Le Vent de la Chine Numéro 30

du 20 au 26 septembre 1998

Editorial : Lionel Jospin : une visite ‘culturelle’ plus qu’ ‘industrielle’ !

Dans la visite du 1er ministre français en Chine (24-26), l’enjeu politique est fort, et partagé.

Pour Jiang Zemin, il faut réussir cette 1ère grande visite européenne du semestre, qui en comptera six (avec l’irlandaise déjà passée, et les belge, finlandaise, britannique et espagnole). Aux sujets traditionnels (coopération à l’ONU, entrée de la Chine à l’OMC) s’ajoute une urgence: comment faire front (U.E. et Asie), aux attaques spéculatives contre les monnaies. La Chine regarde de près les possibilités offertes, après 1999, par  l’EURO, comme instrument régulateur.

Pour Lionel Jospin, avec 4 membres de son cabinet, il s’agit de donner de la substance au partenariat stratégique franco-chinois paraphé par J. Chirac lors de sa dernière visite, soutenir les coopérations industrielles en cours ou nouvelles (autre projet franco-chinois « Airbus », pour remplacer le défunt avion de 100 places, promotion franco-chinoise sur la toile d’Internet)…

Le 1er  ministre ne pourra pas se rendre, comme prévu, à Wuhan où se trouve la JV Citroën, ni sur aucun site industriel. Par contre, à Shanghai, il visitera un lycée, un musée, un opéra. De tout cela, se dégage l’image d’une visite très « arbitrée », aux choix imposés, en partie par les circonstances, en partie par la sensibilité du 1er ministre. Visite politique, pour renforcer les liens personnels avec les deux hommes qui comptent, Jiang et Zhu Rongji. Visite culturelle, peut-être pour rappeler que cette coopération-là, négligée par les nations ces dernières années aux profit du soutien de leurs firmes et filières, compte aussi, si le projet est de créer des contacts à long terme, de peuple à peuple. Etant entendu que les perspectives de gros contrats, en Chine pour les mois à venir, apparaissent des plus diaphanes, ceci pouvant expliquer cela!

 

 


A la loupe : CHINE: les contrats à l’étiage

Il est douteux que les six Européens de passage à Pékin sous 3 mois, fasse mieux que Bill Clinton en juillet, au chapitre contrats (cf VdlC n°25/ III). Pour cause: la Chine, face à la crise, maintient sa croissance à coup d’infrastructures (entendez, de béton), mais marque la pause sur la croissance importée (High Tech) – choix justifié par les réalités du terrain.

Exemple : en pétrole, la Chine en 1998 aurait besoin de 219Mt, mais ses prévisions chutent à 195Mt en 2000, avant de remonter en flèche, à 265Mt en 2010. En électricité, la décrue de 1997, s’est amplifiée en 1998: restructurations des Entreprises d’Etat, et baisse des exports vers l’Asie (cuivre, alu, ciment) jouent à plein.

Chiffre-clé : en Chine, les usines consomment 74% de l’électricité produite, et les ménages, 11%: toute récession frappe sans correctif. Dans le nucléaire, alors que les chantiers (Qinshan2, Ling’Ao) arrivent en phase critique, les responsables n’ont pas de temps pour l’adjudication des 6 tranches (1000Mw) prévues. Dans la filière, d’avenir, « électricité – GNL », et le projet shanghaïen pour 5MMUSD, il est urgent d’attendre…

En bref: Zhu Rongji, architecte de la croissance chinoise, joue la prudence… et la digestion de l’acquis : conscient du fait qu’en Chine comme ailleurs, la croissance, du fait de l’écart entre le cycle de la consommation et celui des équipements, ne peut être un phénomène linéaire.

 


Joint-venture : Croisade yankee contre doryphore chinois

• En Chine depuis 1972, Nortel poursuit l’expansion de son réseau de technologie Code Division Multiple Access (CDMA), plus moderne et performant que le Global System for Mobile Communications (GSM) : son réseau de Xi’an (Shaanxi), importé et installé en moins d’un an, vient d’entrer en fonction. 13000 abonnés initialement auront accès à 6 régions hors de Xi’an, et aux réseaux CDMA de Pékin et Shanghai. Motorola, pour sa part, vient de signer un contrat de 53MUSD, (partie d’une lettre d’intention de 210MUSD, de juin dernier) pour la 6ème extension depuis 1995, de son réseau GSM dans le Sichuan.

• 20ème  anniversaire des coopérations scientifiques et techniques sino-française et sino-britannique. Côté France, l’événement sera marqué à Pékin, par un festival du film technologique (ouverture jeudi 24 par le min. Cl. Allegre). Côté britannique, reconduction (17/09) de cette coopération, et signature d’une lettre d’intention pour la mise au point d’une filière du charbon propre et efficace. Un cycle de séminaires scientifiques et technologiques britanniques se poursuivra jusqu’à mi-octobre.

• Nouveau conflit commercial sino-US, à propos des exports chinois emballés dans des caisses en bois : sous 90 jours, à moins d’être traités, ces emballages caisses seront interdits aux USA, afin d’empêcher la pénétration de scarabées parasites (anoplophora gabripennis). La Chine crie, peut être non sans raisons, aux barrières «techniques» protectionnistes, qui dans ce cas, affecteraient entre 28% et 51% de ses exports yankee.

 


A la loupe : YANG SHANGKUN, PROTÉE de la politique chinoise

Vient de disparaître, à 1992 ans, un des 4 derniers « immortels » (rescapés de la Longue Marche): Yang Shangkun, l’ex-patron (1982-1992) de l’Armée Populaire de Libération (APL) et Président (1988-1993) de la République. Les jeunes chinois gardent de lui l’image de l’homme ayant fourni au Patriarche, les troupes dont il manquait pour réprimer les étudiants place Tian An Men.

Mais Yang, comme d’autres leaders chinois, était d’une fibre plus complexe: il est aussi celui qui, en 1987, a convaincu Pékin et Taibei d’ouvrir le rideau de bambou aux chinois nationalistes; celui qui, en 1992, accompagnait Deng dans son voyage historique à Canton, pour une relance (contestée par ses pairs) de la réforme;enfin celui qui, depuis 1994, plaidait (en vain) pour la révision du jugement officiel sur le Printemps de Pékin (« conspiration anti-socialiste pour renverser le régime »)…

Après 1990, Yang a été victime de son ambition: ayant placé son frère et sa famille aux niveaux supérieurs de l’armée, cherchant à bloquer Jiang Zemin dans sa course au sommet, il a été désavoué par Deng, soucieux de l’unité du Parti, qui a cette fois fermement soutenu son héritier choisi, Jiang. C’était alors la fin de carrière pour Yang- comme pour tous les vieux barons « grognards » de l’empereur sortant. C’était aussi, pour l’armée, la perte de son dernier leader historique, et de ses leviers de pouvoirs politiques. Après Yang Shangkun, l’Armée Populaire de Libération (APL) sousZhang Wannian et Chi Haotian(que l’on dit gendre de Yang), n’a plus qu’une voie: le passage à une armée de métier, grande muette!


Argent : Deux faillites, deux systèmes

• Trop d’or, devient cuivre: pour avoir produit 10M de pulls cachemire en 1997, pour une demande de 6M, et pour avoir multiplié ses usines de 10 (années 1980) à 2600, le marché s’est effondré, de 480 à 80Y/Kg (laine brute). Les éleveurs mongols abattent leurs bêtes -et les gros producteurs vont à Madagascar.

• La malheureuse Gare de l’Ouest de Pékin, n’est pas au bout de ses malheurs. Elle était achevée en 1996, au bout de 2 ans et demi au lieu de 4, mais tous les quais devront être reconstruits, s’étant affaissés jusqu’à 4m. Défauts aussi d’éclairage, de signalisation, de parking (les taxis n’accèdent pas), d’escalators (français, pourtant), sans parler de sa vulnérabilité aux secousses telluriques… Les responsables sont introuvables : le nom de l’adjudicateur unique des contrats, reste secret, et les trois superviseurs, à la retraite, ne seront pas poursuivis.

• Deux faillites très couleur du temps:

[1] A Canton, « Beilei », Cie de trading au pedigree aussi indéfinissable que son nom (éclair du nord), rachète aux enchères, à 1000Y/m², le sol de l’usine municipale de briquets, fermée l’an passée avec 36MY de dettes. C’est la 5ème  ainsi adjugée à Canton. L’argent du terrain, comme celui des machines et des bus (adjugés lors de la même criée) ira aux 193 désormais inactifs, aux 503 pensionnés, et ce qui reste, aux impôts et aux banques.

[2] « Pour l’heure, on reste calmes, mais si le gouvernement n’agit pas vite, je vous laisse imaginer comment tout va finir », criait un vieux rentier grugé, à Shenzhen, devant les locaux de Champion, Cie de courtage (marchés à terme), dont le PDG, Zhang Dongmin, était introuvable, ainsi que 40MY, propriété de 100 clients. Champion, au capital de 10MY, avait 12 agences en Chine, claires et avenantes. Dans la même « charrette » que Champion, onze autres firmes de courtage ont perdu leur licence. Une loi révisée est en préparation.

• Feu vert à HongKong pour le projet « noeud ferroviaire ouest », le plus ambitieux de la Région Administrative Spéciale (RAS) après l’aéroport de Shek Lap Kok. 30km de ligne à double voie, dont 40% en souterrain et 45 en viaducs. Son intérêt principal: rapatrier le tri du fret maritime, 1er  du monde (aujourd’hui effectué à Shenzhen après transport par camion). Cet outil très cher (64MMHKD) crée 13000 emplois, y-compris pour la construction de 40000 appartements sur 10 sites le long de la voie. Achèvement prévu en 2003.

 


Pol : Après la police des polices, le juge des juges!

• A huis clos, Pékin et les provinces lavent leurs différends dans l’eau des crues décroissantes. Accusé n°1: le Barrage des 3 Gorges, imposé par le précédent gouvernement, gouffre à crédits publics, qui aurait entravé l’entretien normal du réseau de digues. Suite à son inspection (07-12 septembre) dans quatre provinces touchées (+ Chongqing), Zhu Rongji dicte ses priorités:

[1] Reprendre à zéro le programme de prévention des crues, et

[2] Garantir une efficacité absolue (et pas de détournement!) aux fonds publics ou privés de reconstruction.

• Après trop peu, trop : le Hubei veut, d’ici 2003, avoir replanté 1Mha de forêt (5% de son territoire), et classé « zone forestière » 31% en plus. Coût total : 840MUSD, dont 10% à charge de Pékin, le reste à celle du Hubei, notamment par une taxe sur les usines urbaines (selon le principe du « pollueur payeur »). Mais comment le pouvoir local pourrait t’il faire face, alors que son budget «forêt» en ’97, était de 3,6MUSD?

NB : théoriquement, les coupes forestières autour du Yangtzé ont pris fin au 31 août, à minuit : dès l’annonce de l’interdiction, tout ce que les villages comptaient de bras et de scies, étaient à l’ouvrage, fatal aux derniers cyprès centenaires -avant de démarrer, suivant la consigne, le programme de reforestation.

• Une fois les crues vaincues, Jiang Zemin relance le dossier politique n°1 de son second quinquennat: l’effort de réinsertion de Taiwan dans la nation. Nomination annoncée d’un nouveau Secrétaire. Général du groupe de travail « Taiwan » du Parti Communiste Chinois (PCC): Zeng Qinghong, son bras droit. Visite pékinoise pour octobre de Koo Chen-fu, Président de la Fondation pour les Echanges au travers du Détroit (SEF), fondation officieuse taiwanaise. Jiang « souhaite » des insulaires une « date de retour », même non contraignante (pour parer la menace d’un accès au pouvoir du DPP, indépendantiste). Taiwan, de son côté, fait un geste: le commerce direct avec la Chine, va être testé, à partir de futures Zones Économique et Commerciales Spéciales.

• Deux rencontres sino-japonaises au sommet montrent l’évolution des rapports, des critiques méfiantes des mois passés, au sentiment de l’urgence de coopérer. A Pékin (14/09), le vice ministre des Affaires Étrangères nippon Haraguchi a vu un vis-à-vis chinois Sun Guangxiang. A Tokyo (16/09), le nouveau patron du MOFTEC, Shi Guangsheng, le 1er Min. Keizo Oguchi. Discrétion dans les deux cas, mais le thème central, a été la coopé monétaire (anti-spéculation).  NB1: de janvier à juillet, les exports chinois vers le Soleil Levant ont baissé, de 4,3%, et l’investissement nippon en Chine, de 30%.

NB2 : rassérénés par ces retrouvailles, les deux capitales confirment la visite de Jiang à Tokyo, première d’un Président chinois, avant la fin de l’année.

• Li Peng donne le 1er fruit, inattendu, de son leadership sur l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) depuis mars 1998 : une enquête critique sur le fonctionnement des tribunaux. Dans sa nouvelle responsabilité de parlementaire, l’ex-1er ministre milite pour une justice démocratique: procès publics (sauf pour ceux de sécu d’Etat, d’affaires « intimes », et de jeunes), jurys, et fin de la détention prolongée des suspects. Tancée par l’ l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) (qui, en mars, avait voté à 45% contre son rapport d’activité), la Cour suprême a déjà détecté 15000 cas entachés de vices de forme… 12000 où le juge aurait été corrompu… 4700 juges et policiers auraient été tancés, dont 77 vont passer en justice. Sept « juges des juges » sont en cours de nomination, et les sanctions ont été révisées. Mais que faire, quand on atterrit comme «incorruptible», dans une ville où maire, Secrétaire du Parti, juge et commissaire jouent ensemble au (ma jiang, en français mah jong)?

• Flux, reflux, et beaucoup de vagues semaine passée, dans la mer politique underground. Dans 6 provinces (Zhejiang, Shandong, Hubei, Liaoning, Jilin, Heilongjiang) des personnes privées sont parvenues à déposer des demandes d’enregistrement d’un parti au même nom, le « Parti de la démocratie ». Alors qu’une démarche identique, en juillet (Zhejiang) s’était soldée par 13 (très provisoires) arrestations, cette fois, les candidats se sont vus indiquer des conditions (50000Y, 50 membres, une adresse, et les CV de trois fondateurs), et priés de repasser dans un mois, pour décision.

A Pékin et à Shanghai, par contre, cette opération a valu quelques heures de commissariat à 3 dissidents (dont 1 chevronné, Ren Wanding). D’où ces déductions:

[1] Muselée il y a un an, la dissidence est aujourd’hui aussi vivace qu’une crevette;

[2] Emerge une structure politique nationale, réaliste, qui se revendique « non-dissidente », (elle reconnaît le rôle dirigeant de Jiang et du Parti Communiste Chinois (PCC));

[3] Le pouvoir, pour l’instant, fixe des limites, et demande du temps.


Temps fort : JOSPIN : La Chine hors d’haleine

Accompagnants:

[1] 4 ministres, Dom. Strauss-Kahn, Eco Fin. (jeudi seulement); Cl.Allegre, Education, Sciences et Technol.; Y.Gayssot, transport/équipement, P. Mosco vici, délégué Aff. Etr.).

[2] 60 chefs d’entreprises

ƒ 60 journalistes;

Arrivée jeudi 24 septembre à Pékin, 7h;

Matinée: Acad./Sciences, rencontre des cadres du LIAMA (laboratoire franco-chinois, près de Pékin, d’informatique et de mathématiques appliquées);

11h30:rencontre des Français de Pékin

12:30: déj. CCIFC (milieux d’affaires

15:00 «1ère» séance de signatures du protocole de 270MFF, pour une usine d’incinération d’ordures à Pudong, un système d’alerte pollution de l’air dans Pékin, une usine de cartes à puces. Si le projet « ligne 3, métro de Shanghai » se concrétise pour le groupe Alstom, il y aura 2ème séance/ signatures, le total des contrats atteignant alors 1MMFR.

Après- midi : Rencontre Li Peng, Président de l’ANP, Zhu Rongji, 1er ministre.

Vendredi 25 : départ Hefei (Anhui), rencontre/déjeuner avec le Président Jiang Zemin (+ visite conjointe inondations).

Après-midi:départ Shanghai, rencontre mairie, et Français de Shanghai.

Samedi 26 : visite lycée (francophone) Jingsai à Pudong, Opéra (dessiné par le français J.M.Charpentier), Musée;

Soir : HongKong, passage programme TV, dîner avec le gouverneur Tung Chee Hwa. Retour Paris dans la nuit.

 


Petit Peuple : D’un âne carnivore

• Le désintéressement peut se rencontrer dans les hôpitaux chinois: le jeune Mingming, 8 ans, s’était fait sectionner son petit engin par un âne carnivore. Le docteur Ma Fushun, de l’hôpital militaire n°262, l’a opéré, le réopérera après la puberté (gratuitement, malgré les 40000Y du pénis artificiel), et lui promet qu’il pourra se marier.

• Arrestation du 1er pirate informatique chinois: du nom de Yang, 22 ans, jusqu’alors étudiant en mathématiques, il avait réussi à pénétrer le réseau de Shanghai on line, s’était servi sur son compte 2000 heures gratuites, et avait « craqué » les mots de passes de 500 usagers des bases de données. Yang risque 5 ans de prison, au terme d’une loi qu’il va -honneur douteux étrenner.

• Les terroirs chinois peuvent avoir la rudesse d’un Far West. Le 8 septembre à Wenyu (Henan), le bureau local des mines tentait, comme depuis 8 jours, de faire fermer les mines d’or pirates -concernant des milliers d’emplois et la survie de dizaines de milliers de gens. En surface, 250 kits de mineurs avaient été détruits – à présent, il s’agissait de passer aux galeries. Un boyau était obturé: 200 travailleurs, réquisitionnés, l’ont dégagé; trois heures plus tard, un 2ème barrage était trouvé: alors que les ouvriers s’apprêtaient à ôter les gravats, 13 caisses de dynamite détonèrent, 312 kg, causant 6 morts (dont le Secrétaire du Parti de la mine légale, et le vice Président de son Syndicat unique) et 23 blessés. La police court après les 15 « suspects » – 6 sont déjà sous les verrous, bientôt sous terre -cette fois pour toujours.

 


Rendez-vous : Jiang Zemin à Moscou, et à Tokyo

•21-24 septembre, Pékin: 5 International Food and hotel China 1998.

• 22-25, Pékin: International Food additive

•22-25, Shanghai: International Electronic trade

•24-26, Tumen (frontière Chine- Russie- Corée du nord): «Conférence d’investissements de la zone (internationale) Rajin-Sonbong » (sponsorisée par le PNUD)

• 11-13 novembre : Jiang Zemin à Moscou, Novosibirsk