Le Vent de la Chine Numéro 13 (2016)

du 17 au 23 avril 2016

Editorial : Les méandres d’une économie chinoise chauffée à blanc

Par rapport aux craintes du début de l’année, la Chine économique se porte nettement mieux. Au dessus des 3000 points d’indice, la bourse est gaillarde. Hypermarchés et avions sont remplis, tout comme les camions de livraison de produits commandés sur internet. Le FMI promet une croissance de 6,5% pour l’année, et la Banque Centrale cesse de soutenir le yuan – la fuite des capitaux semble enrayée.

Et pourtant, le FMI avertit, dans un rapport du 13 avril d’une rare nervosité : est-ce une convalescence ou une rémission ? Après un an d’austérité contre le crédit gris, la Banque Centrale a relancé la planche à billets : la masse monétaire « M2 » a atteint 20.000 milliards de $, 200% du PIB. Le choix semble avoir été de reporter la crise : retarder les fermetures d’usines, relancer le marché immobilier par le crédit. 

De ce fait en janvier-février, les prêts atteignaient 650 milliards de $, +23%. La dette augmentait de 10%, à 260% du PIB. Les profits des entreprises ont baissé plus vite que les taux d’intérêts. Leur délai moyen de paiement aux fournisseurs est de 72 jours. Ceci les force à emprunter toujours plus, à seule fin de rééchelonner les dettes.

Selon le FMI, les dettes à risque (où les profits ne couvrent pas le paiement des intérêts de l’emprunt, sans parler du remboursement du principal), ont augmenté de 15,5%, à 1300 milliards de $, dont 756 milliards en pertes potentielles. Elles atteignent même 39% dans l’acier, ou 35% dans la mine et la distribution, 18% dans l’industrie et le transport. Le risque, selon le FMI, serait une hausse abrupte du coût du crédit en 2017, puis sa disparition suivie d’un désendettement dans le désordre « endommageant la stabilité financière ». 

La cause de cet engrenage est connue : le report depuis trois ans des réformes promises au 3ème Plenum de novembre 2013, pour briser les privilèges des consortia et laisser au marché un plus grand rôle dans l’allocation des crédits.
C’est peut-être le niveau local qui bloque, les provinces refusant d’abandonner « leurs » grandes entreprises. C’est aussi le fait d’avoir concentré les rênes du pouvoir dans des « Commissions centrales » aux mains du chef de l’Etat, hors des institutions normales, Comité Central et Conseil d’Etat.

Dans ce tableau troublé, une nouvelle plutôt bonne se détache : l’émergence de la « génération lunaire » (月光一族 yuèguāng yīzú) des jeunes adultes, ainsi romantiquement désignés pour leur propension au découvert bancaire en fin de mois. Ces dizaines de millions d’actifs dépensent jusqu’au double de leurs salaires, soutenant ainsi la consommation. De ce fait, la dette des ménages frise les 65%, contre 35% en 2007, selon l’Institut des finances internationales.
Beauté du système : la Chine aux cheveux blancs épargne toujours plus, 46% du PIB en 2015 (3ème rang mondial des bas de laine). Or, ces parents viennent à la rescousse de leurs enfants dépensiers, mettant la main au porte-monnaie.

De la sorte, on voit deux nouveaux mécanismes parallèles fonctionner en cercle vertueux. La jeunesse chinoise s’arrache à un réflexe millénaire, celui de l’épargne pour la survie de demain, et se tourne vers le plaisir immédiat – c’est peut-être pour ce pays trop  longtemps austère, la redécouverte du droit au bonheur. En même temps, l’épargne des parents permet d’éponger l’excès consumériste de leur enfants. Et pour l’instant, cela marche. Mais reste à savoir si ce circuit bénéfique exercera une résistance suffisante à la tempête qui se prépare, contrecoup des atermoiements du régime.


Société : Trois regards sur l’avenir en Chine

– Une tendance forte de l’avenir de la Chine est la robotisation partout visible : dans l’industrie, les hôpitaux, les commerces ou les restaurants. En 2014, 57.000 robots s’y sont vendus, 55% de plus qu’en 2013, 25% du parc mondial. En 2018, ils seront 614.000, un tiers de la planète. L’équipement est soutenu à coup d’incitations du pouvoir central, soucieux de voir son industrie gravir l’échelle de valeur ; et des provinces, surtout du Sud et de la côte, régions en manque de salariés. D’ici 2018, le Guangdong versera 128 milliards d’euros aides à la R&D de ses centaines d’usines de robots, afin de maintenir son avance dans ce secteur, et de protéger son industrie de centres industriels rivaux à travers l’Asie. Ce « personnel non humain » qu’il vise à installer partout, remplaçant l’homme, n’est pas salarié ni syndiqué, il travaille 12h à 18h par jour, 350 jours par an (le reste étant dédié à la maintenance), et il n’est pas censé faire d’erreurs.

Au niveau national, la NDRC et du ministère des Finances, viennent de publier un plan quinquennal pour renforcer la production de composantes de robots, senseurs et servomoteurs, et pour consolider la recherche dans 10 spécialisations comme la nano-soudure, la chirurgie assistée, le nettoyage à vide, le multiservice et l’autoprogrammation… Mais Luo Jun, expert dans un centre de recherche public, constate un « retard » face aux programmes de robotisation de Corée ou des USA entre autres, et de groupes tels Samsung ou Google qui investissent directement en intelligence artificielle, pour préparer leur prochaine génération de robots. 

– Tendance liée ou non, l’emploi souffre, même celui qualifié. De septembre 2015 à janvier 2016, comparé à 12 mois plus tôt, les secteurs de l’énergie et de la mine ont réduit de 91% leur embauche, et l’industrie de 83%. De ce fait, le chômage monte en flèche… Selon une étudiante de la prestigieuse université Renmin à Pékin, seule la moitié de sa promotion 2014 avait trouvé du travail fin 2015. Et en juin prochain, les 7,65 millions de nouveaux jeunes diplômés auront du souci à se faire.

Par bonheur, au même moment, les offres d’emplois dans l’internet et l’e-commerce ont presque triplé, et quadruplé dans les services « traditionnels ». Avec un léger bémol toutefois, relevé par Yuan Guiren, ministre de l’Education : entre les cursus des universités et les talents attendus par les firmes, l’écart persiste. Ce qui manque aux jeunes pourrait davantage tenir à une disposition d’esprit qu’à des savoirs techniques : l’initiative, la capacité de travail en groupe, l’indépendance de réflexion et l’esprit de synthèse. Ces choses sont peu enseignées dans les écoles chinoises, qui privilégient l’analyse, le cours magistral et l’acquisition passive des connaissances.

– Tout en développant rapidement l’usage des robots, la Chine se prépare à une autre révolution, en fait de gouvernance celle-là : l’octroi à tout individu d’une note morale dite « crédit social ». En partie calculée grâce aux « big data » (les données individuelles rassemblées sur internet), cette note morale devrait être opérationnelle d’ici 2020 à travers le pays.

À quoi servira-t-elle ? Shanghai vient de soulever le coin du voile en annonçant qu’au 1er mai, tout jeune adulte vivant séparé de ses parents, devrait « leur rendre visite ou envoyer ses vœux » fréquemment, sous peine de retrait de points à son crédit social. De prime abord, les conséquences annoncées seront bénignes, comme la radiation de la bibliothèque de quartier… Mais d’autres sanctions sont envisagées, tels l’interdiction de crédit bancaire, de permis et licences diverses, la radiation à l’entrée dans divers emplois publics, voire la baisse de l’indemnité de chômage, qui serait donc modulée en fonction de la note de crédit social.  

Cette disposition transcrit l’échec d’une loi de juillet 2013 « de protection des droits et intérêts du 3ème âge», qui impose aux jeunes de rendre « fréquemment » visite aux parents, et de veiller à leurs besoins financiers et affectifs.

La loi s’était avérée inapplicable, faute d’avoir précisé la fréquence des visites et les sanctions en cas de refus. Problème sans doute le plus aigu dans Shanghai, ville la plus riche mais aussi la plus vieille de Chine, venant de voir le nombre de ses sexagénaires franchir la barre des 30% de sa population : il sont 4,36 millions actuellement, et seront 6 millions en 2025. A Shanghai, les jeunes, actifs comme chômeurs, ne viennent pas beaucoup voir leurs parents – probablement suite au grand écart de valeurs entre ces générations, les « vieux » restant souvent prisonniers d’un passé douloureux qui les inhibe, tandis que les jeunes sont plus individualistes.

Cependant bien sûr, les risques associés à cette démarche de piété filiale imposée, apparaissent clairement. Ce crédit social, encore dans les langes, peut devenir un outil puissant, à condition d’être accepté par la population. Mais le fait de le présenter comme un levier autoritaire sur l’individu, affaiblit ses chances. En interférant dans les relations familiales, l’Etat espère contraindre les jeunes à un choix qu’ils n’ont pas fait. Or, faute de venir du cœur, ce service imposé ne pourra améliorer le lien affectif.

On croit sentir dans cette astreinte, le rêve de la génération au pouvoir, celle des sexagénaires, de rétablir en Chine des valeurs confucéennes, par opposition à celles de l’Occident. Quoiqu’on doive en penser, l’expérience tentée à Shanghai doit être interprétée pour ce qu’elle est : un test « de laboratoire », pour gérer une société chinoise dont le vieillissement annoncé, est « pour demain ».

 


Finance : Les « Panama papers », version chinoise

Divulguée le 4 avril par un syndicat de médias étrangers à travers le monde, la nouvelle des « Panama papers » n’avait rien d’un scoop : dès 2012, l’état de fortunes de dirigeants chinois, en partie entreposées dans des paradis fiscaux tels les Iles Vierges Britanniques (BVI) ou Samoa, avaient été révélées par Bloomberg et le New York Times. L’affaire des « Panama papers » a cependant apporté de nombreuses précisions utiles sur ce circuit occulte. Elle offre aussi un regard planétaire sur cette pratique délictueuse adoptée par tant de grands de ce monde : 16.300 sociétés offshore sont épinglées, issues des 5 continents, à charge du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Elle permet donc d’éviter de diaboliser un pays ou une idéologie, et au contraire d’éclairer une pratique contemporaine mondiale, et son préjudice en trillions de dollars.

L’information a « fuité » en 2015 via un disque dur de 11,5 millions de fichiers adressés (anonymement) au journal allemand « Süddeutsche Zeitung ». La méthode retenue par ce média pour valoriser l’information, a été très innovante, comparable aux démarches de Wikileaks (J. Assange) et de E. Snowden : 300 journalistes de 107 média (76 pays) ont été contactés et se sont partagés les fichiers pour complément d’enquête, avant de publier données et analyses ce 4 avril. De la sorte, les journalistes et leurs journaux ne pouvaient être victimes de rétorsion sous chef d’accusation d’intention malicieuse ou partisane. Ainsi, une plateforme mondiale d’information sur des activités internationales occultes, est née, capable de résister aux pressions.

La Chine émerge ici premier client mondial du cabinet Fonseca, avec 29% des sociétés offshore abritant les fonds évadés. Parmi les centaines de noms dévoilés, figurent les proches de membres du Comité Permanent, actuels (le Président Xi Jinping, Zhang Gaoli, Liu Yunshan), ou passés (Jia Qinglin, Li Peng, Zeng Qinghong, Tian Jiyun, Wen Jiabao, Hu Yaobang). On y retrouve aussi les noms du mari d’une petite-fille de Mao Zedong, et celui de Gu Kailai, l’épouse de Bo Xilai, tous deux en prison, elle pour meurtre et lui pour corruption.

En 2007, un agent chinois du cabinet panaméen justifiait l’existence du circuit offshore par le besoin de « contourner les barrières à l’investissement à l’étranger ». Aujourd’hui, on constate que ce type d’investissement, offert par bon nombre de cabinets d’affaires et de banques internationales, n’a rien d’illégal, et ne couvre pas toujours des agissements frauduleux. Mais ce circuit s’accompagne toujours de montages compliqués, indirects, faits pour protéger des fonds à l’origine souvent inavouable.

A travers le monde, les investisseurs dévoilés ont eu trois types de défense : le déni frontal, l’allégation que leur société offshore était déjà fermée depuis des lustres, et la dénonciation de l’anonymat du délateur, qui pourrait recouvrir la CIA ainsi qu’une manipulation — comme suggéré par le quotidien pékinois anglophone Global Times.

La Chine a réagi avec embarras, son porte-parole se refusant à tout commentaire. La censure a été hyperactive pour gommer toute référence sur internet. Elle a réussi à étouffer l’affaire en moins d’une semaine, faute d’éléments nouveaux pour nourrir l’analyse.

La réaction la plus intéressante a été celle de Wang Qishan, président de la police du Parti (CCID) et maître de la campagne anticorruption : Wang s’est refusé à tout commentaire, plaidant qu’il devait d’abord étudier ces dossiers pour comprendre le phénomène. En effet, ses enquêteurs pourraient aisni récupérer des données précieuses, pour épingler en temps utile des évadés fiscaux chinois.

Pour le régime toutefois, cette publication est assurément dérangeante. Les noms publiés reflètent toutes les tendances, celle du pouvoir suprême, mais aussi celle de lieutenants de Jiang Zemin et de Hu Jintao, les prédécesseurs de Xi Jinping. Elle établit que tout cadre, une fois accédé au pouvoir suprême, est susceptible de voir sa famille accumuler des milliards de yuans de patrimoine, du fait de leur pouvoir, de leur accès au crédit, au droit du sol, de leur immense carnet d’adresses n’ayant rien à leur refuser, et de l’impunité totale conférée par la censure et la justice dépendante.

L’origine du problème est donc systémique—l’absence d’outils de contrôle, source de la corruption. Faire régner le silence sur l’affaire et pratiquer le déni, ne peut que retarder mais non empêcher la propagation de ce constat, forcément porteur d’une perte de face et de légitimité pour le régime. Le désarroi face à ces révélations a été bien exprimé par Hu Dehua, homme d’affaires, fils de l’ancien Premier secrétaire Hu Yaobang, qui a clamé son innocence tout en menaçant de procès en diffamation.

Quelles suites le régime donnera-t-il à cette affaire ? Impossible à ce stade, de le dire. Mais ce qui est en cause, est la pratique d’enrichissement ultra-rapide de la classe dirigeante, couplé à une sécurisation de cette fortune à l’étranger. Ses jours sont peut-être comptés à partir de maintenant : l’éclatement de l’affaire rappelle que même sur des pratiques répréhensibles intervenant en Chine, la presse et la justice fonctionnent à plein. Dès lors, pour prévenir la répétition de tels problèmes, le régime va devoir modifier son mode de fonctionnement, selon trois paramètres :

– conformer ses modes d’enrichissement avec la loi,
– bloquer l’évasion hors frontières de fonds litigieux,
– ou laisser sa presse et sa justice traiter ses grandes familles à pied d’égalité avec le reste de la société.


Chinafrique : Mozambique – Un gazoduc de fin d’ère

En mars à Maputo (Mozambique), un consortium mené par la CNPC annonce l’« African Renaissance Pipeline » (ARP), gazoduc de 2600 km qui devrait relier la baie de Rovuma (Nord du Mozambique, cf photo) et  la province sud-africaine de Gauteng (Sud du pays). Il marque un point contre Gasnodu, projet rival.

Ce chantier vise des réserves mozambicaines estimées à 2,8 milliards de m3. Celles-ci, dans une région désertique, manque de clients. Ce projet soutenu par le gouvernement de Maputo alimenterait le long de la ligne,  usines d’engrais, centrales thermiques, zones industrielles. Mais seule l’Afrique du Sud apparaît solvable, et la faiblesse des cours des hydrocarbures compromet la rentabilité. De fait, le Bureau National (chinois) des Oléoducs a lancé une étude de faisabilité : en cas de succès seulement, ses banques allongeront 70% des crédits.

La CNPC a un intérêt direct : en 2013, elle achetait pour 4,2 milliards, 20% de la « Zone 4 offshore » de Rovuma, du groupe ENI (Italie). A présent, elle doit valoriser cet achat, ne serait-ce que pour prouver à Pékin la pertinence de son investissement. Ébranlé par de nombreuses arrestations pour « corruption », ce groupe d’Etat, ex-fief de Zhou Yongkang doit d’urgence retrouver une réputation de fiabilité !

L’émergence de deux projets pour un même gaz sur un même tracé, trahit des luttes obscures pour le contrôle de l’énergie dans la région. Gasnodu, du consortium Gigajoule, soutenu par l’ex-Président A. Guebuza, avait obtenu le soutien d’Eskom et de EDM, groupes publics d’Afrique du Sud et du Mozambique, et en espérait une commande ferme annuelle de gaz pour 5GW d’électricité. Mais en face, l’ARP est présidée par Olivia Machel, fille de l’actuel Président, et financée, en plus de la CNPC, par un « ponte » du Frelimo, le parti au pouvoir.

Cependant pour les experts, aux cours actuels, une distribution de GNL importé, pourrait être moins chère…

Enfin, la décision chinoise n’est pas gravée dans le marbre : l’ère d’un modèle économique du « troc amical, voire idéologique » d’infrastructures  contre ressources naturelles, touche à sa fin. Dans sa stratégie de liens avec le Tiers monde, Pékin doit commencer à compter ses sous. Faute de crédits, il peut de moins en moins payer 100% des barrages, gazoducs ou voies ferrées, en espérant se rembourser en matières premières dont il s’assurait l’exclusivité à tarifs en dessous des cours. Car les pays concernés, de leur côté, commencent à exiger d’être payés en argent, au cours mondial. Dans ces conditions, le lancement du gazoduc géant, est tout sauf assuré.

 


Taiwan : Fin de l’état de grâce

En un mois, trois incidents sont venus altérer les relations sino-taiwanaises, après cinq années d’entente entre le gouvernement nationaliste de Ma Ying-jeou et une Chine qui reste obsédée par l’objectif de réunification.

Le 18 mars, Pékin rétablit ses liens avec la Gambie, mettant un terme à 41 ans de ping pong diplomatique. En 1965, à l’indépendance gambienne, Taipei avait emporté l’ambassade. Elle passait à Pékin en 1971, repassait à Taipei en 1995, puis restait désaffectée en 2013 – la Gambie rompait avec Taipei, espérant obtenir de Pékin un plus gros chèque. Fait remarquable, la Chine avait attendu, par respect pour l’allié du KMT. Les choses changeaient après janvier 2016, quand Ma perdait les élections présidentielles au profit de Mme Tsai Ing-wen, cheffe du DPP (indépendantiste), la prochaine présidente au 20 mai.

Le 12 avril, Taiwan retire sa candidature à la Banque Asiatique d’Investissements en Infrastructures (AIIB, créée en 2015 par la Chine). C’est suite à l’insistance de Pékin de présenter au bureau de l’AIIB sa candidature à sa place, lui déniant ainsi toute voix « indépendante » en affaires internationales. Ici, c’est Ma et le KMT qui protestent et non le parti indépendantiste, et qui dénoncent une « atteinte inacceptable à la dignité nationale ». Dans l’alliance Chine/KMT, une fêlure apparaît.

Les 12-13 avril,  au Kenya, 77 Taïwanais et Chinois sont embarqués de force vers Pékin (cf photo), malgré leur souhait de retourner à Taipei. Ces hommes et femmes venaient d’être jugés à Nairobi pour avoir tenu un centre d’appels pirate et dépouillé des centaines de victimes chinoises en obtenant leurs coordonnées bancaires. Le préjudice atteindrait 15 millions de ¥, sans compter un suicide, par désespoir. Nonobstant leur acquittement au Kenya, Pékin va les rejuger. Taipei lui en reconnaît le droit—mais non l’extradition, qui était contraire à leurs accords. Taiwan est hélas passée maître en ce genre de fraude digitale–un cas avait été dévoilé en 2015, à Manille. Déportés en Chine, les bandits avaient été renvoyés chez eux après 5 mois, pour y purger leur peine…

Sur le fond, ces trois affaires traduisent un état d’esprit nouveau : s’inquiétant de l’imminence d’une nouvelle législature sous mandat DPP, Pékin fait pression sur la future Présidente pour lui faire admettre une nouvelle fois l’existence d’une seule Chine. Entre les deux rivages, l’état de grâce est bel et bien fini.

 


Petit Peuple : Rizhao – Zhang Deyang, artiste de la vie (1ère Partie)

À Rizhao (Shandong), Zhang Deyang est une « branche morte » (gan gun, 赶滚), sans femme ni descendance, réduit au célibat par la pauvreté ainsi qu’une autre disgrâce de la nature : il est nain, ne dépassant le mètre vingt que par le port de semelles  compensées. Pour survivre, il tient une minuscule échoppe de produits de première nécessité, lessives, shampoings et boîtes de conserves. Dans son dos, les ados rient de lui, avec la cruauté de la jeunesse insouciante et bien portante.

Toute sa vie, Zhang a cru à la justice divine : les personnes de petite taille comme toutes les autres, devaient pouvoir trouver leur place sous le ciel, en la méritant par une conduite vertueuse. À tout âge, il a eu plaisir à assister ses voisins dans le besoin, porter la soupe à la voisine grabataire, être toujours premier présent aux actions de nettoyage des rues ou de reforestation des collines dénudées.

Dans la première moitié de sa vie, il s’éveillait la nuit, le cœur battant la chamade, au souvenir brûlant d’un  songe propitiatoire : en grande tenue, le président du comité de quartier venait lui notifier son inscription à la liste de l’ordre du mérite socialiste. Ou encore, une de ses clientes, d’une beauté à couper le souffle mais qui n’avait jamais eu pour lui un regard, venait en son absence faire son ménage, disposait des fleurs dans un vase, bouquet nuptial… Quand il ouvrait la porte sur son intérieur transfiguré, elle lui tendait ses bras, ses lèvres, pour lui dire : « seule la beauté morale compte, et moi, je t’ai reconnu ».

A présent âgé—à 66 printemps, ce type de chimères le hantaient encore, quoiqu’elles ne se soient jamais matérialisées. Au comptoir de sa boutique, il poursuivait ses rêvasseries, incorrigible idiot. Il s’imaginait coopté membre du Parti, édile à l’assemblée provinciale, même député à Pékin, défendant ses audacieuses propositions aux « deux Assemblées » …

Zhang Deyang, on l’aura compris, était un doux naïf. Mais on aurait bien eu tort de le prendre pour un imbécile. Au fond de son cœur, il se doutait bien que son sort serait de mourir seul…

Son grand souci allait à sa mère, encore de ce monde. Le voyant végéter, elle aussi perdait tout espoir de voir la famille s’élever sur l’échelle sociale, et même de la voir survivre : avec Deyang s’éteindrait son nom et sa lignée. C’était selon Mencius « la pire des trois manières d’insulter ses parents » (不孝有三,无后为大, bùxiào yǒusān, wúhòu wéidà ) !

Heureusement pour lui, notre petit homme avait une qualité précieuse, qui lui permettait de surmonter toutes ces misères : son goût invétéré des blagues et plaisanteries à tout bout de champ, sous n’importe quel prétexte. Son penchant immodéré pour la gouaille attirait autour de lui un large cercle de clients et d’amis. Voyant par la porte entr’ouverte un roquet en train d’aboyer dans la rue, Zhang ne pouvait s’empêcher de galéjer : à l’Académie des sciences, les savants venaient de publier un dictionnaire en langues Chine-chien. Et savez-vous ce que ce bâtard était en train de dire, avec ses « wouah ! wouah ! wouah ! » ? La réponse était : « ohé, ohé, ohé » !

Avec ce genre de gags simples, il parvenait à faire oublier aux autres sa petite taille. Et en revanche, son succès d’orateur lui permettait de ne plus voir l’intolérance, l’absence de compassion de ses contemporains, contraire à toutes les valeurs de la sagesse chinoise ancestrale.

Une fois rendu à sa solitude, le soir, Zhang s’interrogeait sur les causes de ce dessèchement des cœurs. Il était parvenu à cette conclusion paradoxale : la source du déclin provenait du progrès social.

En 25 ans, Rizhao, sa ville natale avait muté. Le port de pêche puant et misérable s’était métamorphosé en un colosse d’acier, de verre et de béton qui avait dévoré les masures et les cœurs. Le monstre rugissait jour et nuit, ne s’endormait jamais avec ses norias de camions, dans leur trafic pendulaire entre le terminal d’hydrocarbures et le port à pondéreux, avec ses montagnes de minerai de fer et de charbon importé. Le long des quais en eaux profondes, remuant leurs élytres aux pieds de cargos géants, les grues et ponts roulants empilaient leurs colonnes de conteneurs. L’air était toujours plus fétide, et les dockers montés de Tianjin ou de Pékin, toujours plus prospères, stressés et égoïstes. L’aciérie sur l’eau recrachait à toutes heure ses fumées noires et grasses. La nature se mourait, plus personne ne dormait, ni ne regardait personne, passant tout  son temps à travailler et à compter ses gains. Voilà pourquoi Zhang Deyang restait seul, à vendre ses savons et à inventer ses blagues pour donner le change.

Par étrange coïncidence, notre échoppier était né quelques semaines avant la Chine Nouvelle. C’était elle qui avait forgé ces valeurs délétères. Et c’est pourquoi Zhang, en tant que son « frère aîné », rejetait cet ordre sans bonté, et rêvait de le remettre sur des rails confucéens, voire même taoïstes. À force de ressasser depuis des années ce genre de considérations, il s’était mis à préparer le plus truculent, le plus dérangeant et outrecuidant canular de sa vie. Avec un peu de chance, se disait Zhang, sa dernière blague l’aiderait à éveiller ses voisins, à les arracher au faux Dieu de l’argent, pour les remettre sur la Voie !

Quelle serait cette blague que le petit boutiquier s’apprêtait à jouer à son petit monde ? Il faudra attendre la semaine prochaine pour la connaître. Sept jours, c’est long – mais toujours moins long que toute la vie que Zhang Deyang avait dû attendre pour la faire !

 


Rendez-vous : Semaine du 18 au 24 avril 2016
Semaine du 18 au 24 avril 2016

14-15 avril, Hong Kong : CFO Rising Summit

14-16 avril, Dongguan :  SINO CORRUGATED, Salon international de l’emballage en corton ondulé

14-16 avril, Pékin : AIFE, Salon de l’agroalimentaire, et de l’alimentation bio

cantonfair14-16 avril, Pékin : China Lighting Expo, Light Design, Salons de l’éclairage, applications et technologies LED

14-16 avril, Pékin : CIHIE, Salon international de l’industrie de la santé

14-16 avril, Pékin : Intelligent BUILDING EXPO, Salon de la construction et de la domotique

14-16 avril, Pékin : SBW Expo, Salon de l’eau potable en bouteille

15 avril – 5 mai : Foire de CANTON

17-20 avril, Shanghai : CMEF, China Medical Equipment Fair, Salon international des équipements médicaux

18-20 avril, Shanghai : PHARMACHINA, API, SINOPHEX, Salons de l’industrie pharmaceutique

19-21 avril, Chengdu : AUTOMOTIVE LOGISTICS Asia Conference, Conférence sur la logistique dans l’automobile pour les décideurs en Chine

 worlddairysummit22-24 avril, Harbin : WORLD DAIRY Summit, Salon des produits frais