Le Vent de la Chine Numéro 40

du 13 au 31 décembre 2004

Editorial : Où va le charbon chinois ?

380 mineurs tués en quelques semaines : la Chine houillère expose sa misère, porte le deuil, avouant 7000 décès en 2004 (en fait sans doute 20.000).

Le mineur cumule la pire mortalité (80% des décès miniers sur terre, pour 35% des extractions), et une très faible productivité (321 tonnes/an, soit 2,2% de son collègue des Etats-Unis)!

Le charbon chinois souffre de deux urgences qui freinent sa modernisation : une soif inextinguible de jobs dans les campagnes, et une demande insatiable en énergie. En 2004, le pays a extrait 1,4MMt de houille, laquelle assure 74% de la production électrique. Quoiqu’en hausse violente, cet effort d’extraction n’a pas suffi : le déficit a été de 100Mt, laissant 25 provinces livrées aux pannes de courant. De même, ce charbon doit traverser en train la moitié de la Chine pour atteindre la côte, paralysant les chemins de fer. Il en résulte une flambée des prix, et un sourd refus opposé aux efforts de l’Etat pour fermer les mines petites et dangereuses…  Depuis avril,16.000 petites unités ont été « fermées » (mais souvent rouvertes), et fonctionnent à «tombeau ouvert»: 5MM² manquent, pour mettre aux normes les 30.000 mines  de houille ! 

Les lendemains ne chantent pas : en 2020, le parc de centrales aura doublé en puissance, atteignant 630GW. Dix ans après, les émissions de CO² auront fait de même. A ce rythme, les 113,5MMt de réserves auront disparu d’ici 2080.

L’Etat tente de réagir. La NDRC, la Commission nationale pour le développement et la réforme, vient, le 2 décembre, d’annoncer la concentration de 13 bases, autour du bassin houiller du Centre : groupes industriels qui devront décupler parallèlement productivité, sécurité, protection de l’environnement. On en saura plus début 2005, à la publication du Plan.

D’autres expériences sont porteuses d’espoir : Jinsheng (Shanxi) et la Banque Mondiale signent (1/12) un accord de cession de droits d’émission de gaz à effet de serre, sous l’égide de la convention de Kyoto. La Banque Mondiale traitait au nom du Prototype Carbon Fund, groupe de 6 Etats et de 17 firmes. Ce Fonds rachète le droit de polluer, à concurrence des volumes de méthane que Jinsheng ne relâchera plus dans l’atmosphère—60 emplois créés. Un des 1ers du genre, cet accord entre en vigueur en janvier 2005. Sa portée est éminemment symbolique: en finançant des firmes chinoises  pour faire de leur non pollution une valeur marchande, il suscitera un effet boule de neige dans les vocations !

 


A la loupe : G. Schröder remet les choses en place !

Conclue par 4MM² de deals, la marche royale de Jacques Chirac en Chine en octobre, avait porté ombrage au Kaiser des affaires: Gerhard Schröder est retourné à Pékin en sa 6èmeréunion de famille (dixit Wen Jiabao), pour remettre de l’ordre dans la maison européenne. Avec 20 contrats engrangés en deux jours (6-8/12), le palmarès est convaincant!  

En aéronautique, il vend 23 Airbus, 1MM². La Chine s’apprête à produire 5% du A350(futur concurrent du 7E7 de Boeing), et préparerait une commande imminente d’A380, futur relais du 747.

Siemens va livrer 180 locomotives à 360M², et une ligne à haute tension (à Southern Grid), à 210M². Volkswagen ouvre sa 2de usine à Changchun (Jilin), qui produira 330.000 fourgonnettes Caddy d’ici 2006 (pour 792M² d’investissement, à 50/50%), portant la capacité de la maison de Wolfsburg à 1M/an. Daimler s’apprête à sortir à Pékin 80.000 Mercedes/an, et obtient la licence de crédit-automobile.

Par ailleurs, Schröder prédit d’ici 2010 le doublement des échanges (50MM$ en 2004, trois fois la France), et négocie le soutien chinois pour l’entrée de son pays au club fermé des membres permanents du Conseil de Sécurité.

Climat au beau fixe donc, entre Pékin et Berlin, mais ce ciel sans ride ne doit pas cacher les intenses sacrifices concédés (cf p2,Transrapid) pour ce marché, ballon d’oxygène indispensable à son industrie, alors que son marché intérieur recule ou stagne!

 


Joint-venture : UPS et Ford retrouvent une liberté

— Premier détaillant chinois du bricolage, le britannique B&Q (235M$ de ventes en 2002, 5000 jobs), prend, sans coup férir, pour 12,5M$, les cinq surfaces de PriceMart, qui jette l’éponge. Son groupe Kingfisher veut ouvrir 80 enseignes avant 2009 -il en a déjà 20.

Sur un plus modeste pied, l’alter ego français Leroy-Merlin (groupe Mulliez, également pavillon d’Auchan et Décathlon), prend pied à Pékin (8000m²), associé à Yuanzhou, spécialiste en services d’architecture d’intérieur, offrant un plus par rapport au «do-it-yourself» (80% du marché).

Ouvert au 11/12 par l’OMC à l’étranger, le marché est porteur : chaque propriétaire met 80²/m² en moyenne dans l’aménagement du nid douillet, d’une taille de 90 à 100m² ! 

— En 2015, affirme P. Bakker, patron de TPG (Pays-Bas), la Chine sera source de 30 à 40% des échanges mondiaux. Raison valable pour déployer depuis Shanghai sa messagerie TNT, avec 200M² à la clé d’ici 2007. Alors, cette JV avec le groupe Anji alignera en Chine 2400 camions, entre ses 100 branches et 1000 villes. Dans la démarche, UPS va encore plus loin : enfonçant la porte ouverte par l’OMC, le routier américain rachète 100M$ sa liberté, du partenaire Sinotrans. Dès janvier 2005, UPS volera de ses propres ailes vers 5 villes, et d’ici décembre 2005, en desservira 200, soit 80% de l’économie chinoise, où l’ex-monopole  ne pourra plus même lui faire concurrence. Il lui servira encore d’agent dans le reste de la Chine – délai de grâce!

— Par jeu d’écriture,sur pression de Pékin, Chang‘ an, le constructeur auto de Chongqing rachète Jiangling, son homologue du Jiangxi, moyennant 54M$ et la reprise des dettes. Ainsi, le nouveau groupe dispose d’un capital proche des 2MM¥ requis pour toute expansion de capacité. Ford, de son côté “perd” un partenaire de JV, mais gagne le droit à un 2d (Chang’an monte la Mondeo et la Fiesta, et Jiangling, la camionnette Transit).

NB : Volvo, filiale Ford, veut venir à Chongqing produire sa S40 sur les chaînes de sa maison mère -petit modèle, peu rentable à importer. Reste à finaliser le deal (sous 6 mois), et à Pékin, de valider, au plus tôt pour 2006!

 

 

 


A la loupe : Lenovo s’adjuge IBM – coup génial, ou …?

Drôle de mariage, que celui d’IBM, pape du PC des années 1980 et de Lenovo (ex-Legend), n°1 chinois, qui rachète (7/12) la branche ordinateurs d’IBM (9000 jobs) pour 1,75MM$, dont 500M en reprise de dettes. La nouvelle entité passe de 3 à 8% du marché global, loin derrière Dell (16,7%) et HP (15%) !

Dans l’air du temps, cette concentration suit celles de groupes tels Thomson/TCL ou Bird/ Sagem. C’est aussi l’alliance des enfants gâtés de l’informatique, le protégé du socialisme pékinois uni à la grand-mère de cette technologie, l’un et l’autre en perte de vitesse pour avoir omis l’effort de remise en cause de leurs manières de faire.

Ce marché propulse Lenovo à une échelle quasi-décuplée (12M de PC/an, 12MM$ de chiffre). Il hérite d’un vivier de brevets, d’un réseau mondial de vente, de Service après-vente et (surtout) pour 5 ans, du label IBM. IBM pour sa part, avec ses 320.000 emplois restants, pourra se lancer à fond dans le service et les solutions clé en main -son marché d’avenir.

Et pourtant ce mariage un peu trop parfait compte une zone d’ombre : son hétérogénéité, la compatibilité des cultures d’entreprise.

Jusqu’alors entreprise d’Etat (57% de parts publiques avant la vente, 46% après), Lenovo devra se muer en authentique multinationale, avec droit de regard du partenaire dans ses affaires : IBM  prend 18,5% de ses parts, son siège sera à New York, et son PDG sera américain (Stephen M. Ward)!

Le régime aussi, prend des risques : jusqu’à hier, il interdisait les fusions étrangères dans les secteurs dits stratégiques. Aujourd’hui, il bénit ce mariage : certain que cette chance est unique, pour sa vitrine électronique qui végète depuis longtemps dans l’attente d’un satellite qui le mette sur orbite planétaire !

 


Argent : Sidérurgie, la porte des investissements rouverte

— En 2004, la sidérurgie locale produira 277Mt, outre les 25,6Mt importés de janvier à octobre. En 2005, si tous les projets aboutissent, elle sortira 330Mt, + 20%, équivalent à la demande attendue en 2010.

Il y aura donc “de la casse”: pourquoi, alors, Pékin s’apprête t’il à lancer trosi aciéries géantes à Zhanjiang (Canton), Maanshan (Anhui) et Taiyuan (Shanxi), d’une capacité de 16,5Mt/an? En fait, un ressort de l’économie chinoise réapparaît ici, constaté sur le marché foncier.

Pour calmer l’immobilier, Pékin avait gelé six mois les ventes de terre, aboutissant à l’effet inverse (spéculation), suivie d’une réouverture “encadrée”. Dans l’acier de même, Pékin veut discipliner la furie d’invests, faute de l’endiguer. Les trois complexes haut de gamme (livrés à Taiyuan par Voest-Alpine, Autriche, et Demag, Allemagne) doivent permettre d’ici 2008 de supprimer les imports. Elles devraient aussi permettre un développement plus durable. Quant aux 10aines de mini-projets en cours, de qualité et légalité douteuses, (4MM$ d’invest sidérurgiques au 1er trim., + 107%), une part sera stoppée par des limiers lancés dans les provinces pour éplucher leurs comptes. Les autres, espère t’on, seront laminés par le marché excédentaire!

— Nouveau revers pour Transrapid (Allemagne): la Chine envisage de confier la construction de «sa» liaison Maglev Shanghai-Hangzhou (170km) à des firmes locales, pour une épargne visée d’1/3 du budget, rogné à 4,1MM$. Consortium Siemens et Thyssen-Krupp, Transrapid avait monté en ’02 la 1ère de ces liaisons sur coussin magnétique (hors Allemagne) : 30 km à 430km/h, sur l’île de Pudong. Estimé à 500M$, le «cadeau» allemand aurait du assurer à Transrapid la ligne Pékin-Shanghai (1300 km). Des problèmes  liés à la nature futuriste de cette technologie, ont enterré ses chances—peut-être au profit d’Alstom. A présent, c’est le «lot de consolation» qui est compromis. Mais pour la Chine, il y a loin de la coupe aux lèvres : à la veille du passage de G. Schröder (cf p.1), Transrapid signalait une tentative d’espionnage industriel sur son site. Mais comment des firmes locales pourraient-elles faire tourner un équipement que ses auteurs ne maîtrisent pas encore eux-mêmes ?

 


Pol : Taïwan – une dérive brisée

— Trompant les sondages, le scrutin législatif taiwanais (11/12) a laissé à l’opposition nationaliste (coalition Kuomintang) sa frêle majorité (51%), à 114 sièges sur les 225 du Yuan Legislatif.

Avec son allié TSU (Taiwan Solidarity Union), le DPP indépendantiste (le Parti démocratique du Progrès) a 101 élus. Chen Shui-bian, le Président séparatiste, avait proposé de franchir systématiquement tous les pas “préparatoires avant le Rubicon” de l’indépendance de jure. Il voulait ainsi remplacer par «Taiwan» le nom de  «Chine» dans les groupes d’Etat comme China Airlines, et les officines de l’île à l’étranger. Les firmes visées sont peu enthousiastes, ne voyant que des ennuis à attendre de cette démarche politique… Face a cette stratégie, le peuple insulaire a tranché. En maintenant le partage du pouvoir, il refuse l’aventure d’une confrontation armée avec Pékin, qu’une victoire du DPP, clair mandat pour la séparation, aurait rendue possible!

— Réclamée par la Chine et soutenue par les poids lourds de la France et de l’Allemagne, la levée de l’embargo sur les ventes d’armes n’a finalement pas eu lieu au sommet “Chine/Union Européenne” des 25 ministres des Affaires étrangères de la Haye, et de Wen Jiabao (8/12).

C’était prévu. La Chine avait exclu tout compromis sur le plan des droits de l’homme (telle la signature de la Charte internationale des droits civils et politiques, réclamée par  certains). Les 25 réitéraient la demande de relations privilégiées avec Pékin, mais une sensibilité “nordique” (Hollande, Danemark, Suède, Grande-Bretagne) s’inquiétait d’une levée non précédée d’un code de conduite entre Etats-membres. La réunion dura 2h45, et s’acheva sur le refus des 25, provoquant un instant de déception du 1er ministre chinois, qui dénonçait ce traitement “discriminatoire”. Pour autant, un “signe positif” a été transmis à Wen Jiabao : dans les couloirs, et par micros interposés, il apprenait que l’embargo disparaîtrait, “avant l’été 2005” -probablement!

— En matière de pub et de jeux internets en Chine, la liberté est grande -mais pas illimitée : deux groupes étrangers l’apprennent à leur dépens.

En un clip télévisé diffusé en Chine, sans penser à mal, Nike montrait Lebron James, star du basketball, terrassant tour à tour un maître de kungfu, 2 amazones locales et 2 dragons, symboles de la puissance chinoise.

Pour sa part, Sega (Grande Bretagne), dans son jeu «Soccer Manager 2005», avait imprudemment doté Tibet, Hong Kong et Taiwan d’équipes «nationales», les reconnaissant ainsi comme des «pays». Que n’avaient-ils fait!

Nike a été fustigé pour «blasphème de la dignité nationale» (il s’est vite excusé) et Sega, d’«atteinte à la souveraineté et intégrité territoriale». Tous deux sont bannis de l’éther et de la toile chinoise, avec amendes pouvant atteindre 1800$ aux cafés internet et webmasters qui enfreindraient le ban!

NB : les deux produits incriminés avaient pour sujet le sport – indice d’un écart culturel entre Chine et Occident sur ce sujet, et source de malentendus possibles d’ici les Jeux Olympiques de Pékin en 2008.

 


Temps fort : China Aviation Oil se brûle les ailes au grand jeu du marché à terme

550 M$ de pertes, et en fait sans doute bien plus! China Aviation Oil Ltd. (Singapore) offre à sa maison mère l’embarrassant « cadeau » du plus grand krach d’entreprise d’Etat expatriée.

Depuis 12 mois, le monde des affaires attend l’atterrissage du cours du pétrole, notoirement surcoté. Quasi-monopole du kérosène importé en Chine, China Aviation Oil (CAO) faisait ses choux gras en spéculant sur la baisse: elle se trouva fort dépourvue en octobre, quand la bise fut venue sous la forme d’un baril à 55$, alors qu’elle en avait vendu à terme, pour 52M de barils!

Le début dénotait une faible compétence : la suite fut indéfendable! Pour réduire ses pertes, CAO liquida 15% de ses parts, pour 120M$, via la Deutsche Bank, à des clients institutionnels, qu’elle omit d’informer du mal qui la rongeait. Banque, et maison mère savaient-elles? La justice singapourienne, qui ne plaisante pas sur ces domaines, tente de l’établir.

La CAO (Singapore) échappera à la faillite, si la CAO (Chine) et Temasek, bras financier de Singapour, la renfloue chacun de 50M$ -ce qui est probable, vu le risque limité pour la république insulaire, et les espoirs qu’elle fonde en la Chine, son 4ème client. Mais l’an 2002 est déjà loin, où la firme était élue par la Securities Investors Assoc., « Cie la plus transparente de Singapour »: les experts lui votent à la place, un brevet d’orgueil, laxisme et cupidité!

 


Petit Peuple : Vieille dame contre jeune loup!

C’est vrai, quoi, C’est dégueulasse!” En ce bar de province, fin 2003, Zhicheng, jeune loup dont l’énergie ne le cédait qu’à l’ambition, vomissait son PDG qui offrait la direction des ventes à un c…  Zhicheng voulait claquer la porte! Recommandant une tournée, A-Liu, son ami, lui conseilla d’attendre, se rendre indispensable avant de les plaquer, les laissant tous dolents de la perte irréparable… Plus tard, dans son bus, Zhicheng fit une rencontre fortuite. Sans monnaie, il ne vit rien d’anormal à ce qu’une vieille paie sa place, puis l’empoigne d’un maternel “jeune homme, t’as trop bu – j’te raccompagne”! Devant sa porte, elle lui offrit un moinillon de bois portant l’adage mystérieux, 退步 原来是向前 tui bu yuan lai shi xiang qian, reculer, c’est toujours pour mieux sauter!” L’an qui suivit vit le déroulement du plan devisé par A-Liu. Le jeune cadre obtint de gras et gros clients, puis démissionna tumultueusement au faîte de sa gloire. Or à sa stupeur, le directeur lui donna une adresse, sourire en coin, avec cet ordre : “va voir le PDG, il t’attend, c’est lui qui décide!” L’adresse était celle d’une villa. Derrière la porte, attendait la vieille dame du bus. Sa surprise ne connut plus de bornes, quand elle lui tendit un nouveau contrat, qui le faisait n°2 du service : la date, il le vit de suite, était celle de leur 1ère rencontre. C’était un coup du tonnerre de la providence ! A moins que la vieille, avec patience retorse, n’ait tiré tous les fils, dès la première minute – allez savoir !