Le Vent de la Chine Numéro 13

du 28 mars au 3 avril 1999

Editorial : OMC, cela chauffe !

On reparlera les semaines à venir de l’OMC : les négociations, sans doute au finish, ont repris entre la Chine, et l‘Union Européenne et les Etats-Unis, dernières haies au retour chinois au Club des nations marchandes. Tout en maintenant sa prétention de principe, d’accéder sous le statut de Pays en voie de développement, Pékin lâche des concessions, peut-être suffisantes !

On se souvient que depuis 18 mois, la Chine restait « calée » sur des offres, quant aux services, très en dessous des attentes de l’OMC, qui réclamait pour ses assurances, télécoms et banques le droit d’installation (à capital majoritaire ou à 100%). A présent, la Chine offrirait l’accès à 35% pour les télécoms, à 40% pour les banques, et à 50% pour les assurances, ce d’ici à 2005. D’ici là, disparaîtraient aussi toute limitation géographique d’implantation pour les banques, et (en trois phases), les restrictions au marché du RMB.

Outre-Pacifique, ces offres ont été jugées assez sérieuses pour que la négociatrice Ch. Barshefsky se déplace une ultime fois à Pékin, pour finaliser un accord bilatéral, à signer par le Premier Ministre Zhu Rongji (l’artisan chinois de ces concessions), le 8 avril à Washington.

De son côté, W. Daley, Secrétaire d’Etat au Commerce, passe cette semaine à Pékin, Shanghai et Canton, dans la perspective d’un somptueux cadeau chinois aux télécoms américains : le feu vert à la technologie CDMA (Code Division Multiple Access) qui briserait enfin le monopole (GSM)de China Telecom. Pour le service, ce réseau reviendrait à China Unicom (le rival encore dans les langes), et pour les fournitures, à Motorola, Lucent Tech. et Qualcomm (dont le suédois Ericsson, rien n’arrive par hasard, prend au même moment le contrôle partiel).

Le marché pourrait atteindre, d’ici 2004, 30% du total, et 16MMUSD. Un contrat d’une telle magnificence aurait pour intérêt de faire avorter l’actuelle campagne antichinoise aux Etats-Unis, voire de permettre à Zhu de limiter ses concessions de dernière minute à l’OMC. Un dossier demeure irrésolu : celui des tarifs douaniers « en pic » (que la Chine maintient hauts, pour s’en protéger, tout en offrant, sur les produits les moins dérangeants,de fortes baisses, afin d’arriver à un tarif optiquement bas pour le « paquet » dans son ensemble).


A la loupe : La malédiction des digues

A quelques kilomètres du site des « Trois Gorges », le barrage de Gezhou (Sichuan), le plus fort générateur d’électricité, est fissuré et renforcé d’incertains ferrages. Le Ministry of Water Resources (MWR), ministère responsable nous apprend que sur les 84 800 ouvrages du pays, (construits à la pelle sous Mao, sans plans, ni technologie) 33000 fuient et sont à risque, dont 3200 ont déjà lâché depuis 1949.

En 5 ans, pour 4,9MM USD, le MWR veut les réparer, ce qui vaudrait au pays 13 MM m3 de capacité de stockage d’urgence, et l’irrigation de 2MM d’ha (soit la superficie frappée, dans le Nord-Est, par la sécheresse actuelle).

Ces efforts sont bien sûr liés aux crues de l’été 1998, qui ont forcé à réagir (jusqu’alors, tous les crédits allaient aux ouvrages nouveaux, Xiaolangdi, Trois Gorges, Ertan).

Depuis, dit le SFCH (QG National de Contrôle des Crues), 87% des 550000 projets de reconstruction ont été achevés, pour 1,7MMUSD payés par Pékin et le niveau local.

Les hydrauliciens chinois redoutent cet été les débordements du  Huanghe (Fleuve Jaune), en contrecoup de 12 ans d’étiage chronique (700 km à sec en 1998). 204MUSD ont été investis l’an passé en renforcement des digues (à Kaifeng, Henan, le fleuve passe 13m au-dessus de la ville). Davantage le seront cette année. Tandis que Xiaolangdi, proche de la finition, sur le cours moyen, sera creusé de 5 mètres : avant cette retouche, il était déjà, à 205 m, le plus profond du monde !

 


Joint-venture : Rachat étranger de l’autoroute de l’information

• Tous les candidats étrangers précédents s’y étaient cassé les dents : Hartcourt, la holding américaine, spécialisée dans le financement d’activités high tech avec prédilection pour les marchés asiatiques, a conquis sa place, pour 30 ans, sur l’autoroute chinoise de l’information : en rachetant 90% des parts de China Info Highway (CIH), le distributeur commercial exclusif d’Internet en Chine.

CIH résulte, en 1997, d’une initiative entre l’Etat et un groupe privé de télécoms, pour créer l’épine dorsale de la toile à travers 21 métropoles, et deux bases de données en mandarin. CIH dispose de 100 000 abonnés propres, et a généré 16 MUSD de profits en 1998 : insuffisant pour lui permettre de poursuivre son programme de croissance exponentielle. Sous réserve d’inventaire, Hartcourt paiera 80M de capital, et 30M en expansion et épongeage de dettes. Ce qui lui permettra, via sa filiale AsiaNet, de quintupler le nombre des abonnés en 3 ans – pour commencer !

• Une dynamique irrésistible contraint l’informatique taiwanaise à délocaliser, toujours plus, vers la République Populaire de Chine : durant les trois dernières années, la part « chinoise » de sa production globale, a doublé (de 14 à 29%). Si la part « off shore » des scanners et cartes-mères ne fait que friser les 40%, celle des consoles, souris et commutateurs dépasse les 90%.

Le règlement de Taipei, de limiter les investissements chinois des groupes à 20% de leur valeur en Bourse, est contourné. Le souci de Taipei est stratégique : la concentration des 10000 firmes informatiques taiwanaises sur les trois provinces côtières de Canton, Fujian et Jiangsu, accélèrent l’intégration économique des deux Chine, plus vite que ne le voudrait Taiwan, en l’absence de règlement politique.

• Andrew Corporation (Etats-Unis) s’installe sur 5000m²dans le Parc Industriel de Suzhou (Jiangsu). L’usine en propriété directe produira d’abord des câbles coaxiaux et antennes multidirectionnelles, puis des antennes à micro-ondes, pour systèmes terrestres de télécom de courte portée – marché asiatique promis à un fort développement.

• Le MOFTEC (Ministry of Foreign Trade and Economic Cooperation) annonce ses chiffres d’investissement étranger direct, pour janvier-février : les crédits payés ont chuté de 9,54% (sur 12 mois), confirmant l’érosion attendue de la présence étrangère. Par contre, les crédits engagés (promis) auraient augmenté de 17,5% – suggérant, si les chiffres se confirment, une inversion de tendance : la reprise, déjà sensible au Japon, en Corée, en Thaïlande notamment.

 


A la loupe : Droits de l’homme : l’Union Européenne passe, les Etats-Unis parlent

Il est rare d’entendre critiquer la Chine sur la scène internationale, et celle-ci remercier avec effusion son détracteur. Plus encore, quand le terrain choisi est celui, tabou entre tous, des Droits de l’Homme. C’est pourtant ce qui s’est passé mardi 23 à la Commission « ad hoc » des Nations Unis à Genève, qui entamait ses 6 semaines de travaux.

Au nom du Conseil Européen, l’allemand Joshka Fischer considérait l’attitude de Pékin « inacceptable », « en dessous des normes internationales », et ayant imposé une « forte tension » dans le dialogue euro-chinois…La réponse de Pékin fut claire et nette : (la position de l’Union Européenne) « est positive, et permettra de renforcer le dialogue et la coopé bilatérale »… 

C’est que J. Fischer annonçait (ou plutôt, justifiait), par ses paroles « fermes », la renonciation des 15 à déposer une motion de condamnation, malgré le durcissement cet hiver, de Pékin face à ses contestataires. Avec sa Commission décapitée, et l’imminence des frappes aériennes  alliées contre Belgrade, l’Union Européenne avait d’autres soucis plus immédiats à gérer.

C’est le moment qu’a choisi B. Clinton, confirmant son talent pour les coups de théâtre, pour relever le gant et annoncer le dépôt d’une motion. Clinton, le plus solide ami de la Chine à l’Ouest, récusait l’an passé à Shanghai, aux côtés de Jiang Zemin, toute tentative taïwanaise d’indépendance.

Aujourd’hui, il se dédouane à peu de frais vis à vis de à son opinion – Pékin relève, sans doute justement, que cette motion n’a aucune chance de passer dans cette commission très Tiers-Monde, et partageant la sensibilité chinoise. Mais le Président américain (qui n’a plus rien à quêter en politique, sauf une place dans l’histoire), rappelle à quelques jours de l’arrivée de Zhu Rongji, que les Droits de l’Homme restent, pour les Etats-Unis, une cause non négociable.

 


Argent : Nicot au secours des étudiants

• En 1987, chalutiers et senneurs chinois capturaient en moyenne 550 kg de poisson par heure 10 ans plus tard, leurs prises avaient chuté à 222. Suite à l’épuisement de la ressource, la Chine vient de durcir, comme jamais avant, son dispositif (en place depuis 4 ans) d’autolimitation : du 12e  parallèle jusqu’à la mer de Bohai, par zones successives du sud vers le nord, la pêche sera interdite du 1er juin au 15 septembre.

Le ministre de l’agriculture en espère une croissance « 0 » des captures (39Mt en 98). 90000 bâtiments (Hong Kong et Macao inclus) seront touchés (1 million de marins), privés de glace et de gasoil, le temps de radouber leur rafiot – ou de se recycler.

• Tout comme les secteurs de l’acier, de la pétrochimie, du caoutchouc etc., les métaux non ferreux se voient infliger un ban de trois ans sur toute fonderie nouvelle. Ceci, pour résorber la surcapacité (la Chine est 2e producteur mondial, 6Mt en 1998). Idem, les unités en place sont interdites d’expansion. « Inutile !», clame l’interprofession – dans un rare geste d’opposition frontale : pour elle, la source du mal est dans la contrebande, elle-même due aux traders chinois qui jouent sur les marchés à terme. En cas de mauvaise opération sur le cuivre, le zinc ou autre alumine, ils écoulent le stock sur le marché gris chinois pour limiter leurs pertes.

• A l’instar de leurs homologues à travers le monde, les transformateurs chinois de tabac évoluent doucement vers la mauvaise conscience : Yunnan Honghe, le prouve (ainsi que sa bonne santé financière), en ouvrant la plus importante fondation jamais réalisée par une Entreprise d’Etat en Chine : 602 000USD sur 5 ans (pour commencer), en bourses aux étudiants de l’Université des Sciences et d’Ingénierie de Kunming – ils seraient 15%, à ne pas manger tous les jours.

 


Pol : Jiang Zemin à Rome, à Berne

• A Berne, le gouvernement helvétique avait préparé de longue date la réception du Président Jiang. Mince mais bruyante et décidée, une manifestation en faveur du Tibet a gâté la cérémonie : Jiang Zemin refusa la haie d’honneur, et déclara à Ruth Dreifuss, Présidente de la Confédération (son homologue) que son pays avait « perdu un ami », tout en déplorant de n’avoir été traité « poliment », allant jusqu’à demander à ses hôtes s’ils savaient comment se dirige un pays…

Mauvaise ambiance donc. L’image du Président chinois en suisse ne peut en sortir renforcée, et les industriels helvètes se demandent quelles seront, pour eux, les conséquences. Pour le geste attendu par la Suisse, la désignation du pays comme « destination-cible » pour les groupes touristiques chinois, il faudra attendre !

• Pourquoi Pékin rouvre-t-elle, la semaine dernière, le dossier « relations avec le Vatican », en panne depuis des décennies ? Parce que l’Italie, 1ère étape de la tournée européenne du Président Jiang, est demandeuse de normalisation. La Chine réclame la rupture avec Taipei (la Curie est d’accord), et la fin des liens organiques avec le Clergé chinois – le maintien de l’interdiction en Chine des lettres pastorales du Pape, lues en chaire ailleurs dans le monde catholique… Ce qui serait, pour le Saint Père, trahir son église « de l’ombre » – impossible, donc. Quant à Pékin, elle a le temps.


Temps fort : Les habits neufs de la Compagnie Nationale d’Assurance de Chine

Réformer l’assurance chinoise, c’est réformer la PICC (Assurances Populaires de Chine), tant il est vrai que ce stegosaurus fondé en 1949 conserve gaillardement, malgré ses perruques et rhumatismes, près de 80% du marché (125 MMY l’an passé, soit + 14%). Dans la perspective de l’entrée à l’OMC, la PICC vient d’affranchir ses 3 (désormais ex-) filiales, toutes « dégraissées » et remaniées pour ce nouveau départ :

[1] CRC (China Reinsurance), premier réassureur « indépendant », au capital de 3MMY,

[2] CLC (China Life) (100 produits entre vie, santé et accidents, 400M de clients,

[3] PICC Property, capital = 7,7 MMY, chiffre d’affaires = 56% dans le secteur auto (15M  de véhicules, 28MMY de prime l’an dernier).

La CIRC (China Insurance Regulatory Commission), autorité de tutelle, elle-même toute neuve, conseille de privilégier la qualité du service sur la course au chiffre, et la gestion professionnelle du risque : « les étrangers arrivent », précise son Président Ma Yongwei, pour ceux qui n’auraient pas compris, « pas un ou deux, mais de nombreux » (à noter précieusement, au passage, cette absence absolue de doute, sur l’entrée de la Chine à l’OMC).

La CIRC veut surtout discipliner l’assurance auto, secteur qu’elle qualifie de chaotique. Pour gagner des parts de marché, des groupes non précisés ont baissé les primes, haussé leurs obligations contractuelles. D’autres font dans la fausse assurance – en cas d’accident, pas de couverture!

Le plan de grand nettoyage est annoncé pour le 1er  avril. Tout ce ravalement de façade, ainsi que le sang neuf apporté par l’OMC, devant révolutionner l’assurance dans les années à venir, et faire en sorte qu’elle tienne sa part, dans les 10M d’emplois tertiaires nouveaux, attendus chaque année par le vice min. du Travail Wang Dongjin, « si la Chine parvient à conserver une croissance de 7% ».

 


Petit Peuple : La fin du cambrioleur cafémane

• En juillet 1998, trois hongkongaises approchant la cinquantaine et le déplorant, rencontrèrent – ce fut leur drame – Li Yuhui, maître de  fengshui (« vent et eau », divination). Décidément crédules, elles « avalèrent » sa promesse de prolonger leur existence, moyennant un solide cachet.  Le bon M. Li les faisait aller gratuitement jusqu’au centenaire, pour mieux les taxer de 10000HKD par année de plus !

Décidément crapule, le maître avait délayé dans le philtre sacré une dose de cyanure à tuer un éléphant. Après avoir expédié chez leurs ancêtres les 3 femmes et leurs deux fillettes, l’escroc empocha les 1,2MHKD si mal gagnés, et prit la poudre d’escampette. Pas pour longtemps : rattrapé à Swatou (Canton), il vient d’être condamné à mort – sa défense insolite, selon laquelle le véritable assassin serait un autre maître, d’une autre école (Zen), présent avec lui chez ces dames, n’a, faute de preuves, convaincu personne !

• Une fumée noire sortait d’un immeuble, Tong Yan, à Chongqing, crut bien faire en appelant les pompiers sur son portable « flambant » neuf.

Le hic : en guise de standardiste, il eut droit à un disque, lui conseillant d’aller réitérer son appel à partir d’une ligne fixe – et l’immeuble brûla. Menant son enquête, M. Tong découvrit que le serveur, Chongqing Telecom, avait délibérément bloqué l’accès au 119, numéro gratuit, sur laquelle elle ne gagnait donc rien… Tong Yan s’est constitué partie civile.

• Chez Ren Xinliang, riche bourgeois, ce voleur du Shandong avait ses habitudes : lors de chaque partie de monte-en-l’air, conclue par le vol d’un objet précieux, il se faisait un café – dont sa victime était friande. Ce qui donna à M. Ren, à la énième tasse, une idée satanique – et pas si bonne : mêler de l’arsenic au Nescafé – ce dont le cambrioleur périt. Inculpé non sans raison de meurtre avec homicide volontaire, Ren en prit pour 10 ans. Avec pour commentaire, inattendu dans le Journal des procureurs, cette complainte du verdict injuste, et apologie de l’autodéfense, « quand les autorités sont impuissantes à défendre les bonnes gens » (sic).

 


Rendez-vous : Fin avril : World Economic Forum

• 3 mars – 18 avril, Li Peng, en visite dans six pays, dont Grèce, Turquie, Syrie, Pakistan.

• 26 – 28 avril, Pékin et Shanghai, World Economic Forum , « Soutenir la croissance » (contact fax : (4122)7862744;

Email: fmathuro@weforum.org)