Le Vent de la Chine Numéro 1

du 10 au 16 janvier 2000

Editorial : 2000 – la relance, pas le cataclysme ‘Y2K’

L’effondrement des piliers de l’économie chinoise (énergie, transports, télécoms etc.) n’a pas eu lieu:

les bogues de l’an 2000 ont été (sous réserve d’inventaire!) rares et mineurs, permettant de reléguer ces thèmes aux oubliettes des angoisses-collectives-de fin-de-millénaire.

L’an 2000 est bien installé – et le pouvoir, paré pour l’affronter.

Le VDLC aborde (voir ci-dessous) trois priorités de l’année :

Deux  sont d’ordre économiques (les rééquilibrages des chances entre privé et public, et entre Est et Ouest),

Une est politique (le démantèlement du Falungong).

La quatrième priorité, le retour de Taiwan à la nation, gagnera en puissance d’ici mars, lors des élections présidentielles.

Au plan intérieur, on fait ses comptes: la croissance s’est érodée constamment aux quatre trimestres, atteignant 7,1% pour l’année (voire seulement 5 à 6%, selon CLSA), contre 7,8% en 1998.

L’investissement fixe global a chuté de 22%, passant de 2845MMY en 1998 à 2200MMY en 1999.

C’est, pour le pouvoir, un sévère avertissement, pouvant expliquer à lui seul la volte-face du patron du MII, Wu Jichuan, sur l’accès étranger au secteur des services internet (cf brève, en JV). Par contre, le redémarrage de l’économie régionale a permis aux exports chinois de reprendre en 1999, avec +6% assurant un excédent commercial en déclin, mais honorable: 30MMUSD (45MMUSD en 1998). La déflation a cédé le pas (2,9% pour 1999, contre 3,2% en 1998), tandis que les réserves en devises augmentaient de 10MMUSD, culminant à 154 MMUSD -fruit d’un sévère contrôle des changes.

Ajoutons un cadre pénal renforcé pour les délits boursiers, évoque un assainissement financier, un renforcement de la capacité de production et d’investissement. Pour se donner les meilleures chances d’assurer la relance, clé de sa stabilité, l’État s’est attelé dès septembre, avec deux mois d’avance, à la rédaction de son « budget ‘2000 » (dont un mot d’ordre sera : « chasse aux gaspillages et aux fraudes »), ainsi qu’au 10. Plan (2001-2005).

Avec ces données divergentes, on comprend le désarroi des analystes, sommés de prédire la performance chinoise d’ici décembre 2000: face aux 7% suggérés par Pékin, CLSA n’en promet que 4 à 5%, ING-Barings voit 7,5%, et Morgan Stanley, jusqu’à 8,2% – la différence, tenant à un vote négatif ou positif sur le succès de l’action de Pékin!


A la loupe : ‘le Falungong doit être détruit’

Lourde, la main du pouvoir s’abat sur ceux qui la défient – sans parvenir à réduire leur nombre:

[1] la cible centrale désormais, est le Falungong, mis hors la loi.

Au moins dix adeptes ont été condamnés de 4 à 18ans de prison (dont deux, jeudi, à Wuhan). Des centaines, voire milliers d’autres seraient détenus administrativement en  laogai (camp de travail). Une campagne au sein du Parti vise à assurer la « pureté » (sic) des hauts cadres, par des séances de délation et d’autocritique. Des dizaines de procès s’annoncent. Mais bravant ces outils traditionnels, plus de cent adeptes se seraient faits arrêter en quatre jours, depuis le 1er janvier…

[2] face au Dalai Lama, la campagne a repris.

[3] d’autres persécutions sont rapportées contre catholiques, protestants et sectes chrétiennes;

[4] deux membres du Parti de la démocratie, ont été condamnés à 6 et 10 ans de prison ferme…

[5] avec la Papauté, mi décembre, un accord semblait en vue.

Mais le 6 janvier, l’église (officielle) nomme cinq évêques, au moment où Rome en intronise douze : rebuffade, et la normalisation sera pour plus tard… Tout ceci pourrait signifier un désaccord au sein de l’appareil, entre partisans du dialogue et ceux qui croient toute concession inutile, voire dangereuse pour la survie du Parti : comme le détricotage d’une première maille de la chape idéologique, entraînant celui de tout l’ouvrage


Joint-venture : Services Internet / volte-face, feu vert étranger

• On avait vu les téléphériques en usine, à la montagne, et dans des parcs d’attraction, mais encore jamais en ville, sous un fleuve.

C’est aujourd’hui chose faite avec l’outil livré à Shanghai par la française RATP, afin de relier Pudong à Puxi sous le Huangpu, du Bund à Liujiazui,. Ouverture prévue en juin prochain; coût : 60MUSD; longueur : 647m; débit : 5000 passagers/heure, par cabine de 44 piétons; coût du billet, 3 à 4Y; avantage par rapport aux autres moyens de traversée (ferry, tunnel auto, métro) : silence, écologie, rapidité (2,5mn).

• Après quatre années de trop faible montée en puissance, l’automobile semble revoir la vie en rose en 2000, avec production et vente revues en hausse (10%, à 2M d’unités).

En amont de cette reprise, le Conseil d’État veut

[1] élaguer ou tailler la riche flore des taxes de toutes origines, qui grèvent jusqu’à 30% du coût à l’achat,

[2] accélérer la mise en place du cadre juridique permettant aux banques de multiplier crédits auto et hypothécaire.

A Shanghai, cinq banques se sont unies sous la BPdC pour créer la 1ère banque de données des emprunteurs individuels, Shanghai Zixin, prenant en compte leurs moyens financiers et leur passé d’emprunteur, permettant ainsi aux banques de minimiser leurs risques.

• Konka, un des leaders de l’électroménager chinois (1,2MMUSD de ventes en ’98 et 6M de TV couleur produits/an), était déjà à la pointe de l’ innovation, avec ses centres de recherche finan-cés par un pourcentage immuable de ses profits. Aujourd’hui, le groupe remodèle son organisation interne, avec l’appui technique du consultant US, McKinsey. Afin de ne pas déboussoler le personnel, seules les divisions administratives seront concernées dans un premier temps, laissant de côté la production. L’objectif étant l’optimisation des ventes sur les marchés intérieurs et étrangers -sur lesquels le groupe de Shenzhen nourrit les plus hautes ambitions.

• L’automne dernier, le ministre Wu Jichuan menait une vigoureuse campagne pour faire annuler toute les JV de services internet signées les mois précédents (Sohu, Sina, Chinadot.com etc.).

Aujourd’hui, coup de théâtre, le patron du MII donne le feu vert à la présence financière étrangère dans des sociétés de services mixtes sur le net, à concurrence de 50%.

Le permis vaut d’ici mars pour Canton, Pékin et Shanghai, d’ici 2001 dans 14 autres villes, et sur le reste de la Chine, d’ici six ans.

Que s’est il passé pour justifier cette volte-face ?

D’une part l’accord sino-US pour l’OMC, signé  le 15 nov., faisait des promesses presque similaires, d’autre part, en 1999, l’investissement intérieur et extérieur a diminué d’au moins 22% .

On ne peut à la fois protéger son marché, et le relancer!

 

 


A la loupe : Promouvoir le privé, dans les faits

Le pouvoir, depuis 1995, reconnaît le rôle du secteur privé, fer de lance du profit et surdoué des créations d’emploi. Lors du dernier Plenum de l’ANP, il lui accordait dans la Constitution, l’égalité de droits avec le secteur public, qu’il confirmait dans une loi adoptée en août 1999 et entrée en vigueur au 1er janvier 2000.

Égalité, mais sur le papier seulement : tradition oblige, et du fait que politiques, fonctionnaires et industriels sont membres du même Club (du PCC), le privé était discriminé.

A présent, Zeng Peiyuan, patron de la SDPC, annonce un plan fort pour mettre les deux branches sur pied d’égalité. Les règlements discriminatoires seront émondés en matière de taxation, de droit du sol, de primes de lancement et d’import/export, ainsi que face à l’entrée en Bourse.

Un long chemin est à faire : l’écrasante majorité des 977 firmes cotées, sont des Entreprises d’Etat, qui bénéficient de 70% des prêts bancaires, mais n’emploient que 50% des salariés urbains. En face, les firmes privées (= plus de 8 salariés) sont 1,49M, pour 19M de jobs, dont 1,36M ont été repris, au rythme de 4000/jour, l’an passé aux EE ruinées. Ceci, sans compter les 31,6M opérateurs individuels (= moins de 8 employés), qui "pèsent" 83,3M jobs… Les firmes publiques elles, seraient 300.000.

Minsheng, en 2000, pourrait devenir la première banque privée inscrite en bourse.

Enfin, la tolérance de l’Etat envers le privé a ses limites, fixées par le Président Jiang Zemin: pas question de laisser « filer » le secteur public au privé. Seront maintenus à n’importe quel prix dans le giron de l’Etat, les secteurs stratégiques : énergie, télécoms, transports et industries de l’armement.

 


Argent : Nucléaire / choix imminent d’une centrale type

• 192.000 décès par automédication l’an passé : c’est plus que l’effet des 21 plus meurtrières maladies infectieuses réunies.

Il était temps pour l’administration pharmaceutique d’enrayer ce fléau anachronique, par une réforme de la distribution des médicaments.

Depuis le 1er janvier, les produits en pharmacie sont systématiquement répertoriés entre ceux délivrés sur ordonnance et ceux en vente libre. Ces derniers étant eux-mêmes classés en deux sous-groupes A et B, selon leur degré de danger. A ce jour, les produits «libres» ne sont qu’un peu plus de 300 (165 «occidentaux» et 160 «chinois»).

L’administration espère avoir couvert les quelques dizaines de milliers de remèdes en vente en Chine, d’ici trois ans.

• 3MMUSD, deux tranches de 1000MW : la 1ère centrale nucléaire du nord de Chine, à Haiyang (Shandong) sera à 100% "nationale", sur la base d’une technologie achetée à l’étranger, qui s’appliquera à l’ensemble du parc nucléaire chinois à l’avenir.

Le coût de Haiyang, selon une lettre d’intention du 25 déc., sera réparti entre China State Power (40%), Shandong Power (25%) et la CNNC (20%) notamment.

Suite à la coopération franco-chinoise ayant abouti à la mise en service des quatre centrales de Daya Bay et Ling’ao, la centrale type pourrait être du type CNP 1000, le concept soumis par Framatome-Alstom-EDF, recommandé depuis nov. par le Comité Nucléaire. Le verdict de la SDPC est attendu sous peu. De nombreuses provinces côtières sont sur les rangs pour obtenir une centrale sur leur territoire durant le 10e Plan.

• Grâce au jeu combiné de la chasse aux contrebandiers (été 1999)et de la hausse des cours mondiaux du pétrole (automne), Sinopec a vu ses profits plus que doubler l’an passé, de 409 à 879MUSD. Fort de sa position dominante, le groupe augmentait de 5% sa part du marché de «gros» (à 84%), et de 7% sur le «détail» (à 40%). Dans son élan, le groupe pense augmenter ses profits de 25% en 2000, passant à 1,2MMUSD, entrer en bourse par l’entremise d’une filiale nouvel-le, la China Petrochemical Shareholding, qui chapeautera tous les métiers du groupe : prospection, raffinage, pétrochimie et distribution. Ce réseau, un des points faibles de Sinopec (11000 stations services, 10% du réseau national), sera renforcé par l’achat et la remise aux normes de 4000 stations.

 


Pol : Fuite en Inde d’un Lama

Revers sérieux pour la politique tibétaine de la RPC :

Karmapa Lama, 15 ans, a fui Lhasa pour Dharamsala en Inde, rejoignant le Dalai Lama.

Karmapa avait été formé depuis 1992 pour devenir l’un des personnages clefs du haut clergé lamaïste officiel.

En faussant compagnie à ses gardiens, sous prétexte d’une retraite en montagne, Karmapa rappelle que l’allégeance de ses protégés tibétains n’est jamais absolue


Temps fort : Désenclaver l’Ouest : la volonté politique

· La China Development Bank (CDB), une des trois banques publiques "à thème", va verser, durant le 10. Plan, 60% de ses prêts, au Centre et à l’Ouest. Le pouvoir veut investir lourdement pour réduire l’écart entre Chine Jaune, arriérée, et Bleue (côtière), qui en 1998 accueillait 87% des investissements étrangers directs.

Effort sur deux plans:

[1] Les invests centraux d’infrastructures: routes, chemins de fer, aéroports, réseaux de distribution électrique, télécoms, digues, systèmes d’irrigation et projets "écologiques" de l’Ouest seront prioritaires. Ainsi, le Ningxia verra ses invests fixes doubler de 6,6MM USD (1996-2000) à 13,3MMUSD (2001/ 2005).

Dès avril, en 18 mois, la CNPC montera le gazoduc Qinghai-Lanzhou (4MM m3 /an, 530MUSD).Un gazoduc géant (4212 km et 6,6MMUSD) est à l’étude, entre bassin du Tarim (Xinjiang) et Shanghai, permettant à l’Ouest de vendre son GNL à la côte.

En projet aussi : ce gazoduc Sichuan-Wuhan (800 km), avec participation (45%) d’Enron (US).

· Pékin peaufine un plan d’incitatifs à l’investissement étranger, inspiré de ceux accordés jusqu’ à récemment aux 13 zones économiques spéciales côtières, avec adaptation aux conditions locales (aux forts coûts de transports vers les marchés côtiers et extérieurs).

Ce plan devra répondre à deux questions politiques :

[1] la tension des populations de l’intérieur du pays, depuis longtemps tenues à l’écart du "banquet de la croissance", qui attendent un bien-être immédiat, sous forme de primes, salaires et couverture sociale;

[2] et le fait des clivages ethniques, surtout au Tibet et au Xinjiang (fortes minorités tibétaine et ouighoure musulmane), où seule la prospérité peut estomper les ressentiments légués par l’histoire.

 


Petit Peuple : ‘recherche tireur d’élite, urgent’…

• «Recherche ménagères pour travail au Kuwait -500USD/mois» :

la qualité de l’auteur de l’annonce, une Agence pour l’emploi, filiale de la police de Jilin (Jilin), avait séduit 51 femmes de fév. à mai 1998.

Mais sur place, ce fut l’horreur : elles furent «placées» par un intermédiaire local (commission =750USD/tête), leur salaire réel s’avéra être 135USD/mois, pour plus de douze heures/jour, sept jours/semaine, avec en prime, des mauvais traitements. Rapatriées grâce à leur ambassade, elles portèrent plainte contre l’agence : à la veille du jugement en appel, l’agence a jugé plus sûr de transiger hors Cour, et leur concéder à chacune 90 000Y, en arriérés de salaire et en préjudice moral. La police elle, proteste toujours au chapitre « dommages psychologiques » : «ce n’était pas nous, c’était les Koweitiens !»

• Durant 15 jours de décembre 1998 le tribunal cantonal de Qinjian (Shaanxi), perdit sa raison sociale : ses trois panonceaux avaient disparu. L’auteur du rapt, Liu Huixiong, patron d’une PME de construction, fut arrêté puis relâché, après restitution des plaques.

L’affaire n’était pas si simple. En 1995, Liu s’était vu allouer le contrat de construction du nouveau tribunal, et avait avancé les frais, à concurrence de 1,39MY. Mais après achèvement, le tribunal refusa de le régler. Sommés par le maçon de juger le juge, le maire et le commissaire fixèrent à 180000Y la compensation, dont le président du Tribunal déclina une nouvelle fois de s’acquitter, invoquant la «pauvreté de la région ». Ce qui ne l’empêcha pas, début 1998, de s’offrir une Santana dernier cri. Depuis lors, Liu, en appel, fait des séjours brefs mais réguliers en prison, désespérant de récupérer son dû. Son dernier stage remonte au 10 décembre. Ni l’un ni l’autre ne veulent céder.

• »Cherche tireur d’élite – grosse prime » :

cette annonce anonyme foisonne sur les campus, en cette période d’examens d’hiver.

En effet, parmi les 392000 candidats à l’entrée en fac (+23%), tous ne sont pas au niveau, notamment ceux qui concourent pour le permis de résidence et non pour faire carrière. Ceux qui passeront l’examen à leur place, sont des diplômés faméliques. Prix du danger (car se faire prendre, en cuit, aux deux fraudeurs) : de 5000 à 50000Y, à débattre! Ceci ne représente qu’une fraude parmi les milliers d’autres: signes de temps de crise économique et morale. Le peuple chante la fraude de bouche en bouche, en ce refrain :

« le fermier monte (à la ville) soumettre sa plainte/ l’ouvrier descend au chômage/ la corruption fait rage,tous azimuts/mais ce pour quoi le PCC se fait une sacrée bile, est … le Falungong! »