Le Vent de la Chine Numéro 17

du 25 avril au 1 mai 1999

Editorial : Tendances d’un printemps humide

· BAD comme FMI s’accordent à voir la reprise à la porte : la croissance chinoise en 1999, serait de 6,6% d’après celle-ci, de 7% selon celui-là. Pékin annonce 55 MMY de plus pour les projets d’infrastructure (poursuite du programme New Deal) et Kelon (n°1 national du réfrigérateur, Shenzhen) vient de trouver à emprunter 0,8MMY – signe que le crédit relève le rideau. Toujours au chapitre tendances présentes, un regard instructif peut être jeté sur les résultats de compagnies :

[1] Beijing Enterprises (mairie de Pékin) a vu l’an dernier ses profits chuter de 41,5%. Sa brasserie Yanjing a pourtant augmenté ses profits (+ 67% de profits, à 246MUSD), mais ses profits ont chuté dans le tourisme (– 18MUSD) et surtout, son magasin dans la rue  (Wang Fu Jing) a lancé un an trop tard ses travaux de rénovations, alors que celle-ci, en perce, devenait impraticable : 63MUSD de perte.

· Shandong Xinhua (médicaments), voit en 1998 ses profits chuter de 32,5MY : perte due à l’érosion des exports, aux coûts du marketing, et à un effort de R&D (+ 58%, à 39,4MY) : investissement sur l’avenir !

Enfin, cette semaine, trois accidents évitables mettent au point notre jumelle sur le coût non-monétaire de la croissance et de la crise :

[1] près de Pékin, le complexe bouddhiste de  Jietaisi, protégé par tous les empereurs depuis sa fondation en 916, risque de s’effondrer, fissuré de partout, sous la dynamite de Shougang (aciéries de la capitale), qui extrait autour du site la pierre à chaux nécessaire à sa production. Pékin recherche l’aide de l’étranger, pour sauver son héritage.

[2] à Jiujiang, site des crues de l’été 1998, un pont ferroviaire sur le Yangtzé risque de chuter, suite au dragage de 1000 m3 par la ville d’à côté, qui avait besoin de remblai pour ses digues (aux risques du voisin).

[3] enfin, à Chengdu, un pont de 40 m, construit en 1996 et effondré en juillet 1998, en cours de réfection, a rechuté : 9 morts et 10 blessés. Le Secrétaire du Parti a été « suspendu ».


A la loupe : Yougoslavie : rupture d’unisson

Depuis le début du conflit armé entre OTAN et Yougoslavie, la Chine s’est clairement rangée du côté de cette dernière. Pas un jour, pour la presse, sans articles au ton vif, dénonçant le Pacte Atlantique et son inspirateur, B. Clinton, tout en campant S. Milocevic, en héros anti-impérialiste, défenseur de son petit pays martyr et agressé.

Toutefois l’unité officielle se fendille. En termes frileux, China Daily ose contester le principe de l’épuration ethnique, et China Eco. Time révéler que des serbes violent, pillent et tuent sans contrôle. Autre son discordant, celui de ces pôles de recherches diplomatiques et politiques qui multiplient les signaux d’alarme pour infléchir cet engagement.

Tel l’Institut des Etudes Internationales (Ministre des Affaires Étrangères) ou celui des Etudes Internationales Contemporaines (Ministre de la Sécurité d’Etat), qui déplorent la violation d’un principe de Deng Xiaoping, de non intervention du pays dans les affaires du monde, sauf en cas d’atteinte frontale à un intérêt national ou à la sécurité nationale.

Cette vague de pétitions veut prévenir une exploitation de la situation par l’aile gauche, pour isoler la Chine des Etats-Unis et de l’Europe, dont dépend partiellement la prospérité future de la Chine. Sur le fond, l’aile réformatrice rejoint la ligne officielle contre l’intervention armée au Kosovo, mais elle suggère de faire montre de plus de neutralité, notamment de sympathie aux Kosovars. Ceci, dans le sens des intérêts matériels bien compris du pays.


Joint-venture : Pékin rend à Viagra son marché chinois

• Proche de son dénouement, la faillite de la GITIC (Guangdong International Trust and Investment Corporation) sera plus lourde que prévue : 5,7MM USD au lieu de 4,4M, 175 créanciers étrangers (banques) au lieu de 150. Pour les étrangers, aucune surprise, sauf les mauvaises.

Il savaient qu’ils passeraient après les ayant-droits locaux (quoique leur avoir constitue 2/3 du litige); mais il apparaît que pour la plupart des projets, la solution retenue sera la liquidation, à une fraction de la valeur réelle. Chez GITIC-Shenzhen (« trou » = 550MUSD),  le taux du remboursement atteindrait 12,5%. Du coup, les investisseurs font des provisions – diminuant d’autant leur capacité de prêt en Chine (si tant est qu’ils en soient encore demandeurs).

• Au début de l’année, Feilong (« Dragon Volant »), de Shenyang (Liaoning) caracolait dans son secteur de la pharmacie : son stimulant sexuel herbal  Weige (« grand frère ») se vendait comme des « baguettes », avec 60 MY de chiffre, à 10Y la pilule. Aujourd’hui, Feilong déchante, obligé de retirer Weige de la vente – terrible perte de face, dont on ne se remet pas à tout coup.

L’autorité de tutelle a tranché, car Feilong usurpait en Chine le nom  et le concept de Viagra, le traitement anti-impuissance du groupe Pfizer. « D’autant plus grave », commente l’autorité, « que Feilong affirmait l’efficacité de son propre produit, sans la moindre preuve, tandis que Viagra était paralysé par sa procédure de certification ». Feilong, en attendant des jours meilleurs, courbe l’échine.

• Un vent nouveau souffle-t-il sur Pékin, depuis l’apparition du nouveau maire, Liu Qi ? En tout cas, la ville semble prendre conscience de l’impératif de vendre son image aux grands noms de l’économie mondiale : « copiant » sur ses voisins Shanghai et Hong Kong, elle crée un « comité consultatif des multinationales », composé de 17 tenors industriels, pour s’en faire conseiller dans ses choix de développement futur. Parmi ceux-ci : les Présidents de Bouygues, Ford, Microsoft, Ericsson, Banque Tokyo-Mitsubishi.

 


A la loupe : Le Rouget de Lisle chinois est mort!

 Mei you gongchandang…(« sans Parti Communiste, pas de Chine nouvelle ») : Cao Huoxing, l’auteur de cet hymne révolutionnaire vient de s’éteindre à Tianjin à l’âge de 75 ans. A son actif, plus de 1500 titres du même cru patriotique et socialiste. « Mei you…» avait été composé en clandestinité en automne 1943. Depuis lors, il a été chanté « des millions de fois » (calcule Xinhua), par 1,2MM de chinois, cri de ralliement et repère, au même titre que le portrait géant de Mao place Tian An Men, ou les vieillards à brassards rouges des carrefours.

Moins spontanément identifiables, d’autres maillons de cette culture de l’homo sinensis moderne, se cachent dans certaines manières d’être, témoins d’époques de vaches maigres (d’où cette attitude, parfois, de manger en cachant son visage), ou d’exutoire à la promiscuité (d’où cette conduite cycliste, parfois, ne tenant aucun compte du reste du trafic).

Prix du progrès, en 1999, des briquets Mao vous jouent cette même rengaine, tout en allumant votre Marlboro. Et si l’on va voir des posters de la Révolution Culturelle, c’est au restaurant Mao, tout en avalant un jambonneau à la badiane, arrosé de bière australienne. Tandis que dans les maternelles, les bambins en culottes fendues continuent à apprendre l’hymne-phare imperturbablement, comme depuis 50 ans.

C’est ainsi que par une alchimie dont eux seuls ont le secret, les chinois ont su garder leur matériau idéologique, verni à la nostalgie du passé, tout en le transformant en terreau nouveau, dont jaillit une culture consumériste: contradiction naturellement assumée, qui leur permet de continuer à vivre!

 


Argent : La pêche maritime prend des risques

• Premier producteur mondial d’acier (107Mt), la Chine a conçu jusqu’à hier sa sidérurgie dans une optique de quantité plus que de rentabilité. A l’heure de la récession asiatique, cela se paie, dit Guo Daiyi, PDG de Chongqing Iron&Steel. Après une année 1998 difficile, où les prix du marché intérieur ont baissé de près de 8%, 1999 continuera à voir une vive concurrence étrangère : en moyenne, l’acier chinois coûte 2 à 300Y/t de plus que le marché international.

À Chongqing comme à Shanghai et ailleurs, les investissements pour corriger cette faiblesse (et améliorer la qualité) sont en cours, mais ne porteront pas leurs fruits avant quelques années, prédit M. Guo.

• 79 chalutiers naufragés, 32 marins perdus corps et âmes : résultat des tempêtes de mars en Mer Jaune. Ce lourd bilan, sans en avoir l’air, a des causes économiques plus que naturelles : l’effort démesuré de captures des 10 dernières années forcent les 90000 célestes « rafiots » à se risquer en haute mer, pour laquelle ils ne sont pas conçus (moteurs de 40 à 120Cv!); le ban imposé 1er  juin les force à partir plus tôt dans l’année, pour pouvoir « boucler leur saison ». Ajoutez, ce printemps, quelques gros « grains » : les conditions sont réunies pour une catastrophe !

 


Pol : La marine définit son avenir

•A Pékin, la dernière ronde de négociation Etats-Unis – Chine sur l’entrée à l’OMC n’a pas abouti. Ce lundi débutent (pour 15 jours) les entretiens avec l’Union Européenne. A Genève, la Chine a aisément défait la tentative yankee pour la faire critiquer sur ses Droits de l’Homme : c’était prévu (résultat : 22 voix pour Pékin, 17 pour Washington, 14 abstentions).

• Pour son 50e  Anniversaire, par le porte-voix de son Commodore le contre-Amiral Shi Yunsheng, la marine annonce sa liste d’emplettes pour les années à venir : armements nouveaux, navires, sous-marins, avions (mais pas de porte avions), missiles guidés, torpilles, artillerie et électronique embarqué» – tout ce qu’il faut pour « soutenir et gagner une guerre navale régionale dans des conditions high tech ».

Les experts de l’ouest font remarquer l’importante différence de choix stratégique, entre les armes : alors que les forces aériennes investissent dans la défense et l’attaque, la navale conçoit son avenir à proximité de ses côtes.

• Fraîchement élu gouverneur de Tokyo, Shintaro Isihara, politicien révisionniste, ne rate pas une occasion de pourfendre ses deux bêtes noires, les Etats-Unis, et la Chine. A celle-ci, il dénonce son « arrogance », et d’avoir « occupé » le Tibet, tout en soutenant, contre l’histoire, que le massacre de Nankin (300000 morts en 1937) n’a pas eu lieu.

Shintaro Isihara veut même inviter (insulte suprême, pour Pékin) Lee Teng Hui, Président de Taiwan dans sa ville… Pékin n’a pas tardé à lui répondre, par un conseil de « s’occuper de ses affaires ». Le gouvernement japonais, lui, prend ses distances de l’encombrant personnage.

• Les temps sont loin où Zhang Yimou, le réalisateur-vedette, sortait clandestinement ses films de Chine pour les faire acclamer à Cannes, et se voyait interdire de diffusion (en 1995 pour «Vivre »). Zhang vient de retirer de Cannes son dernier né, « Que pas un ne manque ! », avec tous les éclats d’une vertueuse colère : l’Ouest ayant trop tendance à diaboliser la Chine, et à faire de Zhang un dissident, ce pour quoi ce dernier a passé l’âge…Dont acte.

NB : « Que pas un ne manque » débutait, semaine passée sur les écrans pékinois, avec toutes les louanges de la critique officielle. Zhang, las de la gloire « intellectuelle » de l’Ouest, recherche désormais le seul marché qui compte – le public chinois.


Temps fort : CINDA, où comment ‘avaler’ les dettes bancaires, sans les éponger

Annoncée depuis janvier (cf VdlC n°2), la « structure de défaisance » des dettes de la China Construction Bank (CCB) voit enfin le jour. Le trimestre de retard, étant dû à l’opposition du ministre des finances. De quoi s’agit-il ?

Au capital (100% public) de 10MMY, et grâce à un emprunt public, Cinda Asset Management va devoir racheter pour 200 MMY de dettes « douteuses » de la China Construction Bank (17% des actifs de cette Entreprise d’Etat). Sous contrôle d’un bureau (Banque Populaire de Chine, China Securities Regulatory Commission, CCB…), elle vendra ou recouvrera ces dettes, par exemple en liquidant des actifs de ses créanciers. Cinda est, par ailleurs, aussi curateur de faillites, spécialiste de restructurations financières, consultant juridique et financier, acheteur de participations, auditeur

Métiers lucratifs, dont une partie hors taxes (c’est sur ce point que portait l’objection du Ministre des Finances), permettant aux porteurs de titres Cinda d’espérer voir le groupe remonter la perte (inévitable) dans l’épuration des mauvaises dettes.

Cette expérience neuve en Chine, est inspirée de celles des fonds de pensions américains (Resolution Trust Corporation) et en France, du Crédit Lyonnais.

La CCB a été choisie comme bénéficiaire, car elle l’avait proposé la première (les trois autres banques d’Etat, Banque de Chine, Banque de l’Agriculture et Banque de Communication, sont demandeuses). Presque entièrement aux mains des Quatre Soeurs, la finance chinoise est percluse de mauvaises dettes à concurrence de 10% (selon l’Etat), voire 25% (selon l’étranger).


Petit Peuple : La fin douteuse du percepteur

• Cela prêterait à sourire, si les conséquences n’étaient dramatiques : à travers l’Ouest de la Mongolie Intérieure, 3000 petits enfants par an partagent le sort d’Obélix, et tombent dans le  guo, marmite évasée dont le feu chauffe en même temps le  kang (lit de brique). Le résultat désastreux n’empêchant pas les parents d’insister pour conserver le « design » de leur architecture traditionnelle (la fameuse « yourte » en bois et feutre) : question de  fengshui (littéralement « vent et eau », d’où chance astrale), bien plus importante que la santé du rejeton…

• En quête d’un rendez-vous avec un spécialiste à l’hôpital Xiehe (Pékin), M. Zou découvrit – à ses dépens – un de ces nouveaux petits métiers dont le VdlC tente de suivre l’inépuisable liste. Il faut savoir que pour le commun des Pékins, seuls les dix premiers patients sont acceptés. Dans la file dès minuit, Zou s’était endormi derrière six pers. A l’aube, elles étaient 30 : le guichet attribuant les rendez-vous, ne put que lui confirmer sa guigne.

Zou trouva dans la rage la ressource pour mener l’enquête : les gens devant lui étaient des coupe-file mercenaires, gardant la place pour 5 à 6 malades chacun, à 50Y par tête(jusqu’au guichet), voire 100 (en leur prenant leur ticket). Philosophe, Zou se le tint pour dit – et paya à son tour !

• La triste fin de Wang Yinglin, contrôleur au Bureau des taxes de Daye (Hubei), figure dans nos colonnes, en raison de son aspect incongru : tout y est faux, illégal – cherchez l’erreur !

[1] Wang mourut dans un hôtel,

[2] où, depuis 316 jours, il était séquestré, interrogé,

[3] par la Commission de vérification de la Discipline du Chef-Lieu.

[4] Après sa mort, la Commission le fit incinérer.

[5] Puis, entendant les plaintes de son épouse, lui offrit 44000Y, plus un job.

Réponses :

1. la cause du décès est restée secrète;

2. il aurait dû être en prison;

3. incompétente pour toute affaire « civile », hors du Parti;

4 .sans permis de la famille;

5. pour qu’elle se taise;

6. en filigrane, l’accusation de Wang contre son patron, d’avoir empoché 8MY.

7. Et la « contre-délation » du chef : Wang aurait lui même reçu  3MY…

Conclusion : rien n’est simple!

 

 


Rendez-vous : Kunming, capitale mondiale des fleurs

• 1er mai – 31 octobre, Kunming (Yunnan) : Exposition Internationale d’Horticulture

• 25 – 28 avril, Shaoxing (Zhejiang) : foire textile

• 28 – 30 avril, Chongqing : Foire commerciale

• 28 avril – 3 mai, Pékin : Salon de l’habitation