Le Vent de la Chine Numéro 27

du 11 au 17 juillet 1999

Editorial : Entreprises d’Etat : l’Etat se désengage, mais ne se retire pas !

L’Office Statistique est enthousiaste : grâce à une excellente récolte et de bons exports électroniques, la croissance en 1999 dépasserait les 7% du plan, voire les 7,8% de 1998. Ces résultats (profits industriels de janvier à mai = 3,6MMUSD) n’empêchent pas l’appareil de réfléchir sur les manières de parer la crise :

[1] consensus sur le danger n°1, la déflation (-3,5% pour l’indice des prix en 12 mois)

[2] relance des crédits d’export (1,7 MMUSD préparés en 1999 par l’Eximbank),

[3] conscience du fait que les Petites et Moyennes Entreprises d’Etat en vente, sont beaucoup trop chères, pour ce qu’il en reste,

[4] appels à la dévaluation, pour relancer consommation et exportations…

Le débat de fond concerne le cadre à adopter par le Comité Central en septembre, pour la reprise de la réforme des Entreprises d’Etat (EE) : en filigrane, la question du rôle futur du Parti, notamment dans les grands groupes. La réponse est cristalline : il faut doter les EE d’une gestion moderne, mais respecter 2 interdits (privatisation, et disparition du Parti Communiste Chinois dans l’EE.

Il en résulte une structure mixte, associant la vieille troïka (Comité de Gestion, Cellule du Parti, Syndicat), aux côtés d’organes conçus pour rassurer les actionnaires – minoritaires !Comités des Directeurs (gestion courante),  et des Superviseurs (de la rentabilité). Ce début de réforme permettant pourtant de dégraisser l’effectif politique, sans affronter les sensibilités (à vif) du passé. Ce qui entame, sans le dire, une réforme du Parti !

Cette structure floue pourrait être cause de stagnation future – comment garantir souplesse, goût du risque avec tous ces leviers en double? Plus grave : ces EE conserveront plus de la moitié des charges sociales (logis, Sécurité Sociale, école) de leurs (parfois) centaines de milliers de cadres. Tout en étant supposées remonter leur obsolescence face à un étranger non astreint à ce poids du passé : handicap insurmontable!

On remarque que cette réforme redémarre juste avant l’entrée à l’OMC, (désormais probable, cf. ci dessous) : c’est qu’entrer à l’OMC avec les « écuries d’Augias » des EE dans l’état actuel, serait  bi-zhongjiuqing, « fuir l’essentiel, pour se réfugier dans l’accessoire » !


A la loupe : Les inondations reviennent

Les crues sont de retour – peut être plus tôt et plus fort qu’en 1998. Le 6 juillet à Wuhan (Hubei) durant 6 heures, la première « crête », 27,68m d’amplitude et 65000m3/s, a chevauché le Yangtzé. Des milliers de soldats et civils veillaient sur les digues 24h/24, tandis que 53 stations de pompages tentaient de libérer de nombreuses rues sous les flots.

Au plan national, les pertes se chiffrent déjà à 240 morts, 1,8 M de déplacés, et pour 3,4 MMUSD de maisons (480000) et d’emblavures (3,5Mha) détruites.

Record historique au lac Taihu : 5,03m de haut, 9M de gens affectés. A Xuencheng (Anhui), qui a « pris », en un mois, 900mm de pluies, 97 digues ont déjà cédé, bloquant 230000 personnes sur des arbres et des toits. A Xianning (Hubei), 100000 personnes étaient bloquées, et 1800 maisons abattues. Jiangxi et Zhejiang était en état d’alerte, Guizhou et Guangxi avaient reçu de 1 à 3m d’eau en 10 jours. Le 09, la deuxième crête du Yangtzé passait Yichang, du haut de ses 52m. Et les premiers fonctionnaires indignes sont démis, pour avoir « dormi » ou « été à la pêche » (sic).

Toute la question pour cette chine Centre et Sud, d’ici 2 mois, étant de savoir si le réseau de digues et bassins d’écrêtement des pointes, mis à mal par 20 ans de laisser-aller, rudement affaibli l’an passé, aura pu être remis en état entre-temps, et tiendra : cela dépend de la puissance des pluies dans les deux mois à venir c’est à dire de l’imprévisible !


Joint-venture : L’image tournante de Bill Gates en Chine

• Constatant qu’un de ses modèles avait été copié, Advance Ship Design (ASD), bureau d’études australien, avait porté plainte à Shanghai contre le propriétaire du produit piraté, Euro Containers Shipping (Grande Bretagne), et le leaser Orient Overseas Container Line OOOCL), de Hong Kong. Le verdict vient de tomber : le britannique devra payer 93000 USD de copyright à ASD, et OOCL est relaxé : locataire, il n’avait pas à connaître le statut juridique du bâtiment. Précision peut-être utile : le propriétaire d’OOCL se trouve être Tung Cheehwa, gouverneur de Hong Kong.

• Tandis que Microsoft poursuit sa vertigineuse pénétration de la Chine, des nuages noirs se forment. Bientôt disponibles sur le marché, les versions en mandarin d’Office et Windows 2000 incluent une écriture d’idéogrammes par stylet électronique : gadget qui va étouffer dans l’œuf un logiciel équivalent, made in China, et qui contredit frontalement la promesse de Bill Gates, en Chine il y a quelques années, de « jouer les mécènes de logiciels locaux ».

Parallèlement, les procès intentés – et gagnés – par Bill Gates contre ses naïfs pirates, commencent à lui valoir dans la presse, une négative image de marque.  

• Pionnier du système ADSL (transmission de données à large bande, à partir d’une ligne ordinaire, permettant de multiplier par x30 voire x100 la vitesse sur internet), Alcatel commence à le vendre sur le marché chinois. Un contrat vient d’être signé à Shanghai en juin (Shanghai Hotline), succédant à un autre dans le Shandong, et à 50000 lignes équipées dans le Guangdong.

• Comment tirer meilleur parti des déchets végétaux (paille, balle de riz, copeaux) ? BG Techn. LLC propose sa solution, annonçant deux Joint ventures, l’une à Chongqing (5MUSD), l’autre dans le Shandong (25MUSD) de production de méthane à partir de biomasse, le gaz étant ensuite acheminé par canalisation vers les villages pour consommation domestique.

 

 


A la loupe : Incident nucléaire à Qinshan

Qinshan 1 (Zhejiang), le « Fessenheim » de la Chine (premier réacteur nucléaire civil du pays, 300Mw), joue de malchance. Ses techniciens viennent de réactiver la centrale après un an d’immobilisation suite à une panne sur le circuit primaire (un boulon ayant « lâché », par 350° et 150 bars de pression).

Conséquence : la centrale a été privée d’une année de recettes d’électricité, et contrainte à une réparation (par l’américain Westinghouse, suite à appel d’offre international) en dizaines de MUSD. La convalescence sera coûteuse : relancé à une fraction de sa puissance, cet outil expérimental devra, à plusieurs reprises, être démonté et ausculté, avant de recevoir le feu vert pour tourner à pleine puissance.

L’incident mineur (ni fuite, ni dégâts humains) a pour mérite de braquer notre projecteur sur le nucléaire civil, en panne, à l’instar de Qinshan, depuis des ans. Manque de moyens ? Plutôt, dit cet expert, une « absence totale de planification », elle-même due à la réforme, en cours, des ministères, et au vieux conflit entre capitale et provinces. La Chine saupoudre ses achats entre Europe, Russie, Canada, voire (Pékin en rêve !) Etats-Unis et compromet les essais de groupes comme Framatome, de produire localement pressuriseurs et générateurs de vapeur dans le Sichuan, ou barres de commandes à Shanghai.

Prochain appel d’offre chinois : GNP3 (Canton), pour 2 tranches de 1000Mw, sur le site probable de Yangjiang : tous les ténors mondiaux du secteur seront sur les rangs, avec peut être un avantage à Alstom, titulaire des 2 premières unités, Daya Bay et Ling Ao.

 


Argent : Pharmacie herbaliste : un pays, deux systèmes

• Depuis 6 mois, sur Chang An à Pékin (« la plus longue avenue du monde ») les annonceurs publicitaires ont été notifiés que leurs panneaux géants devraient disparaître avant le 1er octobre, pour laisser place quelques jours à des messages plus socialistes. Mais ces annonceurs comptent parmi les plus grands du pays et du monde, et leurs pubs sont « bétonnées » au plan du droit.

En sorte qu’un organe peu suspect de contestation comme China Business Times, estime que la mairie devrait casser son édit, « pour se conformer aux lois nationales». Pékin par contre a eu moins de mal à raser des centaines de marchés, boutiques et restaurants qui gâchaient la perspective : ils ont vu leurs licences invalidées – sans indemnité.

• « Chien de garde » des pratiques boursières, la CSRC (China Securities Regulatory Commission) déploie son réseau, calqué sur celui, tout neuf, de la Banque Populaire de Chine (BPdC). L’objectif est le même : en rayonnant sur un groupe de provinces, limiter les fraudes des instances locales, tout en échappant à leur emprise. La première CSRC régionale ouvre à Canton, avec compétence sur Fuzhou, Xiamen (Fujian), et Nanning (Guangxi). Lente et prudente, la délocalisation doit se poursuivre dans huit autres points du pays.

• Seconde ITIC (International Trust and Investment Corporation) de Shanghai (7MMY de capital), la PUTIC (Pudong International Trust and Investment Corporation) vient d’être dissoute par la BPdC  pour cause de mauvaise spéculation foncière, ici, sur Pudong. Actifs et dettes ont été repris par l’Agricultural Bank of China (ABC). Sauf pour l’ABC, pas de problèmes – pas d’actionnaires !

Idem, les trois Entreprises d’Etat suspendues en bourse de Shanghai pour mauvais résultats (cf VdlC n°26), viennent de passer sous statut spécial, ressemblant à une liquidation silencieuse : leurs titres sont négociables après fermeture des cours, aux enchères écrites, sur base de 5% de leur valeur nominale.

• Quoique titulaire d’une glorieuse tradition herbaliste codifiée depuis 2000 ans, la Chine ne détient que 3% du marché de la pharmacopée traditionnelle (16MMUSD/an), où caracolent Inde, Japon et Thaïlande. Le secteur tente de se discipliner – très dur, avec une production de 250000t d’herbes (12000 espèces), et 60000 médicaments. Le ministre des Sciences et Technologies veut financer la Recherche et le Développement sur une gamme de produits pour homologation à l’Ouest…

Au même moment, Hong Kong investit le secteur d’une manière plus convaincante : un consortium privé prépare Biotech City Hong Kong, zone portuaire de développement du médicament herbaliste chinois. Cet investissement de 2,9MMUSD a tout pour réussir –matière première illimitée à bas prix, technologie et engouement planétaire pour son produit.

 


Pol : La Papouasie Nouvelle Guinée change de Chine, sous réserve

• La semaine passée a vu un nouveau cas de dissidence sur fond de crise économique. En 1995, la compagnie de transport de Tianshui (Gansu) avait mis à pied ses 1800 employés, sans indemnités. Pour dénoncer la corruption des cadres dans l’Entreprise d’Etat, deux chauffeurs avaient créé une feuille clandestine, « Le Moniteur des Travailleurs ».

Arrêtés en janvier, ils ont pris, avec un troisième sympathisant, entre 2 et 10 ans pour « subversion ». Cette dernière lourde peine étant due à l’accusation d’avoir reçu 400USD d’une ONG yankee. L’affaire a toutefois donné à réfléchir : Wei Jianxing, membre du Comité Permanent du Politbureau, annonce une instance nationale de conciliation des conflits du travail, réunissant gouvernementaux, patrons, et syndicalistes.

• Le 6 juillet, suite à des tractations « secrètes » connues de tous, la Papouasie Nouvelle Guinée changeait de Chine, passant à Taiwan. Montant de la transaction (rituellement démentie par Tapei) : 2,35MMUSD, soit 1,5de plus que le chèque (démenti aussi !) à la Macédoine il y a quelques mois. Mais pas plus qu’à Skopje en février, l’affaire n’a fait l’unanimité à Port Moresby : deux jours après, Bill Skate, le Premier Ministre promoteur de l’affaire, démissionnait: pour l’avenir, toutes les options sont ouvertes


Temps fort : OMC : entre Pékin et Tokyo, marché conclu!

Sur la question de son entrée à l’OMC, Pékin depuis 2 mois gardait le silence – on entendait derrière les murs les ombrageux débats, internes et avec Tokyo. Surprise : ils ont abouti vendredi, avec la signature de l’accord bilatéral, par les premiers ministres Keizo Obuchi et Zhu Rongji.

Concession à ses fortes résistances internes, la Chine a imposé deux préconditions :

[1] secret sur le contenu. Tokyo aurait « lâché du lest » sur le marché chinois des télécoms (laissant aux Etats-Unis et à l’ Union Européenne la charge de rattraper ce dossier), et Pékin concédé sur la grande distribution et les Joint ventures;

[2] « Pékin n’est pas prête à rouvrir le dialogue avec les Etats-Unis et l’Union Européenne ». Par contre, Pékin fait une concession essentielle : le jour venu, elle s’engage à ne pas revenir sur les offres faites à Washington en avril. Tout est dit!

L’accord a abouti, grâce à trois faits favorables.

1. Seul membre hors OTAN du groupe G7, Tokyo était le mieux placé pour conclure le premier, et aider Pékin à sortir d’un isolement qu’elle ne saurait briser seule;

2. Fidèle à une vieille stratégie, quand Pékin est en froid avec les Etats-Unis, elle cherche le réchauffement avec ses voisins;

3. Le temps était bon pour un tel new deal commercial avec Tokyo : en 1998, les échanges bilatéraux ont baissé de 4,8% (60MM USD); les Investissements Etrangers Directs (IED) nippons contractés, de 20,6%, les IED payés, de 20,9 %. Clairement, le capital nippon se désengageait, désenchanté, d’un pays jugé « trop longtemps, trop fermé ».

Indice de l’urgence (mutuellement ressentie) de ce « mariage d’affaires » : il s’est fait, quoique Tokyo n’ait rien cédé (il ne le pouvait pas) sur son traité de défense conjoint nippo-Etats-Unis, et que Pékin n’ait voulu agir sur la Corée du Nord, pour qu’elle renonce à un nouveau tir de missiles, hantise du Japon.

Enfin, cet accord est entièrement positif, consolidant Obuchi, après un an de pouvoir, face à son patronat, Zhu, face à ses adversaires (que d’aucuns disaient « pâle » il y a quelques jours), et surtout, le processus d’intégration de la Chine au cénacle commercial planétaire.


Petit Peuple : Maldonne chez le dentiste

• Un passionnant procès aurait pu se dérouler à Luyi (Henan). Le 25 juin, devant affronter la redoutable perspective d’un rendez-vous chez son dentiste, Zhang, pour s’encourager, avait vidé quelques coupes avec Li, son ami, qui l’avait ensuite accompagné. Dans la salle d’attente, Li, assommé d’alcool et de chaleur, s’était endormi tandis que Zhang allait calmer son angoisse aux toilettes. La suite était inévitable : l’arracheur de dents, chargeant Li sur ses épaules puis sur le siège, le débarrassa d’une poignée de ses joyaux de mastication. Malheureusement, la tradition chinoise de médiation en ce genre d’affaire, fut plus forte que la colère du dégrisé, et la chicanerie fut évitée, après défraiement forfaitaire de 200Y par le dentiste, plus la note d’hôpital de l’édenté.

• Tout, décidément, arrive dans les zoos de Chine. On avait déjà vu (cf VdlC n°14) ces pensionnaires convertis plus souvent qu’à leur tour en brochette ou en élixir médicinal. La semaine dernière, 6000 animaux du zoo de Shanghai devaient, pour se sauver, jouer à l’arche de Noé. Tandis qu’à Hefei (Anhui), les grands félins, faute d’exercice et suite à un régime trop carné, prenaient de la bedaine, chancelaient sous leur graisse, et finissaient même (tel ce léopard en 1993) par mourir d’obésité.

Tout cela a changé en novembre, d’un coup de fouet : la viande fut remplacée, à concurrence de 20%, par des boulettes de farine de maïs, de carottes et poireaux bouillis. Ceci afin de stimuler l’activité pancréatique des carnassiers. Pas à la fête, les riverains, de longues nuits, durent supporter feulements, rugissements et grondements furieux des félins hypoglycémiés. Ling Ling, lionne de 7 ans, engraissée au point de devenir inapte à la procréation, fit même pendant 3 jours la grève de la faim. Enfin, tout rentra dans l’ordre : les grands fauves asiatiques ont retrouvé en partie la ligne de leurs 2 ans (recul de 4 à 6%  de la surcharge pondérale). L’histoire ne précise pas s’ils sont heureux et ont beaucoup de petits félidés.