Le Vent de la Chine Numéro 37

du 8 au 14 novembre 1999

Editorial : Schroeder en Chine : les affaires, et les droits de l’homme

La première mission, en mai, avait été éclair, et d’une rare clairvoyance : juste élu Chancelier fédéral, et quoique sa visite vienne d’être compromise par l’OTAN (en bombardant l’ambassade chinoise à Belgrade), Gerhard Schroeder avait maintenu le voyage à Pékin, juste pour « ne pas laisser tomber la Chine…».

Ce gage d’amitié donné sept mois plus tôt, a permis à Schroeder dès le premier soir, mercredi 5 à Shanghai, de marteler un message de démocratie : « dans sa tentative d’établir un Etat de droit tout en tenant à l’écart liberté d’information et indépendance judiciaire, la Chine ne va nulle part : l’Etat de droit ne se saucissonne pas!» Le lendemain à Pékin, le Chancelier enfonçait le clou en présentant à son homologue Zhu Rongji une liste de prisonniers d’opinion « à thème » – 10 journalistes.

Habilement calculé, ce message était acceptable, parce que le vent en Chine, depuis l’été, souffle vers l’Union Européenne plus que vers les Etats-Unis. Il était aussi « compensé » par le soutien allemand, d’une entrée de la Chine à l’OMC, et au groupe G8, club restreint des décideurs économiques. Par cette démarche, G. Schroeder a exprimé en Chine un message de l’opinion occidentale, plus présent dans les rues du Royaume-Unis et de France ces dernières semaines, que dans les discours des dirigeants.

Tout ceci n’empêche pas les affaires, entre la 3ème puissance industrielle du monde, et la Chine, où l’Allemagne a investi 1,61MMUSD.

Cette visite a vu l’ouverture en Chine de la Nord Deutsche LB, 10ème  banque allemande, la signature par BAYER d’une lettre d’intention pour une usine de produits thermoplastiques, pour 450MUSD (Joint venture à 90% avec la shanghaïenne Chloralkali), celle par Siemens et la Banque de Chine d’un contrat de crédit de 120MUSD pour l’achat de ses téléphones portables et surtout celle par BASF (Badische Anilin und Soda Fabrik) et SINOPEC d’une raffinerie de pétrole, avec production de 600000t d’éthylène, à Nankin (ouverture en 2004).

Notre analyse : soeur jumelle du projet BP AMOCO de Huizhou, remontant comme elle à 1995, cette unité en lente gestation (faute de marché), fait un petit pas, pour des raisons partiellement politiques : non par hasard, en trois semaines, Angleterre, France et Allemagne obtiennent des chèques sur l’avenir, de montants comparables : BP = 2,5MMUSD, Airbus=1,5MMUSD, BASF =2,6MMUSD


A la loupe : La Chine ‘compte-t’elle’ – encore ?

Depuis septembre, « la Chine compte-t-elle? », de Gerald Segal (in Foreign affairs, Septembre – Octobre 1999) est au coeur des débats. Ce pamphlet est bâti sur une idée simple: la Chine, pays de second rang ayant bien maîtrisé l’art de la diplomatie, serait surévaluée en tant que marché et pouvoir.

A l’appui, une longue liste de chiffres dérangeants : créant 30% des produits du monde en 1800, elle n’en revendique plus que 3,5% en 1997. Ses hausses du PNB devraient plus à la propagande qu’à la réalité : sur les 7,6% de hausse de 1998, 2% seraient fictifs, 1% dû aux projets d’État, 3% à l’exode rural, et 3% à une production de « rossignols » invendables.

La situation s’enliserait, en dépit des réformes : en 1998, 45% des Entreprises d’Etat sont déficitaires, mais les prêts bancaires auraient monté de 25%. Ajoutez la baisse des investissements centraux, des échanges interprovinciaux.

L’import-export vaut celui des Pays Bas (3% du monde), et 80% des 45 MM USD d’investissements « étrangers directs » en 1997 viendraient en fait des  huaqiao, diasporas, qui réinjecteraient en Chine l’argent sorti en fraude, pour empocher les primes réservées à l’étranger!

Notre point de vue : déjà connus, la plupart de ces chiffres sont irréfutables. Le pamphlet a pour mérite de dire haut ce que beaucoup pensent bas. Il pêche toutefois par zèle manichéen dans sa critique, 100% négative. Historiquement, l’analyse apparaît après deux ans de crise, et témoigne de l’effritement du mythe d’un « marché – d’1,3 – milliards – de – consommateurs! »

 


Joint-venture : Toyota en Chine : l’implantation douce

• Toyota dit son « espoir, d’ici décembre »,d’ouvrir une Joint venture avec Tianjin Automotive Industry (TAI), d’une capacité annuelle de 100 à 150 000 berlines (1,3/1,5l).On utilisera le châssis de la Witz, élément de son concept de la voiture pour l’univers ("global car ").

Analyse : l’intérêt dans cette annonce, est la lumière qu’elle projette sur la « démarche Toyota ». En 1987, contrairement aux euro-américains, Toyota refusait de produire en Chine : elle y avait déjà un beau marché d’export. Après 1990, quand la délocalisation est devenue inéluctable, Toyota a choisi la méthode douce de pénétration, avec TAI pour partenaire. Cédée en 1993, la licence «  Charade » a valu à Tianjin, quatre ans plus tard, 40% du marché national des taxis. Aujourd’hui, 9 Joint ventures produisant tout les éléments essentiels : il ne manque plus que la licence pour le montage.

• Suffoquant dans ses fumées, Pékin chasse ses industries lourdes. Trois des six usines de Beijing Construction Machinery Group (BCM, une des plus grosses Entreprises d’Etat du pays) vont en banlieue nord. Le groupe saisit l’occasion pour rajeunir ces filiales, Beijing Crane (1500 grues par an), Construction Machinery Factory (500 chariots élévateurs, 160000 t de poutrelles d’acier), et Heavy Duty Truck (4000 poids lourds « ces dernières années »). A cette cure de jouvence, l’étranger est convié, sous toutes les formes classiques de coopération : transfert technologique, prise de capital, Joint venture.

Analyse : à ce mariage recherché, BCM apportera les 300MUSD de dot, fruit de la vente de ses terrains intra-muros, argument plus alléchant que ses 240MUSD de capital supposé.


A la loupe : Mickey à Hong Kong – la foire d’empoigne du Trône

Huit mois d’âpres palabres entre Disney et la RAS ont fini par aboutir: le 2ème Disneyland d’Asie ouvrira en ‘2005 sur l’île de Lantau. 9/10 des coûts reviendront à Hong Kong, avec 2,9 MMUSD pour les regains de terre et les infrastructures, contre 290MUSD à Disney, dont 1/3 prêté par Hong Kong.

Le projet inclut le parc à thème (qui réunira les classiques, Mickey, Donald et des figures asiatiques comme Sun Wukong le roi des singes), un complexe hôtelier (1400 chambres), un centre de loisirs à Penny’s Bay.

Sous l’angle du tourisme, Disneyland est vécu comme la «renaissance» d’un secteur en crise, et pourtant porteur : en 1998, il assurait 4% du PNB de HK (7MMUSD) et attendait, pour’99, 10,4M de visiteurs. Avec 30% des touristes volontaires pour tâter des frissons du Disneyland, et des M de visiteurs supplémentaires attendus, les entrées devraient atteindre 10M en 2010. En 40 ans, le parc générera pour HK, 19MMUSD de recettes, et créera 10 à 15000 emplois.

Point de vue 1 : pour HK, Disneyland représente le 1er grand projet depuis le retour à la Chine et le lancement de l’aéroport de Shek Lap Kok, ainsi qu’un début de redéploiement des activités industrielles vers celles de loisirs (cf cet avis officiel: « un parc à thèmes, dans cette métropole à forte population, a plus de sens qu’un terminal conteneurs».

Pt de vue 2: En ’84, négociant avec la France pour l’Eurodisney, le groupe US avait fait mine de chercher ailleurs, Espagne notamment. Face à HK, Disney a longtemps laissé planer le doute, parlant d’aller s’installer à Shanghai: même agressivité commerciale, même victoire sur l’Etat.

Pt de vue 3: pour Lantau, vaste territoire vierge, Disney ouvre la porte à la colonisation, justifiant davantage les 1,3MMUSD d’invest public d’infrastructures « offerts » au groupe US.


Argent : Taxe sur l’essence : la douteuse victoire de l’Etat

• Après le feu vert formel de Pékin et de ses actionnaires, Qingdao Breweries veut racheter jusqu’à 10% de ses parts H (valeurs d’Entreprises d’Etat (EE) chinoises cotées à l’étranger). C’est une première en Chine : ces titres « H » étant aujourd’hui cotés en dessous de leur valeur d’émission, leur rachat équivaut à éponger une partie de la dette. Dans ce rachat de la dette extérieure, Qingdao devrait ouvrir la voie à une dizaine d’autres Entreprises d’Etat – celles dont les titres ont le plus chuté.

Analyse :

[1] De manière prévisible, cette action intervient en creux de récession. Les 60 EE cotées en parts « H » ou en « Red Chips » (titres de filiales Hongkongaises) qui faisaient 18% de la bourse de Hong Kong en 1997, ont chuté à 13% en 1999, mais devraient remonter à 25 voire 30% d’ici 2002.

[2] Ce rachat des parts «extérieures» vaut aussi pour les «intérieures», contrôlées par l’Etat. Celui ci vient de baisser la barre de son « patrimoine » de 66 à 51%. La prochaine étape, déjà prévisible, sera le passage en dessous des 50%.

• Après huit mois d’opposition, le Parlement (l’ANP) a fini par approuver une série d’amendements à la Loi Routière, tendant à remplacer la pléthore de péages régionaux par une taxe nationale sur les carburants. Ce concept du Conseil d’Etat avait pour but d’alimenter un fonds national des Routes. L’Assemblée s’y opposait, car il dérangeait des intérêts locaux. L’issue du bras de fer, marque la montée en puissance d’un Parlement régionaliste sous (ou malgré) son Président Li Peng (centralisateur).

En pratique, la taxe d’essence (annoncée à 1Y/litre, soit un prix à la pompe de 3Y/l) ne garantit pas la suppression des péages, qui font la manne des pouvoirs locaux, ni la création d’un fonds financier significatif : la nouvelle loi prévoit des « remboursements aux paysans » pour l’usage agricole du carburant, qui devront être payés par le fonds routier.

• En 1984, la première carte bancaire était émise à la Banque de Chine : elles sont aujourd’hui 140M, émises par 20 banques, en augmentation de 64%/an, et avec un chiffre d’affaires en hausse de 51%/an (210MMUSD en 1998 – près de 10% du commerce de détail).

Le système se complète : en février est apparu le principe du découvert (5000 à 50000Y/mois, maximum 50 jours) et l’interconnexion, dans le cadre du système « Golden Card » débute entre des banques de douze villes : ébauche de réponse aux problèmes de fraudes, importants mais gardés secrets – question de face pour les banques.

Analyse : comme dans le cas des télécommunications avec le téléphone GSM, la Chine a sauté l’étape d’une technologie obsolète, ici en ignorant le système du chèque bancaire.

 


Pol : Naissance d’une profession libérale

• Après les avocats (cf VdlC n°35), 300000 candidats médecins bachotent un examen, premier du genre, qui octroiera fin novembre un diplôme national aux heureux élus. Jusqu’à présent les médecins obtenaient une licence des services de santé, à l’issue de leur temps d’université.

Analyse :

[1] l’absence de titre était commune à tous les métiers (police, armée, judiciaire, etc.) et conforme au projet maoïste d’une société sans classes. L’introduction du diplôme, et du contrôle approfondi des compétences, s’impose face à l’ explosion du nombre des « nouveaux médecins », très supérieur à celui des carabins, ce qui trahit l’existence de charlatans, surtout au village, pour faire face à une carence du système

[2] par ce diplôme, l’Etat met involontairement en place une nouvelle profession libérale, capable d’exercer hors des structures publiques. Il ne lui manque, pour éviter l’anarchie, qu’une grille des tarifs.

• La mort du cantonais Xie Fei, le 27 octobre, a provoqué de furieuses manoeuvres au sommet, pour la reprise de son siège au Politbureau. Jiang Zemin et Zhu Rongji présentent chacun leurs poulains : Zeng Qinghong, boss de l’Administration ou Wu Yi, conseiller d’Etat, tous deux aujourd’hui suppléants? Combat plus fort encore, au niveau du remplacement du suppléant : Xu Kuangdi, maire de Shanghai ou Dai Xianlong, Gouverneur de la Banque Populaire de Chine? Affaire à suivre.

Analyse : Jiang devrait aisément avoir le dernier mot, mais il serait – bien légèrement ! – critiqué pour avoir offert à Jacques Chirac,  « pour sa gloire plus que dans l’intérêt du pays », le contrat Airbus, pour 28 appareils, en infraction au moratoire imposé jusqu’en 2001.


Temps fort : Les défis sans précédent du Parti Communiste chinois

La pression actuellement endurée par le gouvernement chinois, sur fond de crise du Falungong, se lit à travers cette « fuite » au quotidien Hongkongais South China Morning Post : un membre du Politbureau, semaine passée, a dénombré pas moins de septembre « défis sans précédent » à l’autorité du Parti Communiste Chinois, contestation inégalée dans l’histoire :

[1] le Falungong, ainsi que d’autres groupes sectaires apparentés,

[2] les églises au foyer, protestantes comme catholiques;

[3] les organisations politiques clandestines, tel le Minzudang (Parti de la démocratie) qui, comme les paroisses de l’ombre, recruteraient sans cesse;

[4] (nettement moins dangereuses), les formations dissidentes expatriées tel le Zhongguo Minlian (« Fédération du peuple de Chine »), de New York;

[5] celles soutenues par Taiwan,

[6] les mouvements pour l’indépendance du Tibet, et des « éléments anti-chinois » (sic) de Hong Kong.

A ces défis de nature politique, on peut en distinguer d’autres, d’origine sociale :

[1] les 20000 migrants et chômeurs qui viennent d’être réexpulsés de Pékin, deux fois en deux mois (accusés, en ville de 90% des crimes);

[2] les paysans qui s’organisent contre les taxes illégales : tels ces 500 villageois de Tushan (Henan), montés au chef-lieu protester contre des impôts locaux abusifs exorbitants : 14 arrêtés, dont le maire et son adjoint (élus);

[3] les jeunes en ville, qui vivent en bande, du racket et d’autres crimes violents (une loi interdit aux parents de les lâcher avant 16 ans)…

Tout ceci, sans parler des conflits de travail, des millions par an de travailleurs laissés pour compte, de pensions impayées, et des travaux d’Hercule du nettoyage de la corruption dans la police, l’Administration, le Parti, les provinces … Au vu de toutes ces pesanteurs, l’expression du membre du Politbureau, « défi sans précédent », apparaît bien pertinente!

 


Petit Peuple : Chronique de trois enfants gâtés

• Ces trois  dushenghaizi, enfants uniques ne s’étaient jamais rien vu refuser par leur famille : la presse nous dévoile les avatars tragiques qui s’ensuivirent :

[1] Fils d’une opulente famille cantonaise, à 17 ans, He volait pour payer son héroïne, et la police, quand elle l’attrapait, ne manquait pas de le passer à tabac avant de le jeter au trou. Sans en avoir l’air, c’était un honneur : quand il eut le SIDA, de peur de contagion, elle refusa d’intervenir, pas même pour protéger sa mère, entre-temps ruinée, mais qu’il revient régulièrement « taper », au sens propre comme au figuré.

[2] A Shenjiatun (Hebei), pour ses 16 ans, Liu avait reçu une Santana de son père, patron d’une briqueterie. Depuis, il se pavanait, un de ses innocents plaisirs consistant à écraser les moutons du village – papa payait. Le 13 octobre, le monde bascula, suite à cette querelle amoureuse, quand il prit les gens pour les moutons, en envoya 15 en l’air, dont deux ad patres. Au bloc, après avoir copieusement injurié les gendarmes Liu eut la plus grande surprise de sa vie : même l’argent du père ne lui épargnerait pas le tribunal.

[3] le jour de l’exam’, en janvier 1997, la demoiselle Wu se fit prendre en pleine triche, et se tua peu après, par peur du déshonneur. Bien notée jusqu’alors, sa professeur fut mise hors de cause par l’enquête, mais pas par la famille, bien placée, qui obtint d’abord son renvoi.

Militaire de carrière, le grand-père de Wu avait un gros pétoire, de même que sa mère, membre d’une milice. L’un comme l’autre ne pouvant s’empêcher de multiplier les propositions morbides à la prof., de l’envoyer donner des cours particuliers à leur fillette, elle n’eut d’autre choix que d’aller refaire sa vie ailleurs.

 


Rendez-vous : Salons de l’eau, du gaz, et des bibliothèques

• 10 – 12 novembre, Shanghai : Foire des Arts

• 12 – 15 novembre, Pékin : Salon de l’Eau

• 17 – 20 novembre, Pékin : Salon Gaz de Chine

• 11 – 14 novembre, Pékin : Salon de la Bibliothèque