Le Vent de la Chine Numéro 15

du 11 au 17 avril 1999

Editorial : La fébrile diplomatie chinoise du printemps

Toute à la tâche de capitaliser sur sa bonne image pour gagner en poids dans le monde, le pouvoir chinois déploie ce printemps une énergie diplomatique fébrile, et se distribue les missions dans le monde, par ordre d’importance des pays visités, et de rang du visiteur dans la nomenclature :

1. Jiang Zemin, le Président, avait ouvert le bal le 20 mars, en allant en Italie, Suisse, Autriche. L’Europe étant celle qui, après les Etats-Unis, déterminera l’entrée de la Chine à l’OMC.

2. Zhu Rongji, Premier Ministre, suivait mardi 6 avril, par sa visite aux Etats-Unis et au Canada.

Selon une rumeur venue de Hong Kong, une réunion d’urgence du Politbureau, la veille du départ, aurait eu pour objet un report de la visite après l’issue des frappes aériennes de l’OTAN sur Belgrade : le feu vert aurait été « arraché » par des conseillers politiques au sommet, évoquant les risques d’escalade et de guerre froide (un « faux-bond » de Zhu, en cette  tunian, « année du Lapin », aurait laissé en Amérique le terrain libre aux forces antichinoises).

Leçon de cet avatar : le choix d’amitié avec l’Amérique n’est pas inconditionnel (pas plus que celui d’entrée à l’OMC), et sur la question de l’ouverture à l’Ouest, l’appareil n’est pas monolithique.

3. Li Peng, Président de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), effectue un périple à travers Moyen-Orient et Asie via Athènes, Ankara, Damas, Islamabad, Dacca et Bangkok. Au même moment, Hosni Mubarak d’Egypte, l’Emir du Qatar, Enrique Cervantes Aguirre, ministre mexicain de la défense, se trouvent à Pékin, hôtes de Jiang, alors que

4. Le Vice-Président Hu Jintao reçoit son homologue du Yemen, la princesse de Thaïlande, et Natwar Singh, Président du Parti du Congrès (Inde), manière de faire savoir à tous ces pays qu’en dépit des grandes manoeuvres et crises à travers le monde, la Chine ne les oublie pas !


A la loupe : Le new deal, puis la relance ?

Depuis 1998, la Chine maintient sa croissance par le biais de financements d’infrastructures : les données les plus récentes, donnent à penser que la Chine aborde en ce moment même, un nouveau tournant, en stratégie économique.

[1] l’endettement public s’alourdit. Il n’est – encore- que de 10% du PNB (pourcentage modeste), mais le pouvoir central ne contrôle que 12% de ce PNB, et l’an dernier, 60% de son budget (548,3MMY) provenait de l’emprunt, dont 71% allait au service de la dette : l’Etat aurait du mal à s’endetter davantage, et ne s’engage plus, pour l’heure, qu’à émettre pour 25MMY de bons du Trésor (pour les projets d’équipement), soit 25% de l’effort de l’an passé.

[2] mais cette politique semble avoir atteint son but, la relance : la croissance du PNB, au premier trimestre a été de 8,3% – et 13,6% pour les firmes étrangères. La demande est vive (par exemple + 110% pour les ventes d’ordinateurs). Les banques recherchent, pour prêter, des projets rémunérateurs. De nouvelles baisses de taux d’intérêt sont à l’étude… Le danger n°1, selon la Banque Populaire de Chine, étant la déflation, avec un indice des prix, en baisse constante depuis 18 mois.

En somme : une phase « keynésienne » touche à sa fin. Ce qui, au passage, lui permettra de relancer ses grandes réformes structurelles (administrations, logement, Entreprise d’Etat, voire, sans le dire, du Parti). Le climat est soudainement assez bon pour que des voix chinoises ET étrangères se prennent à espérer d’ici décembre, un dépassement des 7% de hausse de PNB, objectif officiel !


Joint-venture : China Telecom, divisée en quatre

• Le point focal à l’ouverture des télécommunications chinoises, est China Telecom, le fier dinosaure qui conserve 95% du marché et 68MMUSD de capital (face aux 16M du lilliputien Unicom, son virtuel concurrent). OMC oblige, Pékin formalise la restructuration de China Telecom (CT) en 4 divisions, (téléphone  fixe, GSM, bipeur et communication par satellite). Les règlements d’application apparaîtront en juin. Ce démantèlement ouvre la voie à la concurrence : outre Unicom (qui travaillera avec la filière Code Division Multiple Access (CDMA), Ericsson et les groupes américains), elle comportera aussi le Cable TV Network sur les réseaux des 800 distributeurs par câble du pays.

Ce groupe encore à créer, sera parrainé par les Ministères de la Télévision et des Chemins de fer, la CAS (Académie Chinoise des Sciences) et la mairie de Shanghai, plus les dizaines d’étrangers comme Smartone (Hong Kong) dont British Telecom  vient de racheter 20%) qui pourront investir entre 30 et 50% du capital des compagnies de télécom chinoises.

• Coup d’accélérateur pour Suez/Lyonnaise des Eaux, avec deux nouvelles Joint venture pour ses 7ème et 8ème  usines de traitement des eaux à Wanzhou et Changtu (Liaoning) : investissement de 35M USD, pour un chiffre d’affaires estimé à 400MUSD (il était jusqu’alors de 80M). Dégremont, sa filiale, assurera la construction. Entrée en fonction : 2001.

• General Motors vient de recevoir sa licence, pour gérer le premier centre de distribution « étranger » de pièces détachées en Chine. Installé sur la zone franche de Waigaoqiao (Shanghai), pour 3,3MUSD, il permettra la livraison de 15000 différentes lignes de produits, sous 48 h, dans (presque) n’importe quel point du pays.

 


A la loupe : Zhu Rongji à Washington : pas (encore) d’OMC !

Il suffisait, le 8 avril, d’entendre les cris jubilatoires des lobbies américains, pour deviner l’ampleur des concessions faites par Zhu Rongji, afin d’arracher à Washington le ticket d’entrée chinois à l’OMC. Les deux parties en conviennent : 90% des problèmes sont réglés, et le non succès est venu du veto de B. Clinton qui, tout en défendant bec et ongles le rapport avec la Chine contre les isolationnistes républicains, veut lui faire payer place entière son entrée au Club.

Clinton exigeait un quota d’export textile chinois, encore 5 ans après la date limite pour les autres pays membres. D’autres différends subsistant en matière d’implantations bancaire, boursière et touristique. A présent les milieux industriels s’inquiètent de voir transformer l’essai d’ici fin 1999 – les experts en doutent, et Pékin, dépitée, peut reprendre ses offres ! Voici, sous réserve, une esquisse du préaccord (concessions valables 5 ans après entrée OMC) :

1. automobile : suppression des quotas en 5 ans, sur pièces et voitures, et les tarifs baisseront de 80% à 25% (voitures) et 10% (pièces).

2. industries : coupe des tarifs moyens, à 9,5 voire 7,1% (= conditions d’accès américaines pour l’Australie)

3. aviation : une compagnie américaine supplémentaire autorisée (en + des 3 actuelles, United, NW, Fedex), doublement en 3 ans des vols (54 par semaine), voire des destinations.

4. haute technologie : suppression de tout tarif, et du  principe « échange technologie contre contrat »

5. Agriculture : fin de toutes barrières non tarifaires, et tarifs moyens baissés de 40% à 14,5 %, pour le boeuf, porc, agrumes, huile/soja, blé, maïs, riz, orge, coton…

En viande porcine, les nouveaux tarifs, de 12% à 20%; ouvrent un marché en hausse de 6-7% par an : hausse égale à l’export américain de porc à travers le monde, de 530000t en 1998.

6. assurances : ouverture complète des assurances « vie » et des fonds de pension d’ici 2005.

Banques : pour celles agréées, liberté géographique d’installation, et de pratiquer toutes opérations, en toutes monnaies, pour tous publics.

7. audio-visuel : propriété 100% de cinémas après 3 ans, importation de 40 films étrangers/an.

8. tourisme : compagnies étrangères /100% après3 ans.

9. bois/papier : tarifs ramenés à 5 / 7%.

10. chimie : droits d’import baissés à 5,5/6,5%.

11. propriété intellectuelle : Pékin va imposer dans ses administrations, l’usage de logiciels légaux;

 

 


Argent : Yantai ouvre ses marchés publics

• Le grand chambardement de tout ordinateur, attendu le 1er  janvier 2000 (résultant d’une faute originelle dans la définition des système d’exploitation),  frappera aussi la Bourse chinoise. Les conséquences seront ici plus graves qu’ailleurs, car des « hackers » pourraient alors réaliser des fortunes instantanées, en s’appropriant l’info boursière secrète.

Depuis février, la CSRC impose à toutes les sociétés de courtage un parcours du combattant de tests et d’inspections, pour vérifier qu’elles seront prêtes à temps. Ce qui semble ne pas être le cas : selon un sondage téléphonique, seules 15% des firmes et organes concernés ont résolu le problème.

• Sur la liste « 1999 » du Ministre des Industries de l’Information (MII) des cent premiers groupes électroniques chinois, Legend, (Pékin),fabricant d’ordinateurs (2MMUSD de chiffre en1998) vient de détrôner le sichuanais Changhong, producteur de télévision, (n°1 de 1996 à 1998). Changhong a causé sa propre disgrâce, en essayant de tuer la concurrence par un dumping systématique, puis en trustant le marché d’une pièce essentielle, le tube cathodique:il a ainsi forcé son adversaire Kon ka (Shenzhen), 4ème  sur la liste, à investir lourdement dans la recherche, et à occuper le créneau du téléviseur haute définition, à écran plat, qu’il vend 7 000Y, là où Changhong, à 3000Y pour un écran de même taille, reste bredouille. Konka fait regrimper cette semaine la bourse de Shenzhen, et attend l’OMC !

• L’adjudication systématique des marchés publics, en Chine, n’est pas attendue avant 2003. Mais des expériences ont lieu, ça et là. La mairie de Yantai (Shandong), laboratoire traditionnel pour ce genre de test, a pu acquérir 180 PC à partir de 40 cotations. Les édiles sont restés impressionnés du résultat : 81000USD économisés, à qualité égale. La différence étant le prix des intermédiaires – et du bakchich.

 

 


Pol : Campagne anti-corruption, plein gaz

• La campagne anti-corruption s’amplifie dans les media, accusant les coupables de « sucer le sang et la sueur du contribuable ». Derniers épinglés : les offices de l’eau du Yangtsé et du Hubei, qui ont ensemble, en 2 ans, siphonné 1MUSD alloué pour renforcer les digues, plus 4,8MUSD d’autres sources. Des « roitelets » du Hebei et du Shanxi, qui auraient dû bâtir deux autoroutes, ont détourné 24MUSD. Le total de ces fraudes frise le MMUSD, utilisé dans des projets immobiliers : maisons pour leur personnel, centres de « formation », hôtels de luxe avec salles de bal, de banquet, d’aérobic, piscine sur sources chaudes…

Accessoirement ouvert aux personnes extérieures au service. Par ailleurs, est annoncée l’arrestation de Jin Deqin, ex-vice Président de la CITIC (China International Trust and Investment Corporation) emprisonné depuis près d’un an. Accusé d’avoir détourné « des dizaines de millions de Yuans, crime abominable et noir complot », ce membre du Parti depuis 60 ans a tout perdu – jusqu’à sa carte d’affilié.

• Wang Jianlin, de Chongqing, a osé s’adresser aux autorités pour leur demander de soutenir l’action de l’OTAN en Yougoslavie. Il est très rare que la dissidence s’exprime sur des thèmes de politique extérieure, et sur ce dossier, l’immense majorité de l’opinion partage l’opinion officielle (contre l’OTAN).Signe apparent, donc, d’une émancipation relative de la dissidence… On ignore la suite donnée à cette lettre ouverte.

• En 20 ans, 300 000 étudiants sont partis à l’étranger, (163 000 aux Etats-Unis), dont les deux tiers ne sont jamais revenus. Durant les années 1990, le nombre de doctorats techniques obtenus par des chinois aux Etats-Unis, a dépassé celui des docteurs « made in China » : tel est l’inquiétant bilan des universités du Céleste Empire, constatant que dès 1997, 80% de leurs docteurs enseignants avaient plus de 60 ans.

Parmi les tentatives pour redresser la barre, 26 universités jésuites américaines s’apprêtent à ouvrir en mai, avec l’Université de Pékin, le Beijing International MBA Program, qui offrira le seul programme doctoral d’administration commerciale en Chine, correspondant au Masters américain. La religion n’étant, c’est convenu, pas au programme.


Temps fort : Le charbon dans le pot au noir

Le charbon chinois, industrie vétuste, ne parvient pas à suivre son marché. La moitié des 25800 fermetures de petites mines prévues pour 1999, a pourtant déjà été réalisée, mais cela n’empêche pas la production (en concurrence aveugle) de s’emballer : 148,4Mt en janvier-février (+ 32%), suivie par la courbe des impayés : 4,64MMUSD (+ 9,7%).

Le State Coal Industry Bureau, autorité de tutelle, craint pour son objectif d’auto limitation à 1,1MMt pour 1999.

Les mines croient toujours à un marché illimité (90% du marché intérieur, plus les exports). Mais à présent les villes exigent des charbons moins nocifs, à bas taux de soufre et de cendre, lavés voire cokéfiés, transformés en gaz ou en électricité. Datong, hier fournisseur N°1 de Pékin, y a perdu son marché, au profit notamment du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) du Shaanxi. Afin d’inciter les provinces à moderniser le secteur, Pékin leur a rendu en 1998 les grandes mines. Voici trois tendances actuelles – probables voies d’avenir :

1. Shenhua (Shaanxi/Mongolie Intérieure), huitième gisement mondial (réserves prouvées : 223 MMt), pense extraire, d’ici 5ans, 60Mt par an de houille de qualité supérieure. 30MUSD ont déjà été investis dans la ligne ferroviaire (1027km) jusqu’au port de Huanghua (Hebei). Suivra, in situ, une centrale thermique.

2. Depuis 1998, ne restent plus que 7 exportateurs autorisés vers l’Inde, premier marché extérieur. Ils viennent de conclure une entente de non concurrence. Minmetals inaugure le système, en participant seul à un appel d’offres indien pour 200 000 t de coke.

3. Les énergies nouvelles arrivent. Un plan de 25MUSD de 5 ans, est financé à 60% par l’étranger (United Nations Development Program, Australie, Pays-Bas), 40% par Pékin, de projets pilotes en milieu rural, d’énergies éolienne, solaire et par biogaz. L’idée étant d’attirer les investissements vers ces énergies propres – mort de la houille, retour de l’air pur, dans un siècle – peut-être !


Petit Peuple : Une naissance explosive

Signe des temps : les trois « petits peuples » de la semaine, ont trait à la justice – la société prend conscience de ses droits, et goût à les défendre !

• En décembre 1998, Zang Jing faisait dans la vie une entrée « planante » à Yantai, projetée à 6 m du ventre maternel par le camion qui fauchait ses parents, les tuant sur le coup. Ébahis, les chalands découvraient la gamine indemne, et les grands-parents portaient plainte. Les juges les convainquirent de renoncer à toute compensation au titre du préjudice émotionnel, et obtinrent du chauffard (en prison pour 3 ans, loin de tout volant) un accommodement : Zang Jing, aujourd’hui beau poupon de 8 kg, poursuit son existence avec un capital de 167515Y (plus ou moins le prix d’une voiture neuve), pour subvenir à ses besoins jusqu’à l’âge de 16 ans.

• Bon père, Yao Baohua avait emmené son fils à l’hôpital n°2 de Tongling (Anhui), pour lui administrer le vaccin antipolyo. Mais quelques mois plus tard, l’enfant avait contracté la maladie. Quoique peu documenté, le fléau des faux médicaments est bien connu en Chine. En août 1998, les douanes françaises, à Roissy, saisissaient un lot de faux antibiotiques chinois, à destination de l’Afrique. Pour son fils, Yao réclame 200 000Y en justice.

 


Rendez-vous : Pékin, Salon de l’agro-alimentaire

• 15 – 16 avril, Pékin : Colloque annuel du Comité France – Chine

• 15 avril, Pékin : 10e  anniversaire du décès de Hu Yaobang, début du « Printemps de Pékin »

• 20 – 23 avril, Pékin : Foire des matériaux de construction

• 22 – 25 avril, Shanghai : Foire de la bicyclette

• 20 – 23 avril, Pékin : Foire de l’équipement automobile

•20 – 23 avril, Pékin (rappel) : Salon de l’agro-alimentaire