hiver à la chandelle. Elle quitta la classe en 2003 pour assister les soeurs dans leurs études. En2004, elle réintégra, la cadette prenant son tour de garde de la maison. On note l’aspect moral de ce clan, qui trouve son salut dans sa cohésion. La censure a un autre motif de favoriser ce genre d’histoire: la cause de ces souffrances, la natalité débridée, qui prouve a contrario le bon sens du  计划生育 jihua shengyu, du contrôle des naissances ! 

 

 


Rendez-vous : JP.Raffarin à Pékin, Shenyang, Shanghai

— 22-24 avril: Boao (Hainan) Forum annuel

— 22-28 avril: Shanghai Auto Show 2005

— 18/19 avril: Beijing Olympics Conference