Le Vent de la Chine Numéro 8

du 23 février au 8 mars 2004

Editorial : Pékin – un mois lourd d’échéances politiques!

Les semaines qui suivent seront intenses en actualité politique : le hasard du calendrier cumule les rendez-vous, défis pour le pouvoir en place.

– Le 25/2 s’ouvre à Pékin le second Sommet pour la Corée du Nord, en présence de la Russie, du Japon, de la Chine, des Etats-Unis et des frères ennemis coréens. Ni Chine, ni US n’affectent d’attendre le succès. Le blocage vient de l’incapacité du régime de Kim Jong-il (dont le pouvoir compte parmi les plus cloisonnés du monde) à trouver l’accord pour abandonner la bombe, et 50 ans d’isolationnisme : il est plus facile de s’emmurer, que de quitter sa caverne !

Les signes encourageants pourtant, n’ont pas manqué, telle l’invitation secrète d’inspecteurs américains au centre de recherche nucléaire que Pyongyang, pour l’heure, veut bien «geler» – Washington exige un «démantèlement total et vérifiable»… Positions d’attente, et poker!

– Du 5 au 14 mars suivra la session de l’Assemblée Nationale Populaire, moment du bilan de cette première année du leadership «de la quatrième génération». Dès maintenant, les cadres ont pour ordre d’interdire pétitions et voyages de protestation. Cette équipe a appliqué le programme qu’elle s’était fixée : un 不 «Bu» (Non!) farouche à toute avancée démocratique, compensé par l’accélération des réformes socio-économiques, dans un style «ne pas mettre la charrue avant les boeufs». Parmi les nouveautés à débattre au Parlement, figure un programme anti-corruption adopté (17/2) par la jilüjiancha (Commission nationale de discipline – police interne du Parti), destiné à faire épingler les «gros» par un rapport annuel, obligatoire, du Politbureau au Comité Central. Figure aussi une série de plans pour mettre le système financier aux normes internationales, liquider les entreprises d’Etat ruinées dans des bourses spécialisées, créer un second régime de retraite volontaire et élargir l’autre aux paysans, enrayer la pollution et restaurer les forêts (cf p2

« argent »), ouvrir la presse (aujourd’hui à 99% publique) aux investissements privés, briser la spirale maléfique de paupérisation des campagnes (cf VdlC n°5)… C’est une course contre le temps – l’impasse sur tout débat politique ne pourra être toujours maintenue!

Force est de dire qu’après un an, sans avoir rien cédé sur le monopole du Parti, l’équipe de Hu Jintao parvient à conserver bonne cote, en Chine et ailleurs!

– Enfin, le 20 mars a lieu le scrutin présidentiel à Taiwan, suivi d’un Référendum de politique de défense. Pour Chen Shui-bian, le président sortant (DPP), ça passe ou ça casse! Comme pour Hong Kong (cf ci-dessous col. droite), Pékin maintient la plus forte pression face à cette échéance qu’elle condamne.

Au risque de sacrifier son propre 一国两枝 yi guo liang zhi, «un pays, deux systèmes », modèle inventé par Deng pour rattacher HK puis Taiwan au continent. Mais dans les deux cas, Pékin est en réalité plus pragmatique et en attente des résultats du scrutin (en septembre pour le Legco à HK), quitte à reculer alors d’un pas, si nécessaire : vieille tactique !


A la loupe : HK – ‘Faites vos jeux / rien ne va plus’ …

A l’automne, face aux revendications démocratiques de Hong Kong, Pékin multipliait les tentatives d’accommodement avec sa région administrative spéciale (RAS). En son sein, le pouvoir débattait sur ces questions de fond : « faut-il octroyer à HK un régime électoral complet? » et si oui, «quelles conséquences cela entraînera-t-il pour la patrie? »

Après 3 jours d’entretiens avec D. Tsang, patron de l’administration et n°2 du Rocher, Pékin a opté (10/2) pour la fermeté. Concernant le scrutin du Legco en septembre, dont la moitié des 60 sièges seront élus et la moitié désignés par les corps constitués, Pékin menace, en cas de majorité démocrate, de dissoudre la chambre. HK doit avoir une majorité «patriote» (celle des 200.000 les plus prospères, loin de la majorité sociologique), et « ne pas oublier ce qu’elle est, une province parmi d’autres, sous l’autorité centrale »!

Le pouvoir se met donc en retrait de Deng, qui envisageait un Parlement sous double influence «gauchiste» des fidèles de Pékin, et «droitière», voix de la sensibilité locale. Il n’est plus question non plus d’une désignation directe du chef de l’exécutif en ’07: pour la démocratie, il faudra attendre!

Pourquoi ce recul? Peut-être suite à la manifestation de 100.000 opposants le 1er janvier, à la chute du gouverneur Tung Chee-Hwa

dans les sondages, à l’implosion du DAB (pro-Pékin), prêt à céder aux exigences de la rue, et à d’inquiétants échos cantonais à cette fièvre hongkongaise…

Enfin, comment sortir de l’impasse, alors que l’opinion sera déçue et les échéances prévues par la loi fondamentale (rédigée et votée à Pékin) auront été ignorées? D. Tsang propose de « nommer une commission démocratique… pour convenir d’une définition du mot ‘patriote’ »… Mais serait-ce suffisant?

 


Argent : le grand plan de la filière bois-papier

La papeterie chinoise est atomisée en PME utilisant la paille, très polluante pour les rivières. Or, d’ici 6 ans, la demande passera de 48Mt en 2003 (16% du monde) à 70Mt : pour fermer ces unités (de moins de 17.000t de capacité), c’est la lutte contre la montre!

La State Development and Reform Commission (SDRC) vient de publier (16 février) son plan pour métamorphoser d’ici 2010 la filière bois-papier: 24MM$ sont attendus, surtout privés et étrangers, moyennant subventions ou tapis rouge pour la bourse.

Le Sud-Ouest attend une série d’usines (100.000 à 500.000t), alimentées par les bambouseraies.

Le Sud-Est verra la plantation de 5M ha d’arbres à croissance rapide (tels l’eucalyptus à Hainan, par le leader mondial Weyerhauser), accompagnée de 3 à 4 unités de 500.000t.

A la côte, la relève est assurée par le finlandais UPM-Kymmene qui va doubler à 800.000t son usine de Changsu (Jiangsu). N°1, la JV sino-indonésienne APP parle d’entrer en bourse de Shanghai en 2005 et d’investir 1MM$ entre son usine de pulpe de Hainan et sa papeterie de Ningbo (Zhejiang). Mais APP doit 2,7MM$ aux banques chinoises, la valeur de son investissement local!

NB : même mené à bien, ce plan ne réglera pas le problème environnemental: cumulés, les projets sur la table n’amèneront qu’une capacité nouvelle de 5,5Mt, sur les 22Mt à créer d’ici 2010.

 


A la loupe : Avant le Plenum, les étoiles du printemps!

Comme avant chaque Plenum, bourgeonnent les promotions des étoiles politiques!

Malade, Lu Fuyuan cède sa place de ministre du Commerce (15/2) au plus en vue des espoirs du Parti, Bo Xilai, ex-gouverneur

du Liaoning et ex-maire de Dalian.

Promotion longtemps attendue : Bo était handicapé par ses racines, fils de Bo Yibo, compagnon de Deng Xiaoping. Dit membre du 太子帮 taizibang («gang des petits princes»), il rongea son frein 20 ans, dans l’ingrate région du Dongbei.

Natif du Shanxi, il lui fallut attendre 32 ans (âge tardif, en politique) pour entrer au PCC, puis se trouver un an plus tard (1981) bombardé au Liaoning. Il y eut des succès moyens, ayant attiré des investissements sud-coréens et préparé l’actuel plan de relance des 3 provinces du Dongbei, mais n’ayant pu enrayer mafia ni corruption, ni gagner le pari du réemploi des M d’ouvriers des EE en faillite!

Il eut par chance la connexion personnelle de son père avec Jiang Zemin, une amitié avec Zeng Qinghong (dauphin de Jiang), assez pour le faire monter au début des années ’90, au Secrétariat et au Bureau Central du PCC. Mais il fut aussi un des premiers à féliciter le tandem Hu-Wen pour sa gestion du SRAS, signe de souplesse carriériste…

Autre sujet à bonne presse, Pan Yue, depuis 2003 vice-ministre de la SEPA (à 44 ans), l’office anti-pollution chouchou de l’opinion. Avant cette promo, vice-directeur au Conseil d’Etat, Pan prit des risques, écrivant des articles brillants qui portaient ombrage à Jiang, plaidant pour une «renaissance» chinoise basée sur une conscience écologique et un développement durable. A présent, ce théoricien devenu rond de cuir gère un budget (2001-2005) de 16MM$ -dont 3,8 déjà partis- en 2000 projets de sauvetage des lacs et des rivières.

Pan est reconnu par la presse, comme ne craignant pas de multiplier ses ennemis parmi les grands patrons industriels, en dénonçant leurs dégâts environnementaux, comme il le fit en sept.’03 pour Zhuzhou Chem (Henan): seul à oser faire ce dont tant d’autres rêvent !

 


Pol : Comment sauver la ‘perle du nord’

Le Hebei tente de sauver les marais de Baiyangdian, le plus grand lac d’eau douce du Nord du pays. Baiyangdian est un écosystème unique de vasières et de 143 lacs abritant sa propre espèce de roseau (matière première  d’un tatami tressé par les villages, exporté au Japon), 192 espèces d’échassiers et palmimèdes, 54 de poissons fort prisés, 57 types d’algues et lotus, 14 mammifères.

Baiyangdian agonise de mort violente, sous les forages des spéculateurs avides d’aquaculture et les pompages pour les industries de Baoding et les fermes intensives de la région. En 40 ans, la surface du lac diminua de 35%, à 366km2, et le niveau ne permet souvent

plus le passage des barques. Dix actions de diversion en 10 ans n’y firent rien, et Baiyangdian 100% à sec, risquerait de rendre l’âme en 2005.

Ultime tentative : un canal vient d’entrer en service, reliant Baiyangdian au réservoir de Yuecheng, à 450km. La “perle scintillante du

Nord” en tirerait 160Mm3 d’eau/an – quelques années de sursis. Mais pour la biodiversité, les dégâts sont irrattrapables!

Peut mieux faire”, mit en rouge John Bolton sur la copie chinoise de dissémination de technologies militaires. Le 17 février, ce sous-Secrétaire d’Etat américain discutait à Pékin de la coopération militaire chinoise avec les pays islamiques.

Washington accuse la Chine de maintenir, en dépit d’accords signés en 2000 et 2002, des transferts à l’Arabie Saoudite en matière de

missiles, et au Pakistan en matière de nucléaire. Péché plus véniel : le design de la bombe atomique rendu par la Libye venait de Chine, mais via Islamabad.

A peu près assurée que ce reliquat de coopé militaire avec des régimes peu sûrs, n’est qu’un “poids du passé”, la Maison Blanche tente en fait (pour raisons surtout électorales internes) d’obtenir de la Chine qu’elle adhère à sa dernière initiative anti-prolifération, le “ Proliferation Security Initiative” (PSI), filet douanier international permettant d’intercepter les navires suspects. Ce que Pékin refusera de faire, comme toute l’Asie, faute de base juridique à cet avatar de “gendarme des mers”.

37 morts piétinés dans une bousculade sur un pont à Miyun durant la fête des lanternes (Pékin, 5 février), 93 morts brûlés vifs le 15 février dans un grand magasin à Jilin (Jilin, notre photo) et dans un temple à Wufeng (Zhejiang): cela commence à faire, surtout après la mort de 234 villageois asphyxiés à Chongqing en déc. (VdlC n°1).

Aussi Wen Jiabao, le 1er Min. impose (16/2) une campagne de prévention des catastrophes et de formation nationale, couplée à une inspection méthodique des usines, bureaux, mines, écoles… Chaque année en moyenne, 130.000 Chinois meurent d’accidents (non routiers), qui en blessent 700.000 autres et causent 31MM$ de dommages. Mais la courbe est en hausse, pour les incendies au moins, avec 250.000 cas en 2003, et 2497 morts soit +4,3%.

NB: les fidèles rescapés font remarquer que leur temple ayant été détruit par la police, ils en avaient construit un autre – en bambou…

 


Temps fort : Un tsunami laitier sur la Chine

Le Chinois boit, par an, 4 litres de lait : révolution face à 10 ans avant, où il n’en prenait pas. Sa culture s’est modifiée, à l’instar de sa flore intestinale.

Le lait est la vache landaise de la Chine verte, ayant produit 5,5MM$ de chiffre en 2003 (jan-nov), et 337M$ de profit (+52%)!

En 2002, la collecte atteint 10,8Mt –2,2% du monde. Les ténors Danone, Kraft et Parmalat ont jeté l’éponge (cf VdlC n°15, VIII) pour cause de manque de matière prémière, de salaires d’expatriés, ou par faute de marketing (visant un marché d’élite).

Exception : Nestlé, qui a su fidéliser son réseau de villages producteurs et s’est consolidé par ses 20 usines, sur quelques segments comme la glace (cf VdlC n°22) et le lait maternisé – dont le marché chinois dépassera 480M$ en 2004.

Ce succès attire bien du monde et par suite, une vague de concentration. 90% des 1500 firmes sont à faible débit et équipements désuets. Ceci inspire l’étranger, à peine reparti, à revenir.

En novembre 2003, Danone misa 14,6M$ sur Shanghai Bright (14% du marché national) pour y doubler sa participation à 7,7%. Avec 967M$ de ventes prévues en 2004 (+25% en 2005), Shanghai Bright étudie un partenariat avec le géant alimentaire taïwanais

President, titulaire de 120 JV locales d’un investissement de 2,6MM$.

Sanlu (Hebei, 285M$ de ventes en 2001) veut vendre 39% de parts à Fonterra géant néo-zélandais qui fait 7MM$ de chiffre par an. Eternal (Texas, biogénétique) reprend 50% de Yutai, ferme de vaches Holstein (Tianjin), dotée de la certification verte nationale.

Enfin, la demande force Bongrain (n°4 mondial  du fromage) à réviser ses pronostics : une seconde usine se monte à Tianjin, qui quadruplera sa capacité (fromage moulé Pikifou), à 1300t d’ici avril, moyennant 20M$ d’investissement!

Pas de doute, avec le lait, une révolution diététique, agroalimentaire ne fait que démarrer – cf l’américain qui lui, boit 100 l./an en moyenne !

 


Petit Peuple : Le coq virtuel et le contrôleur

Quand à travers leur judas, les voisins virent les sbires en combinaisons stériles sonner à la porte de M. Ma, ils ne se gênèrent pas pour applaudir : pour cause de grippe aviaire, les vétérinaires de Chaoyang (Pékin) saisissaient les 3 coqs qui depuis tant de lunes gâchaient leur songe à l’heure où blanchit la campagne. Tout ce que le retraité put obtenir des cerbères de l’hygiène, fut la vague assurance que ses bestioles vivraient en sursis, en quarantaine en banlieue.

Mais la joie malveillante des résidents vira en eau de boudin, 2 nuits après, quand de l’appartement du vieux récalcitrant retentit à 5 heure du matin le chant fatidique, plus tonique que jamais! Très vite sur place, les scaphandriers vengeurs passèrent le F2 au crible               -jusqu’au frigo- sans trouver trace de gallinacé. Jusqu’à ce que Ma, bon prince, enclenche son magnéto et joue l’air du délit.

Désespéré par la perte de ses compagnons, il avait repiqué dans une ferme son air favori, et se le jouait pour se réveiller… Le VdlC trouve l’explication un peu courte!

Une seconde raison occulte pourrait être que né coq, Ma ne supporterait la disparition de son fétiche en cette année du singe, car elle matérialisait un proverbe pour lui lourd de menace, 剎鸡怕猴 sha ji pa hou,“tuer le coq pour effrayer le singe”. Une dernière piste serait un plan ourdi par Ma, afin de ridiculiser ses méchants voisins, suite à leur seconde dénonciation…

En tout état de cause, cet incident bizarre rappelle une légende où le fermier chinois forçait son Chanteclair à hurler sous les étoiles,

afin d’augmenter le rendement de ses valets: 半夜鸡叫 ban ye ji jiao, “à minuit le coq chante” : version chinoise de “trop chanter, cuit”!

 


Rendez-vous : Foire de Shanghai, ‘Chine orientale’

24-27/2, Pékin: Expo matériaux/Construction

27/2-2/3, Canton:     Expo Water China 2004

1-7/3, Shanghai:Foire commerciale East China