Le Vent de la Chine Numéro 22

du 6 au 12 juin 1999

Editorial : Dixième anniversaire de Tian An Men : un héritage non négligeable !

En dépit des apparences, l’héritage de TAM est riche et fécond. Tentons de dresser une esquisse de bilan, à l’aube du 3ème millénaire:

[1] Après juin 1989, affaibli, isolé, le pouvoir s’est vu contraint pour survivre, de pratiquer la course à la croissance. Entre 1989 et 1991 -fugace tentative de retour à l’économie planifiée– furent favorisés des avatars des fermes d’Etat, et découragées les entreprises rurales, fer de lance du leader réformateur déchu, Zhao Ziyang: elles sentaient le soufre et le secteur privé, en produisant poupées et T-shirts, plutôt que rails et camions!

[2] Au printemps 1992, Deng Xiaoping, prit le monde par surprise, en partant secrètement, contre l’avis du leadership,pour Canton d’où il appela à la relance de la liberté d’entreprise: l’économie fit un bond en avant (+10% du PNB/an), ramenant à la société bien-être et espoir.

[3] Emergèrent alors de nombreuses libertés: d’association (naissance de M de clubs en tous genres), des femmes (centaines de « téléphones rouges », de centres d’accueil), des villages (élections des maires).

[4] En 1995, arriva, suite à l’industrialisation sauvage, l’écologie: création de la Agence Nat’le pour l’Environnement (NEPA), 1ères manifestation «de quartier» contre les usines les plus sales, et brave intervention (= liberté!) de la presse.

[5] Le pouvoir atteignit en 1998 un paroxysme de tolérance: acceptant des critiques politiques directes (du jamais vu!), et allant presque laisser naître à travers le pays, une opposition légale. Tout bascula en automne, avec le crash des monnaies asiatiques, et le sursaut de peur gauchiste : les dissidents furent (lourdement) condamnés.

[6] En 1999, le raidissement se maintient, dû à une chaîne de RV difficiles (maintien de la crise, frappes sur le Kosovo, manifestations sectaires ou xénophobes, anniv. des 10 ans de  TAM, des 50 ans du régime)… Pour se détendre, le régime semble attendre la fin du parcours d’obstacles, et le retour de conjoncture, promis à l’Asie par le Secrétaire Général du FMI, Michel Camdessus. La seule réconciliation possible, pour l’heure, étant dans la croissance!


A la loupe : Tian an men, 10 ans après – deux portraits

Xiaolang Petit loup») et YehongFeuille rouge») ont en commun ceci : en mai 1989, ils étaient à Beida l’université de phare, d’où partit le Printemps de Pékin. Après coup, l’un et l’autre connurent des trajectoires différentes.

Ingénieur, Yehong est entrée au Ministère des Industries électroniques. Le salaire mince et la chambrette qu’on lui offrait comme logis, la dérangeaient moins que l’ambiance désabusée et l’absence d’intérêt les uns pour les autres. Elle a plusieurs fois refusé d’adhérer au Parti, s’isolant ainsi insensiblement, élément peu sûr. En même temps, elle voyait les jeunes cadres compétents «descendre à la mer», passer dans le privé. En 1998, elle a sauté le pas, entrant dans une multinationale, avec responsabilités, esprit d’équipe et voyages à l’étranger.

Petit Loup lui, avait été reçu, par «piston» à la mairie de Pékin. Il est bientôt entré au PCC, et de stages en promotion, a pris du

galon-bel appartement, congés gratuits, voiture de service…

Dix ans plus tard, avec sa calvitie naissante, il ne peut s’empêcher de se justifier du reproche implicite, d’être devenu, de critique du régime, privilégié du système: «nous étions jeunes… Nous avons sacrifié nos idées, non pas par peur, mais pour la stabilité »…  

Enfin, Xiaolang et Yehong partagent une absence d’illusion sur la nouvelle jeunesse: «j’ai appris hier à mon voisin étudiant, l’imminence de ‘l’anniversaire: il ignorait qu’un événement se fût produit en1989… Et quand je l’ai affranchi, il m’a répondu: ‘mais ça, c’est de la politique, faut pas en parler!


Joint-venture : Legend / Siemens, géant de l’ordinateur en Chine?

• Depuis le 1.juin, Air France porte ses vols directs Pékin – Paris de 5 à 6/semaine, sur les nouveaux Boeing 777.

 AF, qui revendique le 1er  rang pour les passagers chinois, offre au total 16 rotations/sem. (HK=7, Shanghai=3 et Pékin).

• Déjà allié à Microsoft, Intel, la académie des sciences (CAS), Toshiba (etc.), Legend (Pékin), n°1 national de l’ordinateur, s’associe à Siemens, pour lui produire ses PC à revendre en Chine et Asie.

Objectif pour Siemens : porter ses ventes de 20.000 en 1998 à 100.000 par mois.

Pour Legend : produire 3,5M de PC d’ici fin 2000, contre 1,5M cette année.

• L’Afrique du Sud rachète l’Australie! China ressource enterprise (Beverage) CREB (sud-africaine à 49%) reprend les 92,5% de parts de Foster’s dans la brasserie de Tianjin. Pour Foster’s, c’est la concentration sur Shanghai (abandon de Tianjin et Canton).

Pour CRE, maison mère de CREB, son empire passe à 5 brasseries, et près d’1Mt de bière/an.

• Deux ans après l’octroi d’une licence (la 1ère pour un groupe français), les assurances AXA ouvrent au 1er  juin à Shanghai leur Joint Venture (JV) avec Minmetals: assurance-vie, accident et médicale.

• La 1ère  plainte chinoise pour fait de dumping avait été déposée en juillet 1998: dans le secteur du papier journal, contre des imports de Corée, du Canada et des Etats-Unis aux prix 30% inférieurs. L’enquête conjointe MOFTEC (Min. du commerce extérieur et de la coopé) /SETC (State Economic and Trade Commission)  a établi que ces groupes vendaient jusqu’à 200USD/t moins cher en Chine qu’ailleurs. Verdict : droit anti-dumping variable de 78% (pour les USA) à 9% (pour un groupe coréen).

 


A la loupe : Stratégies pour une nuit anniversaire

Contrairement à 10 ans plus tôt, Pékin, le 4 juin 1999, se réveillait dans un calme impérial, le smog, les embouteillages et les klaxons entremêlés des cris des petits vendeurs de journaux. Signe de force et de confiance, la police était absente autour de la Place. Tian An Men, d’ailleurs (pas par hasard) en réfection, en attendant le 1er  octobre. Le petit peuple vaquait à ses affaires, donnant la mesure de son extraordinaire capacité de distanciation, entre les affaires publiques de la rue, et celles du foyer du souvenir.

Bien sûr, ce «calme» récompensait des mois de travail assidu de la police. En mai, selon HongKong, pas moins de 130 dissidents auraient été mis à l’ombre, d’autres persuadés au silence. Le paysage de l’Internet chinois et des diffusions de TV étrangères a été remanié (en baisse). Les étudiants consignés sur leurs campus, les portes de la ville soumises à des contrôles renforcés.

Pourtant, 70 dissidents se sont trouvés au Liaoning, pour demander à allumer des bougies, et 105 familles de victimes, pour tenter de porter plainte contre les responsables de l’époque: demandes rejetées sans appel, mais qui donnent du poids à la remarque de Bao Tong (ex-secret. particulier de Zhao Ziyang, emprisonné 7 ans après les faits): «la page ne pourra pas  être tournée, tant que le pouvoir ne se sera pas résolu à demander pardon»!

 


Argent : Guangdong Development Entreprise -le renflouage d’un vaisseau-amiral

• En dépit des aides de Canton (41 MUSD entre décembre et février), Guangdong Development Entretrise holdings (GDE), son bras d’investissement, est en crise (3,9MMUSD de passif). Le plan de restructuration offre l’entrée dans le groupe d’une Entreprise d’Etat saine, Dongshen Water (80% de l’eau de HK, actifs=1,8MMUSD), et l’échange de la dette contre des titres consolidés, à 7% sur 10 ans.

Peu enthousiastes, les 80 créanciers étrangers (qui perdront 40 à 60%) parlaient d’acculer GDE au dépôt de bilan … ils ont fini par se rallier (ils y auraient perdu plus encore, 74%)…

• Qui doit, à HongKong, supporter les risques du marché immobilier?

 La Cour vient de trancher: l’acheteur, plutôt que le promoteur. En mars 1997, City Big avait acheté un appart de 12,9 MHKD à Cheung Kong, un des poids lourds de la Région Administrative Spéciale (RAS) (groupe Li Kashing) et réglé 3,9M HKD. Avec le crash de l’automne, City Big ne peut régler le solde, Cheung Kong récupéra son bien, le revendit – au nouveau prix, déprimé: 7,4MHKD. Son action en justice visait la récupération «du solde» (5,6M HKD). Bon prince, le tribunal a défalqué les arrhes, et invité City Big à régler 2M…

En si bon chemin, Cheung Kong poursuit, en diffamation cette fois, un ex-édile qui avait osé tenter de défendre City Big dans les media.

• Après deux ans de sur-place, les bourses de Shenzhen et de Shanghai ont effectué en mai un petit galop, +30% et +44%, dans le secteur parts «B» (pour étranger). Euphorie due à une coupe de la taxe de transaction (de 0,4 à 0,3%), un feu vert (annoncé) pour l’entrée des Joint Venture (JV) sur ce marché, et surtout l’intention de groupes tel Shanghai Chlor-Al-kali, de racheter leurs propres titres: preuve par 9 qu’ils se valorisaient!

Les opérateurs étrangers n’ont pas été impressionnés: les firmes cotées au marché «B» restent peu trans-parentes, mieux vaut, pour qui veut acheter chinois s’en tenir aux parts «H» (red chips), valeurs chinoise sur la bourse de HongKong.

• Poussés par la nécessité, Beida se met au mot d’ordre: une université, deux systèmes.

 Sous tutelle du Bureau d’Etat à l’Education s’est ouvert sur son territoire Beijing United Université. (BUU), institut privé qui accueille ses étudiants à 8000 RMB/an (au lieu des 3000 réclamés par Beida).

Mais l’institut offre à ses potaches 2 atouts maîtres: pas de concours d’entrée (imposé partout ailleurs), et l’examen final donne droit au diplôme de Beida, ni plus ni moins! L’affaire est en or, pour les professeurs. (de Beida, qui suppléent ainsi, au noir, à leurs maigres émoluments), pour le «Président» de BUU (ex-vendeur de T-shirt sur le campus), et pour les 13 autres instituts du même type, récemment surgis à travers l’académie de Pékin!

 


Pol : Chine – USA, reprise prochaine

• «Drainer le marais» de la mafia, avant le retour de Macao (20 décembre) à la Chine: tel est le mandat de la police cantonaise, qu’elle exécute avec rigueur (et sans doute aussi, renforts extérieurs): durant trois jours, 250000 policiers ont passé huit villes au peigne fin, raflant 367 revolvers et la Banque Mondial (PM), des milliers de munitions, fermant 1777 salons de jeu ou de massage, et arrêtant 1859 mafiosi.

Durant ce temps à Macao, Wan Kuok Koi, alias «Dent cassée», voyait ses affaires s’arranger: en prison depuis 1998, ce parrain de K14, la plus célèbre triade du pays, souffrait l’interruption de son procès, faute de juge. Un mois plus tôt, un premier chef d’accusation avait tourné court, faute de témoins. Démissionnaire, le juge Alberto Mendes se dit offenser que Lisbonne lui ait collé 3procureurs supplémentaires. Dans ce grand micmac, aucune preuve de pressions (carotte, bâton, les deux?) de K14! Avec un peu de chance pour Dent cassée, l’affaire traînera jusqu’au retour à la mère patrie!

• Avec un budget en hausse de 14,7% en ’99, (739MMRMB), l’État doit renflouer ses caisses. Mais ses moyens sont limités (trop «taper» sur les EE, les achèverait, et sur les privés, tuerait le projet dans l’oeuf). D’où son objectif de recettes, 953MMRMB, soit +6,4%, et moins que les 7% attendus pour le Produit National Brut (PNB)! Pour ce faire, une campagne démarre, visant à persuader entreprises privées, publiques et étrangères à s’enregistrer chez le percepteur, sous le mot d’ordre: «bien payer ses impôts: peuple riche, État fort».

• Doutant de voir Pékin adhérer cette année à l’OMC, Bill Clinton a signé le renouvellement pour un an, de la clause de la nation la plus favorisée (Clause de la nation la plus favorisée «MFN»), code de tarifs douaniers allégés.

 Le Congrès a 90 jours pour opposer son veto – peu probable. Par ailleurs, la reprise des pourparlers «Chine – USA» d’entrée à l’OMC est proche, précédée de la présentation d’une explication de l’incident de Belgrade, par un émissaire spécial de la Maison Blanche. On peut supposer qu’une ronde intense et secrète de négociations est en cours, pour dégager l’indispensable accord sur la suite immédiate des opérations.

• Prospère et populiste, dès février, Lu Engang, du Shandong, donnait à l’Etat 1M USD pour construire un porte-avions et conseillait:

« faites comme moi!». Appel réitéré après le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade – signe de montée du nationalisme.


Temps fort : Exode rural – comment inverser la vague!

D’ordinaire, les migrants se voient priés de re-gagner leurs rurales pénates lors du chunjie (festival du printemps lunaire).

Cette année, 2 anniversaires critiques (v.ci-dessus) incitent Pékin à rechercher une solution à plus long terme.

Pékin compte 3M d’«âmes au noir» (1M de plus qu’en 1997). Le «vivier» global du flux migratoire a quelque chose d’apocalyptique: 110 M, et plus 13M par an. Y compris pour ces villes de la côte, qui craquent dans leurs coutures et sont en crise: il n’y a plus d’emplois, ni de fonds pour assumer les charges sociales. De plus, comme ailleurs, le migrant mal éduqué et intégré, cause 50% de la délinquance, et reste en marge: les 320000 gavroches migrants de Pékin, souvent non déclarés, ne vont pas à l’école!

Pékin prétend ramener ses migrants au chiffre de 1997. Elle a déjà fait aplanir, par les bulls dozers de la police, tous les villages ethniques régionaux (petit Liaoning, petit Xinjiang etc.), mettant à la rue, et au train 300.000 exogènes. Elle s’attaquera d’ici décembre  aux 400000 san wu («sans-les-trois», sans papiers, domicile fixe, ni job)…

Par compensation, 5 centres d’accueil sont en construction autour de Pékin, qui renonce aussi à la taxe de permis provisoire, jusqu’alors imposée aux migrants (manque à gagner: 27MY/an).

Au plan national, un réseau de monitoring des flux migratoires s’établit, avec 30 postes aux gares de départ, 40 dans les villes d’arrivée. L’Etat veut, d’ici 2000, reclasser de 30 M de migrants dans 50000 petites villes… Seules objections à ce schéma typique d’une ère de récession: les craintes de décourager les migrants diplômés (moitié moins exigeants, en salaires, que les locaux), et le manque à gagner des commerces, face aux 45,5MMY du pouvoir d’achat de ces pauvres dans les grandes villes.

Mais ces détails comptent peu par rapport à l’objectif: libérer des emplois, baisser les charges pour la ville, garantir la stabilité!

 


Petit Peuple : Un serment d’ados, triste et ferme

• 25M d’usagers de téléphone. GSM, qui deviendront 40 M en décembre 1999; qui risquent tous, après beaucoup trop d’heures l’oreille vissée au combiné, la «tofou-ïsation» du cerveau, sous l’effet du bombardement des micro-ondes, à travers les cartilages de l’oreille interne, dégriserait la matière du mésencéphale, causant maux de tête, perte de mémoire, amnésie ou tumeurs. A ce mal du siècle, Metrovantage (HK), croit avoir la solution: un haricot de 3 sur 4 cm, tendu d’un grillage secret, made in Japan bien sûr! En tout cas une niche (auriculaire) d’avenir, en dépit de son nom indigeste de «dengy (sic) mesh»!

• Depuis juillet 1998, Feng Wei, 15 ans, à Heng-yang (Hunan), avait disparu et ses parents, après avoir payé 10000RMB en vaine enquête, conjecturaient entre la fugue et l’enlèvement. Jusqu’au jour où ses copains parlèrent: il s’était noyé, lors d’une baignade, en tentant de sauver une amie.

Elle s’en était tirée!Tous avaient juré de se taire, et brûlé ses affaires. Interrogés sur la raison de leur incroyable silence, les jeunes évoquèrent la peur des critiques des profs, des parents (les leurs, ceux de Feng)-peur d’assumer la situation.

NB : l’Europe aussi, connaît les serments imbéciles d’ados. La différence, est que ceux-ci, dans leur lourd secret, ont tenu onze mois!


Rendez-vous : Pékin – salon de l’environnement / énergie

•8-12 juin Pékin : Salon des Technologies de l’Environnement / Energie (Pavillon France).

•8-10 Ningbo : Foire Commerciale Zhejiang.

•8-11 Canton : Salon Cuir et Chaussure.