Le Vent de la Chine Numéro 16 (2025)

du 18 au 24 mai 2025

Editorial : La Chine de tous les paradoxes
La Chine de tous les paradoxes

Contrairement aux clichés qui réduisent, parfois de manière caricaturale, la Chine à un bloc uniforme et monolithique, le pays de Mao et de Confucius apparaît davantage aux observateurs avisés comme une somme de paradoxes qui coexistent pour former un tout.

Au plan de la politique et de la gouvernance, la Chine se prétend communiste et pourtant le capitalisme y est bien vivace. Ce mélange des genres a permis l’émergence d’une bourgeoisie dominante à côté d’un prolétariat exploité. La Chine est certes gouvernée par un régime de parti unique et pourtant les élites politiques sont à l’écoute de la population. De même, Pékin défend traditionnellement l’idée d’un développement pacifique, mais, parallèlement, modernise son armée à un rythme effréné. Les dirigeants connaissent, eux aussi, leur lot de paradoxes, à l’image de Xi Jinping, dont le propre père a été purgé en 1962, qui se veut pourtant aujourd’hui le gardien du système.

La stabilité, voire la stagnation, du système politique contraste singulièrement avec l’incroyable développement économique qu’a connu le pays. Avant la réémergence de la Chine, on pensait que les économies avancées étaient riches et que les économies émergentes étaient pauvres. Depuis que la Chine est redevenue la seconde économie mondiale, avec près de 20 % du PIB de la planète, la proposition est pour le moins remise en cause. Ainsi, la Chine est un pays pauvre si l’on se réfère au PIB par habitant et pourtant des fortunes considérables se sont faites dans les dernières décennies. Elle est de très loin le premier marché automobile de la planète (plus de 24 millions de voitures par an) et pourtant le taux d’équipement est parmi les plus faibles au monde (les 100 voitures pour 1 000 habitants n’ont été atteints qu’en 2014). Alors que l’on peut penser que le besoin d’exporter d’un pays soit inversement proportionnel à la taille de son marché domestique, la Chine est une nation qui dispose d’un immense marché intérieur mais qui a bâti son développement sur les exportations.

Au plan du développement, la Chine communiste s’est d’abord vue comme appartenant au tiers-monde, puis comme un pays en développement (PVD) – un statut qu’elle continue à défendre sur la scène mondiale. C’est d’ailleurs le seul PVD à avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU ; elle attire à ce titre vers elle les autres PVD. En outre, son statut de PVD lui permet, au plan financier, d’accéder à des prêts moins coûteux, d’imposer des barrières douanières à des produits venant de pays riches, d’être soumis à moins de contraintes dans la lutte contre le réchauffement climatique et de se prévaloir comme leader du groupe des pays en voie de développement. La Chine est pourtant a minima dans le groupe des pays à revenu intermédiaire. Elle est sans ambiguïté redevenue une grande puissance industrielle (la première au monde) et a développé un programme majeur d’investissement à l’étranger, avec les nouvelles routes de la soie (BRI).

Au plan de l’éducation et de la science, les injonctions du gouvernement aux enseignants de s’éloigner des valeurs occidentales contredisent les incitations faites aux étudiants à aller étudier à l’étranger. L’administration chinoise du cyberespace (CAC) limite le temps d’accès aux écrans à ses enfants et en même temps ByteDance s’esbaudit du succès de son application TikTok à l’étranger, l’une des applications les plus addictives au monde.

Au plan technologique, la Chine est à la fois un pays low-tech dans ses campagnes avec ses autobus décatis, ses motoculteurs chargés de paysans, et un pays high-tech avec ses parcs scientifiques et techniques dans les grandes villes. Au sein même des villes, l’archaïsme côtoie la modernité. Les outils modernes de paiement (Alipay, WeChat pay, …) s’entrechoquent avec la survivance de la paperasserie et des sceaux officiels finement gravés.

Au registre sociologique, on peut dire que la Chine, c’est le collectivisme au sein d’un groupe donné (familial ou autre communauté d’intérêt), mais en dehors de cette entité, l’individualisme forcené est de rigueur. Ainsi, la Chine peut donner une image chaotique (à commencer par la circulation automobile à un carrefour) et pourtant elle brille par l’ordre de ses structures policières et militaires ou encore par le parfait alignement des équipes de vendeurs lors de leur briefing matinal à l’entrée des magasins.

Enfin, en matière climatique, la Chine cumule les paradoxes. La Chine est la plus importante consommatrice de ressources fossiles et corrélativement le plus gros émetteur de CO2 au monde, mais c’est aussi le plus grand marché mondial des énergies propres et aussi le premier constructeur de centrales nucléaires. La Chine déploie des capacités en énergies renouvelables de loin les plus importantes au monde, mais elle continue à construire des centrales à charbon. La Chine dispose de règles claires et très sévères en matière de pollution environnementale qui n’ont rien à envier à la réglementation de nombreux pays développés, et pourtant, beaucoup de ses villes figurent parmi les plus polluées au monde… Et en 2024, alors que la Chine – premier émetteur mondial de gaz à effet de serre –, est écrasée par la chaleur, elle ouvre à Shanghai sur près de 100 000 m2 la plus grande piste de ski intérieure au monde (cf photo) ; 30° dehors, -10° dedans… Un exemple parmi tant d’autres du grand paradoxe chinois.

Par Dominique Jolly


Société : « Elle a fait un bébé toute seule » : (toujours) pas en Chine
« Elle a fait un bébé toute seule » : (toujours) pas en Chine

C’est un fait divers qui a relancé le débat en Chine autour de l’accès des femmes célibataires à la parentalité. Début mai, un hôpital privé de Nankin (Jiangsu) a été fermé et placé sous enquête pour avoir offert illégalement des services de fertilisation in vitro (FIV). Dans l’une de ses publicités, l’établissement se targuait de pouvoir aider les femmes non-mariées à concevoir un enfant pour la « modique » somme de 100 000 yuans. Les clientes intéressées pouvaient alors choisir leur donneur de sperme sur base de plusieurs critères, dont l’apparence physique, la nationalité, le niveau d’étude ainsi que l’université fréquentée. Elles pouvaient aussi rencontrer le donneur et choisir le sexe de l’enfant à naître (options payantes). Chaque mois, l’hôpital recevait 30 à 40 clientes, avec une enveloppe moyenne de 300 000 yuans chacune.

Cette affaire a relancé le débat sur les réseaux sociaux sur l’interdiction faite aux femmes célibataires uniquement d’avoir recours aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA) – les hommes, eux, ont le droit, sous certaines conditions, de congeler leur sperme.

« Il est préférable d’être une mère célibataire qui peut choisir son donneur de sperme que d’épouser un homme irresponsable et élever un enfant dans un environnement sans amour », plaide l’une d’entre elles dans un commentaire.

Confrontées à ces restrictions, de plus en plus de Chinoises aisées, choisissent d’avoir recours à des banques de sperme, des services de PMA voire de GPA (gestation pour autrui) à l’étranger (aux Etats-Unis ou en Asie du Sud-Est).

D’autres réactions reflètent au contraire les craintes des autorités : « au nom de leur ‘prétendue’ indépendance, certaines femmes réclament davantage de droits, mais en fait, elles imposent à leurs enfants de subir la discrimination sociale et les difficultés économiques liées aux familles monoparentales (…) Si le gouvernement laisse faire, cela ne fera qu’inciter davantage de femmes à ne pas se marier », met en garde un utilisateur de Weibo.

C’est plus ou moins que ce que pense l’Etat central. En 2020, la Commission Nationale de Santé affirmait qu’autoriser les femmes célibataires à geler leurs ovocytes pourraient leur donner « de faux espoirs » et les encourager à retarder davantage leur projet de maternité, ce qui est bien sûr la dernière chose souhaitée par les autorités, confrontées à une crise de la natalité depuis plusieurs années.

Les autorités locales ont toutefois consenti à quelques assouplissements, comme la possibilité pour les femmes célibataires d’obtenir dans certaines provinces et municipalités (Shanghai, Guangdong, Sichuan…) un permis de résidence (« hukou ») pour leur enfant, sésame indispensable pour intégrer le système éducatif et accéder aux services sociaux, voire de bénéficier d’un congé maternité et d’allocations au même titre que les femmes mariées.

Cependant, à l’échelle nationale, la loi n’a pas bougé. Pékin n’est pas prêt à accepter les diverses formes de parentalité en dehors du schéma traditionnel de la conception de l’enfant dans le cadre d’un mariage hétérosexuel. La perspective d’un éventuel assouplissement est d’autant plus déstabilisante pour le Parti, que pour la première fois dans l’histoire de la Chine, la femme en tant qu’individu peut prendre l’initiative d’un projet de procréation sans être subordonnée au sexe masculin, ni à l’institution matrimoniale hétérosexuelle.

Comme souvent, l’opinion publique évolue plus vite que les politiques sur ces questions : d’après un sondage datant de 2023, plus de 86% des répondants se déclaraient en faveur des droits à la procréation des femmes célibataires. Il est donc probable que dans un avenir plus ou moins proche, Pékin consente à améliorer l’accès des femmes non mariées aux services de fertilité. Mais, quelle que soit l’échéance, cette réforme ne réglera pas à elle seule le problème démographique auquel la Chine fait face.