Le Vent de la Chine Numéro 11

du 16 au 17 mars 1999

Editorial : Clôture du Plenum de l’ANP : réforme, continuité – et discipline !

Le 2. Plenum de la 9. ANP, Assemblée Nationale Populaire, s’est achevé lundi 15 mars 1999, sous la fanfare militaire. Plenum à l’image du temps sur Pékin -gris!

Les mauvais vents économiques (en Chine et en dehors), et les incertitudes dans les rapports avec les USA, ont incité à resserrer les rangs -en haut comme en bas.

En compensation de cette discipline imposée, la Constitution a été remise à l’heure des 20 dernières années -ce qui offrira à la démocratie, à l’état de droit et au secteur privé une base plus haute, pour de nouvelles avancées.

Les sujets polémiques ont été barrés des débats: telle l’impopulaire taxe sur les carburants, qui sera introduite plus tard- en silence. Une marge «raisonnable», «négociée» de critiques a été tolérée, permettant de ventiler les lourdes frustrations populaires, tout en émettant un certain nombre de promesses du pouvoir, sur trois dossiers consensuels: la répression de la corruption, la protection de l’environnement et du consommateur.

On l’a compris, cette session a été davantage «sous contrôle» que d’autres (la chute l’an passé du rival n°1 de Jiang Zemin, Qiaoshi, a pu y contribuer – l’ex-chef de file du clan réformateur se trouvait, durant le Plenum, «exilé» à Shenzhen). Session

1.raccourcie d’un tiers,  durant laquelle plusieurs manifestations ouvrières ou de dissidents ont été dispersées, et qui a vu l’imposition d’une peine capitale (cf vdlc n°10),

2.et thématiquement placée sous le signe de la continuité.

 

Ce regard sur la « Cuvée » 1999 de l’ANP resterait incomplet, sans la prestation remarquable, dense et ambiguë du Premier Ministre Zhu Rongji face à la presse, après la cérémonie de clôture. Sur la forme, Zhu s’est montré imaginatif, cultivé et bouillant d’humour. Sur le fond, il s’en est tenu à la vulgate de la propagande officielle. Quant à son regard, il était dirigé, du début à la fin, vers un seul point du monde: l’Amérique, qu’il brocarde passionnément, sous tous les modes, avant d’émettre l’espoir, presque en un soupir, de s’y voir, dans trois semaines, cordialement reçu!


A la loupe : Projets de lois

Projets de lois :

Vient d’être adoptée une loi des contrats, moderne, favorable notamment aux intérêts des entreprises privées.

Parmi les autres projets discutés, et qui figurent au programme d’adoption par l’ANP au cours des années à venir, figurent :

Une loi de supervision des administrations par l’Assemblée nationale populaire (Li Peng lui-même, Président de l’ANP, en reconnaît la nécessitéquoique cette démarche soit frontalement  contradictoire avec le maintien du monopole du Parti, et n’ait en pratique guère de chance d’aboutir).

En gestation aussi, une loi de la faillite, afin de réduire les fraudes, et de créer l’outil permettant de supprimer les milliers d’entreprises d’Etat (EE) non rentables, sans spolier au passage l’Etat (ou d’autres) de son  (leur) patrimoine.

Annonce d’un règlement (à effet immédiat), puis d’une loi pour introduire les appels d’offres, au niveau de l’octroi des marchés publics.

Se préparent encore : une loi sur les dons d’organes (interdisant les ventes).; une sur la santé, un règlement des conflits après opération médicale, une loi contre le harcèlement sexuel, loi anti-trust, etc.

Votes : Zhu Rongji sort grandi de cette première épreuve du feu d’un vote de son rapport d’activité: 98% de «oui»,45 «non» ou «abstention».

La révision de la Constitution obtient exactement le même score (quoique recensé au suffrage secret, dans les urnes, les autres votes étant électroniques).

Le budget en déficit de 150MMY, reçoit 341 voix non favorables, soit 15%.

 Les rapports du Juge et du Procureur suprêmes obtiennent les pires résultats: 642 et 633 voix négatives, soit 24 et 22%.

On s’y attendait : l’ANP critique moins ces instances, que leurs troupes, sur le terrain, trop souvent vénales voire violentes (« hors la loi »). Mais le bilan exprime aussi l’esprit du temps, par rapport à l’an passé : alors, l’opposition avait dépassé les 1000, et les 40%.

 

 


Pol : Culture et politique…

Lors de sa conférence de presse, Zhu Rongji a cité Jean Jacques Rousseau (l’Emile, les Confessions), William Shakespeare (le Marchand de Venise, dont Zhu Rongji décrit une scène, pour appuyer sa théorie sur les conséquences du crash de la GITIC)…Œuvres qu’il aurait lu au lycée, en traduction.

Cet étalage d’érudition est nouveau chez Zhu Rongji. Mais pas chez Jiang Zemin, qui ne peut sortir en Russie sans chanter ou discourir en russe (dans le texte), aux Etats-Unis sans citer poètes, romanciers ou philosophes du cru, ni même à Hawai sans s’accompagner de la guitare locale…

Lors du Plenum, Jiang Zemin est passé à l’étape suivante, en publiant à la Une du Quotidien du Peuple deux poèmes de son pinceau – l’un, de 1991, parlant des «difficultés» et du «mauvais temps», l’autre, de 1998 (écrit durant le Plenum de l’ANP -peut-être durant un long discours), évoquant la «renaissance» du pays. Mao Zedong lui aussi, publiait des recueils de poèmes…Et le leadership suit la chaîne des inspirations.

Quelques bonnes phrases de Zhu Rongji

• visite aux USA, «champ de mines»:

 «quand j’irai en avril aux Etats-Unis, je m’attends à des réactions hostiles ou inamicales. Beaucoup de média m’ont prédit que j’allais à l’échec. Mais j’irai de toute manière, pour dire la vérité,entendre les plaintes et ventiler la colère, condition nécessaire pour permettre la reprise des bonnes relations»

• accusations d’espionnage de secrets militaires:

« je vais vous dire la vérité : les USA ont commis deux erreurs.

D’abord, en sous-estimant leur propre capacité à conserver les secrets. A ce que je sais, ce centre de recherche de Los Alamos est très compartimenté, les règlements y sont draconiens, personne ne contrôle toute une filière: comment voulez-vous qu’un seul chercheur ait pu sortir tout le dossier? D’ailleurs, jusqu’à présent, ils n’ont trouvé aucune preuve pour étayer ces accusations.

Puis en sous-estimant la capacité des Chinois à faire de la recherche, y-compris en haute technologie. Avec du temps, on arrive à tout…Les USA comme la Chine, ont déjà connu dans leur histoire, une époque où l’on traitait ses voisins en ennemis, où tout le monde avait peur de se faire dénoncer. Chez nous, cela a été la Révolution Culturelle» (aux USA, le Mac Carthysme et la chasse aux sorcières de Salem; sous entendu: Zhu conseille aux USA de résister à la tentation de l’hystérie NdlR)

• droits de l’homme : « à Pékin, j’ai dit à Madeleine Albright que je défendais les droits de l’homme depuis plus longtemps qu’elle -ah bon?, m’a t’elle répondu/ -vous n’y croyez pas?, lui ai-je dit : -j’ai dix ans de plus que vous, et quand je défendais les droits du chinois contre les exactions du KMT, vous étiez encore à l’école ».

• sur l’OMC (NB ceci est nouveau dans la position chinoise) :

«En 13 ans de palabres, nos négociateurs ont vu leurs cheveux noirs passer au gris : il est temps de conclure! La Chine a déjà renforcé sa supervision et ses réglementations, ainsi que sa capacité à faire face à des problèmes qui pourraient survenir après l’admission à l’OMC.

Aussi, la Chine est prête à faire les plus grandes concessions en ses moyens. La Chine va ouvrir à l’étranger ses services des télécommunications et le commerce du Renminbi – nous sommes en train d’élaborer les détails! »

L’avis du petit peuple :

Traditionnellement non politisé, le pékinois apparaît cette fois autant critique contre son Parlement, que le parlementaire lui, fait preuve de prudence pour conserver sa place.

A son édile, il a donné deux sobriquets : le premier, jia, da, kong, signifie « faux, exagéré et vide ». Le second,  san shouren, se traduit par «l’homme aux trois mains» : l’une pour donner des poignées aux nombreux guanxi (relations), l’autre pour applaudir les discours, la dernière pour voter (main en l’air).


Temps fort : Les amendements

Les amendements constitutionnels :

Les trois premiers introduisent les concepts de théorie de Deng Xiaoping, d’économie de marché et d’Etat de droit (la prééminence de la loi).

Les trois suivants renforcent les notions de secteur privé et de gestion autonome de l’administration, tout en affirmant la nécessité de protéger les intérêts du secteur privé, aujourd’hui responsable de 20 à 30% du PIB. Le dernier remplace la notion d’acte contre révolutionnaire, par celle de crime contre la sécurité d’Etat (notion moins «gauchiste», et plus conforme au droit international).

La lutte contre la corruption : Cour Suprême et Procurature Suprême affinent ensemble la définition de la corruption: désormais, les corrupteurs eux aussi seront poursuivis, ainsi que les intermédiaires. Sont considérés « graves » les cas de corruption destinés à promouvoir la contrebande, les fraudes aux devises et fraudes fiscales, ainsi que les enveloppes à gros montants, à plusieurs reprises et à plusieurs personnes. Enfin, les commissaires de police locaux seront tenus pour responsables des fraudes constatées sous leur juridiction.

Affaires politiques : plusieurs manifestations ont eu lieu, différemment affrontées : une tentative (dim. 14) de rencontre de militants du Parti (interdit) de la Démocratie, trois jours de blocage (10-12) des rues de Suining (Sichuan) par les employés licenciés d’une entreprise d’Etat (EE), action dispersée par la police -malgré la volonté affichée de Zhu Rongji, dans son rapport introductif, d’éviter la violence contre le peuple dans des conflits sociaux, et une manifestation le 15, de 50 investisseurs grugés l’été dernier dans la faillite de l’entreprise de courtage en Bourse « Xinguoda ». Par contre, en une rare spontanéité, un conseiller de Jiang Zemin, Liu Ji (ex-Vice Président de la CASS, l’académie des sciences sociales) a parlé en faveur de la réforme politique, laquelle devrait se dérouler sur deux axes : la sélection des hauts cadres (selon des critères de capacité et non de contacts ou de curriculum), et d’un processus de décision plus «scientifique » et « démocratique », prenant en compte les avis des « experts ».

Expression de « grogne » : Ont été évoquées les 667000 plaintes de consommateurs traitées l’an dernier, et critiquées les 3 tonnes de semences de riz infertile qui ont ruiné le village de Wangcun (Mongolie Intérieure) l’an passé.

Critiqués aussi, les emprunts publics (bons d’Etat) pour alimenter une croissance « néo-socialiste », oublieuse du « marché », et favorisant des projets de prestige, style « Zone Industrielle » ou « foire-expo », au détriment des crédits alloués à l’éducation, qui est loin d’atteindre l’objectif de 4% du PNB en l’an 2000.

Enfin, tous les élus non pékinois étaient d’accord pour récriminer contre la qualité « très basse » de la nourriture, de l’air, et les prix outranciers de la capitale.

Pollution : d’ici fin 1999, 80% des gros pollueurs à l’Est, et 70% à l’Ouest (moins riche) devraient se conformer aux plafonds d’émission, sous peine de fermeture : la « courbe de pollution » ( sic) devrait être « inversée » d’ici ‘2000. Pékin (ville) investira 5MMUSD d’ici 5 ans (par ex., dans le passage du charbon au gaz dans les ménages, et le reboisement), notamment dans la perspective d’une visite du CIO, afin de renforcer les chances de la capitale dans sa candidature aux JO de ‘2008.