Le Vent de la Chine Numéro 36

du 2 au 15 novembre 2014

Editorial : Pékin, entre Plenum et APEC

À la veille du Sommet de l’APEC (10-11 novembre), Pékin met tous les atouts de son côté pour accueillir en grande pompe les chefs d’Etat de la région Asie-Pacifique. Dans la capitale sous haute surveillance, des centaines de milliers de volontaires ouvrent l’œil. Les entrants dans la ville (bus ou train) sont contrôlés 3 fois. Les stations d’essence ne vendent plus de bonbonne de gaz et à 100 km à la ronde, les marchés ont retiré les couteaux des étals. En ville, avec la coopération de six ministères (dont santé, environnement et météo), des brigades de choc s’entrainent inlassablement à déjouer des attaques terroristes.

Dans l’effort désespéré pour nettoyer son ciel (qui stagne depuis un mois dans des miasmes de 100 à 500 PM2,5µ/m3 de pollution), Pékin ferme ou limite 141 de ses usines du 1er au 12/11. Le Hebei en bride plus de 1000 à 200km à la ronde (acier, ciment, chimie). Les chantiers sont gelés, les camions polluants bannis et la circulation alternée un jour sur deux pour les véhicules privés. Comme en 2001 pour l’APEC à Shanghai, tout le service public (écoles, universités, administrations et consortia d’Etat) reçoivent 6 jours de congés forcés (7-12/11) qu’ils devront rattraper les week-ends. Pour les tenir au loin durant cette période, avions et trains supplémentaires sont programmés. C’est la « petite semaine d’or », qui vise à vider la capitale, voire les villes voisines de Lanfang et Baoding, de 35% de leur trafic, et de réduire la pollution de 40%. Détail amusant les Pékinois peuvent voir se croiser dans le ciel les gadgets concurrents d’administrations suréquipées : les drones de la police et ceux de la vigilance environnementale.

Lors de l’APEC, malgré l’hostilité des Etats-Unis, la Chine tentera de séduire un maximum de pays avec sa future Banque internationale du Développement, rivale de la Banque Mondiale. Elle devra également voir naître une convention anti-corruption. Enfin, une rencontre devrait avoir lieu entre Xi Jinping et Shinzo Abe, 1er ministre nippon, surgelant ainsi les points de litige pour rétablir des échanges et investissements en souffrance.
Ce meeting succède à l’autre grand rendez-vous de l’année— le 4ème Plenum (20-23/10). Aussi, cette semaine, les instances planchent à la transcriptions en actes, des décisions prises notamment quant à la campagne anti-corruption. À peine Xi Jinping a-t-il annoncé la fin de la « campagne de masse » (contre le formalisme bureaucratique, l’hédonisme et les gaspillages), Wang Qishan, patron de la CCID (police interne du Parti) déclare que la campagne anti-corruption est là « pour durer ». Il fait arrêter 7000 « cadres nus » qui s’apprêtaient à fuir à l’étranger, et annonce les 1ers fruits de son opération « chasse aux renards » avec l’arrestation de 180 déjà hors frontières. Il fait interdire le mah-jong aux fonctionnaires, et les clubs privés (lieux de débauche) dans les parcs et palais anciens. Faute d’avoir raté lors du Plenum l’inculpation de Zhou Yongkang (l’ex-patron de toutes les polices de 2002 à 2011), Xi fait prononcer celle de Xu Caihou, l’ex-n°2 de l’armée. Jusqu’alors, il se disait que Xu passerait au travers du filet au bénéfice de son état de santé (cancer terminal). Ainsi, Zhou est un peu plus fermement inscrit comme prochain sur la liste des « tigres » à coincer.


Agroalimentaire : La grande bataille du lait se prépare

En Chine, une imminente grande bataille du lait se prépare, pour la création de la plus grande base productive et du plus grand marché de la planète, dans un pays qui, jusqu’en 1990, n’avait jamais bu de lait. Ce processus se déroule sous l’insolite conjonction de deux tendances adverses : d’une part, 30 ans d’ouverture au monde ont conquis la Chine au lait. Mais suite au scandale de la mélamine en 2008, les consommateurs chinois se méfient des marques locales. 

Depuis lors, 750.000 petits fermiers ont abandonné le lait, vendant leur (souvent unique) vache. Les petites fermes de moins de 100 vaches assurent 60% de la production. Mais des fermes géantes privées prennent le relais, encouragées par l’Etat et les banques. Elles ont 10.000 à 20.000 têtes (la plus grande, en France, n’en a que 1000), souvent Holstein, importées pour plus de rendement. Record de Chine actuel, à battre: 140.000 têtes, avec 8 rotondes robotisées de 80 postes de traite. D’autres robots changent la litière, évacuent le lisier, détectent les vaches en chaleur prêtes à la reproduction. 

Mengniu et Yili, les leaders nationaux dépassent chacun les 10.000 tonnes de lait frais collecté par jour. Fonterra (Nelle Zélande, surnommée « l’Arabie Saoudite du lait ») et Abbott (Etats-Unis) annoncent le 28/10 5 fermes de 16.000 vaches, qui donneront 160.000 tonnes de lait/an en 2018, pour un investissement de 300 millions de $.
En même temps, le marché s’emballe. La Chine produisait 37,4 millions de tonnes d’équivalent lait-frais (3ème mondial) en 2012. Elle importait en 2013 les deux tiers des disponibilités mondiales en lait en poudre, qui couvraient 54% de ses besoins au coût de 16,34 milliards de $ (source Xinhua). Au 1er semestre, elle a importé de Nouvelle Zélande 750.000 tonnes de lait en poudre, autant qu’en tout 2013. 

Le Chinois ne consomme que 30kg par an de lait, contre 70-80 kg au voisin coréen ou nippon. Il est pourtant désormais convaincu –ses autorités en tête- de la valeur nutritive du lait, pour les enfants et le 3ème âge: il est donc prêt à doubler sa consommation, comme le révèle sa demande intense que le marché a du mal à satisfaire : ses prix intérieurs dépassent la moyenne mondiale. 

C’est donc à une ruée que se préparent les laitiers internationaux comme locaux, anxieux de prendre leur juste part de cet Eldorado. En février, Danone déboursait 665 millions de $ et s’associait à Arla (Danemark) et Cofco (Chine) pour contrôler 31,5% de Mengniu. Le 31/10, le groupe français rachetait 25% des parts de Yashili, filiale spécialisée dans le lait en poudre de Mengniu, pour 566 millions de $.
En juillet, pour 514 millions de $, Fonterra reprenait 20% du chinois Beingmate, et Alibaba (n°1 chinois du commerce en ligne) investissait en Mongolie Intérieure 328 millions de $ pour 60% d’une filiale de Yili.

Nestlé prépare lui aussi sa base laitière autonome, puissante et fiable. D’ici 2018, en JV avec Shanghai Milk , il prépare 408 millions de $ d’investissements pour une série de fermes géantes autour de Shuangcheng (Heilongjiang). En soutien, il y ouvre ce qui sera son atout-maître (déjà appliqué 15 ans plus tôt dans la production caféière au Yunnan) : son centre de formation dernier cri à 31 millions de $, pour fournir les fermes de la région (les siennes, et les autres indépendantes) en cadres compétents. 

Dernier acteur qui piaffe en attendant son heure : le secteur laitier de l’Union Européenne, bridé depuis 30 ans par des quotas qui gelait sa production à 154,6 millions de tonnes, 20% de la traite mondiale. En mars 2015, les quotas disparaîtront, suite à la réforme de l’Europe verte. Les groupes et coopératives de pays tels Irlande, Danemark, Pays-Bas, Allemagne ou France renforcent leurs capacités – la quasi-totalité des productions supplémentaires, ira en Chine. 

Mais d’Australie arrive ce cri d’alarme : « du fait des départs massifs de nos vaches vers la Chine, s’écrie Darryl Cardona d’United Dairy Power, la Chine sera autosuffisante sous 5 ans et d’ici 10 à 15 ans, elle sera un de nos concurrents majeurs». Euromonitor prédit qu’en 2019, le marché chinois aura dépassé l’américain au 1er rang mondial, à 70 milliards de $. Dès lors, cet-te laiterie chinoise partie de rien, serait alors capable en moins de 20 ans, d’exporter à son tour avec des prix et des volumes imbattables…

La crainte est probablement vaine : à long terme, la Chine restera sous la pression de ses bouches à nourrir. Mais cela n’empêche les acteurs tant chinois qu’étrangers, de chercher la parade contre telle échéance : on a vu les étrangers investir massivement en Chine—mais les chinois leur rendent la pareille. En octobre par exemple, une majorité du néo-zélandais Cowala est racheté par Evergrande, le consortium cantonais de l’immobilier. Or, cette interconnection des deux bords est pour les producteurs la meilleure chance d’amortir le choc d’une refermeture éventuelle d’un marché devenu autosuffisant. Et c’est ainsi que Pékin, après avoir longtemps misé sur le rêve d’une filière « nationale », se retrouve avec une industrie sino-étrangère de classe mondiale, bientôt n°1. Le prix à payer pour ce succès, étant l’abandon de 20 ans de politique protectionniste, remplacé par une gouvernance technique de qualité.

Retrouvez cet article en anglais sur le blog d’Eric Meyer sur Forbes


Economie : Le piège de la croissance fantôme

Au 3ème trimestre, surprise, la multinationale Unilever vit ses ventes en Chine chuter de 20%, sur 2013. Au second trimestre, Wal-Mart constatait la même tendance : partout ses chiffres progressaient, sauf en Chine. 

<p>Le bilan conjoncturel de septembre confirme le marasme. À 1,6%, l’inflation, synonyme de mévente, est la plus basse en 5 ans.
La courbe des ventes d’automobiles faiblit de 8% à 6,4%,comme celle des infrastructures fixes, moteur du PIB (11,6% en septembre contre 11,9% en août). Les ventes de logements baissent de 11% depuis janvier. Pour la première fois en presque deux ans, les prix du neuf baissent dans 70 villes. Le commerce de détail recule de 11,9% à 11,6%, et 10,2% pour les cent principales chaînes de distribution – comme si les gens reportaient leurs emplettes (réduites à la portion congrue) vers leurs boutiques de quartier. En 2014, la dette allégera le pouvoir d’achat du pays, en paiement d’intérêts, de 1,7 trillion de $, presque un PIB indien : 32% de l’argent frais de la nation. 

Seules trois données peuvent ramener un mince sourire aux lèvres des économistes : dès septembre, avec trois mois d’avance sur les objectifs, 10,82 millions d’emplois étaient créés, la croissance industrielle repartait de 6,9% à 8%, et l’indice des directeurs d’achat (PMI) repassait en octobre au positif avec 50,2.
Ce tableau n’en aboutit pas moins pour 2014 à un PIB le plus bas depuis 2008 (+7,3%) : les 7,5% rêvés par Li Keqiang semblent une chimère ! 

Il y a paradoxe : à 9,5 trillions de $ en 2013, le PIB a presque triplé par rapport à 2007. Mais en produisant cette pyramide de biens et de services, l’avantage concurrentiel a reculé au fil des ans. The Economist parle d’une « production improductive ». Citant l’économiste Harry Wu, il soupçonne la productivité d’avoir reculé de 0,9% par an du fait d’investissements gaspillés, d’infrastructures redondantes (ports, autoroutes, lignes de chemin de fer) et de cités bâties sans regard à la demande, alors que 87% des foyers citadins sont déjà propriétaires (contre 63,7% en France). Or, une fois passé ce cap de la demande fondamentale, les achats d’appartements deviennent spéculatifs et leurs prix fluctuants comme une bourse, risquant l’effondrement.

Le talon d’Achille de cette économie est donc identifié : le logement. Pour Sofun le site expert du secteur, après la montée rapide des prix en 2012-2013 (spéculative, en partie orchestrée par les provinces pour maintenir le flux des ventes de terrain, leur principale source de financement), ceux-ci subissent un ajustement, consolidation qui pourrait les faire décliner de 10% d’ici mi-2015. Les promoteurs ont grand mal à vendre, car les investisseurs attendent la remontée des prix pour être sûr de voir leur bien se valoriser et non l’inverse. 

Par ailleurs, les cas d’Unilever ou de Wal-Mart éclairent la crise en cours. Des stimuli en 2012-2013 ont permis aux usines de produire, aux distributeurs de stocker, mais non au client final d’acheter : c’était de la « croissance fantôme », où des inventaires énormes (200 jours pour les boissons, 900 jours pour les alcools) ont été accumulés, forçant aujourd’hui le commerce à interrompre ce trafic et à casser leurs marges pour déstocker. Même les aciéries produisent à plein régime (67,54 millions de tonnes en septembre), mais à prix cassés, 424$ la tonne (-40%), soit le prix du chou.
Sur la base de telles données, Conference Board, un groupe de réflexion américain publie ses projections de croissance : 5,5% de 2015 à 2019, et 3,9% en 2020 : les 20 ans de croissance à +10% seraient définitivement terminés. A l’explication de la saturation du marché public, Conference Board en ajoute une autre : l’ingérence maintenue de l’Etat dans l’économie, incapable de se désengager assez vite, selon la promesse liminaire de Li Keqiang. 

Cette récession commence à affecter l’étranger : en 2013, leurs investissements industriels en Chine diminuent de 6,78%. Du côté nippon, ce chiffre recule de 17,7%, alors qu’il explose de +260% dans les pays de l’ASEAN—une tendance qui explique les efforts aussi discrets que fermes du pouvoir chinois pour enrayer cette spirale néfaste.

Dans ce contexte difficile, on attend les mesures de l’Etat pour remettre son économie sur les rails. Pour l’instant, on ne voit qu’un léger crédit aux banques le 21/10, 300 milliards de ¥ destinés aux prêts à l’agriculture et aux PME. La Banque Centrale vient d’autoriser les acheteurs déjà propriétaires à accéder à une hypothèque bancaire de 70%. Dans les villes, 53 banques commencent à offrir aux candidats au (1er) logement des hypothèques moins chères, rognées jusqu’à –30% sur le taux pivot.

Et c’est ainsi que la Chine est en recherche d’un nouvel équilibre, sous une croissance réduite. Mais pourra-t-elle la trouver sans les réformes de fond promises depuis 18 mois par le tandem Xi Jinping -Li Keqiang, mais absentes du dernier Plenum ? Rien n’est moins sûr: la Chine n’a donc pas le choix, condamnée à aller de l’avant dans les réformes, celles du sol et celle du crédit notamment.


Diplomatie : Chine & Inde, Vietnam—le grand jeu

Dans quels termes vont se retrouver les 10-11 novembre, la Chine et ses voisins riverains de mer de Chine et de mer de Chine du Sud

Le 27/10, quand Yang Jiechi, Conseiller d’Etat aux Affaires étrangères, volait à Hanoi en mission de réconciliation (reçu par le ministre des Affaires étrangères Pham Binh Minh), Nguyen Tan Dung, 1er ministre vietnamien partait pour Delhi, reçu par son homologue Narendra Modi. Là, il octroyait au groupe d’Etat indien ONGC deux blocs d’exploration pétrolière (« 102/10 » et « 106/10 »).
Il s’agissait d’un projet commun de prospection dans des eaux vietnamiennes en droit international, mais que la Chine revendique comme siennes (comme la quasi-totalité de la mer de Chine, Est et Sud). Le Vietnam s’engageait à garantir la sécurité des personnels indiens déployés sur ce projet. Mais le seul statut international de l’opération rend bien plus malaisée toute obstruction future par des navires chinois. Hanoi et New Delhi partagent ainsi le risque, assumant le mécontentement d’en face. 

En retour, Modi promettait au Vietnam 100 millions de $ pour acquérir 4 navires garde-côtes « made in India », et une livraison de missiles Brahmos à courte portée (indiens, co-développés avec la Russie), une fois l’Inde cosignataire du traité MTCR de contrôle des technologies de missiles.
D’autres coopérations plus anciennes portent sur la formation de pilotes vietnamiens de bombardiers Sukhoi, et de 500 marins au maniement de sous-marins de classe Kilo en partie déjà livrés par la Russie.
Pendant ce temps, avec Yang Jiechi, la chancellerie vietnamienne jouait serré, recherchant une solution durable à la dispute maritime : par exemple, un téléphone rouge entre chefs militaires, en cas de crise aiguë.

En Indonésie de même, on sent le même éveil courtois mais ferme à l’égard de la Chine : le Général Moeldoko, Chef de l’armée indonésienne, avertit la Chine le 30/10, de ne pas « user de sa grande force pour déstabiliser la région », Jakarta ne voulant pas se trouver entraînée dans un conflit territorial en mer de Chine. Mais un tel message, quelques jours après un appel de Xi Jinping (24/10) au Président Joko Widodo, peut apparaître comme un genre de fin de non-recevoir, et en tout cas pas comme un message cordial, alors que Xi venait d’assurer son homologue de la volonté chinoise de rapports « d’amitié et de bon voisinage ».
Entre la Chine et ses voisins, ainsi, la situation semble bloquée entre cette obligation de bons rapports économiques, et les tensions militaires, sur fond de refus de transiger.


Société : La Chine et ses problèmes de noms

Le 29 octobre, l’ANP (Parlement) s’inquiète des noms des générations futures. N°2 à la Commission des lois, Xin Chunying adjure les parents, au nom de la « morale sociale », de ne pas appeler leurs enfants n’importe comment, d’éviter de choisir des prénoms « exotiques ». 

Au dernier recensement, les noms de famille chinois seraient 4700, mais dont une vingtaine seraient portés par plus de 50% de la population. Ainsi, Wang (王), Zhang (张) et Li (李) frisent ensemble les 300 millions, reflétant ainsi des valeurs confucéennes, « éternelles » de la famille.
Pour éviter toute confusion entre les milliers de « Wang Wei » ou de « Li Jing », 66% des étudiants de l’université Sun Yat-sen (Canton) se déclarent prêts à faire preuve d’originalité, avec l’espoir de se démarquer avec un prénom « unique ». D’où le souci du Parlement !

Car la langue chinoise offre aux parents une liberté sans limite dans la combinaison du prénom, qui vient en Chine après le nom de famille, et que l’on inscrit à l’état civil.
Avec deux syllabes, on peut prendre des noms de fleurs, de montagnes, d’animaux, d’événements… Ainsi, on peut créer un prénom à partir de deux lieux, tel « Luoli », de Luoma (Rome) et Bali (Paris), rappelant que l’enfant fut conçu dans la capitale italienne et né dans la française…
Mais cette créativité a des limites : l’histoire, devenue célèbre en 2007, d’un couple s’étant vu refuser le nom de « @ » pour leur fils, ou encore en 2009, celle du fameux « Zhao C » – les lettres n’étant pas admises par l’état civil.
Au même moment, un appel humoristique est lancé sur le web pour pourfendre les surnoms « incorrects » d’origine anglaise, pourtant fort utilisés de manière informelle, tels « Fish », « Candy », « Dragon » ou « Queen ».


Petit Peuple : Qiemo – Xinjiang : la double vie de Fei-Re (2ème partie)

Résumé 1ère partie : En 2003, Kurban et Fatima AINI, Ouighours du Xinjiang, trouvent sur le pas de leur porte, un nourrisson de 8 jours. Ils l’adoptent comme le don d’Allah à leur couple resté sans enfant. Cinq années après, Fatima décède, et en 2011, Kurban se remarie avec Mamat – tout semble aller paisiblement, jusqu’au moment où…

Un jour d’août 2012, une visite inopinée vint compromettre ce bonheur de famille recomposée : un inconnu sonna à leur porte, ressemblant à un personnage du cauchemar que Kurban faisait souvent. Liu Qingming, boutiquier Han, affirmait être le père biologique de cette fillette qui s’appelait maintenant Fei-Re. A sa naissance, expliqua-t-il, incapables de nourrir une bouche de plus, sa femme et lui s’étaient résolus à abandonner la chair de leur chair. De plus, le bouquet de fleurs et le message laissés dans le couffin étaient la preuve que dès qu’ils le pourraient, ils reviendraient ! A présent, Liu venait récupérer son enfant. Pour les frais encourus, il offrait 30.000¥ qu’il sortit par liasses d’une enveloppe matelassée. 

Derrière Kurban, Mamat, sa femme indignée, le poussait du coude : qu’il flanque l’homme à la porte ! Fei-Re, se doutant qu’on parlait d’elle, par instinct, s’était réfugiée dans sa chambre. Kurban aussi, ne savait pas ce qui le retenait de flanquer son poing dans la figure de cet inconnu, pour lui faire ravaler sa prétention grotesque : « mais quel genre de parents êtes-vous qui abandonnez votre gosse pour revenir nous l’enlever 9 ans plus tard, quand toute notre existence tourne autour d’elle, c’est vraiment trop facile ! » Nonobstant ce discours enflammé, l’homme fit feu de tout bois durant les deux longues heures que tarda l’entretien. Aucun doute, il était déterminé. C’était un père qui parlait, et dans sa demande de récupérer sa fille, on sentait l’appel du cœur, autant que la rage du clan. Bientôt, la rage guerrière quitta Kurban, remplacée par les prémisses d’une grande tristesse. Finalement, Liu repartit avec son enveloppe, mais assura la famille de Kurban qu’il reviendrait, après leur avoir laissé le temps de réfléchir.

Liu reparti, Kurban sut au fond de lui que rien ne serait plus pareil, et que la solution inéluctable allait s’imposer. Il s’était alors rappelé ces moments de vague à l’âme de Fei-Re, confrontée au regard des autres, désorientés par sa double culture. Ses camarades ouighours la traitaient d’étrangère, tandis que ceux Han se moquaient d’elle. Le pauvre homme n’avait jamais dévoilé à Fei-Re ses origines. Mais il ne le savait que trop, il devrait un jour lui dire la vérité. 

Au moins dans ce calvaire, sa foi lui venait en aide. La meilleure manière d’être bon musulman, était d’éduquer dans sa culture d’origine cette fille tombée du Ciel. Kurban le faisait en l’aidant à faire ses devoirs en mandarin et en s’abstenant de l’amener à la mosquée. De la sorte au fil des années, il se préparait inconsciemment à la rendre aux auteurs de ses jours, quand il le faudrait.
Ainsi huit jours plus tard, quand le père biologique revint frapper à sa porte, il était prêt. Avec Mamat, il avait préparé une belle petite valise pour Fei-Re, aux chemises et robes bien pliées, neuves. La seule concession que Kurban exigea fut que Liu, le nouveau père, s’abstienne d’asséner immédiatement à la gamine le détail de son état-civil. Ensemble, ils lui contèrent que ses parents devant voyager, elle était placée « quelques temps » chez « de bons amis » – mais qu’elle reviendrait, promis. 

Et de fait, chaque week-end, Fei-Re retourna à Qiemo dans « sa » famille qui la reçut avec force ragoûts de mouton, légumes au four ou riz shǒu zhuā fàn (手抓饭), « qui se mange avec les doigts ». Chaque fois, ils entonnèrent les chants qui avaient baigné son enfance, avant de la remettre au bus le dimanche soir. Du lundi au vendredi, de retour chez papa-Han, elle dînait de « jiăozi » ou de « húndun », et parlait mandarin de l’aube à la nuit, sous son nom tout neuf de Liu Jinmiao. Sauf le soir, à l’heure où Kurban l’appelait pour s’assurer qu’elle mangeait, dormait et étudiait bien, là, elle repassait au ouighour. 

Après deux mois, la petite de onze ans était prête : prenant son courage à deux mains, Kurban lui avoua que Liu était son « vrai » père. Il fut presque déçu qu’elle prenne si bien la nouvelle – et pour cause, elle l’avait devinée depuis belle lurette : « J’ai de la chance, fit-elle, avec deux papas rien que pour moi » !

Liu, le chanceux nouveau père, comble sans cesse l’ancien papa de cadeaux : pas une visite sans caisses de légumes, condiments et friandises. A son « grand frère » ouighour ayant su renoncer à sa paternité, au nom d’un principe moral, le petit épicier Han voue une gratitude sans borne. 

L’histoire, il faut bien le dire, a été exploitée par la presse officielle comme merveilleux exemple de « société harmonieuse ». Ce que nous en retenons pour notre part, est ce cas très rare d’un père et de deux mères (Fatima, et la belle-mère, Mamat), liés à leur fille par un « amour profond comme la mer » (情深似海, qíng shēn sì hăi »), ayant su faire passer l’amour de leur enfant au-dessus des égoïsmes claniques et des conflits interethniques !


Rendez-vous : Semaine du 3 au 16 novembre 2014
Semaine du 3 au 16 novembre 2014

3-5 novembre, Pékin : Water and Waste Fair, Salon des équipements de traitement de l’eau

4-8 novembre, Shanghai : IAS, Industrial Automation Show China, Salon international pour l’automatisation des procédés

4-8 novembre, Shanghai : Salon de la machine-outil, de la commande numérique et de l’industrie du métal

6 novembre, Pékin : Hotel Kerry, 5th China Summit, par The Economist

5-11 novembre, Pékin Yanqi Lake : Réunion de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), avec les 10-11 novembre, le Sommet des Chefs d’Etat, avec la participation de Obama, Poutine, Abe…

11-13 novembre, Canton : Interwine China

12-14 novembre, Shanghai FHC, Food & Drinks, Salon de l’alimentation et des boissons, du commerce de détail et de l’hôtellerie

Airshow China Zhuhai 2014

11-16 novembre, Zhuhai : Airshow China, Salon international de l’aéronautique et de l’espace