Le Vent de la Chine Numéro 37

du 15 au 21 novembre 2010

Editorial : Du rififi sur la toile

Un phénomène inouï envahit l’actualité : la guerre ouverte entre les deux géants de l’internet, Tencent et Qihoo. Tencent est la messagerie QQ : 625M de clients, 80% du marché chinois (jeux, SMS-chat, téléchargements, ventes en ligne).  Avec 44MM$ de capital, c’est le 3ème groupe mondial.  Qihoo est  n°1 de l’anti-virus, 300M d’usagers.

Les hostilités ont explosé le 27/09 quand Qihoo a accusé Tencent de scanner les disques durs des clients.

Pour les protéger des virus-espions de QQ, il offrait  son logiciel, «360 Privé». Tencent bloqua ses services aux ordinateurs protégés par Qihoo, lequel dévoila «Koukou Guard», antivirus non-résident. Tencent  répliqua en suspendant son service QQ et déposant plainte en diffamation (acceptée par la justice pékinoise) tout en coalisant des alliés tels Baidu  ou Sogou pour dénoncer les « 8 mensonges » de Qihoo.

Entre-temps les adversaires se lançaient des accusations par pop-ups interposés—(fenêtres publicitaires). La guerre atteignit des sommets, le 3/11,  quand Tencent, mit en demeure ses usagers de choisir : Qihoo ou lui.

Le 5/11, 2 ministères MIIT (Ministère des Industries et des technologies)  et MSP (Ministère de la sécurité publique) décidèrent tardivement de réagir, suite à quoi Qihoo dut retirer Koukou. Mais ce n’était qu’un cessez-le-feu – Qihoo refusant de revenir sur ses accusations.

Pourquoi ce conflit lancé par Qihoo qui n’était pas victime, mais qui s’érige en défenseur du peuple? Pourtant lui aussi semble avoir enfreint dans le passé les règles de protection de la vie privée des clients, à en croire Isaac Mao, de Social Brain Foundation.

A la base de toute cette guerre, Tencent lançait en février son propre antivirus, marchant ainsi sur les plate-bandes de Qihoo – compromettant son avenir. Sept mois après Qihoo contre-attaquait comme on sait – Tencent l’accuse, peut-être avec raison, de tenter à son tour de pénétrer sur son marché. Le 5/11 s’ouvre un nouveau front : celui des usagers. En leur nom, Laweach attaque Tencent pour abus de position dominante, réclamant 1,24M¥ de dommages—10% de ses revenus de 2009.

Sous l’angle de l’image, ce sont les deux groupes qui pâtissent aux yeux de 85% des usagers, constatant qu’ils sont pris en otages : Qihoo est rebaptisé «le petit gang» et Tencent, «la mafia».  Même si pour l’instant, le risque de désertion massive de Tencent apparaît quasi-nul, vu… la force de l’habitude.

Tout ceci pose de fortes questions, notamment sur les effets de 20 ans de protection de secteurs «stratégiques» (tel l’internet) contre la concurrence étrangère. L’objectif était de favoriser l’émergence de géants d’envergure mondiale. L’objectif a été atteint, atteint, mais ces groupes n’ayant jamais appris à partager leur marché, risquent à présent de commencer, en ces temps de baisse de croissance, à s’entretuer.

D’août à octobre, un conflit aussi tout aussi violent et illégal a éclaté entre Yili et Mengniu, les géants laitiers du nord. Quoique leur métier n’ait aucun lien avec l’internet, les causes apparaissent étrangement similaires: l’incapacité à partager le marché selon des règles pacifiques et légales.

Autre aspect soulevé : la gratuité de l’internet.

Ailleurs au monde, pour concilier gratuité et profitabilité, les groupes se financent par la publicité, ou par des versions payantes de programmes gratuits. Dans l’internet chinois par contre, la tentation peut naître de se payer en piratage de données privées : vendre par exemple les listes de futures mères, de candidats à un examen, etc… Ce qui n’est encore interdit que par une loi floue. Et si l’acteur n°1, comme Tencent est aussi puissant que bien introduit, le danger devient réel de le voir porter atteinte aux libertés du client, créant ainsi un Big Brother, privé. Ce qui pourrait être une des motivations à Qihoo pour intervenir : alerter opinion et pouvoir, sur ce risque de dérive.

Impossible hier, une suite se dessine, l’entrée sur le marché des seuls acteurs à la réputation encore intacte, les étrangers. MSN (Microsoft) vient de s’allier à Sina.com, pour mieux enfoncer la brèche : il ferait des milliers d’adhésions par jour.

 

 


A la loupe : Cameron à Pékin—la chance sourit aux audacieux

En soi, David Cameron  le jeune et nouveau Premier ministre conservateur britannique aurait eu trois raisons de déplaire à Pékin :

[1] un aïeul né à Shanghai à l’ère «mi-coloniale, mi féodale», [2] à la création de son cabinet de coalition, avoir confié le dossier «Chine» à son   n°2 N. Clegg (du Parti Libéral-Démocrate), [3] et son refus d’ôter de sa boutonnière un coquelicot de papier (qui honorait les vétérans de la 1ère guerre mondiale, mais où la Chine prétendait voir un rappel des guerres de l’opium).

A ces litiges, Cameron en rajouta un 4ème, demandant à son collègue Wen Jiabao la libération de Liu Xiaobo, le Nobel prisonnier : sujet très anathème ! Puis pour faire bonne mesure, il loua aux étudiants de Beida les beautés du multipartisme, tel qu’exemplifié par sa coalition. Retrouvant inconsciemment le ton de Margaret Thatcher au 96′ China Summit à Pékin (cf VdlC N°42/1996), Cameron exaltait le « courage d’être démocrate »

Ainsi après dix années d’une politesse  confinant à l’auto censure envers la Chine, la Great Britain de Cameron veut recouvrer sa liberté de ton et ses valeurs. Or, elle s’y attelle au moment où sa dépendance envers la Chine est la plus lourde, pour sauvegarder ses emplois et franchir la barre de cette crise de mutation économique. En ce combat autant désespéré qu’indispensable, Londres est loin d’être seule : en ce diagnostic sur le Royaume-Uni, quel autre pays européen ne pourrait pas se reconnaître ? 

Cameron venait avec quatre ministres et 43 patrons d’affaires «la plus importante mission industrielle dans l’histoire bilatérale ». Il affichait crânement ses ambitions, prétendant doubler d’ici 2015 le commerce bilatéral annuel à 100MM$, dont 30MM$ en exports vers la Chine.

Côté chinois cependant, loin de s’offusquer de la franchise retrouvée, l’accueil fut au plus haut niveau, Cameron étant  reçu par Wen Jiabao, par le président Hu Jintao et d’autres membres du leadership suprême. Effort qui s’explique par l’histoire (Londres ayant été un partenaire politique parmi les plus anciens), et l’économie -le Royaume-Uni est le 2d investisseur européen derrière l’Allemagne, ayant échangé avec la Chine 35,75MM$ aux trois 1ers trimestres 2010. Pas moins de 41 contrats et accords furent signés par son cabinet durant sa visite, parmi lesquels  1,2MM$ de commandes en moteurs Rolls Royce pour équiper 16 Airbus A330 du transporteur China Eastern. Au reste, Londres décrocha encore un contrat pour quelques dizaines de verrats de reproduction, et la protection du droit de marque pour le whisky qui passe en Chine sous la loi britannique, ce dont les distillateurs écossais espèrent un doublement de leurs ventes. Mais cela est peu de chose, face aux 21MM$ annoncés à Paris la semaine précédente!

En définitive, ces raisons de déplaire citées plus haut, obtinrent curieusement l’effet inverse auprès d’une presse chinoise ne retenant que l’« amour sino-britannique ».  Ainsi qu’auprès du gouvernement chinois : d’abord un peu surpris par la bouffée de combativité du visiteur, il donna l’impression de voir les choses de haut, avec placidité et tolérance. Il faut dire que les temps étaient favorables à Cameron : avec les USA à affronter au G20, et une nuée de boucliers levés contre elle en Asie suite au déploiement de sa marine en mer de Chine, Pékin pense à tout autre chose aujourd’hui, qu’à gonfler les rangs de ses détracteurs.

 

 


A la loupe : Canal maritime Tianjin-Urumqi : la mer entubée

Le 5/11 à Urumqi (Xinjiang), un forum scientifique dévoila un projet étonnant et géant, comme seule la Chine sait en mener.

Depuis 15 ans en grand secret, des armées d’experts préparent le forage d’une «canalisation maritime» du nord de Tianjin (mer de Bohai) à la rivière Shulei, dont il emprunterait le lit jusqu’au bassin du Tarim, dans le grand-Ouest, en passant par la prairie mongole via Xilinguole, et quatre chaînes de montagnes pour gravir 1280m d’altitude.

Pour limiter les déperditions, l’eau de mer voyagerait par tubes de plastique renforcés de fibre de verre d’une durée de vie de 50 ans. Les millions de m3 d’eau serviraient à faire revivre les lacs salés du Xinjiang, aujourd’hui moribonds : Aying, Aibi ou Lop (Nur). Le bénéfice principal serait d’alimenter une évaporation constante sous le soleil intense, réintroduisant des pluies sur ces terres, dont seules 4% sont aujourd’hui habitables. Inventeur du concept, dès 1995, le professeur Huo Youguang (université Jiaotong de Xi’an, Shaanxi) reste à la tête du projet, passé à l’étape de la faisabilité en 2006, voire aux travaux préparatoires de terrain en Mongolie.

Sur la pertinence de ce canal de 4000km, adversaires et partisans s’affrontent furieusement.

Ingénieur chef du Bureau sichuanais de géologie, Fan Xiao, aussi associé à la réalisation d’un autre projet pharaonique -le Canal Yangtzé-Fleuve Jaune, n’hésite pas à déclarer le projet irréalisable au plan technique et financier. Ses objections touchent à la corrosion du tube de plastique, aux élévations à franchir, et à la pollution de ces eaux de mer de Bohai, lourdement chargées en phosphates, nitrates et métaux lourds.

Zeng Hengyi au contraire, de l’Association Industrielle High Tech y voit un remède à la sécheresse des régions du Nord-Ouest, tandis que Li Xin’e, du Bureau de recherche du Xinjiang, évoque la réduction de la poussière dans l’air, l’adoucissement du climat et même le renforcement de la production de houille, grâce à la disponibilité accrue en eau. Hongyuan, un groupe de désalinisation se targue de produire (une fois le canal en place « en 2016 ») l’eau douce pour irriguer 12000 hectares de terre aujourd’hui aride… Le coût du transport est estimé à 8¥/m3, contre 20¥/m3 pour le projet de diversion du Yangtzé : car ce canal Bohai-Xinjiang lui, suit un tracé Est-Ouest, plus compatible avec la topographie du pays.

Au Conseil d’Etat, le projet a été estimé réalisable dès 2007, et bénéficierait du soutien de Wen Jiabao et de Li Keqiang. Pour autant, il n’a pas encore obtenu l’approbation, et ne dispose pas même d’autorité de tutelle. Quel que soit son destin final, le fait même d’être monté si haut dans la chaîne administrative, en dit long sur le volontarisme et la disponibilité du pays à prendre des risques. Ainsi que sur sa foi en la technique, et son goût toujours très prononcé pour des projets géants, altérant à jamais l’équilibre climatique de régions voire de continents entiers.

NB : Suivant une variante plus réaliste du plan, portant sur un parcours plus modeste, une partie de l’eau serait utilisée et désalinisée à mi-parcours en Mongolie. En définitive, par cette conférence d’Urumqi, l’Etat semble avoir voulu accélérer le débat, tâter le terrain, voire préparer l’opinion à une décision déjà prise !

 


Argent : XII. Plan — goutte-à-goutte

Petit à petit, le XII. Plan prend corps, par petites touches à travers la presse afin d’en vérifier l’acceptation sans trop grande surprise. En vrac, les nouveautés de la semaine :

[1] 12 ans après l’abandon des HLM subventionnés, une nouvelle loi se mitonne au Parlement (ANP), qui tente d’imposer (mais comment?) la part des provinces dans le financement et la dotation foncière au logement social.

Dans le même souci de rendre espoir de propriété à des dizaines de millions de familles, privées par la flambée de l’immobilier, des règlements locaux se préparent, pour plafonner les prix. Enfin, tout étranger achetant un bien, devra fournir la preuve qu’il n’en possède pas d’autre en Chine…

[2] 85000km d’autoroutes, 40.000km de chemin de fer à bâtir d’ici 2015, pour relier toute communauté de 500.000 d’âmes au train, toute ville de 200.000hts à l’autoroute.

[3] Le régime s’attend à attirer 420 MM$ d’investissement direct étranger (IDE) : 50% de plus qu’au quinquennat précédent, créant ainsi 45 millions d’emplois. De 2006 à 2010, l’étranger a généré 55% de l’export chinois. Et de janvier à septembre, 19.209 firmes étrangères sont nées, tandis que l’IDE croissait de 16,6% (sur un an) et de 74MM$.

[4] En politique, se confirme l’interdit de réformes nouvelles avant 2012. S’y substitue la volonté d’avancer vers l’Etat de droit, par l’éducation des cadres au respect des lois et la consultation (marginale) des citoyens lors du processus législatif.

 

 


Pol : XVI. Jeux Asiatiques à Canton : c’est parti

9704 athlètes, 5000 accompagnants, 45 pays, 476 médailles d’or sous 42 disciplines…

Les plus importants Jeux Asiatiques (16èmes du nom) ont démarré le 13/11 à Canton avec 28 médailles d’Or à prendre. Le 12/11, la métropole du Sud avait tenu à s’offrir le plus gros son et lumière de l’histoire du sport, animé en image par la gracieuse starlette Zhang Ziyi, en musique par Lang Lang, enfant terrible du piano mondial.

Ces Jeux Asiatiques s’ouvrent sur une rivière des Perles transfigurée par 11MM² d’investissements, la reconstruction d’un centre ville aux tours les plus audacieuses du pays (dessinées par la fine fleur de l’architecture planétaire, tel l’opéra-rocher de l’anglo-irakienne Zaha Hadid), des autoroutes, lignes de métro -achevées un peu trop vite… Une armada d’avions et de fusées était prête à prendre l’air pour garantir des Jeux sans pluie, quitte à crever les nuages.

Hélas pour lui, Wang Dalei, gardien du «11» national de football s’était montré incapable d’endurer les lazzis suivant la défaite du Onze chinois, face au nippon (3-0). Ayant traité les fans de « C… » et de « bande de chiens », lui valut une suspension d’un match et l’obligation d’une autocritique, toute honte bue.

Côté sécurité, un fort travail a été mené, comme à Pékin 2008 et à l’Expo Shanghai 2010, afin d’exfiltrer les fauteurs de trouble (dissidents, pickpockets), voire les plus remuants des 200.000 « compradores » africains, à demeure dans la ville.

 

 


Temps fort : Au G20—la Chine, au trône de leader, et au banc des accusés

Au G20 de Séoul, les 12-13/11, la Chine de Hu Jintao monta en puissance, face à des Etats-Unis en recul d’influence.

Et si ce sommet des chefs d’Etats n’a pu (comme on s’y attendait) s’entendre sur du concret, c’est que son collège, refusant de suivre B. Obama, n’a pas souhaité accuser Pékin et sa politique de «sous-évaluation concurrentielle». Et faute de s’entendre sur une discipline mondiale des taux d’intérêt et des balances des comptes courants, les conditions ne furent pas réunies pour éliminer toute chance de guerre monétaire future. Les 20 leaders se bornant à l’énoncé de principes vagues sans moyens pour les appliquer.

Il faut dire que les USA s’étaient mis dans un mauvais cas en lançant peu de jours avant l’émission de 600MM$ de dette nouvelle (stimulus de leur économie), dont l’Asie redoutait les contrecoups sur leurs marchés. Aussi la sombre conclusion de Hu, critique larvée à Washington, était fort écoutée vendredi soir : «nous voyons des marchés financiers volatiles, des fluctuations trop larges, des matières 1ères trop chères, et un clair retour du protectionnisme ».

Quelques jours plus tôt, Pékin venait de gagner une 1ère bataille, empochant un renforcement de ses voix au FMI à 6,4% ce qui la poussait au 3ème rang des décideurs, derrière USA (17,4%) et Japon (6,5%). Enfin, quoique tous les pays soient demandeurs d’une stabilisation des marchés des devises et des matières 1ères, aucun accommodement n’était possible, entre ceux émergents qui profitent d’une liberté totale de manoeuvre monétaire, et d’autres comme Europe ou USA, en demande de discipline monétaire.

Hu Jintao était pourtant arrivé au G20, précédé de mauvais chiffres : une inflation forte (+4,4% en octobre), un surplus commercial galopant (+27MM$), des prêts bancaires hors contrôle (587MM¥, dépassant de 20% les prévisions) et des centaines de milliards de US$ réfugiés sur son sol, spéculant à la hausse du yuan. A la foire de Canton, les industriels chinois retenaient leurs ventes de jouets de Noël, anticipant une hausse du yuan qui mangerait leur marge. Pékin venait donc de renforcer pour la énième fois ses mesures : hausse des réserves bancaires obligatoires (+0,5%), hausse par à-coups du yuan (+2,2% depuis juin). Et surtout la suggestion d’une hausse plus forte à l’avenir, « 3 à 5% » pour Li Daokui, (BPdC), « 5 à 6% » pour Li Jian (ministère du commerce) : comme pour préparer l’opinion.

Pour s’assurer contre une mise en accusation au G20, le régime socialiste maintenait depuis huit jours son battage critique contre le second plan de stimulus US. Campagne « écran de fumée », mais traduisant aussi une exaspération générale de voir l’Amérique « exporter son inflation » à coup de planche à billet. Hu avait aussi et surtout orchestré son spectaculaire rapprochement sélectif de quelques pays de l’Union Européenne (France, Portugal, voire R.U., cf p.3).

La France, dont le Président Sarkozy prend justement la présidence du G20 en 2011, elle a pour ambition d’aboutir là où les Coréens patinent : arracher cette refonte de la finance mondiale, abandonnant le mécanisme de Bretton Woods vieux de 65 ans, pour doter ces flux boursiers ou capitalistes de règles communes, avec mécanisme d’intervention accru pour le FMI et rôle supérieur au yuan.

A Nice la semaine précédente, Sarkozy s’était concerté avec Hu Jintao -le premier rendez-vous d’une longue série l’an prochain était déjà convenu, pour janvier en Chine, entre les 20 ministres des Finances. Gregory Chin, professeur canadien entrevoyait déjà ainsi la tendance dominante à Séoul : «le G20 dérive, quittant le consensus de Washington !»

 

 


Petit Peuple : Shengli—la cendre qui s’éteint

Au coeur des monts du Sichuan, Shengli (préfecture de Chengdu) vit ses derniers jours. Blessé à mort par le séisme de 2008, il a été achevé par un décret de 2009 imposant son abandon comme à toutes les communautés sinistrées. Nulle exception n’a été faite pour Qingshui, «Eau claire», l’école de six classes dont les élèves quittent un à un depuis l’été, abandonnant avec leurs parents la terre de leurs ancêtres pour refaire leur vie ailleurs, dans des villes nouvelles telle Gaoxin Shunjiang.

Voici donc une bâtisse aux salles désertes, aux tableaux noirs lavés, aux rangées de tables et chaises alignées comme si leurs classes étaient encore là, d’enfants fantômes à peiner sur leurs idéogrammes. A l’arrière, l’aire de gym dort comme endormie par une fée maligne : ni enfant qui grimpe à la corde, ni peloton qui court rouge d’efforts, ni les derniers qui resquillent en marchant, se croyant à l’abri du regard du prof… Ni récré, ni fillettes à la marelle, ni garçons leur tirant les nattes : rien que le silence sidéral, partout…

Partout, sauf à l’étage en salle de sciences : face à un ballon bouillant sur son réchaud à alcool, un professeur discourt sur la vaporisation, face à face avec une unique écolière qui suit les yeux ronds comme des billes, et note tout religieusement.

Mais dans les rapports entre prof et élève, on sent bien le changement depuis que cette école publique s’est muée en cours privé. Ayant perdu sa timidité, Sunyue (c’est le nom de la fillette) ose fixer l’éducateur dans les yeux voire l’interrompre, et loin de s’en offusquer, ce dernier semble soulagé de cette familiarité qui lui fait heureuse diversion. En petit comité, une discipline de fer n’a plus grand sens.

A la cloche marquant la fin de cours, Sunyue remballe cahier, stylos et règle . Après avoir salué cérémonieusement, elle part deux salles plus loin… en cours de musique, sous la bénigne férule d’une femme souriante, à collier de verroterie, qui lui fait répéter ses chants puis l’assoit au piano droit, pour sa répétition.

On l’aura compris, Sun Yue est la dernière élève, composant à elle seule l’ultime classe – la 4ème…

Elle avait huit ans au moment du grand tremblement de terre qui coûta la vie à 80.000 Sichuanais dont 10 à 20.000 élèves. Son école par bonheur avait mieux résisté qu’ailleurs, ne laissant que quelques blessés à déplorer. Ce qui ne l’a empêchée d’être vouée comme 3300 autres édifices publics au pic du démolisseur, tout comme Shengli tout entier. Seule demeurait encore la famille de Sun Yue, oubliée par l’administration.

Mais en toute chose, malheur est bon : le règlement local le stipule, même pour une seule élève, l’école reste ouverte, avec 19 professeurs qui se relaient désespérément autour de cette fillette devenue leur ultime raison d’être et éphémère gagne-pain. Histoire de faire travailler un maximum de collègues, ils lui enseignent, en plus des matières au programme, celles des années suivantes, comme les sciences.

Parmi ses maîtres, il en est un que la situation fait suer -mais avec le sourire : le prof de gym. Dans le bon vieux temps des vraies classes, il faisait des groupes, filles à gauche, gars à droite, et depuis le bord du terrain, leur donnait la consigne. « Mais avec une seule élève à faire travailler, je dois m’y mettre, lancer le ballon, smasher, sauter, courir avec elle… j’en perds ma graisse »…

Aux yeux du directeur, hélas, l’avenir est sombre : ce provisoire bancal ne peut durer. D’ici une semaine, un mois au plus, Sun Yue à son tour bouclera pour la dernière fois son cartable, l’école fermera. Que deviendront les 19 profs ? Les plus dégourdis se sont déjà recasés dans les écoles voisines. D’autres retourneront en stage de formation. Mais pour Eau Claire, le directeur ne se fait pas d’illusion : aucun espoir de rebâtir ses murs ailleurs, de rouvrir, et que la cendre morte se remette à rougeoyer (Sǐhuī fùrán, 死灰复燃) !

 

 


Rendez-vous : Zhuhai, le rendez-vous de l’aéronautique et de l’espace

16-21 novembre Senzhen :  China High Tech Fair

16-23 nov. Zhuhai : Salon aéronautique et de l’espace

17-19 nov. Pékin : Salon de l’eau

17-20 nov. Dongguan, Salon des plastiques, caoutchouc

18-20 nov. Pékin : CRTS China, Salon du Rail