Le Vent de la Chine Numéro 3 (2018)

du 29 janvier au 4 février 2018

Editorial : De commerce, de fraude, et de pétrin

Cette fois, ça y est ! Carrefour, n°4 de la grande distribution en Chine, a trouvé ses partenaires : le géant de l’internet Tencent et le n°5 Yonghui (dont Tencent a repris 5% de parts pour 638 millions $). Ils recapitaliseront Carrefour pour un montant encore non dévoilé. Ensemble, Yonghui et Carrefour alignent 820 supermarchés, et sont complémentaires, le premier réputé pour ses produits frais, et le second pour ceux importés et déjà conditionnés. Face à l’émergence fulgurante du e-commerce, l’avenir de Carrefour en Chine s’annonçait difficile sans alliance (au 4ème trimestre 2017, ses ventes reculaient encore de 5,3%). Tencent, grâce au 1 milliard d’usagers de son application WeChat, a l’ambition de rattraper les deux géants du commerce en ligne Alibaba et JD.com, dans la course au dernier bastion de la distribution qui leur échappe encore, celui des produits frais. Ainsi Alibaba s’est récemment allié à Sun Art (la co-entreprise de Auchan et Ruentex, qui contrôle 15% du secteur), et JD.com à Wal-Mart. Voici donc trois leaders du commerce physique, en couple avec trois géants du commerce en ligne ou des réseaux sociaux !  Suite à ces alliances, des techniques inédites de vente et de logistique émergent, tel ce pop-up store lancé par WeChat à Shanghai le 22 janvier, sans employés, le paiement des articles se faisant par scan d’un QR code, puis à terme par reconnaissance faciale. Ou encore cette « blockchain » créée par IBM et l’université Tsinghua pour Wal-Mart et JD.com, visant à assurer la traçabilité des produits à toutes les étapes. En effet, chaque maillon (producteur, transporteur, distributeur) de la chaîne inscrit ses données dans un bloc, infalsifiable et sécurisé, qui est ensuite partagé avec les autres acteurs. Ainsi, de la ferme aux rayons, tout produit pourra justifier en temps réel de son respect des normes (de froid, d’emballage…), réglant ainsi tous les problèmes de réfrigération, de contamination, de vols de marchandise, de réétiquetage ou tout autre manœuvre frauduleuse…

D’ailleurs, une gigantesque fraude agite la presse et les réseaux sociaux depuis le 26 décembre. Ce jour-là se rendit à la police de Nankin, Zhang Xiaolei, 49 ans, charismatique fondateur de Qbao.com, plateforme d’épargne qui faisait miroiter depuis 2012 aux investisseurs des rendements jusqu’à 80%. La CCTV locale en avait même vanté les mérites. Incapable de payer les intérêts dus, Zhang n’eut d’autre choix que de révéler son trafic pyramidal, ayant siphonné 70 milliards de ¥ en cinq ans, et ayant floué jusqu’à 10 millions d’utilisateurs actifs quotidiennement… Cette affaire met en lumière de profonds dysfonctionnements des institutions chinoises.

Soudain remonte aussi l’affaire Gui Minhai, cet ancien ressortissant chinois devenu citoyen suédois, qui avait disparu lors de vacances en Thaïlande en 2015, pour réapparaître emprisonné en Chine. Aucun doute, ce kidnapping était illégal. Mais Gui avait pris de gros risques, puisqu’il gagnait sa vie à Hong Kong en éditant des ouvrages licencieux autour de la vie privée de leaders chinois. Depuis sa libération en octobre 2017, Gui était assigné à résidence à Ningbo, sa ville natale, en attendant son procès pour diffusion d’ouvrages illégaux – la justice chinoise semble retenir le fait que la plupart des ouvrages achetés par des touristes chinois à Hong Kong, retournaient sur le continent. En accord avec la police, Gui s’était rendu plusieurs fois à Pékin pour renouveler son passeport. Mais le 20 janvier, c’est sans accord, et accompagné de deux diplomates suédois qu’il monte à bord d’un train pour Pékin, pour se rendre à son ambassade « pour se soumettre à une visite médicale », souffrant d’une maladie neurologique développée en détention. Il est appréhendé en chemin, accusé d’avoir « transgressé la règle ». Depuis, la Suède et l’Union Européenne protestent. Dans cette péripétie, bien des chosent restent floues. Chaque bord a mal  évalué l’acceptabilité de son action aux yeux de l’autre. Les deux parties devront faire preuve de souplesse pour se sortir de « ce pétrin » !


Diplomatie : Chine/USA – Dérive vers une guerre commerciale ?

« Une fois de plus, les Etats-Unis abusent de rétorsions commerciales » – tel fut le 23 janvier, le plutôt discret commentaire du ministère du Commerce chinois, suivant l’annonce par Washington de taxes aux panneaux solaires made in China.

Or, Trump multiplie les clashs. Le 22 janvier, il prévient Pékin de « milliards de $ » de rétorsions, dans le cadre d’une « procédure accélérée » au nom d’une longue série de griefs. Avant cela, le 20 janvier, le Département du Commerce émettait l’idée qu’« avoir laissé entrer la Chine à l’OMC en 2001 avait été une erreur ». Le 19 janvier, il bannit  le conglomérat HNA de tout achat d’actifs tant qu’il « n’aura pas expliqué sa structure propriétaire » – HNA avait acquis pour 40 milliards de $ de parts dans des groupes, tels Deutsche Bank, Skybridge (fonds d’investissement) et Glencore (pétrole). D’autres firmes dans les télécoms, telles ZTE et Huawei ont vu bloquer leurs contrats aux Etats-Unis, et leur droit de lobbying au Congrès. Puis, au Sommet de Davos, le 25 janvier, Trump suggéra qu’il pourrait faire revenir les USA dans le TPP (Trans-Pacific-Pact, accord de libre-échange à 16 pays) dont il les avait fait sortir en 2017. Trump pourrait avoir pour objectif le vieux projet de B. Obama d’isoler la Chine !

Les raisons de cette offensive trouvent leur origine dans la personnalité du Président américain – populiste, protectionniste, et n’agissant pas toujours dans l’intérêt de son pays. Ainsi pour les experts, la taxe aux panneaux solaires, loin de mettre fin à l’écrasante domination chinoise sur le secteur, va enchérir de 10% le coût de ces biens pour fermes solaires, de 3% pour les particuliers, et fera reculer les nouvelles implantations de 11%.

La crise avec la Chine a cependant des raisons plus profondes. Comme  d’autres pays de l’Ouest, les USA reprochent à la Chine la fermeture de ses marchés publics aux étrangers, la course aux rachats d’actifs à travers le monde par des intérêts publics déguisés en privés, le forcing aux multinationales s’installant sur son marché pour leur faire partager leurs secrets industriels, et le vol de propriété intellectuelle. Cumulées, ces pratiques infligent à l’économie américaine un déficit bilatéral record de 275,8 milliards de $.

Les défenseurs de la Chine font valoir que les économies d’échelle chinoises réduisent les coûts mondiaux de production de biens modernes et aident à soutenir le pouvoir d’achat du citoyen américain.

Mais la perception de la Chine dans l’opinion américaine reste négative : elle lui reproche des règles du jeu biaisées et déloyales, et une gouvernance autoritaire, la moins permissive depuis l’ère de Deng Xiaoping. Face à l’impatience grandissante, à l’évidence, pour maintenir son accès au marché américain (comme à celui européen), Pékin va devoir faire une concession de taille, et ne pas trop attendre…

Comme par hasard, le 24 janvier, Liu He, le théoricien de Xi Jinping, annonce à Davos des « ouvertures cette année, d’une ampleur que nul ne soupçonne pour l’instant », dans les domaines-clés de la finance (principale bénéficiaire pressentie), de l’industrie, de la protection de la propriété intellectuelle et des importations.

Cependant le 24 janvier, les Etats- Unis infligèrent une dernière sanction qui a de quoi surprendre,  frappant des entités chinoises et nord-coréennes pour violation du blocus commercial voté ces derniers mois au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Deux groupes commerciaux du Jilin (à la frontière coréenne) et neuf entités du pays de Kim Jong-un sont concernées (y compris son ministère du Pétrole et six navires battant son pavillon, pour avoir transbordé de l’or noir en haute mer). Trump augmente la pression sur la Chine pour qu’elle cesse de soutenir Pyongyang. Cette demande est peut-être plus urgente que celle portant sur les échanges commerciaux. En effet, le régime de Kim Jong-un ne serait « plus qu’à quelques mois de pouvoir lancer un missile nucléaire vers les Etats-Unis » selon Mike Pompeo, directeur de la CIA.

Fait rare, on voit la Chine faire des efforts visibles pour se conformer au blocus – on la connaît d’ordinaire plus portée, en cas de confrontation, vers une fin de non-recevoir. Elle le fait pour éviter que n’éclate un conflit avec les Etats-Unis. Sans doute aussi par une crainte déjà perceptible d’une bombe atomique, ou d’un accident nucléaire débordant sur son sol. Le gouvernement a commencé à informer par voie de presse sa population sur les moyens – de base – de limiter l’effet de radiations nucléaires. Sur la rive nord du fleuve Yalu, la Chine déploie des centaines de capteurs de radiations et des cameras de surveillance vers la Corée du Nord, et les patrouilles s’y succèdent, ainsi que les comités de citoyens-vigiles. Quant à l’APL, en 2017 elle y réalisait 45 manœuvres, à la cadence de presque une par semaine.

La preuve que les sanctions sont en grande partie appliquées : Dandong,  ville chinoise à la frontière, qui prospérait jusqu’alors des échanges avec le pays voisin, voit ses usines textiles et son commerce électronique en panne, comme son immobilier, en dépit de décotes des prix de l’ordre de 30%…

En résumé, le tournant est pris. Sur le dossier commercial comme sur celui de la Corée du Nord, la Chine indique qu’elle fera tout pour prévenir le clash avec les USA, le rival agaçant mais aussi le modèle admiré depuis toujours.


Education : La Chine des enfants perdus

En ces temps de grands froids, une photo a ému la Chine entière : celle du petit Wang Fuman, 8 ans, arrivant à l’école sans gants ni bonnet, cheveux blanchis après avoir arpenté les collines du Yunnan sur 4,5 km. Fuman vit avec ses grands-parents – ses parents ayant migré en ville.

Fuman est loin d’être le seul. Ils sont 61 millions d’enfants à vivre sans père ou mère (ou aucun), dans des conditions précaires. Dans des provinces du centre, comme Anhui, Henan ou Sichuan, 44% d’entre eux se trouvent à la campagne—la moyenne nationale est à peine plus basse, 35,6%.

Leur seul espoir est l’éducation, plus ou moins gratuite et obligatoire (pendant 9 ans), mais en mauvaise passe faute de crédits. Les 510.000 écoles rurales de 2001 ont fondu à 230.000 en 2010. Les instituteurs ont disparu encore plus vite – de 4,73 millions en 2010 à 3,3 millions en 2013—et cela continue, en raison de leur traitement spartiate. Pour enseigner, garder et même nourrir des hordes d’enfants, ils touchent un salaire de 600 à 2000 yuans maximum. Quelques provinces tentent de susciter les vocations : Sichuan, Hunan offrent cinq années de formation pédagogique gratuite, moyennant un devoir d’engagement ultérieur de 5 à 8 ans. Tong Xiaotao, Président de l’Université de Changsha (Hunan), affirme qu’une fois diplômés, 97% des jeunes instituteurs rejoignent leur poste, généralement dans des villages reculés, de colline ou de montagne. Ce que Li Lei, chercheuse en ONG, dément : la plupart se sauvent, souvent sur le conseil de leurs parents atterrés par les conditions qui les attendent, ou bien ils ne restent qu’un an ou deux.

L’Etat central pourtant, n’est pas sans rien faire : déjà depuis 10 ans, il prend en charge livres et cahiers, les frais de scolarité et les repas de midi pour 10 millions d’enfants défavorisés. En 2016, le Conseil d’Etat publiait un plan de soutien aux enseignants ruraux, avec diverses suggestions d’attraction et de formation des talents. Il promettait hausses salariales et contrats à vie, pour l’instant inexistants. Seule lacune à ce plan : les dépenses (non budgétées d’ailleurs) étaient à charge des pouvoirs locaux…

Reste l’initiative privée de mécènes à la rescousse. Jack Ma, patron d’Alibaba, n’a pas oublié ses débuts de professeur d’anglais avant de devenir milliardaire. Infatigablement, il augmente chaque année son offre de soutien à l’enseignement rural par de nouveaux plans. En 2015, une prime de 100.000 ¥ était versée à 100 instituteurs méritants. En 2016, c’était un bonus à 20 directeurs d’école, 500.000¥ chacun, dont 100.000¥ pour améliorer leurs conditions de vie, 100.000¥ pour leur formation et 300.000¥ pour équiper leur école. En décembre 2017, Jack Ma a lancé un nouveau plan de 10 millions de yuans pour former 100 étudiants à la carrière d’instituteur. Et surtout, lors d’un symposium d’affaires, il a invité 80 riches hommes d’affaires à créer de toutes pièces un réseau national de pensionnats destiné au monde rural. L’idée serait de faire fermer les plus petites écoles (celles de moins de 100 élèves), et de les remplacer par des centres scolaires avec internat, mieux équipés et mieux à même de combler les besoins de ces enfants, également en chauffage et en repas chauds. Ces centres devraient disposer en outre de bus, pour faire la navette pour les ramener chez eux au village, le week-end.

Un dernier système de soutien aux écoles de campagne fonctionne déjà : depuis 2013, certains cours comme celui de Mme Wang Fei d’une école de Huantai (Shandong) sont retransmis par internet partout à travers le pays. Ceci est rendu possible grâce à un effort public de digitalisation des écoles : 87% d’entre elles sont reliées à l’internet. Ces transmissions à heures (scolaires) fixes sont spécialement utiles aux classes dont les maîtres manquent de formation, lesquels exercent alors une fonction de répétiteur. Il est donné ainsi accès aux cours du programme, ou même à des matières non enseignées jusqu’alors, tel l’anglais ou les arts plastiques, tout en offrant parfois des reportages sur des pays, des continents inconnus.

Certes, ce télé-enseignement ne peut pas tout faire : il ne remplace pas un professeur en chair et en os, seul capable de suivre la progression de « ses » élèves et de s’adapter à leur rythme. Mais dans un tel dénuement, c’est un premier pas.

Dernier chaînon du problème de l’école rurale, la démographie vient offrir sa solution inattendue. En 2017, avec 17,23 millions de nouveau-nés, la Chine vit soudain un recul des naissances (630.000 de moins, soit -3,5%). 2016 avait pourtant connu un mini « baby-boom », avec 1,3 million de bébés de plus, grâce à l’autorisation de faire un second enfant par foyer, mais cette tendance n’a pas duré plus d’un an. Les autres couples candidats à un second enfant, soit 6 couples sur 10, renoncent en raison du coût, évalué à 20.000 à 30.000¥/an.

D’ici 2030, les démographes prévoient désormais un recul des naissances évalué entre 300.000 et 800.000 enfants par an. Le déséquilibre des genres ne fera rien pour arranger les choses, avec 32 millions de filles manquant à l’appel suite aux échographies sélectives, pratiquées jusqu’à hier. C’est inquiétant, en particulier pour les quelques 400 millions de Chinois du 3ème âge en 2050, qui n’auront qu’une frêle tranche d’âge de travailleurs pour payer leurs retraites…

En attendant, la propagande chinoise a saisi la balle au bond, en offrant au petit Fuman, accompagné de ses parents, un voyage à Pékin où il fut fêté et traité en héros national—au risque d’oublier tous les autres petits « enfants de glace », comme on surnomme Fuman sur internet.


Agriculture : OGM – Percée chinoise, en Amérique

En 2009, deux variétés de riz génétiquement modifié (OGM) de l’équipe du professeur Zhang Qifa, (Université agronomique Huazhong de Wuhan – cf photo) recevaient du ministère de l’Agriculture leur agrément d’innocuité biologique. Lequel fut renouvelé en 2015. Le 20 janvier, Huahui-1, une de ces souches obtient de la FDA américaine (Food & Drugs Administration) sa licence d’exploitation, après avoir reçu celle d’innocuité aux pesticides. Ce riz est donc bon pour le service aux USA. Paradoxe, il ne l’est pas en Chine, qui ne permet sa culture qu’« à des fins de recherche » et ce, en dépit de ses multiples atouts. Dotée d’un gène de résistance aux insectes, la semence artificielle n’a plus besoin de chimie vermifuge, qui coûte cher au paysan et fait planer un risque sur la santé du consommateur. Selon les tests au Hubei, elle assure 8% de récolte supplémentaire, d’un riz plus riche en sels minéraux et éléments nutritifs.

Mais la Chine, qui interdit cette culture chez elle, peut-elle la tolérer à l’étranger ? Et changera-t-elle d’avis suite au feu vert américain ? Pas tout de suite en tout cas ! En février 2016, la Chine a déboursé 43 milliards de $ pour le contrôle du groupe Syngenta, n°2 mondial de l’agrochimie. Elle voulait remettre sur ses rails une recherche OGM locale qui s’avérait peu fiable, en dépit de 20 ans d’efforts publics. On peut supposer que Pékin voudra réserver son marché aux semences de Syngenta. Les enjeux derrière cette affaire sont bien évidemment politiques. Zhang Qifa, 64 ans, serait proche de Monsanto, le rival américain de Syngenta, qui pourrait bien être intervenu auprès de Trump pour obtenir ce feu vert. Qui plus est, Zhang Qifa est un concurrent notoire de Yuan Longping, 87 ans, l’indéboulonnable « père » du riz hybride, qui a l’oreille du Parti. Or, Yuan n’a nul intérêt à ce qu’un riz OGM vienne faire ombrage à sa souche hybride ! « Si nous ne pouvons pas le planter chez nous, concluait lucidement un des experts de l’équipe Zhang Qifa, peut-être vaudrait-il la peine d’essayer de le faire pousser ailleurs ? ».

Aux Etats-Unis manque encore le permis de cultiver. Mais au vu des besoins alimentaires mondiaux qui explosent, ce pays et la Chine pourraient ressentir le besoin d’exploiter toute la panoplie des moyens agronomiques disponibles y compris le Huzhui-1.


Portrait : Mario Botta, architecte du monde
Mario Botta, architecte du monde

Mario Botta, l’architecte suisse de renom, était en Chine les 22 et 23 janvier pour un dialogue avec des jeunes talents chinois sous l’égide de son ambassade. Le Vent de la Chine l’a rencontré.
Comment voyez-vous la Chine ? C’est un pays « jeune », qui s’éveille et part dans toutes les directions, débordant d’énergie et d’ambition, qui a la puissance des grands nombres. La contradiction est forte vis-à-vis de l’Europe et de l’Amérique, qui sont plus matures. Entre l’Occident et la Chine, la confrontation est intergénérationnelle.

Et en tant qu’architecte ? Pour moi, l’architecture est l’acte de modifier l’équilibre naturel, pour l’adapter au besoin social. En Chine, il y a une dimension d’urgence, de besoin de loger ces masses immenses. Sous la pression du client, du bailleur de fonds, l’architecte doit faire vite. Résultat, on trouve de tout en Chine, du meilleur comme du pire…

Le Chinois est-il indifférent à la beauté des lieux qu’il habite ? Pas du tout ! Les Chinois eux aussi, désirent des beaux espaces, qui respirent la joie de vivre. De plus, ils  prennent progressivement conscience de la nécessité de protéger leur patrimoine.

Comment décririez-vous le musée d’art de l’Université de Tsinghua (Pékin), que vous avez conçu ?  En une trentaine de voyages en Chine, j’y ai créé une quinzaine de projets. A Tsinghua, ce lieu manquait de repères. Ce musée fait donc la limite entre l’université et son nouveau campus, un espace de transition. Le portique en bas du musée est le point de passage, et une parenthèse d’art entre les lieux de vie et ceux de l’étude et de la science.

Quid de l’architecture de montagne ? C’est un défi, mais aussi un lieu de grand charme. Son concept gagne aujourd’hui en importance. A chaque projet, l’architecte de montagne doit étudier les forces et tensions, les pentes et conditions de ruissellement, la nature du paysage, ainsi que sa culture et sa tradition. Plus qu’en plaine, toute construction de montagne doit s’harmoniser avec son environnement, pour des raisons d’esthétique, comme de fonctionnalité et de sécurité. Ceci est plus vrai qu’ailleurs en Suisse, où l’architecte doit trouver l’équilibre entre nature et humanité, et respecter le site qui lui échoit. Il ne doit pas seulement écouter le lieu, mais aussi ses êtres humains : la plupart des réussites architecturales de montagne ne se contentent pas d’exprimer les concepts de l’architecte, elles témoignent aussi de la sagesse des autochtones.


Petit Peuple : Hangzhou – Les trois pièges à souris de Zhu Lifei

En 2018, elles sont monnaie courante, les histoires de maîtresses piégées par  les épouses. Après le coup de Jarnac du détective Yu Ruojian, voici celui de Zhu Lifei !

  Le 12 septembre 2016 à Changzhou (Jiangsu), l’agence de consultation familiale-conjugale « Cœur sincère » reçut la visite d’une Mme Liu, en pleurs. Mariée depuis 7 ans à un grand nom de la finance, elle le voyait s’envoler souvent pour Hong Kong. Sans difficulté, elle avait découvert ses frasques –impudemment, il laissait dans ses poches des petits mots doux d’une certaine Huang Xinguo ; ou une paire de billets de cinéma, ou de karaoké. En silence, Mme Liu supportait. Mais voilà qu’un soir de juin, posant sa valise, changement de scénario, il lui déclarait tout de go vouloir divorcer : il venait de rencontrer une fille vraiment époustouflante, et entendait en faire la prochaine compagne de sa vie…

A l’autre bout du fil, Zhu Lifei, 30 ans (cf photo), le patron de « Cœur sincère » l’écouta deux bonnes heures, l’interrompant pour de rares questions tout en tapotant sur son ordinateur. Apparemment, la relation durait déjà. Zhu fit donc la recherche sur internet, et ne tarda à retrouver la trace. Il dépêcha donc deux de ses agents à Hong Kong pour la prier d’aller chercher ailleurs de quoi « subvenir aux besoins des siens » (仰事俯畜,yǎng shì fǔ xù ).
Mais la réception fut décevante : riant de leurs appels à la vertu, éclatante de mépris,  la belle Huang leur conseilla de rentrer en Chine : « ici, vous savez, ce n’est pas le même pays, ni les mêmes lois—fichez-moi le camp ». S’ils insistaient, elle appellerait la police. Chou blanc, donc, sur toute la ligne !

Une seconde tentative fut lancée, sur le mari cette fois, toujours en faisant appel aux bons sentiments : la  fois suivante qu’il rentra au foyer, il trouva sa femme absente, et reçut quelques minutes après un appel urgent: « vite, rendez vous à XXX (telle adresse)—votre épouse vient d’avoir un accident », et puis l’on raccrocha. Arrivé au lieu-dit, à quelques rues de là, il découvrit leur voiture encastrée dans un mur et sa femme en sang, secourue par des passants. Or, le spectacle de cette catastrophe laissa le mari de marbre : constatant que les écorchures ne la mettait pas en danger de mort, il se rassura derechef et quitta la scène, prétextant une obligation urgente… « Encore raté », grommelèrent les agents de « Cœur Sincère »… Car les blessures de Mme Liu étaient simulées avec du sang de poulet, et l’accident mis en scène. Or, confronté au risque de perdre sa moitié, le mari n’avait semblé animé que du regret que l’issue fatale ait été évitée, sans envoyer Mme Liu rejoindre ses ancêtres, le libérant de son encombrante compagnie! 

Zhu Lifei, le chef de l’agence passa alors aux grands moyens – l’honneur de son entreprise était en jeu ! Reprenant le cas à zéro, avec le soutien de tout son état-major, il imagina la stratégie de la dernière chance, cette fois sans rien laisser au hasard. Du côté de Mme Liu d’abord. Soumise à un régime sévère, elle perdit 5 kg en un mois, et prit des cours de maquillage et d’habillement à la dernière mode. Elle reçut même des conseils en amour conjugal, sur la manière, en matière de volupté, de tenir la dragée haute à l’amante.

La nouvelle attaque porterait alors sur le point faible de la « ernai » (二奶« seconde poitrine », terme populaire pour « amante ») : ses achats compulsif en salle des ventes. Zhu installa alors un de ses agents, de plutôt belle prestance, en-dessous de chez elle. Ce dernier se présenta à elle « par hasard » comme un riche collectionneur, et lui fit visiter son cinq-pièces rempli d’œuvres d’art —des faux, on l’aura compris. Dès lors, ils sympathisèrent vite. Elle lui montra à son tour une œuvre rare, lui dévoilant naïvement qu’elle s’était endettée sur le marché noir, auprès des triades pour l’acquérir. Or, dès le lendemain, deux détectives de « Cœur sincère » frappèrent à sa porte, se faisant passer pour ses créanciers occultes : ils exigèrent le remboursement immédiat, la menacèrent de représailles physiques, et prétendirent même la retenir en otage chez elle. Sur ces entrefaites, le bon voisin du dessous apparut, qui très généreusement, arrangea la situation et offrit de « rembourser » les bandits. Melle Huang fut donc délivrée – et bernée ! Pleine de gratitude, elle offrit à son sauveur un livre ancien. Grand seigneur, lui-même lui donna une commode miniature d’époque Ming, un triple rang de perles rares, des boucles de nacre – le tout eût été hors de prix, si authentique!

Quelques jours après, le mari de Mme Liu retourna à Hong Kong. Au cou de la cocotte pendait le collier, et sur la table basse trônait la miniature : mais d’où venaient ces objets ? Alors, elle se troubla. Il gonfla la voix pour exiger la vérité. Fouillant le nid d’amour, il trouva des vêtements d’homme, dont le faux collectionneur s’était ingénié à truffer l’appartement. Cette fois, la trahison était patente ! Séance tenante, il la quitta par le premier vol pour Hangzhou. Pour l’agence, c’était enfin la victoire après six mois d’efforts.
Trompé par son amante, le mari pouvait être furieux. Mais il se consola à la maison, retrouvant une épouse métamorphosée et prête à donner à leur union une seconde vie.

L’intervention de « Cœur sincère » demeurait un secret pour lui, et mieux valait ainsi. Mais à tout prendre, les 60.000€ qu’il payait à son insu pour cette mission, n’étaient pas cher payés : autour de lui faisait rage la campagne anti-corruption. Or 95% des 1,4 million d’hommes appréhendés et punis de  2012 à 2017 pour acceptation de bakchich, s’étaient trouvés avoir une amante, dont ils avaient dû soutenir le train de vie. Ainsi l’agence, en mettant terme à ses frasques, lui a—peut-être—épargné la prison !


Rendez-vous : Semaine du 29 janvier au 4 février 2018
Semaine du 29 janvier au 4 février 2018

30 janvier – 1er février : Pékin : China Iron Ore : Salon international sur le minerai de fer

  31 janvier – 2 février, Pékin, Shanghai, Wuhan : Visite de Theresa May, Premier ministre britannique

 5 – 7 février : Shenzhen : Asia Universities Summit