Le Vent de la Chine Numéro 35

du 30 octobre au 5 novembre 2000

Editorial : Chine, Les Etats-Unis rivalisent pour Pyongyang

Au Stade du 1er mai à Pyongyang, Kim Jong Il le Cher leader, recevait le 23 octobre Madeleine Albright, l’envoyée américaine, puis le 25octobre, le Ministre de la Défense chinois Chi Haotian. Avec ce dernier, il commémorait la  » victoire de la guerre de Corée  » (1950 – 53), conclue sans traité de paix…

Quoiqu’ayant atterri un jour avant elle, et quoique vétéran de cette guerre, Chi était reçu deux jours après Albright. Inimaginable hier, le rapprochement Washington – Pyongyang est donc en branle, passant au-dessus de Pékin, Séoul et Tokyo, les alliés respectifs!

En Chine, la campagne ample et sérieuse autour du sombre anniversaire, s’expliquent par le lourd prix payé : 140.000 morts selon Pékin, (dont un fils de Mao), 900.000 de source américaine. Elle dit aussi le souci de Jiang Zemin, Premier Secrétaire, de préserver pieusement l’héritage,  » épopée d’héroïsme, monument du peuple chinois à la paix mondiale « . Elle peut enfin traduire de la nervosité, face au réchauffement entre ennemis d’hier. Albright était venue préparer le voyage de son Président, Bill Clinton, avant la fin de son mandat. En « échange », Kim offrait l’arrêt du programme nord coréen de tests de missiles : en août 1998, le lancement au-dessus du Japon d’un vecteur Taepodong II avait déstabilisé la région…

La normalisation apportera à Pyongyang la radiation des listes des pays « terroristes » interdits de crédits internationaux. Ce qui explique la priorité donnée par Pyongyang aux Etats-Unis sur la Chine, mais aussi sur la Corée du Sud : promise à Séoul, une liste de noms n’a pas été transmise, un rendez-vous de familles séparées, les 2 – 4 novembre, est compromis. Selon la rumeur, Jiang, qui veut lui aussi aller à Pyongyang d’ici décembre, exigerait de son allié une pompe plus grande que celle réservée à Clinton!

Significativement, après Pyongyang (24octobre), Albright s’est rendue à Séoul, pour y rassurer ses collègues des Affaires Etrangères de Corée/Sud et du Japon. Au même moment, Kim fournissait les mêmes assurances à son hôte chinois : de toute évidence, la paix entre les Corée est l’affaire du monde entier, et la visite de Clinton ne permettra pas de faire l’impasse sur un traité de paix entre tous les partenaires, y compris les 15 Européens, qui suivent l’affaire de près, notamment dans les répercussions commerciales qui en découleront – un nouveau marché s’ouvre !


A la loupe : Epouse ou concubine? La Chine perplexe

Datant de 1980, la loi du mariage subit une remise à jour provoquant bien des remous.

Le 23 octobre, le Comité Permanent de l’Assemblée Nationale Populaire préconisait l’amendement de 53 lois, afin de gérer le triplement des divorces en 20 ans (1M en 1999), et défendre la cellule familiale, " pilier de la stabilité publique ".

L’Etat vise avant tout la pratique du  bao er nai (maintien d’une maîtresse), cause de 50% des séparations. Florissant dans les milieux de fonctionnaires, surtout dans le Sud, le ménage à trois est devenu un signe de standing au point qu’un film, Soupir, vient de sortir à son sujet. Il est aussi une cause de dilapidations de biens publics. Il s’agit donc de définir et réprimer la bigamie (la loi actuelle ne punit – rarement d’ailleurs – que la cohabitation prouvée avec une tierce personne).

Par ailleurs de nombreux divorces sont dus à la violence conjugale, qui touche 30% des couples. La réforme cherche à donner un recours légal aux femmes battues (ou aux hommes, dans 6% des foyers), prévoir le partage des biens, la garde d’enfants et l’attribution des pensions alimentaires.

L’absence de consensus touche à un point fondamental : pour protéger la femme, jusqu’alors vulnérable faut-il punir l’infidélité? L’Etat le souhaite, mais pas la société – pas même le " sexe faible "- hostile à la remise en cause de ses – toutes neuves – libertés privées : en 1998, 82% de la population rejetaient la pénalisation des relations hors mariage, et 75% n’étaient pas choqués par l’existence des filles vénales, des maîtresses ni du viol conjugal.


Joint-venture : Danone en Chine – la voie lactée

· Attirées par le succès de la  Fukang de Citroën, trois Joint ventures se ruent vers le créneau des voitures populaires, dans la gamme des 12.000$. General Motor vient de présenter sa Sail (26/10) dont elle produira 50.000 exemplaires par an.

Son nom chinois  Sai Ou ("défier l’Europe"), ne laissant aucun doute sur les intentions du groupe. Volkswagen et Toyota/Tianjin, pour leur part, préparent la Bora et la nouvelle Charade, dérivée de la Toyota Platze.

NB : selon l’Institut J.D. Power, d’ici 2010 les ventes automobiles devraient quintupler à 3M/an.

· N°1 mondial des produits laitiers frais, Danone, en Chine depuis 1987, poursuit en force sa pénétration, grâce à une stratégie "d’immersion" alliant transfert de technologie de production et de vente et entrée minoritaire dans des groupes locaux.

Avec 12 Joint ventures en Chine – dont les marques Danone, Amoy, Wahaha, et Robust le groupe est passé leader national des biscuits, des eaux et des boissons lactées, et n°3 de la bière (Wuhan Dongxihu, Haomen).

Dernière étape (25/10), Danone entre dans Shanghai Bright Dairy, leader des produits laitiers frais en Chine 250M$ de chiffre d’affaires.

 


A la loupe : OMC – la Chine détend ses lois

En marge du troisième Sommet Sino-européen à Pékin (23-24/10), le Commissaire européen Pascal Lamy était venu régler " les 1% de problèmes subsistants" pour l’entrée chinoise à l’ OMC: c’est chose faite, les sept licences d’assurances promises seront octroyées début novembre, les règles du jeu de la grande distribution sont sans litiges, et l’étranger contrôlera sous cinq ans son réseau de vente automobile.

L’Assemblée Nationale Populaire entre-temps n’est pas restée oisive, en amendant (23/10), dans le sens des règlements de l’OMC, trois lois sur les investissements étrangers, de manière à assouplir considérablement les libertés des entrepreneurs.

Les Joint Ventures ont désormais loisir d’acheter leur matière première, leur énergie et leurs accessoires où bon leur semble, en fonction du marché. Elles ne sont plus astreintes à l’obligation de réexporter une partie (souvent majoritaire) de leur production (de renoncer au marché intérieur), ni de soumettre leur planning (quantités, modèles) à un feu vert annuel.

Progrès important, elles ne devront plus maintenir un budget équilibré en devises – comme les firmes nationales, elles pourront acheter hors du pays et vendre sur le marché local, au risque pour la banque centrale d’un déficit en devises: ses 160 MM$ de réserves mettent le pays à l’abri de mauvaises surprises.

Dans le même ordre d’idées, le Ministère de la Construction annonce que le secteur encore très fermé des services urbains (distribution et traitement de l’eau, gaz, électricité, collecte et recyclage des ordures,chauffage) serait progressivement ouvert au privé et à l’étranger,

avec octroi de franchises et appels d’offre. Dès maintenant, la distribution de l’eau potable est ouverte dans les villes de moins

de 200.000 habitants. Taux de rentabilité attendu : 18% (selon Road King, Hong Kong).Dans ce domaine des échanges commerciaux, pas de doute, la Chine opère un virage serré – droit vers l’OMC!

 


Argent : Bourse – la CSRC, arbitre jugé

· L’enquête du "Quotidien de la Jeunesse" à l’occasion du Salon de l’Immobilier (Pékin, 5-8/09) dévoile le profil dynamique des acheteurs pékinois d’appartements. Ils sont de la bourgeoisie émergente, jeunes (71% ne sont pas quadragénaires), ils émargent aux Entreprises d’Etat (29%), au secteur privé (26%), aux compagnies étrangères (22%) ou à l’administration (17%).

53% sont universitaires, 96% croient en la publicité. Cette classe ne craint pas de s’endetter : malgré un revenu inférieur à 4000Y /mois pour 68% de ces acheteurs potentiels, 90% d’entre eux seront passés à l’acte d’ici trois ans.

Le home sweet home coûtera 3 à 6000Y/m2 et se situera dans la zone résidentielle « in » : à l’Est, entre les 3e et 4e périphérique

NB : de janvier à août à travers la Chine, les particuliers ont effectué 89% des achats de logements, pour un budget en hausse de 43% : les temps des chantiers financés par les danwei (unités de travail) pour le compte de leurs ouailles, sont bien révolus.

· En juin 1998, Kaili (Hainan) déposait sa candidature pour entrer en bourse (marché A) – dûment approuvée par l’organisme de tutelle de la province. En avril 1999, après enquête, la China Securities Regulatory Commision (CSRC) rejetait le dossier : le bilan comptable des trois derniers exercices était "falsifié", notamment au chapitre "profits".

En février 2000 Kaili porta plainte à Pékin contre la CSRC. Ouvert le 19 octobre, ce procès fera date, quel que soit le verdict. Si Kaili gagne, la CSRC y risque – au moins – sa crédibilité. Dans le cas inverse, elle devra malgré tout réviser ses procédures, pour pouvoir justifier ses décisions en justice.

NB : non sans lien avec l’affaire, Anthony Neoh, conseiller (hongkongais) de la CSRC, annonce la constitution, à son initiative, d’une instance privée pour représenter les courtiers, afin de contribuer à la lutte contre la corruption et les jeux de pouvoir au sein de la tutelle boursière. 

· Après un an d’interdiction, par décision du Ministère des Industries de l’Information (25/10), le câble TV redevient un canal légal des télécoms. Une décision de bon sens, permettant la transmission chez les particuliers de données à gros débit, sans frais techniques, (internet, films à la carte, programmes TV). Restent à interconnecter les 2000 réseaux câblés chinois et à organiser l’octroi de licences.

· Nourries par la flambée des cours du pétrole, 67,6M$ de pertes au 1er semestre ont précipité la vague de concentrations des transports aériens (China Southern/Zhong Yuan, China Eastern /Great Wall, Hainan Air/Chang An). La grande nouvelle de la semaine, est celle du petit qui en dévore un grand : sous réserve du feu vert officiel, Shandong Airlines (SA), 15 appareils (Boeing et SAAB à hélices) va reprendre China Northwest, 21 longs courriers, 120 liaisons intérieures et internationales, d’ici la fin de l’année, pour former le numéro 4 national.

La nouvelle ne dit pas si Shandong reprend les 1,1MM$ de dettes de China Northwest. Par contre, suite à son entrée en bourse en septembre, SA veut se doter d’ici 2005 de 15 nouveaux avions et 50 routes. Ce que cette nouvelle décrit, en filigrane: un changement de logique de gestion d’entreprises, d’une restructuration imposée par la tutelle, à une autre guidée par le marché.

 

 


Pol : Le retour des ‘sociétés noires’

· Grâce à un programme de l’Unicef, 21 provinces viennent d’êtres affranchies de la carence iodée, source de malformations physiques ou mentales irréversibles. Une réforme des salines assortie de contrôles sévères de la distribution, a permis d’augmenter la consommation de sel iodé, de 39% de la population en 1995, à 91% en 1999.

La campagne va se poursuivre, recentrée sur les sept provinces encore affectées. Dans ce pays au bilan de santé médiocre, un tel progrès mérite d’être relevé, tout comme le programme de vaccination systématique contre rubéole et hépatite B, de tous les nouveaux nés – déclarés ou non (25M/an).

· Eliminées après 1949, les triades sont de retour avec une virulence insoupçonnée. Rompant le silence officiel, le Professeur Cai Shaoqing, criminologue de l’Université de Nankin, vient d’affirmer que les  san he hui (Triades) comptent aujourd’hui plus d’1M de membres et des milliers de gangs d’origine ethnique, qui se répartissent les « affaires » entre « pays ».

Dans des métropoles telles Pékin ou Shanghai, les pickpockets sont du Xinjiang, les escrocs de l’Anhui, les cambrioleurs du Jiangsu et les voleurs de voitures de Wenzhou. Sans parler de délits beaucoup plus graves comme le trafic de drogue ou d’antiquités, la traite des femmes et l’émigration sauvage, qui fait des ravages.

Un gang du Fujian, le Fuqing, exporterait à lui seul 100.000 provinciaux/an vers les Etats-Unis. Nourris par les 50 à 80M de migrants sans feu ni lieu, les gangs prospèrent, accuse Monsieur Cai, sous la protection de la police et des cadres :  » tirons la leçon de l’ex-URSS – à moins de réagir immédiatement, demain il sera trop tard « .


Temps fort : A l’Ouest, l’insuffisant renouveau

Le Forum de l’Ouest à Chengdu (20 – 23 octobre) s’est voulu un symbole de la détermination de l’Etat à déplacer le pôle de la croissance, de la Côte vers l’Intérieur : 20 ministres, 1700 cadres des grandes compagnies publiques et planétaires (100 des "500" du groupe Fortune) s’étaient portés au chevet des 11 provinces à la traîne.

En trois jours, 23 projets de coopération étaient signés, pour 1,5MM$ dont un tiers engagés par l’étranger. La State Development Bank (SDB) voulait doubler d’ici 2005 ses 17MM$ d’investissements à l’Ouest. L’International Finance orporation (IFC) ouvrait un fonds de 30M$" spécial PME " au Sichuan.

Poursuivant l’effort engagé depuis un an (60% de ses crédits d’infrastructures), l’Etat fournissait la part du lion. Pékin confirmait le démarrage de projets lourds, tels le canal Yangtzé-Fleuve Jaune (coût global de 24MM$), la liaison ferrée vers Lhassa (partie d’un "réseau ferré-Ouest" de 12MM$ sur 5 ans), ou le gazoduc Tarim – Shanghai (4MM$).

L’Etat complétait aussi plusieurs mesures préférentielles d’investissement : tels ces privilèges de type "ZES" (Zone Economique Spéciale) offerts à Xi’ an, Chengdu, Guiyang et Kunming, l’élargissement des prêts/RMB aux firmes étrangères, des projets en Build Operate Transfer  (BOT, cad, financement à la charge du concessionnaire), ou l’annonce de Joint venture de fonds d’investissements industriels à l’Ouest…

Et pourtant ce Forum, loin de n’être qu’un rendez-vous d’optimisme, a vu la résurgence de vérités têtues, par des voix telles que l’économiste-étoile Hu Angan, ou Guo Shuqing, vice-Gouverneur du Guizhou : " trop de paroles, pas assez d’actes ", "Le facteur humain (entendez, l’administration, la corruption) ne suit pas"… "Les crédits seuls ne suffisent pas, il faut aussi le marché"…

Tout ceci recouvrant de préoccupantes vérités : l’intérieur n’a su attirer ni les capitaux étrangers (3,8MM$ en 10 ans au Henan, pour 93M d’habitants – une misère), ni ceux du marché chinois (36M$ en 5 ans au Yunnan, de Shanghai, la "ville soeur"). Contradiction résumée dans ce constat critique : "on ne peut exiger des banques, à la fois de ne plus faire de mauvaises dettes, et de prêter massivement à l’Ouest"!

 


Petit Peuple : Les charognards de la petite reine

· Toujours favorisé par rapport à la femme en fait d’éducation, d’emploi, de promotion, l’homme chinois devrait se sentir à l’aise. Rien n’est plus faux pourtant, comme vient de le révéler le Quotidien de la Jeunesse à l’occasion de la Journée de l’Homme (28/10), qui nous dépeint un mâle accablé tous les maux du monde.

ILS vivent moins longtemps qu’ELLES, quatre à six ans en moyenne (à 85 ans, ILS sont moitié moins nombreux). Travaillant et fumant plus qu’ELLES, ILS succombent plus aux troubles cardio-vasculaires. ELLES se suicident plus (les chinoises détiennent le pitoyable record du monde en la matière) mais ILS les rattrapent, et même les dépassent entre 55 et 74 ans, pour cause de stress. Frappés dans 6% des foyers (cf. page 1) ILS n’ont pas de "Fédé des Hommes" pour les défendre. Enfin, s’étonnera-t-on d’apprendre que passé 40 ans, la moitié d’entre eux souffrent d’impuissance?

A une lecture plus attentive, ces misères de deux générations masculines semblent procéder de principes différents. Passés 55 ans, les vieuxGardes Rouges, au pouvoir mais scolairement et techniquement peu armés, se voient talonnés et contestés par les jeunes diplômé(e)s – pour eux, la fête est finie. Plus jeunes, ILS voient leurs privilèges inexorablement érodés par ELLES, à l’université, dans la carrière, au foyer… Fin de règne!

· Ancien officier de marine en demi-solde, Wang Qiuyue se demandait comment remettre à l’oeuvre sa débordante énergie, au service d’une cause altruiste. La candidature de Pékin aux JO de 2008, et les crédits qui se débloquent pour embellir la capitale, viennent de lui en fournir l’occasion. Moyennant l’octroi d’une subvention et d’un hangar de 10.000m2  Wang a créé sa Cie, la Générale d’Amitié Populaire, et a recruté pour personnel une poignée de chômeurs. Chaque jour les comités de quartier y déposent les épaves de vélos gisant dans les hutongs (ruelles) et les courées. Suivant état, "L’amitié" les désosse et recycle, ou remet à neuf. Nos bénévoles ont de quoi faire -3M de carcasses attendent leur tour dans Pékin. Les petites reines régénérées reprennent du service, aux mains d’une clientèle nécessiteuse ou méritante, qui n’a plus besoin de s’en payer une neuve : ce sont Flying Pigeon et Forever, les producteurs, qui vont être contents !


Rendez-vous : Japon – Corée du Nord, rencontre pékinoise

· 30 octobre, Pékin : Négociations Japon – Corée du Nord

· 31 octobre – 3 novembre, Shanghai : Salon des Technologies de Sécurité

· 1er novembre : Début du 5e Recensement

· 1er novembre, Shanghai : Salon International des Telecom

· 2-3, Pékin : Séminaire Coopération  Economique Pékin – Hong Kong