Le Vent de la Chine Numéro 1 (2016)

du 11 au 17 janvier 2016

Editorial : Le taureau par les cornes

L’année 2016 débute sous des auspices difficiles, de récession et d’exacerbation des conflits mondiaux. Pour la Chine (comme pour le reste du monde), une nouvelle phase d’histoire s’ouvre, avec l’obligation d’inventer de nouvelles règles. Ce qui peut expliquer la nervosité du régime, et son parti-pris d’innover chaque fois que possible, sans céder de son pouvoir aux classes émergentes. 
Mais revoyons le film des trois dernières semaines :

 – A Shenzhen le 20 décembre, un glissement de terrain détruisait 33 immeubles, emportant la vie de 64 ouvriers et résidents. Ses causes, identiques à celles de l’accident de Tianjin en août 2015 (indiscipline, corruption), suggèrent que loin d’être un phénomène isolé, le problème est national, lié à un mode de gouvernance. En attendant les résultats de l’enquête, 11 cadres ont été arrêtés.

– Jusqu’au 2 janvier dans le Nord de la Chine, la pollution de l’air a une fois de plus battu tous ses records, entre 200 et 600 microparticules 2,5/m3 en moyenne : 10 métropoles et le Shandong entier ont été placés en alerte rouge, forçant ainsi la fermeture des écoles, d’une partie du trafic et de l’économie. En soi, c’est déjà un tournant -la première alerte rouge historique à Pékin avait été décrétée le 7 décembre. Désormais, de fortes mesures vont suivre, dans la capitale d’abord. Pékin délocalisera sa mairie à Tongzhou et taxera les véhicules sur divers axes selon les heures. Nationalement, les usines seront surveillées par drones, satellites, capteurs — un superordinateur analysera toutes ces données (« big data ») pour frapper les contrevenants potentiels, de façon préventive. Un commando de choc est lancé sur le Hebei (5 janvier), dirigé par 2 vice-ministres de l’Environnement et suivi d’inspecteurs de l’anti-corruption et de cadres du Département de l’Organisation – celui qui administre nationalement les promotions. Ailleurs entre Nord-Est, Centre et Ouest, l’Etat veut bâtir 10 méga villes en 5 ans, assez planifiées et équipées des meilleurs hôpitaux universités et emplois pour inciter les migrants à venir. Face à la pollution, après 60 ans, on ne plaisante plus.- Le même souci de crédibilité est visible dans la lutte anticorruption qui fait rage. Au palmarès de 2015, sont tombés 37 ministres et patrons de provinces, 270 juges dont 42 secrétaires du Parti ou présidents de leur tribunal. Chang Xiaobing, ex n°1 chez China  Unicom, attend son procès pour une ristourne de 120 millions de $ à des « copains » sur la vente de bureaux. Li Xiaolin, fille de Li Peng, dite la « reine de l’énergie », quitte la tête de China Power, son fief. C’est la 1ère mise à l’écart, sous Xi Jinping, d’un membre de la « hong’erdai » (红二代, «  seconde génération rouge »).

– Enfin, une bonne nouvelle au peuple, l’Etat peaufine son offre aux migrants d’un statut de citadin avec tous les droits sociaux impliqués. A Pour Pékin, ce statut ira aux moins de 45 ans, pouvant justifier de 7 ans de taxes acquittées et d’un emploi. Il sera octroyé sur un quota annuel, sur base des bons points obtenus : être bachelier vaut 15 points, et docteur 39. De cette manière, un quart des 8,2 millions de migrants de Pékin n’ont aucune chance. C’était inévitable : les coûts d’intégration dépassent de très loin les moyens des villes. En fait, c’est le système du «  crédit social » qui est ici testé, 4 ans avant son introduction nationale. Chaque migrant recevra sa note morale annuelle, établie sur la base de sa conduite relevée sur internet (impôts, amendes, crédit bancaire, opinions exprimées…). C’est le même ordinateur qui suivra la pollution des usines. Cette nouvelle gouvernance, tout sauf démocratique, est ainsi proposée au nom de la saine gestion du denier public et du bien-être collectif.


Politique : Xi Jinping, l’empereur sphinx

Le 30 décembre, Xi Jinping, n°1 du pays, du Parti et de l’armée, présidait le dernier meeting de l’année 2015 du Politburo. Aux 25 membres, il intima de renforcer la loyauté envers le Comité Central, de « surveiller leurs familles » sur le risque de corruption, et de ne « jamais se sentir supérieur, du fait de leur pouvoir ». Il les adjura aussi de garder « foi dans le marxisme… et dans la ligne des masses ». Puis il força chacun à prononcer son autocritique.

Depuis Mao, c’était le premier « meeting de critique et d’autocritique entre camarades ». La démarche était renforcée par la parution, la semaine précédente, d’un livre des pensées de Xi (de ses discours inédits) et d’une chanson de propagande au style rap intitulée « diriger strictement le Parti ». Dans le livre, Xi affirme rejeter tout « certificat d’acier d’immunité » (丹书铁券, dān shū tiě quàn ) ou « roi au chapeau de fer » (铁帽子王, tiě màozi wáng) – tout passe-droits ou privilèges aux hauts membres du régime.

Tout ceci vient à la veille de la 6ème Conférence de la CCID (commission anticorruption, 12-14 janvier). Présidé par Xi, l’événement fait présager un durcissement de l’anticorruption – d’aucuns prédisent même le lancement d’unecampagne de rectification. Il verra aussi la nomination d’un tout jeune vice-président de la CCID, Li Shulei, à 51 ans : ancien prodige d’études (entré à l’université Beida en 1978 à 14 ans), il a rédigé de nombreux discours de Xi, dont il est un lieutenant fiable. 

Toujours dans cette obsession de contrôle universel, Xi s’active sur tous les créneaux :
– celui de la diplomatie, qu’il forge jour après jour (ayant visité 14 pays en 2015, record historique national pour un chef d’Etat),
– celui des provinces, qu’il visite sans cesse (avec dès le 3 janvier, un premier voyage à Chongqing),
– celui des affaires religieuses (il avertit contre la superstition féodale),
– celui de l’économie
– celui de l’internet (avertissant en décembre que la censure est légitime et bénéfique à tous les pays)… 

Face à l’APL spécialement, l’effort de contrôle est patent. Le 30 décembre encore, il rendait faisait halte au Quotidien de l’Armée, où depuis un terminal, il adressait ses vœux aux millions d’hommes sous les drapeaux. Il venait de faire nommer trois de ses proches à la tête d’organes juste remodelés—Etat-major général, Forces de soutien stratégique et Forces Balistiques. Il faisait aussi annoncer le chantier d’un nouveau porte-avions à Dalian (50.000 TJB, sur des plans soviétiques, sous motorisation diesel et pont en sabot, faute de catapulte). Ordre était aussi donné aux consortia publics de recruter en priorité les 300.000 soldats démobilisés. 

Ici encore, Xi empruntait au Grand Timonier une démarche révolutionnaire des années 1952-1953. Devant l’armée le 31 décembre, lors du lancement des nouvelles structures de commandement, il prononçait un « précepte », discours comminatoire pour rappeler l’obligation de loyauté et d’« obéissance active » à ses ordres. Toutes ces annonces encadraient la grande restructuration militaire qui se met en marche. Mais dans l’armée comme ailleurs, Xi cherche à s’assurer une fidélité aveugle. 

Toutes ces actions prêtent à réflexion. Des commentateurs comme le Pékinois Zhang Lifan y voient une suite nécessaire à la campagne anti-corruption, cherchant à contenir les excès du corps des inspecteurs, qui profiteraient de leurs prérogatives pour casser leurs ennemis ou pour servir leurs intérêts propres. 

D’autres analystes remarquent que cette hyper concentration des pouvoirs comporte un risque pour le régime : celui de ne faire parvenir à Xi Jinping, derrière ses hauts murs de Zhongnanhai (le siège du Parti), que les « bonnes nouvelles » tout en occultant les mauvaises – déjà trois hauts cadres ont perdu leur poste pour avoir « posé des questions qui ne devaient pas l’être ». 

Plus fondamentalement, la nouvelle gouvernance autoritaire risque d’enterrer les principes du pouvoir collectif et du débat interne, donc l’héritage politique de Deng Xiaoping. Pour d’autres enfin, un des objectifs est d’en finir avec les factions au sein du Politburo, et le lobbysme des corps constitués (police, armée, conglomérats et familles historiques).

La dernière rumeur n’est pas la plus banale : l’adversaire visé serait rien moins que Jiang Zemin, l’ancien Président (1989-2002). Les chutes de ses célèbres alliés (Zhou Yongkang, Xu Caihou, Guo Boxiong, ou Bo Xilai), ont été suivies par celles d’un ex-secrétaire, Jia Tingan, et d’Ai Baojun, l’ex-vice maire de Shanghai intime de son fils Jiang Mianheng. Autour de l’ex-empereur rouge, le filet se resserre… 

La rumeur présente aussi un objectif à cette traque : déstabiliser le corps des 2000 ou 3000 sexagénaires de la hong’er dai (« seconde génération rouge »), qui protègent Jiang, pour préserver leurs privilèges de clan. Faire chuter Jiang, serait diviser cette caste et briser son barrage pour laisser passer les réformes. 

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Alors, Xi Jinping, autocrate sans état d’âme, ou bien stratège d’une Chine à réinventer ? On a peut-être un indice dans le sort de la statue dorée géante (37m) de Mao, que le canton de Zhushigang (Henan) faisait bâtir. Sur ordre supérieur, elle a été dynamitée sans tambours ni trompettes, le 7 janvier. Comme pour dire que si certaines méthodes du Timonier peuvent faire un come-back momentané à des fins ciblées et pragmatiques, le retour à son idéologie reste proscrit.


Economie : Finance 2016 – cahots et ornières

Le 4 janvier, la bourse de Shanghai rouvrit—mais pas pour longtemps ! En 5 heures, sous l’effet de ventes massives, l’indice CSI 300 perdait 7%, forçant une fermeture prématurée. C’était la première application d’un nouveau « coupe-circuit » automatique, destiné à prévenir la répétition de l’effondrement boursier de l’été dernier. 

Exprimant la morosité du public, ce faux départ (d’emblée ressenti entre Tokyo, Paris, New York et Francfort), avait pour source les faibles indices conjoncturels de décembre. L’indice PMI des directeurs d’achat dans les usines poursuivait sa chute depuis 10 mois, à 48,2 (toute valeur en dessous de 50 traduit une régression). À 218 000 barils par jour, l’importation de pétrole était au plus bas depuis 22 mois. Et surtout, la tutelle CSRC s’apprêtait à lever le 8 janvier le ban sur les ventes des gros porteurs (en possession de plus de 5% du stock de toute compagnie). A cette perspective, synonyme de chute des cours, tous ceux qui le pouvaient, vendaient ! 

Un seul secteur affichait une progression : celui des services –car la Chine, même en panne, demande toujours plus de santé, d’éducation ou de crédit. Ce qui éclaire la nature de cette « crise », celle d’un changement de modèle de croissance, de celle financée par la planche à billets, vers celle nourrie par la consommation. 
Face au crash, la réaction du Conseil d’Etat fut immédiate—dans l’espoir de couper court. Le ban sur les ventes des gros porteurs fut prorogé de 6 mois, et l’« équipe nationale » des investisseurs publics (banques, assurances…) se mit à acheter pour soutenir les cours, à l’aide de 130 milliards de yuans d’argent frais de la Banque Centrale. 

Ainsi, Pékin se déjugeait par rapport aux objectifs tracés en décembre par le Sommet Economique, sous la direction du Président Xi Jinping, lequel concluait que « le stimulus n’était pas la solution d’avenir ». Or, les actions pour enrayer le crash vont dans le sens inverse.
Faut-il s’en étonner ? Trois jours après, la contre-attaque avait fait long feu : le 7 janvier, ayant reperdu 7%, la bourse fermait derechef. Cette fois, la tutelle boursière annulait purement et simplement son « coupe-circuit », reconnaissant qu’il n’avait pas démontré son efficacité en matière de stabilisation des cours. De son côté, la Banque Centrale baissait la parité du yuan de 0,51% sur le dollar —la plus forte dévaluation depuis le 13 août. 

Le nœud de la crise se trouve là ! Face à un RMB trop fort (suite à 15 ans d’exportations massives ayant consacré la Chine comme usine du monde), ses usines sont rattrapées par la hausse des coûts. Les capitaux fuient. Pékin n’a d’autre choix que de dévaluer. La meilleure solution (contre la spéculation) serait une baisse unique et forte face au $. Mais l’entourage de Xi se défie de toute mesure osée. Il craint d’alourdir la dette de ses consortia publics (pétrole, banques…) ayant emprunté hors-frontières.
Aussi d’août à décembre 2015, le yuan vit sa parité au billet vert insensiblement érodée de 4,5%, puis le 4 janvier de 0,42%, et le 7 janvier de 0,51% – comme si l’Etat souhaitait dévaluer, par le seul jeu du marché, quitte à gommer de trop grands dérapages par des interventions ponctuelles, comme le 4 janvier.
Mais les analystes demandent ouvertement combien de temps le pays pourra tenir cette ligne de conduite. Les réserves en devises s’élèvent à 3400 milliards de $, dont 1000 à 1500 disponibles pour freiner la dévaluation (le reste doit servir comme « fonds de roulement » pour payer 3 mois d’import de matières premières). Mais en 2015, la Banque Centrale a déjà décaissé 500 milliards, dont 100 rien qu’en décembre… A ce rythme là, selon les calculs de BAML (Bank of America/Merrill Lynch), ces réserves pourraient avoir fondu en « un à deux ans ». 

Pour prévenir ce scenario, le Sommet Economique veut relancer la croissance par divers moyens, dont ceux classiques de la baisse des taxes et charges, et la poursuite des chantiers d’infrastructure. Un plan ferroviaire est annoncé le 5 janvier entre Liaoning et Mongolie intérieure, (5,3 milliards de $ sur trois projets dont une ligne de 197km), et les « équipements ferroviaires » au 13ème Plan 2016-2020 devraient dépasser les 610 milliards de $, selon l’état-major de la China Railway Corp…

Autre dossier capital pour l’Etat, le « recyclage » de milliers d’entreprises publiques épuisées, qui n’empruntent plus que pour le service de leur dette – qui atteindrait 28 000 milliards de $. Le pouvoir accepte désormais la perspective de mise en faillite de ces groupes dits « zombies », une fois restructurés. Mais comment ? Le mystère reste entier. 

Dernier volet crucial de l’équation de la relance, l’Etat espère faire acheter par les 100 millions de migrants attendus dans les villes d’ici 2020, une partie des 13 millions d’appartements invendus.
Chaudement recommandée par le ministre des Finances Lou Jiwei (qui peut-être espère ainsi forcer la main au pouvoir suprême), une voie pour y parvenir serait la dérégulation du droit du sol rural—la faculté pour le paysan d’hypothéquer ou de vendre sa parcelle, avant de migrer en ville.
Mais cette stratégie semble oublier que ces logements souvent haut-de-gamme (donc inadaptés à un public précaire), ont été bâtis au mauvais lieu, pour un marché imaginaire, à une époque où tout marchait. Cela ressemble fort à un produit invendable, un investissement failli. C’est aussi oublier que le migrant, pauvre, préfère louer en ville, quitte à acheter bien plus tard, « au village natal »… Tout cela pour dire que pour les gestionnaires du pays, le chemin sera long, rocailleux et tout sauf stable.


Hong Kong : Maldonne à Hong Kong

Affaire bien mystérieuse que celle de Lee Bo, 65 ans, un libraire de Causeway Bay, disparu le 30 décembre. Immédiatement, ses proches et clients soupçonnaient un kidnapping. Car sa librairie et maison d’édition s’était fait une spécialité d’ouvrages d’un genre spécial…

—entre licencieux et scandaleux, notamment sur la vie privée des dirigeants chinois. 

Quatre jours après, Lee se manifestait par fax depuis Shenzhen : passé de l’autre côté de la frontière « par ses propres moyens », il « coopérait avec les autorités ». Mais l’histoire comportait plusieurs invraisemblances, à commencer par la langue du message, en mandarin, quoique Lee Bo s’exprime en cantonais, et le fait qu’il n’avait pas ses papiers sur lui, selon son épouse. De plus, il avait récemment réaffirmé ne jamais vouloir mettre les pieds sur le continent, « pour sa sécurité ». 

Avant Bo, quatre collaborateurs ont disparu depuis octobre—trois en Chine, un en Thaïlande — sans que les disparitions ne déclenchent sur le « rocher » inquiétudes ou protestations.
En plus de sa citoyenneté hongkongaise, Lee Bo détenait un passeport britannique. Mais Londres fait profil bas, se bornant après 6 jours à déclarer son « profond souci », rappelant à Pékin sa promesse de « respecter la liberté de presse » dans l’ex-colonie de la Couronne, et suggérant qu’un kidnapping politique sur sol hongkongais serait un accroc grave au principe d’« un pays, deux systèmes ». Il faut dire que D. Cameron, le Premier ministre britannique, compte sur de forts investissements chinois (en urbanisme, transports, énergie…) sur son sol, et ne désire pas compromettre la relation. 

Pékin se tait encore, sur le fond, mais émet nombre de « petites phrases », comme pour préparer l’opinion. Ainsi le 6 janvier, Wang Yi, ministre des Affaires Etrangères, estime qu’avant d’être britannique, Lee est Chinois, et donc redevable de ses actes devant la justice de son pays.

Lee Bo a-t-il été kidnappé ou bien exfiltré « de plein gré » sous pression d’agents venus le convaincre ? L’avenir le dira, tout comme le sort que Pékin lui réserve… En attendant, l’effet est clair, et peut donner une indication sur l’objectif : sans attendre, d’autres libraires tel le groupe « Page One », retirent des rayons leurs ouvrages risquant de déplaire à la Chine.

Dans le même registre, C.Y. Leung le Chief Executive, retirer de facto à l’Université de Hong Kong son droit autonome, historique, d’élire son Président : le 31 décembre, le professeur Arthur Li, pro-Pékin, était nommé, malgré 98% de votes défavorables et la préférence quasi-unanime à Johannes Chan, candidat plus libéral. 

Ces deux péripéties simultanées, témoignent chacune d’un recul des libertés insulaires. Comme si chaque année désormais, les droits hérités du Royaume-Uni, devaient être limés, pour arriver en 2047, à l’issue des 50 ans du Traité, à une Hong Kong, ville chinoise « comme les autres ».


Corées : Une bombe H pour Kim Jong-un

Le 6 janvier à 10h, une secousse sismique fut enregistrée aux environs de Kiju ( Corée du Nord), d’intensité 5,1 sur l’échelle de Richter. Pyongyang annonçait le succès d’un test d’une bombe « H », à hydrogène. Depuis le début de ce programme en 2006, c’était le 4ème test au pays du Matin Calme. 

Pour la Chine comme pour le monde, c’est une mauvaise nouvelle. Kim Jong-un, le jeune despote, rompt ses engagements, et cette technologie est plus meurtrière que celle que la Corée visait jusqu’alors. Cela dit, les experts doutent de la réalité de l’affirmation du petit régime stalinien : la secousse suggère une puissance de 6 kilotonnes, comparable à celle du test de 2013, très en deçà d’une bombe à hydrogène. De plus, même si Pyongyang prouvait sa maîtrise de cette filière, il lui resterait à miniaturiser sa bombe pour la loger dans une ogive et un missile. Rien de cela n’est aujourd’hui acquis. 

La suite sera inéluctable : exigées par les USA, de nouvelles sanctions à l’ONU seront votées, isolant davantage le régime. Ce dont n’a cure Kim, le petit-fils du père fondateur Kim Il-sung. Ce régime est plus intéressé par son pouvoir et son chantage sur le monde (qui lui verse des aides alimentaires pour le faire se tenir tranquille), que sur sa capacité à nourrir son peuple à 75% chroniquement affamé. 

Et la Chine ? Elle dénonce « vigoureusement » le test. C’est la moindre des choses, car mis à part Japon et Corée du Sud, elle serait aux premières loges d’une frappe nucléaire. Pékin pourrait voter les sanctions de l’ONU (ou s’abstenir), mais on peut douter qu’elle aille plus loin : ni rupture de ses fournitures de riz ou fuel, ni fouille des navires nord-coréens en quête d’armes ou d’outillages stratégiques. Face à son voisin, Pékin vit une bizarre contradiction. Elle s’exaspère de ce pays trop souvent avide de démontrer son indépendance primesautière. Mais elle ne veut pas non plus perdre ses 66 ans de soutien, à bout de bras, investissement et pari sur l’avenir. 

Elle est aussi handicapée par une lenteur et lourdeur décisionnelle. Xi Jinping est seul à décider. Il le fait, dit-on, conseillé par des fidèles, plus que par des experts. Il se trouve aussi débordé par le nombre des fronts sur lesquels il s’est contraints à faire face, dans son obsession de tout contrôler.


Blog : « A modern adventure », l’incroyable collection d’art de Renault (à Pékin & Wuhan)
« A modern adventure », l’incroyable collection d’art de Renault (à Pékin & Wuhan)

Qui eût cru que Renault, le constructeur automobile français, dispose d’une collection d’art digne d’un grand collectionneur ? 

L’histoire débuta en 1967, quand Renault se piqua d’art contemporain, et entreprit de collaborer avec divers artistes, dont certains inconnus à cette époque, en mettant à leur disposition pour leurs créations, matériaux, techniques, et l’environnement d’un site industriel : ses ateliers historiques de Boulogne-Billancourt. Une démarche unique pour l’époque, puisque Renault ne chercha pas à acheter des œuvres d’art, mais plutôt à y contribuer !

Le premier artiste à accepter de collaborer fut Arman (courant des Nouveaux Réalistes),qui après visite des lieux, travailla sur les nouvelles formes et matériaux sur le thème de la vie quotidienne.

Ils furent 29 autres à prendre sa suite, parmi lesquels des grands noms comme Dubuffet, Tinguely et Vasarely.

Le fruit de leur travail fut parfois installé au sein même des locaux du siège, ornant couloirs, lobby, salles de réunion…sans que les ingénieurs et cadres de l’époque n’y prêtent grande attention !

Oubliée pendant les années 80/90, certaines œuvres sont des rescapées de la destruction des ateliers de Boulogne.

48 ans plus tard, un tiers de cette collection est présenté à Pékin (Today Art Musuem, du 13 décembre au 29 février), puis à Wuhan (Hubei Museum of Art, du 17 mars au 19 juin), soit 100 pièces, jamais exposés en France, et pour une première en Chine. 

Ne manquez pas de découvrir cette pétillante exposition, colorée et résolument moderne, avec la collaboration de deux artistes chinois (He An et Wen Fang). 

Voici quelques photos :

Michaux

Approché par Renault en 1983, l’écrivain belge Henri Michaux signa un partenariat pour produire 30 toiles. Malheureusement, après 10 peintures, il décéda… Les héritiers du peintre acceptèrent d’en offrir 20 à la firme afin d’afficher un ensemble cohérent. 

Vasarely Etude Préliminaire Sur Papier Pour La Série Des Sérigraphies Sur Aluminium

Une étude préliminaire de Vasarely, iconographe, qui fit plusieurs fois appel aux compétences techniques des ingénieurs de Renault pour son travail. L’artiste fut l’auteur du logo Renault, utilisé pendant 20 ans, de 1972 à 1992.

Erro Gauguin

L’artiste franco-islandais, Erro, explora la base de données d’images de Renault et produisit une série de collages et peintures, à la rencontre d’une des grandes inventions du 20ème siècle, la voiture (et ses pièces détachées). 

Angela Palmer V8 Engine

Un moteur V8, par l’artiste anglaise Angela Palmer.

Saint Phalle The White Goddess

Niki de Saint-Phalle et sa « Déesse Blanche » (1963)

Dubuffet Le Roman Burlesque Trois Personnages

« Le Roman Burlesque », Trois Personnages de Jean Dubuffet

Dubuffet Paysage Avec Ville Et Personnage

Paysage avec Ville et Personnages de Jean Dubuffet 


Petit Peuple : Changchun (Jilin) – La passion canine de Wang Yan (1ère partie)

Wang Yan, à Changchun (Jilin), est un homme sans éducation mais qui s’est fait seul, accumulant une fortune à force d’intuition, de travail, et de cette chance qui sourit aux audacieux. A l’école en 1996, ses maîtres l’estimaient doué, mais uniquement dans les matières l’intéressant -la technologie, le commerce. Toute autre sujet l’endormait. Dès 11 ans, il se mit à sécher les cours pour aller traîner dans les quartiers, quitte à se faire un peu d’argent en aidant à décharger les camions et porter la marchandise aux commerces du coin. 

Au cours de ses pérégrinations buissonnières, Yan restait frappé par le nombre effrayant d’usines d’Etat fermées. Ce n’était pas pour rien qu’on appelait « ceinture de rouille » cette région du Dongbei (Heilongjiang, Jilin et Liaoning)… Or, remarquait le jeune, ces halls de brique ou de béton sale aux verrières brisées étaient remplis de machines, poutrelles et ponts roulants – montagnes de fonte et d’acier n’appartenant plus à personne !

A 14 ans, Yan lâcha l’école. Avec on ne sait quels fonds, il loua quelques engins (chariots élévateurs, bulldozers, camions) et recruta une dizaine de chômeurs – innombrables et crève-la-faim, ils ne coûtaient guère. Et puis il entreprit de faire découper au chalumeau tout ce métal, pour aller le revendre au haut-fourneau local, trop heureux de recycler cette matière à bas prix. Bientôt il fut à la tête d’une armée de démolisseurs, qu’il lança contre les bâtisses, payé par les repreneurs. Il gagnait de l’argent à la fois sur la démolition et sur le ferraillage. 

L’étape suivante de sa fortune consista en l’achat pour une bouchée de pain d’un four Martin et d’un antique laminoir que la mairie mettait au rancart. Désormais, il put directement refondre ce vieux fer, affiner cette fonte, produire sa propre tôle. 

De la sorte en 2006, à 20 ans, sans même avoir le bac, Yan était millionnaire en yuans. Invité dans les meilleures maisons de Changchun, il était pressenti pour entrer au Parti. Il possédait un duplex lumineux, protégé de la pollution par sa position sur une colline, ainsi se tenait à l’écart des quémandeurs et importuns. 

Quoiqu’encore célibataire, il ne ressentait pas la solitude : il avait ses copains d’enfance, et Beibei (贝贝) , son Labrador qui le suivait partout. Avec Beibei, Yan joggait à l’aube. Le week-end, il marchait hors de la ville, histoire de se nettoyer les poumons, et le cerveau des intrigues du monde des affaires. 

Tout alla ainsi, jusqu’à cette nuit où Beibei disparut. Yan se reprocha sa trop grande insouciance, et d’avoir mis son chien en danger, faute de s’être résolu à le garder attaché. Le jeune businessman n’avait pas eu cœur à priver son ami canin de la liberté dont il avait tant profité lui-même pendant son adolescence. Il était pourtant parfaitement conscient des très grands risques, pour Beibei, d’être kidnappé pour la revente à de nouveaux maîtres, ou pire, pour passer au wok… 

D’ordinaire, Beibei sortait la nuit en vadrouille, et rentrait à l’aube. Mais en ce matin d’hiver 2012, le labrador manqua à l’appel, et les sifflets à travers le quartier restèrent infructueux.
Angoissé, Yan fit le tour des résidences, et de plus en plus loin. Aux vitrines des magasins, aux poteaux téléphoniques, il colla des affiches avec la photo de son chien, promettant « grosse récompense ». Il fit diffuser une annonce aux chaînes de radios locales. Après dix jours en désespoir de cause, il se rendit à un lieu de sinistre réputation : l’abattoir canin. 

{ Ici, une parenthèse est utile pour évoquer la tradition locale célèbre mais méconnue de la cuisine chinoise de chien. Inscrite depuis 25 siècles dans les annales, notamment chez Mencius (disciple de Confucius), cette chair est supposée dotée de vertus « renforçant le feu dans l’organisme durant les mois d’hiver ». À 15 millions de têtes par an, sa consommation en Chine reste pourtant marginale, bien inférieure à celle porcine (500 millions par an). Elle reste de surcroit limitée au Nord-Est et Sud, entre Canton, le Yunnan et le Guangxi). Aujourd’hui, une majorité de Chinois réprouve la pratique, et leurs protestations grandissantes rendent sa disparition inéluctable, à probablement brève échéance. Mais en attendant, ses adeptes se battent pied à pied, avec la même passion désespérée que ceux de la tauromachie outre-Pyrénées. }

Pénétrant dans l’abattoir, Yan crut franchir les portes d’un enfer de Dante canin. C’était, pris sur le vif, une figuration de l’expression « estourbir le chien qui se noie » (打落水狗, da luo shui gou). Partout montait dans l’air confiné le concert d’aboiements brutalement interrompus par le choc des masses, dans l’ambiance sirupeuse d’agonie et l’odeur de sang. 

Révolté, Yan tenta de sauver un bouledogue de sa triste fin mais fut stoppé net dans son élan par trois sbires qui le surveillaient, raccompagné sans cérémonie jusqu’à la porte et jeté dehors. Tous comme un seul homme, les employés lui assuraient n’avoir jamais vu en leurs murs le moindre Labrador correspondant à la photo de Beibei. Mais le jeune sidérurgiste repartait avec la terrible sensation que son meilleur ami avait passé ses derniers instants ici dans la douleur, pour finir dans le hot-pot minable d’un bouiboui interlope… 

Pas de doute, c’est un terrible drame. Et pourtant, loin de se laisser aller, le jeune millionnaire va le gérer d’éblouissante manière. Comment ? La suite, la semaine prochaine !