Le Vent de la Chine Numéro 23-24 (2025)

du 13 juillet au 30 août 2025

Editorial : La Chine redevient-elle une destination touristique ?
La Chine redevient-elle une destination touristique ?

De Pékin à Shanghai, en passant par Chongqing ou le Yunnan, une chose saute aux yeux : le retour des touristes étrangers, une espèce en voie de disparition en Chine depuis la pandémie de Covid-19. Il aura fallu l’abolition de la politique « zéro-Covid » fin 2022 et une série de mesures ambitieuses, dont l’exemption de visa de courte durée pour plusieurs dizaines de pays et une baisse du seuil de détaxe, pour que la Chine redevienne une destination touristique attractive.

Tout débute en décembre 2023, lorsque la Chine introduit une mesure expérimentale d’exemption de visa d’une durée de 15 jours pour les voyageurs de 6 pays, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne – sans réclamer de réciprocité. A l’époque, cette annonce avait été interprétée comme un geste de bonne volonté de la part de Pékin à destination des pays européens avec lesquels les relations s’étaient sensiblement dégradées durant la pandémie.

Depuis, cette politique a largement dépassé le stade expérimental pour couvrir 47 pays : leurs ressortissants peuvent désormais visiter l’Empire du Milieu pendant 30 jours sans visa (liste complète en cliquant ici). Derniers bénéficiaires en date : le Brésil, l’Argentine, le Pérou, le Chili, l’Uruguay ou encore l’Arabie Saoudite, Oman et le Koweït.

Les pays qui entretiennent des relations tendues avec la Chine ou qui ont connu des disputes avec Pékin dans le passé, n’ont pas été aussi gâtés. Ainsi, les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la République Tchèque, la Lituanie et la Suède doivent se contenter d’un visa de transit de 10 jours, tout comme l’Ukraine et la Russie. Les pays africains, eux, restent exclus de la liste, malgré la volonté affichée de rapprochement avec le continent.

Il n’empêche, l’initiative « visa free » de Pékin a rencontré un franc succès : l’an passé, 26,9 millions de voyageurs étrangers sont entrés sur le territoire chinois, presque le double de 2023, dont 62 % sans visa. Un résultat encourageant, mais qui reste tout de même en-dessous du niveau de 2019, année durant laquelle l’Empire du Milieu recevait 31,9 millions de visiteurs étrangers munis d’un visa. Les acteurs du secteur restent toutefois optimistes pour 2025. « Notre tourisme entrant a déjà retrouvé 70 à 80 % de son niveau d’avant la pandémie. Il pourrait revenir à 100 % cette année », aurait déclaré Liang Jianzhang (James), cofondateur de la plateforme de réservation de voyages en ligne Trip.com, au média shanghaien The Paper.

Mais alors, d’où sont originaires ces voyageurs venus découvrir la Chine en 2024 ? Les ressortissants des pays asiatiques voisins (ou proches) de la Chine, comme le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande, et la Mongolie, sont les premiers à avoir profité de ces exemptions de visa, tandis que les Européens, eux, n’ont pas exactement « sauté » sur l’occasion : selon des données officielles compilées par Bloomberg, les Français et les Allemands auraient été 27% moins nombreux à visiter la Chine en 2024 qu’en 2019.

Pour les Américains, qui ne bénéficient pas de la politique des 30 jours sans visa, la baisse est encore plus marquée (-52%). Depuis que le gouvernement américain a appelé ses ressortissants à « reconsidérer leur voyage » en Chine en 2023, nombreux sont ceux qui confient « avoir peur » de voyager dans le pays de Xi Jinping.

Face à cette chute du nombre de touristes américains, il n’est pas étonnant de voir Pékin vouloir diversifier ses flux touristiques en s’ouvrant davantage à d’autres régions du monde, même si ces pays ne sont historiquement pas de grands pourvoyeurs de touristes pour la Chine.

Outre les tensions géopolitiques, l’autre facteur à prendre en compte est celui de la baisse du nombre de vols vers la Chine opérés par les compagnies aériennes étrangères. Celles-ci n’ont retrouvé en 2024 que 58% de leur capacité d’avant la pandémie faute de demande (contre 88% du côté des compagnies chinoises), selon les données de la société d’analyse aéronautique Cirium. En cause, l’évolution des liens économiques entre la Chine et leurs pays d’origine. En effet, les grandes multinationales occidentales hésitent à poursuivre leurs investissements en Chine, ce qui freine également les déplacements. Selon l’analyse des données de ForwardKeys, les réservations de voyages d’affaires vers la Chine n’ont atteint que 52 % de leur niveau de 2019, contre une reprise de 79 % pour les voyages de loisirs l’année dernière.

Au-delà de ces considérations logistiques, la Chine demeure une destination compliquée pour de nombreux visiteurs internationaux. La barrière linguistique reste importante : l’anglais est peu répandu, y compris dans les grandes métropoles comme Shanghai ou Pékin. Souvent coupés de l’écosystème digital chinois, les touristes étrangers se retrouvent en difficulté pour accéder de manière autonome aux informations pratiques nécessaires au bon déroulement de leur voyage.

Autre défi majeur : les systèmes de paiement. Le pays fonctionne quasi exclusivement avec des applications mobiles comme Alipay ou WeChat Pay, rendant l’usage de l’argent liquide difficile. Malgré des efforts conséquents de la part de ces plateformes pour les rendre plus facilement utilisables par les touristes étrangers, une marge d’amélioration demeure.

Enfin, l’accès à Internet représente un frein supplémentaire. La censure en vigueur bloque l’accès à de nombreux sites et services populaires à l’international, notamment Google, Instagram ou WhatsApp, obligeant les voyageurs à télécharger un VPN avant leur départ.

Toutes ces difficultés sont loin d’être insurmontables pour Pékin qui semble désormais déterminé à faire revenir les touristes étrangers, non pas pour l’impact économique qu’ils ont sur son économie (le secteur ne représente que 0,5% du PIB chinois, contre 2,5% en France), mais plutôt pour les effets qu’ils peuvent avoir sur l’image du pays hors frontières. 

Pékin compte en effet sur eux pour raconter leur séjour en Chine sous un jour positif, à la manière de ces influenceurs étrangers qui sont de plus en plus nombreux à vanter dans leurs vidéos la beauté des paysages de l’Empire du Milieu, la richesse de la culture millénaire chinoise, la compétitivité du « made in China » ou encore le train de vie confortable dans les mégalopoles du pays. De quoi susciter un regain d’intérêt mondial pour la Chine en tant que destination touristique et satisfaire la quête de soft power de Pékin.


Aviation : “Mayday”, pilotes en détresse
“Mayday”, pilotes en détresse

Deux récents incidents ont ravivé l’inquiétude du public concernant la sécurité de l’aviation civile en Chine, en particulier en ce qui concerne la santé mentale des pilotes de ligne.

Le 1er juillet, à Jilin, Li Yuzhong, un pilote de China Southern Airlines âgé de 31 ans, a poignardé deux de ses examinateurs avant de se jeter par la fenêtre du 15ème étage. Selon les autorités, l’homme aurait mal vécu son échec à une évaluation qui l’avait conduit à être rétrogradé et momentanément immobilisé au sol. Si ses deux victimes ont survécu, l’affaire a soulevé de sérieuses questions sur la santé mentale des pilotes et les mécanismes de soutien (ou leur absence) dans les compagnies aériennes chinoises. Dans une lettre écrite la veille de son geste, le pilote dénonçait le harcèlement qu’il subissait au travail, des procédures d’inspection arbitraires et l’absence de syndicat dans l’aviation civile chinoise.

Il se trouve que ces dernières semaines, une notification de refus de l’Administration chinoise de l’aviation civile (CAAC) de publication du rapport sur le crash du vol MU5735, a fait le tour des réseaux sociaux. Le 21 mars 2022, le Boeing 737-800, exploité par la China Eastern Airlines s’était écrasé peu avant d’arriver à Canton, faisant 132 victimes – la catastrophe aérienne la plus meurtrière en Chine depuis 1994.

Si la CAAC avait publié deux rapports intérimaires sur le drame en 2023 et 2024, elle est étrangement restée silencieuse lors du 3ème anniversaire du crash en mars dernier, enfreignant ainsi les standards de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui imposent un rapport final dans l’année suivant un accident, ou à défaut, des déclarations annuelles sur les progrès de l’enquête.

Ce mutisme a provoqué la colère des familles des victimes et aggravé la méfiance du public, qui aimerait un jour connaître la vérité. Plusieurs instances mondiales, dont l’Association internationale du transport aérien (IATA), ont également exprimé leur mécontentement. « Enterrer des rapports d’accident pour des raisons politiques est inacceptable », a déclaré Willie Walsh, son directeur général.

Selon une capture d’écran diffusée sur les réseaux sociaux il y a quelques semaines, la CAAC aurait refusé de rendre son rapport public car il risquerait de « mettre en danger la sécurité nationale et la stabilité sociale ».

Cette fin de non-recevoir est en soi très révélatrice. Dès le mois de mai 2022, le Wall Street Journal, citant une personne proche de l’enquête (les boîtes noires ont été envoyées pour analyse aux États-Unis), révélait que les données du vol pointaient vers une cause intentionnelle : quelqu’un dans le cockpit aurait programmé une plongée quasi verticale de l’appareil, sans qu’aucun problème mécanique ne soit détecté, ni appel de détresse émis.

Cette hypothèse pourrait expliquer pourquoi la CAAC aurait ordonné dans les jours suivants le drame, un renforcement des contrôles de santé et du bien-être psychologique de tous les pilotes de vols commerciaux – même si, officiellement, les autorités chinoises continuent de rejeter la thèse du suicide d’un des pilotes. Si cela se confirme, ce serait la première fois dans l’histoire de l’aviation civile chinoise – qui jouit d’une solide réputation de sûreté – qu’un pilote de ligne se suicide en vol.

Derrière le mutisme des autorités, ce sont des failles systémiques qui apparaissent. Un article viral du blogueur Wang Ziren, rapidement censuré, affirme que « le système, pas l’individu, est inapte au vol ». Il dénonce un environnement professionnel opaque, marqué par le népotisme, l’absence de mobilité, la précarité des carrières et un système d’évaluation qui dissuade les pilotes de solliciter un accompagnement psychologique lorsqu’ils en ont le plus besoin. « Ils doivent faire semblant d’aller bien », écrit un spécialiste de l’aviation sur Zhihu.

De fait, dans plusieurs compagnies aériennes, le suivi psychologique des pilotes est devenu une simple formalité, voire un outil punitif. Les pilotes peuvent être cloués au sol sans raison valable, accusés d’« instabilité émotionnelle mettant en danger la sécurité aérienne » lors d’une banale formation de remise à niveau ou une inspection inopinée. Même des capitaines chevronnés et des instructeurs de vol peuvent se retrouver rétrogradés au rang de copilote du jour au lendemain… Cette gestion brutale fondée sur des « méthodes punitives » peut transformer des problèmes mineurs en crises majeures, pouvant pousser certains jusqu’au suicide.

Un autre article publié sur WeChat par le blogueur Xiang Dongliang dénonce la censure officielle et le secret qui entoure les pilotes de ligne, suggérant que lever ce voile d’opacité serait essentiel pour améliorer la sécurité des passagers. « Considérer les pilotes comme un “groupe sensible” permet aux compagnies aériennes de dissimuler une multitude de failles systémiques et de problèmes de gestion, tout en éludant leurs responsabilités et en minimisant les reproches », conclut Xiang.

Ce bilan peu flatteur, voire inquiétant, permet de mieux comprendre pourquoi les autorités redoutent de publier le rapport d’enquête du crash de MU5735. S’il paraît évident que la confiance du public dans les compagnies aériennes chinoises, sortirait ébranlée d’un tel drame, Pékin veut surtout éviter d’en porter la responsabilité institutionnelle, en ayant toléré un système négligeant la santé mentale de pilotes détenant entre leurs mains la vie de centaines de passagers.


Podcast : 57ème épisode des Chroniques d’Eric : « L’empire contre-attaque »
57ème épisode des Chroniques d’Eric : « L’empire contre-attaque »

Venez écouter l’épisode 57 des « Chroniques d’Éric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.

Episode 57 des « Chroniques d’Éric » : « L’empire contre-attaque »

Ce 57ème épisode des « Chroniques d’Eric », est consacrée à la vague de trolls dont je suis victime sur les réseaux sociaux depuis la sortie de ma dernière BD. J’espère vous éclairer sur les méthodes et les moyens considérables déployés par cette pieuvre dans l’ombre. Merci à tous de votre soutien !

Tous ces épisodes, inspirés par mes souvenirs et l’actualité, n’ont que le double but de vous amuser et faire découvrir la Chine.  N’hésitez pas à les repartager sur les réseaux sociaux ! 

Suivez dès à présent les « Chroniques d’Eric » via le flux RSS ou sur Apple Podcast !