Le Vent de la Chine Numéro 3

du 20 au 26 janvier 2003

Editorial : Port de Shanghai – la chevauchée fantastique

En 2003, avec 8,6 M de conteneurs (20 TEU) traités l’an dernier, Shanghai vient de passer Kaohsiung (Taiwan) comme quatrième port mondial. Sa progression est météoritique: +36% sur 2001, et 700% depuis 1994.

Entre ses ports de Minsheng (grain),Luojing (houille) et Waigaoqiao (fret général), la « Tête de dragon » fait 260 Mt de trafic (+19%), et s’affirme un port complet alignant 30.000 dockers et cols blancs, pour recevoir 62 navires/jour sur 16 routes mondiales entre 500 ports. Depuis novembre, il est géré par un logiciel Citrix, chef d’orchestre des grues, cargos, trains et camions, comptable et rédacteur instantané de l’écrasante paperasserie, et informateur des 200 agents de l’autorité portuaire.

Son atout, c’est sa place à l’embouchure du Yangtzé navigable sur 2000 km, avec un tirant d’eau de 6 à 7m : 2/3 de son trafic est national, avec un hinterland de centaines de villes de la côte et de l’intérieur.

Mais la poule aux oeufs d’or, c’est l’étranger. En 2002, l’import-export dépasse 100 Mt, et 140MM$ en valeur, 24% du trafic national. Les US sont le 1er client (17,5MM$, +25%), suivi de l’Union Européenne (16,6MM$, +1,7%) et du Japon (15,9MM, +8,2%). 1ère exportation, le textile atteint 25MM$, partagés entre vêtements et tissus.

Pour l’avenir, les perspectives sont aussi brillantes : Shanghai s’attend à +15%/an en trafic conteneurs d’ici ’07. Pour faire face, elle investit 40 km plus au sud à Yangshan (Zhejiang), dans son port en eaux profondes, au large de Ningbo, mégaprojet d’un coût de 12MM$ moyennant le redéploiement d’une ville côtière, la liaison entre deux îlots et une autoroute sur pilotis. En 2020, Yangshan comptera 50 appontements. Parmi les candidats investisseurs (pour des JV à 75%), figurent PSA Corp (Singapour), Modern Terminals (5M de boîtes, à HK), Hutchi-son (HK, de Li Kashing) et P&O Nedlloyd, armateur mondial. Le 1er appel d’offres, dans les mois à venir, portera sur 1,7 MM$, pour bâtir d’ ici 2005 la liaison routière et 5 quais d’une capacité de 2M TEU/an.

Shanghai ouvrira aussi en juin à Waigaoqiao, pour 60 M$, un quai ro-ro de 300.000m3 pour l’export des voitures neuves, notamment GM.

NB: Shenzhen qui en ’02 a traité 7,5MTEU (+50%) , devient n°6. Face à telle cavalcade, HK, le n°1 (16M de « boîtes« ) tremble : avec sa croissance future estimée à 5% seulement, il devrait être dépassé par Shanghai d’ici huit ans pour les optimistes voire trois, disent les pessimistes !


A la loupe : La Chine au secours de l’auto-emploi

Avec 22 millions de sans emplois en ville et 150M à la campagne, le chômage est une priorité du futur gouvernement, pour éviter des émeutes de la misère telle celle de Liaoyang (Liaoning) en mars 2002, dont deux leaders, Yao Fuxin et Xiao Yunliang viennent de passer en procès pour subversion (15/1) – ils risquent la perpétuité.

En effet, la réserve des emplois faciles en ville, est épuisée: au 1er semestre 2002, seuls 9% des chômeurs déclarés ont été recasés, contre 50% en 1998. A l’avenir, avec l’accélération des fermetures d’Entreprises d’Etat et l’arrivée des jeunes sur le marché du travail, ce sont 13M/an de nouveaux demandeurs qui se battront pour 8M de jobs. S’ajoute  à cela l’inconnue du monde rural, et l’alarme sonnée par l’économiste Hu Angang : «pour éviter une catastrophe, c’est maintenant qu’il faut éliminer la moitié des emplois paysans» !

Pour briser ce cercle vicieux, une nouvelle donne vient d’être émise à la Banque Populaire de Chine: à tous les niveaux de gouvernement, des fonds publics seront confiés aux banques, pour offrir des microcrédits de 20.000Y (2400$) par chômeur, comme aide à la création de sa PME. Sous condition de n’avoir ni dettes ni maladie, et d’avoir moins de 60 ans, le prêt est automatique, de 3 ans maximum, cumulable en coopératives de réemploi (ex.: 40.000Y à deux). Le taux d’intérêt sera faible ou exempté.

Ainsi est levée l’hypothèque de la méfiance des banques face à ces clients à risque. L’Etat s’engage dans la voie d’un contrat social à l’occidentale : après l’assistance socialiste totale, c’est l’aide à l’autonomie, dans ces PME qui assurent, dès aujourd’hui, 75% de l’emploi urbain !


Joint-venture : l’or noir russe, soufflé par le Japon ?

· Les 2m26 de Yao Ming, fer de lance des Rockets (Houston) donne à la NBA, la cote auprès des chinois: 63% des ados (15-24 ans), 57% des hommes (15-64ans) en sont fans et suivent ses matchs sur CCTV.

La NBA lance (15/1) son site local, www.nba.com/chin, en chasse des 59M de surfeurs chinois (75% de + qu’en 2001).

NB : Après 2 années difficiles, les dot.com chinoises remontent la pente. Ils se sont redressés grâce à l’engouement du Mondial, au retour de la manne publicitaire, et à une politique clairvoyante de China Mobile qui les autorise à facturer les téléchargements de leurs infos sur "ses" portables. Résultat: au Nasdaq, bourse US des valeurs technologiques, en 2002, NetEase a vu son titre s’envoler de 1661%, à 11,45$ la part Sohu s’est élevé de 736% à 6,40$ : ils sont 1er et 5ème au palmarès!

 

· Il y a de l’eau dans l’oléoduc entre la Chine et la Russie : un vieux projet commun est compromis par un geste audacieux et tardif  de Tokyo :

[1] négocié depuis des ans, y-compris en décembre 2002, le pipeline Angarsk (Sibérie) – Daqing (Heilongjiang) devait livrer 20Mt/an. 2MM$ d’investissements, surtout à charge de Moscou. Mais J. Koizumi, 1er ministre nippon, vient d’offrir bien mieux à Vladimir Poutine (10/01, Moscou) : une liaison vers le port pacifique de Nakhodka. Quoique plus cher (3,5MM$), ce projet offre trois atouts incomparables :

– rester sur sol russe,

– acheminer 50Mt/an (plus du double),

– pour 4 clients (Japon, Corée, Chine, US) et non un seul.

[2] hasard?

 Fin décembre 2002, Zhu Rongji ressort un rêve poussiéreux de pipeline pour pomper le pétrole kazakh vers Urumqi -supposant un autre oléoduc à construire (Urumqi-côte). Objet d’un préaccord en 1997, le projet de 4300km (5MM$) avait été abandonné faute de rentabilité – les réserves kazakh exportables, n’atteindraient que 8Mt/an. Mais, si la Chine perd l’apanage d’Angarsk, sa séduction pourrait réapparaître.


A la loupe : La recherche scientifique explose

En 4 ans, le nombre de places en universités a triplé: le quota qui vient d’être annoncé pour le  gaokao (concours national d’entrée à l’enseignement supérieur), cru 2003, est de 3,35M soit 150.000 de plus qu’en 2002. En 2010, espère le pouvoir, 23% des jeunes auront intégré l’université, contre 3% en 2000. La même explosion se lit à la crête de la vague étudiante: ce WE (18-9/1), le concours d’admission en post-graduat, surtout en MBA recevait 797.000 candidats (+27%) pour 217.000 places (+33%).

En même temps, le nombre des étudiants expatriés explose: les 5000 jeunes en France en 2002, seront 12.000 en 2005. La plupart retourneront au pays une fois diplômés, confiants d’y trouver, désormais, travail et bon salaire : c’est la fin de la fuite des cerveaux! Tout ceci est révélateur d’une vive poussée en puissance de la recherche scientifique chinoise, passée de 3% du potentiel français fin des années ’80, à 30% aujourd’hui – ce n’est qu’un début!

De cette compétence croissante, la presse donne deux exemples frappants cette semaine :

ð dans le cadre d’une recherche entamée au début des années ’90, l’Institut national d’hydraulique entame aujourd’hui la constitution d’un modèle digital du Fleuve Jaune, aux 5464km de cours tantôt violent, tantôt à sec. Assisté de censors à distance, GPS et autres collecteurs de données immédiates, ce travail prendra dix ans. On en attend la maîtrise des flux, et de la ressource de ce fleuve dont l’humeur fantasque lui a valu le surnom de  zhongguo de beiai, «chagrin de la Chine».

ð à l’université de Changsha (Hunan),Mme Lu Guangxiu, professeur, affirme avoir réalisé dès 1999, le 1er clonage d’un embryon humain  puis en 2001,  le 1er passage de cette culture à 200 cellules souches, seuil qui en rend possible l’exploitation.

NB : en France, cette recherche sur le clonage thérapeutique humain, est pour l’instant interdite!


Argent : COSL largue les amarres

· 1er fournisseur chinois de services aux plates-formes pétrolières en mer, COSL, China Oilfield Sercices Ltd, anticipe la demande et commande à 4 chantiers nationaux, après appel d’offre, 8 navires de soutien, d’un coût global de 81M$. D’ici mai 2004, cette filiale de CNOOC (n°1 de l’offshore chinois) prendra livraison de 7 bâtiments multifonctions

(remorquage, transport, surveillance, maintenance des structures) et du 1er bateau made in China de prospection géophysique équipé d’un système de positionnement dynamique, nécessaire à l’entretien d’oléoducs immergés. En bourse de HK depuis 2002, COSL pense investir 268M$ d’ici 2005 : d’ici là, sa flottille de navires-soutien aura atteint 71 unités contre 55 à présent – moyennant 19 achats et 3 retraits. Le nombre de ses tankers (6) ne bougera pas.

NB: 2002, pour la construction navale a été faste. Fusionné en 1999, CSIC, China Shipbuilding Industry Corp, n°1 des chantiers civils et militaires, a livré 69 bateaux pour 2,1 MM$ (+20%) et un tonnage d’1,38Mt,+48% (soit une baisse de valeur moyenne !). Sur les 48 chantiers du groupe, les 12 qui étaient en déficit en 2002, sont passés à 8.

 

· En 2002, hormis les recettes douanières et des taxes rurales, le fisc a perçu 205MM$ (+12%). Pour cette année de transition, avec l’arrivée d’un gouvernement nouveau, le Trésor diffère l’introduction de 2 taxes sur l’héritage et le carburant.

D’autre part, le soutien à la croissance lui fait réduire ses exigences: banques et courtages paieront 1% de moins soit 5% de taxe d’affaires : il ressortira un déficit de 2,4MM$ selon la Banque Populaire de Chine-voire 12MM$ selon l’étranger (Fitch-China). La Chine tentera de se refaire, en poursuivant la traque aux riches et fraudeurs d’impôt.

NB: la taxation des banques reste lourde, cumulant taxe d’affaires, sectorielle et sur le revenu. Les 4 Soeurs, par ex., paient 64,5% pour 2001, contre 15% (business tax) aux banques à HK : pas de quoi permettre aux banques publiques de résorber leurs 500MM$ de mauvais prêts!


Pol : l’industrie ne boit pas la tasse !

· Sans douleur ni bruit, avec l’accord des autorités, Tong Changping est devenu évêque du diocèse de Weinan sous le nom romain de Mgr Joseph, à 34 ans.

Weinan est une paroisse catholique en banlieue de Xi’an (Shaanxi), qui compte 12000 fidèles, 28 prêtres et 40 nonnes, et baptise 100 enfants et adultes par an. Ordonné prêtre en 1997, Tong remplace Mgr Laurent, Zhang Wenbin, décédé à 87 ans. Comme presque tous les prélats de l’église officielle (et bien sûr, ceux de l’église de l’ombre), Mgr Joseph a -probablement- reçu l’investiture du Pape. Aujourd’hui, le clergé de l’église officielle compte 117 évêques, 2650 prêtres, 34 séminaires, 24770 séminaristes (futurs prêtres) et 4900 nonnes pour un troupeau de fidèles évalués entre 4 et 8M.

 

· Avec des réserves d’eau dramatiquement basses, la Chine prépare depuis 2000 des mesures draconiennes -elles arrivent !

1ère sur la sellette, l’industrie se voit priée de réduire sa consommation de 17% d’ici 3 ans, et d’économiser 6MMm3. Il faut dire qu’elle part de très bas, «buvant» 7 fois plus d’eau que les pays riches, avec 75m3 par 1000$ de produit, et seuls 52% des eaux recyclées contre 80% à l’Ouest. Chaque secteur aura son quota contraignant, notamment électricité, sidérurgie, pétrochimie, teinture et papier, qui prenaient à elles seules, en 1999,  les 2/3 de l’eau de toutes les industries chinoises, 77MMm3. Par exemple, la tonne d’acier devra être produite avec moins de 15t d’eau.

 

· Depuis octobre 2002, trois cas chinois d’espionnage industriel ou d’ «ingénierie inversée» ont été relevés par l’administration US, avec arrestation et action judiciaire. Affaires sans rapport apparent, mais qui expriment un effort constant pour maîtriser des technologies qui lui manquent, et que la Chine n’est pas autorisée à acquérir.

[1] Affaire peut-être militaire, Jiang Qingchang, PDG d’une PME chinoise en Californie, aurait tenté d’exporter vers un institut de recherche pékinois 9 amplificateurs micro-ondes, utilisables dans le système de guidage des missiles.

[2] Fei Ye (US), Ming Zhong (résident permanent) ont été arrêtés à l’aéroport de San Francisco, tentant d’embarquer avec des « secrets commerciaux » (sic) de 4 firmes, dont NEC

[3] Ming Shanyan est inculpé d’accès illicite aux ordinateurs d’une firme californienne spécialiste en logiciels pour firmes pétrolières – il aurait piraté un logiciel, durant son stage.

Dans aucun de ces cas, l’Etat chinois n’est impliqué. « Nous ignorons s’il s’agit d’une masse d’entrepreneurs agissant pour leur compte, ou si une main les guide », remarque William Triplett, ancien expert républicain au Sénat, « la seule chose évidente, est que la situation est devenue incontrôlable durant les années ’90 »!


Temps fort : La réforme politique fait dans le concret !

1ère réforme politique concrète : désormais à Shenzhen, le PC voit son rôle limité à la définition des objectifs. Le pouvoir exécutif passe aux mains de la mairie souveraine et ne rend comptes (comme le PC lui-même) qu’au Parlement local. La mairie veut profiter de cette liberté pour accélérer la vente de ses dernières 30 à 50 Entreprises d’Etat. La portée de cette initiative est immense : hier honnie, la séparation des pouvoirs apparaît en Chine! Le nom de son auteur est une autre surprise : Zeng Qinghong, bras droit de Jiang Zemin!

Pendant ce temps, Hu Jintao, le nouveau 1er Secrétaire et bientôt Président, balise son territoire plus vite que prévu, et d’emblée, décrète l’exigence de plus de légalité et transparence, tout en rétablissant la primauté de la Constitution -même sur la théorie des «3 Représentativités» -qui passe à la trappe, après 3 ans de règne sans partage…

Le 5/12, Hu se montre à Xibaibo (Hebei), haut lieu révolutionnaire, pour se revendiquer de Mao (jusqu’à hier, la légitimité de Jiang). Dans ce 1er discours, il réclame 63 fois (!) le retour à un style de «vie simple et combat opiniâtre».

Il rend visite à 2 régions pauvres, plaide pour les laissés-pour-compte de la croissance. Enfin, il place ses lieutenants et amis dans des postes stratégiques et réduit la limite d’âge des ministres, préparant une vaste série de promotions

Toutes ces actions sont autant de victoires sur son prédécesseur, qu’il obtient en jouant mezza voce sur la lassitude de la majorité assoiffée de changement. Ce qui peut expliquer le volontarisme de Zeng Qinghong pour mener le test de Shenzhen : afin de suivre le vent qui tourne. Pour l’opinion publique, ces semaines de pouvoir sans faute de Hu Jintao, lui valent une bouffée d’espoir, et un début de popularité indiscutable.

NB : la presse publie soudain des manifestes réformistes, et réclame des promesses de rétablir l’ indépendance de la justice et la sienne propre. Impensable il y a trois mois, une telle audace témoigne elle aussi d’un bouillonnement de la sève chinoise, insolite face au climat dominant!


Petit Peuple : la déchirure conjugale, à la TV

Par rapport aux traîtres nationalistes en tenue d’opérette et aux cadres socialistes loyaux qui hantent l’imaginaire compassé des feuilletons chinois, «Parle pas aux étrangers!» porte une rupture brutale. Zhang Jiandong, le réalisateur reconnaît avoir voulu frapper. Il l’a fait au-delà de ses espérances, en laissant gifler, en 23 épisodes, la femme au foyer. Parle pas cerne le problème de la frappe conjugale. En art comme en vie réelle, la Chine préfère glisser sur les scènes malséantes: Zhang n’épargne rien à l’héroïne, passée à tabac 6 insoutenables fois. Il démonte le ressort, la honte de l’épouse rossée et l’impression que c’est de sa faute, les serments d’ivrogne du mari jaloux de ne jamais recommencer, la lâcheté des proches qui la forcent à rester en enfer. Autre convention dénoncée: le coupable n’est pas issu d’un milieu misérable, mais médecin respectable à Xiamen, cité maritime fleurie- pas d’excuse de classe! Pour les Chinois, le message fut reçu 5/5 : la violence au foyer, n’est pas du cinéma mais la vie de 37% des foyers! Par milliers, des femmes ont remercié pour cette thérapie de choc dévoilant les machos,  tian zhi jiaozi («fils préférés du ciel»).Quant au Ministère de la culture, il fait ses comptes, perplexe. Le téléfilm certes, ne donne pas du pays une image rose. Mais ses droits en cours de rachat dans 5 pays d’Asie et d’Amérique, lui font découvrir, forme imprévue de mondialisation, que ce problème de la Chine ne lui est pas unique – et puis finalement, « qu’importe comment on en parle, pourvu qu’on en parle » !-

 


Rendez-vous : Sommet de Davos

·20 janvier, Nanjing : Foire commerciale Internationale

· 24-27 janvier, Davos : World Economic Forum