Le Vent de la Chine Numéro 36

du 6 au 12 novembre 2000

Editorial : Le plus grand recensement de tous les temps

 

Du 1 au 10 novembre, 6 M de bénévoles arpentent les 10 millions de km² du pays, pour poser à 300 personnes en moyenne, 19 à 49 questions qui permettront d’établir un portrait documenté du  laobaixing (chinois moyen) : »Age« , « sexe« , « emploi« , mais aussi « ethnie« , et des questions sur le degré d’hygiène et le revenu.

Peut-être à cause de la précision du questionnaire, Zhang Weimin, patron du 5ème recensement était nerveux, au 1er jour de l’opération, devant faire face à l’évolution des mentalités depuis le dernier sondage en 1990 : « Sous l’économie d’Etat, la population n’avait pas de vie privée… Aujourd’hui, la coopération sera moins bonne – les gens sont plus riches, plus libres, et ont plus à cacher « …

Pour assurer le meilleur accueil, le pays entier a été préparé, à la télévision, dans les écoles et au lieu de travail. Choisie après les récoltes, aux premiers froids, l’époque est celle où nomades et saisonniers sont en ville, plus visibles. Les données seront évaluées à l’ordinateur (par l’usage de codes-barres), puis détruites, afin de garantir la confidentialité de la collecte des données.

Malgré ces précautions, durant les deux séances de repérages, de nombreux recenseurs ont dû  chi bimengeng ( » manger la soupe de la porte fermée « , trouver porte close), ou ont même été agressés. D’innombrables erreurs sont à attendre, à cause de la fuite vers les montagnes et les campagnes d’une partie des 70 à 120M de la population flottante, d’enfants non déclarés et gens cherchant à se faire oublier. La volonté d’accommodement publique a des limites : à Pékin, les enfants « au noir » pourraient être légalisés – mais moyennant le paiement de l’amende, incontournable, en dizaines de milliers de yuans!

Les résultats de l’opération, qui aurait coûté 150M$, seront publiés officieusement en février 2000, officiellement en juin. Les experts s’attendent à des surprises, notamment sur la proportion de garçons par rapport aux filles (aujourd’hui de 119/100), et sur le volume réel du peuplement. Basée sur la consommation nationale en céréales, une évaluation va jusqu’à 1,5MM d’habitants, soit 250M de plus qu’attendu. Si ce genre de chiffre s’avérait juste, il ferait reculer de cinq à dix ans la croissance du pays, en terme de PIB/ht. Tel est le risque pris, en lançant ce sondage. A moins, en cas de bilan trop négatif, de ne pas le publier en l’état!

 


A la loupe : La Finlande : une percée étonnante en Chine

Avec son niveau de vie et d’éducation élevé, et sa tradition d’exportation, la Finlande ne pouvait que faire une percée remarquable en Chine. Par rapport aux autres pays scandinaves et de l’Ouest, elle comptait une " botte secrète ": sa connaissance intime, par le voisinage de la Russie, du fonctionnement des pays à économie d’Etat. Menée par 2 ministres spécialisés (O.P. Heinonen, Transports/commerce, et K.Hemilä, Agriculture/forêts), une délégation de politiciens et hommes d’affaires était à Pékin (27/10) pour fêter les 50 ans des relations diplomatiques.

Si les échanges (80M$ en 1999) demeurent modestes, les industries majeures finlandaises sont bien implantées en Chine. UPM Kymmene, leader de la filière bois, vient de racheter la totalité de sa papeterie de Changshu (Jiangsu, investissement de 600M$), usine sur 200 habitants, de 350.000t/an de papier offset (pour Chine et export), incluant centrale thermique, centre de traitement des eaux et quai sur le Yangtzé.

NB : avec 8 investisseurs finlandais papier, la Chine assure 18% de ses (ré-) exports vers Helsinki. Finnair, pour sa part, porte à quatre le nombre de ses vols hebdo, et investit dans le tourisme chinois vers son pays. Enfin, le " poids lourd " finlandais en Chine reste Nokia, n°1 national, avec plus d’ 1MM$ d’investissements en 15 ans, 7 Joint ventures et une société à 100%.

Au 3ème trimestre  Nokia a réalisé des ventes mondiales de 6,6 MM$, dont 14% en Chine. Beau palmarès, pour un des plus petits pays d’Europe, de 5 M d’âmes sur une superficie des deux tiers de la France!


Joint-venture : La Chine, 3ème exportateur de hardware

· Shell a conclu 12 ans de négociations avec la China National Off-shore Oil Corporation (CNOOC) pour la plus grande Joint venture du pays, 4MM$ (50/50%), pour un complexe pétrochimique à Huizhou (Guangdong). Dès 2005, il devrait assurer 2,3 Mt de produits (0,8Mt d’éthylène), pour 1,7MM$ de vente, et générer 20000 emplois indirects.

Ce projet qui s’ajoute à ceux de BP à Shanghai (0,9Mt dès 2002) et de BASF – non signé – (0,6Mt en 2005 Nankin), devrait réduire la dépendance face aux imports (4Mt/an)et satisfaire la demande (de 8,4Mt en 1998). Cet investissement pourrait réduire de 0,5% la profitabilité de Shell Chemical entre 2003 et 2004 : prix à payer, selon les experts, pour "ne pas ignorer le marché chinois"!

· Les temps s’éloignent, d’une Chine productrice de matériels bon marché à bas niveau. Le 30/10, Sony a octroyé à Shanghai General Electronics (SGE) la licence pour produire sa barrette mémoire de technologie " Memory Stick " (MS), circuit intégré à mémoire modifiable. SGE est le 71ème à obtenir ce droit (pour 5000$/an), après des groupes comme General Motors , Volkswagen, Adobe, Hewlett Packard, qui les intégreront dans leurs produits – permettant ainsi au MS de s’imposer comme norme mondiale.

IBM, pour sa part, bâtit à Pudong, pour 2002, sa plus grosse usine à 100% étrangère (3000 employés, 300M$), afin d’assembler des " puces " au silicone pour téléphone mobile, PC portables et assistants digitaux. Pour cette implantation, Singapour était candidate.

NB : Dès 2000, avec 24MM$ de chiffre attendu (+30%), la Chine va dépasser Taiwan comme 3ème exportateur de hardware.

· Accor, qui revendique le 1er rang mondial de l’hôtellerie et du tourisme, contrôle déjà huit hôtels à travers la Chine, et prépare l’ouverture de deux autres (Wuhan, Chengdu, en 2001). A présent, Accor signe (26/10) une des 1ères Joint venture d’agence de voyages avec Beijing International Travel & Tours, filiale de Beijing Tourism Group, propriétaire de groupes hôteliers de la mairie de Pékin. Ce n’est qu’un premier pas dans une alliance plus vaste, incluant un réseau de "tickets restaurant" à Pékin, destinés aux personnels d’entreprise. Après d’autres groupes comme Holiday Inn ou Shangri-La, Accor prend ses marques sur ce marché touristique chinois en pleine mutation


A la loupe : Pékin prend la pollution à bras le corps

Cet automne voit l’envol d’un effort sans précédent de Pékin, pour remonter la pente de la pollution. Il est plus que temps : avec 4 à 500 microgrammes de particules/m3 (la norme de l’OMS est 90), l’air de la capitale est parmi les plus pollués au monde. La mairie vient de décréter des mesures sans concession, à l’aube de l’hiver, temps de chauffage au charbon :

[1] Les aciéries Shougang doivent fermer un haut fourneau, trois convertisseurs et réduire la production de 20% d’ici 2002 (à 8Mt). Fermées aussi, une fonderie d’alliages, une cokerie, une cimenterie. D’autres Entreprises d’Etat fermeront chaque fois que la pollution atteindra la classe 5 (« forte« ). Construction et démolition devront se faire sous bâche et les gravas seront évacués sous trois jours.

[2] Seuls les véhicules à gaz (1200 bus, 10.000 taxis) auront accès en tout temps à Pékin – centre (4ème Ring) : en cas de «classe 5 durant 3 jours», les autres véhicules rouleront un jour sur deux. Passé le 1er décembre, les émetteurs de fumées noires pourront être taxés, et leurs plaques confisquées.

[3] Pour couper les tempêtes de sable, une couronne d’arbres sera plantée autour du 4ème ring. Toute chaudière à charbon ne devra plus brûler que de la houille à bas taux de soufre. Un tarif dégressif sera offert au chauffage électrique. Tout brûlage d’ordures, toute grillade d’agneau (des populaires  yangrouchuan du Xinjiang), restent plus interdits que jamais.

L’objectif, dans l’espoir d’obtenir les JO-2008, est d’assurer que 40% du temps, dès cet hiver, l’air atteigne la qualité « 2 » (« bonne« ). Mais que se passera-t-il après 2002, pour Shougang, et pour les 739 Entreprises d’Etat polluantes du centre ville? En octobre, un plan semi secret prévoyait de les éjecter : elles pourraient survivre, en investissant la plus-value de leur terrain. Et quid d’une interdiction du chauffage au charbon, à remplacer par le gaz ou le fuel? Manifestement ici, le souci de l’emploi joue aussi son rôle, et dans ce plan, tout n’a pas été dit!

 


Argent : Une rivière de diamants pour Pudong

· Les tarifs aériens chinois accusent deux tendances opposées, suivant les marchés intérieur ou international. Pour compenser la hausse du kérosène (+70%, à 3450Y/t), la Chinese Aviation Administration Corporation (CAAC) permet une hausse de 20% des billets intérieurs (+150Y maximum l’aller simple), et des hausses de 3% par tranche de 10% de hausse du fuel. Dès le 25/10, 23 compagnies ont convenu une hausse de 15%, mesure qui s’est traduite (30/10) par l’envol de certains cours en bourse de Hong Kong (+11%, China Southern, +10%, China Eastern).

En même temps, contraints par les baisses d’une dizaine de transporteurs étrangers, trois groupes rognent leurs tarifs internationaux. L’aller vers Washington, sur China Eastern, coûte 475$ (5$ de moins que Northwest), et l’aller-retour Shanghai – Paris sur Air China coûte 586$ soit 362$ de moins qu’Air France!

· Un rêve vieux de cinq ans voit le jour à Pudong, avec l’ouverture (27/10) d’une bourse du diamant Shanghai Diamond Exchange (SDE) : 11000m2 de salles des ventes, bureaux municipaux et nationaux, centres de certification, de formation, de douanes, de poste express, etc.

En Chine, le diamant se vend bien, avec 770M$ en 1999 (8ème marché mondial), +13%, dont 13% à Shanghai. Cet outil tout neuf a été rendu possible par la renonciation aux droits de douane sur les gemmes brutes, conditionnelle à leur réexportation une fois taillées : jusqu’alors, le marché était aux mains de la contrebande, qui empochait l’essentiel des profits. Problème : l’Etat maintient des taxes élevées sur le marché intérieur (34% en brut, 50% en taillé). Pour cette raison, ni Israël ni Anvers n’ont investi dans la SDE, financée par sept Entreprises d’Etat ainsi que le hongkongais Brilliheng.

NB : en 1999, par ses 70 centres de taille (Shanghai, Guangdong, Shandong), la Chine (ré-)exportait 370M$ de gemmes taillées (Belgique, Hong Kong) et importait 430M$ (Inde, Belgique) de brutes.

· En production d’énergie, la Chine est n°2 mondial, mais fait face à une demande de moitié inférieure à la moyenne planétaire par habitant. Afin de baisser ses coûts de producteur la Chine s’efforce d’intégrer son réseau national et d’introduire la concurrence locale. Un pas en ce sens vient d’être franchi, avec la fermeture de 27 bureaux provinciaux de l’énergie (celle des quatre restants suivra en décembre), accélérant la privatisation des producteurs, et l’investissement étranger.

Depuis janvier à Shanghai et dans cinq provinces de l’Est et du Nord, la fourniture des réseaux locaux est soumise à appel d’offres, faisant baisser les tarifs jusqu’ à 20%. Conséquence de cette séparation des métiers (génération, transmission et distribution d’électricité) : privées de leurs soutiens, les petites unités polluantes vivent leurs dernières années.

NB : incapable d’assurer à des étrangers comme Siemens un retour d’investissements à long terme de 15%, la Chine tente aujourd’hui de renégocier !

 


Pol : Les amendements OMC – étrangers, votés

· Le 31 octobre que le Bureau de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) a voté ses amendements « OMC » aux lois sur les usines étrangères, décrites dans le VDLC n°35. Les amendements concernant les coopératives sino-étrangères et firmes étrangères à 100%, ont été adoptés avec effet immédiat.

Ceux concernant les Joint ventures ont été reportés à la session plénière de mars 2001. En tout état de cause, selon les experts, ces textes n’apporteront pas de bouleversements. Théoriquement interdits de devises, les étrangers en obtenaient des banques, à condition d’en prouver le besoin.

De même, en pratique, les producteurs textiles importaient déjà librement le tissu étranger nécessaire à leur fonctionnement : ce sera donc, au plan légal, le changement dans la continuité. Le même souci ambigu, se retrouve dans cette affirmation du Vice Président de la Cour Suprême : dans les litiges entre chinois et étrangers, en cas de conflit entre règle nationale et celle de l’OMC, le texte faisant loi dépendra du lieu d’enregistrement de l’étranger.

· Au début de son règne, Deng Xiaoping avait remarqué Zhao Ziyang, jeune et capable Secrétaire du Parti au Sichuan, et l’avait promu au sommet de l’appareil. Aujourd’hui, Zhou Yongkang, 58 ans, Secrétaire du Parti au Sichuan depuis janvier, figurait sur les listes de promotion au Politburo, lors du 16e Congrès en 2002 : un membre de plus de la "relève de 4e génération" mise en place par Jiang Zemin pour remplacer l’équipe sortante, Li Peng et Zhu Rongji notamment. Prospecteur pétrolier de formation, Zhou a fait en mars 1998 son apparition sur la scène politique, comme Ministre du Sol et des Ressources Naturelles.

· Les derniers chiffres de diffusion du SIDA, n’ont rien de rassurant : fin septembre, les porteurs du virus étaient 20711, 37% de plus qu’un an plus tôt. Ces séropositifs sont jeunes – en majorité entre 20 et 29 ans. 72% d’entre eux ont contracté la maladie en partageant des seringues d’héroïne. Modeste en apparence, ce bilan ne comprend que le relevé administratif. Une estimation statistique de 500.000 cas, est officieusement admise.


Temps fort : L’Etat dirigiste, malgré lui!

Ce n’est pas un mince paradoxe de voir l’économie chinoise régénérée par le secteur privé, mais dont le financement demeure presque toujours initié par les deniers publics.

Le bilan des neuf 1ers mois donne encore lieu à des divergences de lecture, entre ceux croyant à la fin de la déflation, et ceux craignant que la reprise ne repose sur des faits artificiels  (telle la hausse du pétrole). En faveur des seconds, joue l’indice négatif des prix au détail dans la période (-1,7%), et la hausse des stocks industriels invendus (+3,6%, à 82MM$). En faveur des premiers, l’index des prix à la consommation  a monté de 0,2%, les ventes ont bondi de +9,9% (à 293MM$), l’export, de 33%  (à 182MM$), les taxes industrielles de 43MM$. Le pronostic de PIB pour 2000, monte encore : 8,3%.

Le marché ne s’y trompe pas : les usines textiles tournent à plein régime pour la demande intérieure tandis que commerces et restaurants, moroses cet l’été, ne désemplissent plus. Legend, un des groupes les plus rentables du pays a vu plus que doubler ses profits semestriels, à 52 M$, tandis que ses ventes (surtout de PC individuels) augmentaient de 80%, à 1,5MM$ – on voit, au passage, la minceur des marges!

Reste un point obscur : l’endettement public. De 34MM$ en 1994, il atteignait 136MM en 1999. Par rapport au PIB, il reste faible (13,3% en 1998), mais grevé d’un taux inconnu de dettes cachées. Officiellement, la dette des banques est de 300MM$, dont 15%  seulement recouvrables par les Sociétés De Défaisance (SDD).

D’autres dettes concernent les salaires ouvriers et paysans. Au total, ce passif pourrait atteindre 500 à 1000 MM$, soit 50 à 100% du PIB (d’après la BM). Avec un déficit si vertigineux, comment l’Etat peut maintenir son rôle de financier de l’économie? Un signe en tout cas ne trompe pas : en démantelant partiellement les monopoles des chemins de fer et des télécoms, il cherche à mobiliser le capital privé – à passer le relais!


Petit Peuple : La résistible ambition avortée d’un maire

· L’ambition effrénée de Li Jianmin causa sa perte, en février 1999. Aux élections municipales de Lingbi (Anhui), il était sorti vainqueur, quant le Secrétaire du Parti le dénonça : sept ans plus tôt, Li avait écopé de six ans de prison, pour avoir détourné de sa coopérative quelques camions de soja, monté une briqueterie avec les 20.000Y du larcin, puis, deux ans plus tard, kidnappé le locataire de la briqueterie qui refusait de le payer…

 Li fut dénoncé parce qu’il n’avait jamais purgé sa peine. Il fut donc appréhendé, mais son arrestation déclencha une série aujourd’hui encore incontrôlée de fracassants coups de théâtre :

[1] après avoir rendu son verdict le 9 décembre 1992, le juge avait quitté le prétoire, suivi de l’avocat, du procureur et des policiers. Se voyant planté là sur son banc, Li était rentré chez lui à bicyclette. Comme si de rien n’était, il avait repris son poste à la coopérative où tous s’étaient gardé de lui poser la moindre question.

[2] Aucune règle administrative ne spécifiait à l’époque, quelle autorité devait mener le condamné à sa prison : à présent, juge, procureur et commissaire se renvoient la faute à qui mieux mieux.

[3] Depuis son cachot, Li clame son droit à la prescription, et lâche une autre bombe : le juge, au fil des ans, l’aurait taxé, à l’amiable, de 7000Y pour son silence… Vu le luxe de détails, presse et brigade anti-corruption prennent très au sérieux l’accusation. Les chances de l’affaire d’aboutir à un épilogue raisonnable semblent diaphanes!