Le Vent de la Chine Numéro 35
Le Président Jiang a débuté lundi 16 à Londres, sa visite de 16 jours en Europe, puis Afrique du Nord. Visite de prestige, faite pour renforcer à l’extérieur l’image du maître de la Chine, mais aussi, avant tout, signe de réchauffement avec l’Union Européen.
Intense durant l’été 1998, le rêve d’un mariage avec l’Amérique de Bill Clinton a explosé avec les bombes de l’OTAN sur Belgrade (cf col. centrale), et Pékin se dit que prêter plus d’attention à la vieille Europe, ne serait finalement pas si mauvaise chose. Ayant elle même souffert du flirt prolongé sino-américain, celle ci était aussi demandeuse.
D’où la réception somptuaire de Jiang à Buckingham Palace, le discours gracieux de la Reine (« Nous sommes tous deux de 1926, du signe du Tigre (…) Nos deux peuples ont la même passion du thé »).
D’où aussi, l’accueil inouï par le Président Chirac dès samedi en son manoir corrézien de Bity, puis entre Lyon et Paris : trois jours ensemble, dont dix heures en tête à tête : assez pour approfondir une déjà vieille amitié, mais aussi pour concevoir des stratégies à long terme, dépassant de loin les intérêts bilatéraux – réforme de l’ONU, instrument de défense des monnaies, style « serpent monétaire européen »…
D’où aussi les efforts pour contenir une contestation anglaise – puis française, et chinoise sur le thème Droits de l’Homme : (dissidence « démocratique », menée par un Wei Jingsheng doté en apparence du don d’ubiquité; Tibétains; et, nouveaux dans le jeu, les adeptes du Falungong) : expression incompressible d’une sensibilité européenne.
L’embellie avec Pékin, est pour Londres l’occasion attendue depuis longtemps pour pousser de vieux projets, et (re-)devenir la 1ère puissance commerciale de l’Union Européenne en Chine – avec 13MM£, elle l’est déjà en investissements. Jiang y aura signé pour 3,5MMUSD de projets, le plus gros étant une lettre d’intention pour une ligne d’éthylène de 2,5MMUSD à Shanghai, entre BP/Amoco et SINOPEC.
Autre contrat précurseur : ces 2×3 MMY prêtés aux banques britanniques Hong Kong and Shanghai Bank Corporation et Standard Chartered, qui leur donneront un fort avantage concurrentiel sur les autres étrangères, sur le marché en renminbi des multinationales!
Ils sont 182 000 cette année (28% de plus qu’en 1998), de 20 à 76 ans, à s’être inscrits à l’examen national ouvrant au titre recherché, grassement payé, de lüshi, avocat.
Mis en perspective, le seul chiffre des actuels membres du barreau chinois, 110 000, suffit pour percevoir la violente mutation en cours. Sous l’ère maoïste (dont des pans entiers, du point de vue du droit, demeurent en place), un corps juridique diaphane suffisait, face à une délinquance parmi les plus basses du monde, et à une propriété publique universelle : la discipline du Parti réglait les conflits.
Sous celle de Deng puis de Jiang, une société de plus en plus possédante, a besoin d’arbitres et de conseillers pour découvrir les limites de ses droits naissants, les nouveaux usages, et traiter l’avalanche de litiges, surtout économiques, aux greffes de tous les tribunaux de l’empire. Sur la pression de cette demande, un autre chiffre parle : les 110 000 hommes de la basoche chinoise, n’offrent qu’un avocat sur 10000 habitants, contre 5 dans le tiers monde!
Confronté au raz de marée des vocations, le ministre de la justice Gao Changli annonce une réforme de cet examen qui durera deux jours. On verra plus de standardisation, et une montée en puissance des techniques d’identification des compétences : maîtrise du droit, application des lois-clé (cf la nouvelle loi des contrats), connaissance des langues, et surtout démonstration d’un instinct d’avocat -moins de scolastique, plus de bon sens!
Une décennie de présence en Chine, la crise asiatique, et leur expérience à travers le monde, sont les éléments qui permettent à deux multinationales d’introduire des montages financiers nouveaux, afin de faire supporter localement leur effort de pénétration. Par le biais de sa holding, Unilever veut émettre des parts A (limitées aux acheteurs chinois) sur la Bourse de Shanghai, pour adapter sa gamme de produits d’hygiène corporels au monde rural et assurer une distribution spécifique.
Première du genre en Chine, l’opération attend son feu vert. Pour sa part Mc Donald’s, qui gère 241 restaurants en pleine propriété, veut poursuivre son expansion en franchise, et faire du pays son premier réseau mondial franchisé : jusque là, seuls les producteurs « en aval » (pain, viande hachée) travaillaient sous ce statut.
Longue Marche 3A, version nouvelle du lanceur spatial chinois, d’une charge utile de 2650 kg (orbite géostationnaire) vient de signer sa première commande internationale : celle de l’italien Alenia, pour le satellite Satelcom de 2,6t, d’un coût de 100MUSD. Lancement prévu pour 2001, pour un cachet non précisé (les tarifs de la China Great Wall Industry Corporation (CGWIC), sont 40% moins chers que ceux de l’aérospatiale occidentale). Équipé de 28 transpondeurs à domaines de fréquence, Atlantic Gate offrira, entre Europe et Etats-Unis, son service multimédia à large bande pour le compte d’Eutelsat.
Un pied dans la tombe (60MMUSD de dettes), le coréen Daewoo vient d’inaugurer avec ses partenaires chinois (First Auto Works et Shandong Automobile Corporation) trois Joint ventures de moteurs et boîtes de vitesse dans le Shandong (Yantai, Weihai et Qindao) d’un investissement de 730MUSD. D’une capacité annuelle de 300000 moteurs (dont 50000 exportés dès 1999), elles seront, selon Daewoo, la tête de pont pour une chaîne de production afin de faire face au triplement de la capacité chinoise, de 300 à 900000 unités d’ici 2003.
Pourquoi le britannique Observer a t-il choisi ce mois d’octobre pour recycler une vieille rumeur sur le bombardement, le 7 mai 1999 de l’ambassade chinoise à Belgrade? Non due à une « erreur humaine » (comme le prétend l’OTAN), l’opération aurait été dirigée contre une « cible légitime », la mission chinoise ayant alors assuré des retransmissions à l’armée yougoslave, en guerre contre le Pacte Atlantique.
Publication faite pour gêner, bien sûr, le Foreign Office (FO), en pleine visite de Jiang – FO et autorités chinoises ont démenti à l’unisson. Mais cette fuite « coïncide » peut-être surtout, avec la reprise, à Pékin, des négociations avec David Andrews, du Département d’Etat, sur les compensations réclamées par Chine, mais aussi les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour leurs dégâts (les 8-9 mai, leurs ambassades à Pékin avaient été lapidées par la rue) : du statut que les négociateurs attribueront à l’opération de l’OTAN, des dizaines de MUSD dépendront.
De tels « chèques » comptent moins, en fait, que les questions de face, et de choix fondamental de politique étrangère. Ainsi se pose celle de la compatibilité entre un soutien post-maoïste, nostalgique, à des régimes hostiles, et l’entrée de plain pied dans le club des grands de ce monde, avec les coopérations, privilèges et responsabilités que cela implique.
Période cruciale, et charnière : pour le Congrès comme pour l’aile dure du Parti Communiste Chinois (PCC), une entrée chinoise à l’OMC serait peu concevables sans règlement du litige avec l’OTAN. Symboliquement; cette négociation va de pair avec celle pour l’OMC, avec la Commission Européenne (26-28, Genève). Détail encourageant : le vice ministre du commerce extérieur, Long Yongtu, négociateur « OMC » écarté en juin vient d’être rétabli dans ses fonctions : signe d’une volonté d’aboutir!
A peine le Conseil d’Etat abolit-il le principe du contrôle à 70% du secteur public non stratégique (cf VdlC n°34), les Entreprises d’Etat riches expriment le souhait d’une « auto-privatisation », en rachetant une part de leur capital. C’est ce que vient de faire Shenergy (Shanghai Energy), en versant 25 MMY à sa zonggongsi, (maison mère) pour la reprise de 38% de ses parts. Une seule compagnie avant elle avait osé sauter ce pas : Yuntianhua (Yunnan, engrais chimiques) pour un pourcentage similaire : deal non encore approuvé.
En mars, la banque China Construction Bank prenait ses trois soeurs de vitesse, en obtenant la licence de Cinda, structure de défaisance de ses créances non recouvrables (cf VdlC n°31). A présent, c’est au tour des trois autres banques commerciales d’Etat, Banque of Agriculture (BA), Industrial and Commercial Bank of China et Banque (ICBC)de Chine (BdC) d’annoncer la naissance de leur propre « anti-dettes » : Great Wall, Huarong et Dongfang.
Dotées comme Cinda de 1,2 MMUSD de capital, elles sont supposées, à quatre, racheter en deux à trois ans pour 120 MMUSD de mauvaises dettes. L’étranger, inventeur du système, conserve ses doutes!
Le monopole du tabac (State Tobacco Monopoly) perd la bataille de la contrefaçon. En 1999, à 100M de fausses cigarettes saisies (d’une valeur de 6MMY), les prises étaient le triple de l’an passé. Mais dans des provinces comme Fujian, Henan ou Guangxi, des usines pirates ultramodernes atteignent des capacités de 3MM de « tiges » par an, avec la protection des pouvoirs locaux – la police de Pékin ne peut rien faire!
De janvier à juin, les usines « officielles » ont perdu 8,6% de leur marché, et le nombre des marques plagiées est passé de 30 à 100 depuis 1998 (35 copies rien que pour Marlboro, marque fétiche). La Chine est à la fois premier producteur (1670MM cigarettes en 1997), premier marché (320M fumeurs, 25% de la population), et le tabac entre pour 14% dans ses recettes fiscales : Pékin semble aussi incapable de faire appliquer sa politique, que de renoncer à son impossible monopole.
Avec 78% des réserves mondiales d’antimoine, additif durcisseur des métaux, Pékin devrait sereinement régner sur ce marché captif : les chiffres de China Economic Time suggèrent qu’il n’en est rien. Pour cause de rivalités provinciales, les exports (70000 t par an depuis 1995, équivalents à 100% de la consommation mondiale), causent une perte estimée à 100MUSD, et sa production, 130 000t est trois fois supérieure aux besoins. Un bon tiers de ses exportations se font en contrebande… Un secteur en plein désordre!
En avril 1998, 34 coopératives de crédit insolvables étaient mises en faillite dans l’île de Hainan. Afin d’éviter la fureur de milliers de petits porteurs grugés, Pékin avait remboursé les 4MMY de passif – transféré à la Hainan Development Bank (HDB). La semaine passée, Chongqing (Sichuan) a connu un remake : 3000 investisseurs bloquant les voies de chemin de fer, places et édifices publics, après la fermeture d’une centaine d’agences semi-publiques de crédit ruinées par la crise, après avoir offert jusqu’à 48% de taux d‘intérêt pour drainer l’épargne. Contraint par le spectre de l’instabilité, Pékin a « prêté » 1,2 MMY à la ville pour rembourser – « pour commencer » !
10 années d’assistance, par nombre d’organes internationaux (Organisation Mondiale de la Santé, Union Européenne, Banque Mondiale, United Nations Development Program), et des dizaines de MUSD de crédit n’ont pas aidé la Chine à prévenir l’expansion du SIDA. D’ici le, 31 décembre le Ministère de la Santé annonce le triplement du nombre des séropositifs de 400000 à «plus de 1M». Durant le premier semestre, les sidéens étaient 14000, et les décédés 241.
Cette évolution inquiétante va de pair avec une explosion des cas de maladies sexuellement transmises. Le problème de fond n’a pas changé : les besoins contradictoires des services de sécurité et propagande (en bonne image de marque du pays, silence et répression), et de ceux de la santé (en transparence dans l’information, pour obtenir la coopération des populations civiles).
D’ici 2005, comme moteur de la croissance sous le 10ème Plan, la State Development and Planification Commission (SDPC) veut ancrer 85M de paysans dans des villes. Cela causera, en loyers et achats d’appartements, pour 300 MMUSD d’affaires, sans compter 48 MM USD/an de biens d’équipement.
Le concept part du constat de la Banque Mondiale : à 32% en 1997, l’urbanisation chinoise marque le pas derrière les Pays en Voie
de Developpement, à 50%. La Chine veut rattraper d’ici 2015, en « créant des conurbations larges ou très larges » (le déversoir sur les métropoles existantes est donc exclu), « élargir les villes moyennes et équiper petites villes et bourgs ».
Au chapitre « investissements », le plan évoque un objectif d’1% de hausse d’urbanisation/an. C’est vague. Plus absente encore, une étude des causes de l’échec, depuis novembre 1996, du programme de logement social anju, cher à Zhu Rongji, concept très voisin de celui de la SDPC, en place depuis novembre 1996, mais sans grand succès en pratique.
D’ici 2000, Anju voulait construire 1,2MM m² de logis social : en fait, c’est surtout du « luxe » qu’on a bâti, et souvent en pure perte. Près de 90Mm² sont inoccupés à travers le pays, immobilisant 72MMUSD.
Les raisons :
[1] la construction aux méthodes archaïques, au coût prohibitif;
[2] la non-réforme des banques (taux lourds, termes brefs);
[3] la kyrielle des taxes d’administration (même si une fraction a été abolie en 1999);
[4] le déficit en équipement des banlieues.
Justement, la 1ère ceinture « RER » de Pékin (autour du 5ème Périphérique Nord, à 20 min. du centre), ouverture prévue fin 2000, sera retardée, pour des problèmes de design et de tracé, sans doute aussi de ressources budgétaires, après les dépenses somptuaires du Cinquantenaire. Tout ceci posant des doutes sur la capacité à court terme du régime, à matérialiser ses choix!
Un corps de métier maltraité en Chine moderne, est celui des professeurs, coincés entre leurs salaires décourageants, leur image dévalorisée, et une difficulté toujours plus tenace à inculquer la discipline aux xiao huangdi, « petits empereurs » gâtés depuis leur naissance. Ce qui explique peut-être pourquoi Cui Meiye, maîtresse pourtant émérite au collège technique de Huayin (Shaanxi), qui avait obtenu trois mois plus tôt le titre d’« enseignant modèle », perdit le sens commun.
Au jeune Wang (12 ans) qui venait de dérober 10 Yuan à son petit camarade, elle tatoua de sa main à l’encre rouge sur son front le caractère zei (voleur) devant quelques élèves, pour l’exemple. Dévoilée dans la presse, l’affaire a suscité un débat émotionnel, remettant en cause la tradition confucéenne de sévices corporels. Ému mais ne perdant pas le nord, un institut de beauté a offert le détatouage du bambin. Au rectorat local, une commission étudie les suites à donner à la faute de Mme Cui.
La mairie de Dahua (Guangxi), fut récemment saisie par le nouveau Centre de Formation Médicale, d’une note de frais insolite. En robe carmin et en guêtres noires, un moine taoïste durant deux heures, tint une très complète séance d’exorcisme, déambulant à travers le bâtiment en psalmodiant ses incantations, sous le tintamarre des gongs et des crécelles, dans d’épais nuages d’encens. Des libations furent offertes en sacrifice, accompagnées d’une tête de porc au bloc opératoire, de blancs de poulet dans le dispensaire.
Calligraphiées sur papier rouge, les formules sacrales bien sûr, avaient été affichées au porche d’entrée et aux points de Feng Shui (vent et eau). Loin d’apprécier cette démonstration de fidélité aux traditions, le gouvernement municipal, criant à la « mascarade superstitieuse », a limogé les trois sous-directeurs épinglés – l’un d’eux a même perdu dans l’aventure sa carte du Parti Communiste Chinois.
27-29 octobre, Qingdao : Vinitech Mondiaviti
25 octobre, Pékin : Signature du contrat de Joint Venture Lafarge Dujiangyan Cement Company (Sichuan)
26-29 octobre, Pékin : China Pharm 1999