Le Vent de la Chine Numéro 3

du 24 au 30 janvier 2000

Editorial : PCC – la double mouvance

Après des mois de silence total (souvent signe de dissensions), l’appareil semble traversé par deux dynamiques inverses.

Le n°1, Jiang Zemin (Président de la République, Secrétaire Général du PCC et Président de la Commission militaire (CMC) maçonne son pouvoir.

Zeng Qinghong, patron du Département de l’Organisation du Parti, installe ses fidèles dans tous les postes-clés.

Le vice-1er Wen Jiabao tient en main Agriculture, Finances (reprises à Zhu Rongji) et Régions.

Jiang voudrait faire nommer vice-1er, par l’ANP en mars, Li Changchun (Secrétaire du Parti de Canton), débarrassant Wen Jiabao du dossier agricole.

Avec Wu Bangguo, autre vice-1er, Li entrerait dès 2002 au Comité Permanent (l’instance suprême, sept membres).

A deux, ils dirigeraient l’économie dès 2003. Ce montage permettrait de subdiviser (pour régner) le mandat qu’exerce aujourd’hui Zhu Rongji, seul!

Mais en aval, les choses ne vont pas comme Jiang le souhaiterait. Zhu objecte à la nomination de Li Changchun: « qu’il fasse ses preuves à Canton« . L’opposition ne se limite pas au 1er Ministre. Depuis sa retraite, un homme s’exprime haut et fort, »devant ses amis, en privé« : Qiao Shi, ex-patron de l’ANP affirme que le pays « n’aura d’espoir, qu’une fois la jeunesse promue« , et qu’il espère voir « la démocratie en Chine, de son vivant« .

C’est de la relève du Président qu’il parle, et d’une montée en puissance des instances « civiles » sur les « politiques« , de l’ANP sur le PCC. Cette thèse est celle qui, en 1998, a causé l’anathème sur Qiao Shi, et sa chute.

Or, fait étonnant, l’actuel Préside,t du Parlement, Li Peng (peu connu pour sa sensibilité réformatrice) a publiquement épousé cet objectif.

L’ANP prépare une loi, pour adoption en mars, qui limitera les pouvoirs législatifs du Conseil d’Etat pour renforcer ceux de l’Assemblée. Une telle mesure lésera des ministères (qui légifèrent trop souvent selon leurs intérêts sectoriels), et brisera l’immobilisme engendré par leurs rivalités. Elle est donc dans l’intérêt supérieur de la nation. Mais elle contredit la prééminence du PCC, dogme central du 1er Secrétaire.


A la loupe : Le Pétrole en rose et noir

Des réserves importantes, mais inexploitables à court terme : tel est le diagnostic du marché chinois, récemment issu d’un séminaire sur la stratégie nationale pétrolière au 21. siècle.

Les découvertes pétrolières de 1999 en mer de Bohai (dont Penglai 19.3, aux réserves prouvées de 300Mt, 2. site chinois après Daqing), et les poches de GNL du bassin du Shaanxi/Gansu/Ningxia, et du Sichuan permettent d’espérer doubler en 10 ans la production, à 300Mt d’équivalent pétrole.

Mais au chapitre "Développement", c’est moins brillant. Protection nationale excessive, outils périmés, personnel pléthorique font que jusqu’à un tiers des besoins devront être importés : 50Mt de pétrole, plus 50MMm3 de GNL. Depuis 1er janvier 2000, les restrictions à l’import tombent (pour l’essence). Dans les provinces, des stations ferment, faute de carburant, et les prix montent.

L’entrée à l’OMC ne pourra qu’augmenter les importations : la productivité étant meilleure à l’étranger.

Enfin, enrichies par la remontée des cours mondiaux et le protectionnisme, les trois soeurs (CNOOC, SINOPEC et CNPC) s’apprêtent à entrer en bourse de NY et HK (appels entre 3 et 5MMUSD), afin d’y financer leur relance. CNOOC veut investir 1,9MM USD sur 5 ans, pour doubler sa production (de 20 à 40Mt/an).

Pour des majors comme Chevron, cette course vers la bourse est vue comme une chance de prise de participation, genre de « cheval de Troie en or noir », au pays du Milieu!

 


Joint-venture : Alcatel – redéploiement sur Shanghai

• 12% des JV de Wuhan (Hubei), soit 320, viennent d’être rayées des listes pour cause d’inexistence.

Certaines n’avaient été créées que pour la revente d’équipements importés hors taxes.

D’autres s’étaient ruinées faute d’une d’étude de marché et d’autres étaient mortes d’un désaccord entre partenaires.

Le foisonnement des JV de paille a été favorisé par la crise asiatique: pour pallier l’effondrement des investissements, Wuhan (pas la seule), a multiplié les encouragements à la création de JV, et s’est gardé, pour commencer, de trop les inspecter. Les 320 JV fermées ne sont que la pointe de l’iceberg.

Suspectes, 1300 autres seront suspendues : au total, 60% des JV de Wuhan étaient donc en situation irrégulière.

• Le marché Asie-Pacifique des télécoms devrait croître de 40% en quatre ans, dit Alcatel, et peser 330MM USD. C’est pourquoi le géant français installe à Shanghai son QG, afin de gérer ses 10000 employés dans la région.

Serge Tchuruk, PDG du groupe, était à Shanghai le 17 janvier pour l’annoncer, et présenter son bilan chinois : 420MUSD investis dans 17 JV et 5 sociétés à 100%. Alcatel compte transférer d’Europe vers Shanghai son centre de R&D, et d’en doubler d’ici mi 2001son personnel à 2000 ingénieurs.

• En «hommage» aux «soutiens» du régime (enseignants, militaires, journalistes…), Tianjin Auto (proche de Toyota) casse ses prix : de 4 à 7% de réduction sur sa Xiali / Charade (prix normal de 70000 à 94000Y) avant le «Chunjie». Les commerciaux du groupe ne cachent pas que l’offre est ouverte à tous, et «non provisoire».

Avec 120000 véhicules vendus en 1999, Tianjin Auto peut se le permettre. Il s’agit d’occuper des parts de marché, et de briser la mévente régnant depuis deux mois : tout ceci, en raison de l’entrée attendue de la Chine à l’OMC!

D’autres groupes, VW (Shanghai) en tête, devraient suivre!

 


A la loupe : Rumeurs de révolution boursière !

Les généraux antiques pratiquaient l’amalgame entre troupes bonnes et mauvaises.

Pékin, depuis 5 ans, imposait des fusions à grande échelle, par paquets d’entreprises d’Etat (EE) ruinées et non profitables. Voilà que Zhu Rongji découvre une option plus explosive encore: la reprise de groupes en difficulté, (construction mécanique, par exemple), par des sociétés de services sur le net, issues de grandes universités (Fudan, Qinghua) ou de zones high tech (Shenzhen, Zhongguancun), et l’entrée en bourse (chinoise, HK, NY) du nouveau groupe du tout.

 La fructification permettrait, croit-on, d’éponger les dettes en 2 à 3 ans!

Pour y parvenir, Pékin s’apprêterait à lâcher un lest formidable. Est en cours de révision, le droit des étrangers, du secteur privé, des Fonds d’investissement et Cies de courtage, de racheter des EE.

Des règlements sont attendus après le  Chunjie (Nouvel An Lunaire, 5.fév.). Tout suggère que la barre des 51% des parts sous contrôle public, va voler en éclat. Seuls quelques rares secteurs stratégiques resteraient non privatisables.

Par ailleurs, naissent des outils de courtage électronique, tel Gotrade (HK), assurant l’échange de parts "A" et "B", au départ de 69 branches de 40 groupes à travers le pays.

Outils encore confidentiels : moins de 15000 boursiers, sur les 40M du pays, y participent, pour des montants très faibles. Mais le potentiel est fort : en 2002, Internet attend 33M d’abonnés (9M aujourd’hui). Les obstacles restent forts: la non convertibilité du Yuan, les risques d’évasion fiscale

Et surtout, les deux lourdes tentations du régime, face à l’outil virtuel:

d’en brider les libertés (auquel cas, pas de créativité, ni de croissance possible), et pour ses cadres, de laisser «traîner les doigts» sur cette Bourse «digitalisée» (délit d’initié): au risque de causer l’effondrement du système, au pire moment, après avoir ponctionné l’épargne privée. Laquelle ira chercher sa défense sur le seul lieu , et par le seul moyen qu’elle connaisse : la rue!■

 


Argent : Les chantiers navals surfent sur la vague

• En préparation, le 10. Plan quinquennal (2001-05) aura pour principe la lutte contre les détournements de fonds publics.

Il y aura de quoi faire: 89% des grandes entreprises d’Etat ( GEE), en 1999 ont falsifié leur bilan, et sur 17000 patrons et hauts fonctionnaires contrôlés, au moins 10% ont été punis ou démis.

De cette campagne anti-fraude, le Bureau National d’Audit sera le fer de lance. Il compte éplucher les comptes des bureaux des finances, des impôts, des douanes, les banques et offices de prêt. 1500 GEE seront passées au peigne fin, surtout celles «à risques»: celles dont les dettes sont rachetées, celles inscrites en Bourse, et les monopoles.

L’an passé, sur 112 000 audits, le BNA a recouvré pour 3,6MM USD de fonds détournés – sur 15MMUSD identifiés: il reste du travail!

• 1999 a été faste aux chantiers navals, après la crise asiatique de 1998.

Loin derrière Corée et Japon, la Chine a suivi la tendance, voyant ses commandes doubler (8,57Mt, dont 4/5 à l’export), principalement en pétroliers, vraquiers et grands porte-conteneurs. La Chine compense toujours son absence de «valeur ajoutée» (fonctions spécialisées), par un prix de 10% inférieur en moyenne. La récession lui a d’autre part permis d’imposer la concentration de nombreux petits chantiers en 2 groupes, CSIC et CSSC (60% des commandes de 1999, pour 3MMUSD), qui s’apprêtent à investir dans la course à la capacité : d’ici 2010, CSIC veut produire pour 4Mt/an, ce qui ferait de lui le n°3 mondial.

• Voici une mesure de lutte contre la lame de fond de chômeurs urbains attendue cette année (12M):

Toute firme employant plus de 60% de chômeurs (inscrits en agence pour l’emploi) sera exemptée de taxes d’entreprises durant trois ans. Idem, toute entreprise créée par un chômeur sera nette d’impôts pendant un an.

Par ailleurs, en référence au slogan du moment, «l’avenir sera privé, ou ne sera pas», la mairie de Pékin, après celle de Chongqing, vient d’interdire toute EE nouvelle sur son territoire – sauf exception – rien n’est simple.

 


Pol : L’ADN au secours des enfants volés

• 32 631 brevets adoptés en 1999 : le nombre des dépôts en Chine a augmenté de 20%, venant des industries, et de 22%, des universités.

Face à ce flux croissant d’inventions (le cap des 1M de brevets depuis 1985, vient d’être franchi), le Bureau d’État de la Propriété Intellectuelle croule sous la tâche, réintègre des agents retraités, et en recrute 200 nouveaux. Un fort travail est en cours en aval, en création d’organismes, bases de données, réseaux de contacts, afin de valoriser ces brevets enregistrés, et de les mettre au service du développement du grand Ouest, une des priorités du 10e plan.

• Le démantèlement d’un gang de kidnappeurs à Guiyang (Guizhou) en décembre n’avait pas causé de vagues. Affaire de routine : 7000 enfants/an seraient volés et revendus, 1000 USD/tête (garçons surtout, comme héritiers, et filles comme futures épouses, concubines ou prostituées).

Le gang (28 malfrats, d’une même famille et d’un même village) avoue le rapt de 60 mômes depuis 1995 -qu’il vendait à Canton. La police les soupçonne de modestie.

La preuve : des centaines de parents se sont présentés, croyant retrouver leur fils parmi les 41 garçons et la fillette sauvés, entre un et sept ans. L’affaire est devenue nationale, lorsqu’on s’est aperçu que parents et rejetons ne se reconnaissaient pas: les enfants ne parlaient plus la même langue, et avaient oublié jusqu’à leur nom: seuls sept ont pu être identifiés. Pour les autres, la province a décidé de prendre, à ses frais, un test ADN systématique.

• Pour la session de l’ANP de mars, une série de lois nouvelles ou d’amendements se prépare.

Outre la loi de définition des compétences législatives du Conseil d’Etat (cf Editorial), on compte une version révisée de la loi des Brevets, une révision de la loi des Droits des Chinois d’outremer de retour au pays.

Enfin, un texte tentera d’endiguer l’explosion des associations socio-culturelles en Chine (elles sont 2M aujourd’hui) : vieille demande du Parti que l’on relance, suite à l’émergence du Falungong.


Temps fort : Vers l’émergence d’une ASIE politique?

Keizo Obuchi, Premier Ministre, voudrait voir Zhu Rongji à Tokyo, à son Sommet des 8 à Kiushiu cet été.

Il offre aux pays voisins 30MM USD de reconstruction, et voyage fort (Phnom Penh, Vientiane, Bangkok, Jakarta).

Il voudrait faire du Yen la "devise de l’Asie", 3ème mondiale; mettre à la tête du FMI un nippon, créer un FMA

A cette offre, Pékin montre ses réticences: l’invitation à Zhu reste depuis 6 mois sans réponse. Ce, en raison des problèmes intérieurs chinois (cf édito), de l’agacement profond de Pékin face au révisionnisme de la droite japonaise, et d’un manque de feu sacré pour assumer, maintenant, des responsabilités de pays riche. Pourtant, la Chine elle aussi, veut créer un bloc asiatique.

Deux faits, la semaine passée, rendent compte de cette volonté:

– la visite du militaire Chi Haotian en Corée du Sud, pour la 1ère fois depuis la guerre (1953). Cette visite prélude probablement à des exercices conjoints, et à des actions chinoises pour en finir avec l’état de guerre dans la péninsule. Avec trois bénéfices: supprimer une raison, pour les USA, de déployer leur parapluie anti-missiles; pour Séoul, isoler la Corée du Nord, et pour Pékin, isoler Taiwan  (jusque en 1992 encore, très proche de Séoul).

– la visite du leader putschiste pakistanais. Le Général Musharaff a été reçu au sommet, sans critique – ni aval.

La Chine protège cette alliance stratégique conçue dans la guerre froide pour contenir l’Inde. Mais Pékin est probablement sincère, dans sa demande aux deux parties de "cesser leur course aux armements, et régler par le dialogue le conflit du Cachemire". Toutes hostilités régionales vont à l’encontre de son but N°1, hors de ses frontières: brider les"ambitions yankee" dans le monde Vu sous cet angle, Pékin aujourd’hui ne veut contenir personne – sauf Taibei!

 


Petit Peuple : Pas d’arêtes dans le poisson

• Le 4 janvier, au milieu d’un déjeuner de Poisson aux Os Jaunes» à Ningbo (Zhejiang), Chen Su poussa un cri perçant, suivi de gestes incontrôlés. Son compagnon Kong Yongliang la sauva de l’étouffement, en fouillant entre ses lèvres écarquillées, pour en extraire l’arête magistrale plantée dans sa joue.

S’ensuivit un flot de sang et un esclandre, avec le restaurant au balcon, et Kong en accusateur public.

D’abord en proie à la honte, le gérant, homme de bon sens, finit par flairer anguille sous roche : il appela la police, qui passa sans autre forme les menottes à l’escroc (mais pas à l’acolyte, déjà en route pour l’hôpital).

Depuis novembre, midi et soir, Kong et Chen, pique-assiettes au petit pied, écumaient les bonnes tables de la ville, où ils produisaient leur numéro très au point – l’arête était cachée dans la poche. Par cette technique, le couple avait extorqué 8500Y de dommages à l’amiable et de frais d’hôpitaux. Anxieux d’éviter le scandale, trente restaurants avaient payé comme un seul homme.

Seuls les hôpitaux auraient pu s’étonner d’une pathologie si rare et récurrente. Mais quand on paie, que voulez-vous…

• Etait-ce l’effet de l’alcool, ce soir du 23 septembre 1999, ou la douceur lascive de l’été indien ?

Toujours est-il que ces six étudiants, (trois garçons et trois filles) en 1ère année de Commerce International à Changsha (Hunan), s’étaient égarés dans la nuit du retour : on les avait surpris, à l’aube, dans la  sushe (chambrée) des filles. Après quinze jours de réflexion sur le manquement inouï à la morale disciplinaire, ce rectorat provincial les expulsa, non sans les avoir préalablement soumis à une séance d’humiliation publique, pour l’exemple.

Cependant, criant à l’honneur souillé, les six potaches traînèrent l’université en justice. Le verdict tomba avec une célérité admirable pour la justice chinoise : le 13 décembre le Tribunal Populaire de Changsha condamna l’Institut à leur verser 200 000Y, préjudice moral.

A travers la Chine, la presse, l’enseignement supérieur, et la justice elle-même n’en reviennent pas.