Le Vent de la Chine Numéro 23

du 7 au 13 juin 2014

Editorial : Printemps de Pékin, 25 ans après – quel bilan ?

La nuit du 3 au 4 juin 1989, les chars de l’armée chinoise pénétraient la Place Tian An Men, mettant fin à six semaines de « Printemps de Pékin », mené par la jeunesse chinoise, qui avait interpellé le pouvoir et ébranlé le régime dans ses fondations. Ont suivi 25 ans de gestion autoritaire, où toute réflexion sur d’autres modes de gouvernance, toute expérimentation de réforme politique ont été bannis. 

Aujourd’hui, pour cet anniversaire du drame, c’est l’heure du bilan. Il est contrasté, avec des succès indéniables, mais aussi des prix à payer pour l’absence de dialogue.

Au chapitre des succès, la Chine s’est modernisée, enrichie.
En 25 ans, elle est passée n°1 mondial en réseau de TGV, autoroutes, en nombre d’internautes… Elle s’est faite usine du monde des PC et de l’automobile, mais aussi des scanners et imprimantes 3D. Des milliers d’hôpitaux ont été construits, pour un fort élargissement de son offre de santé.
Le secret de cet essor a été la dérégulation : l’autonomie octroyée aux villes, au marché, aux PME. Ici, il faut bien admettre que les conservateurs ont appliqué le programme économique des adversaires vaincus, les réformistes.
Soutenus par une main d’œuvre à bas prix de l’exode rural, tous ces efforts ont fait de la Chine un pays puissant et respecté. Ses stratèges formés à l’américaine préparent l’avenir : une force chinoise sur le marché mondial des équipements à bas carbone, un yuan convertible et pilier des échanges… 

Cette gouvernance par contre, n’a pu éviter un certain nombre d’échecs.
Le « laissez-faire », l’absence de presse et de justice libres ont favorisé pollution et corruption. Basée sur une concurrence non régulée par la loi, la croissance devient insoutenable. L’investissement public en infrastructures est de plus en plus redondant. Ruinées par ces chantiers de prestige et à fonds perdus, les provinces doivent aussi payer toujours plus de pensions, d’écoles et logements sociaux pour les migrants, d’investissements de dépollution…au moment même où l’Etat central s’apprête à les forcer à renoncer à leur première source de revenus : l’expropriation abusive. La fiscalité est donc à revoir…
Les paysans s’enrichissent certes, mais trop lentement, et l’actuel droit du sol, faute de garantir la propriété inaliénable de leurs lopins, fait obstacle à la constitution de fermes familiales de 5 hectares, le rêve du 1er ministre, Li Keqiang

Côté religion, privées de la liberté d’assurer elles-mêmes leur formation et le contrôle de leurs rites, en partie forcées de fonctionner dans l’ombre, les églises n’ont pas pu empêcher l’apparition de sectes. Et la même ingérence de l’Etat dans les cultes et la vie religieuse, est un des ingrédients du problème au Tibet et Xinjiang, nécessitant une révision urgente de la gouvernance locale. 

Tentée par la création unilatérale d’un hinterland pétrolier, la Chine connaît depuis 15 ans un nationalisme militant et militaire, avec pour effet de lui aliéner la confiance de ses voisins.
Enfin, ce n’est que récemment qu’ont émergé des problèmes sociaux et stratégiques, revendiquant des approches nouvelles. Depuis 18 mois, Xi Jinping et Li Keqiang s’activent à en rectifier le cours à travers diverses campagnes (cf édito du n°22) – une course contre la montre est engagée.


Politique : Tian An Men – la bataille du souvenir

Depuis le Printemps de Pékin en 1989, sous l’angle des libertés, le PCC n’a pas fait marche arrière, au contraire. Le 3 juin 2014, le pouvoir réaffirmait la justesse de son action d’alors, au nom du « chemin du socialisme aux caractéristiques chinoises, conforme aux aspirations de tout le peuple chinois »…

Dans les écoles, dans la presse, ordre fut donné de ne plus évoquer le Printemps de Pékin, ce moment dans l’histoire où la rue avait osé revendiquer un dialogue avec le pouvoir. 

Aujourd’hui même, lors du 25ème anniversaire, 100.000 indicateurs dans les rues sont en quête de tout agissement suspect. Tout tuyau se paie 2¥, et les « bons informateurs » touchent un fixe de 200¥. Cette campagne d’un vieux genre est aussi là pour protéger contre le terrorisme ouighour, très actif ces derniers mois. Mais pour sûr, le fantôme de Tian An Men reste en filigrane. Dans les grandes villes, les grandes manœuvres sont le symptôme freudien de la faute à cacher : tuer dans l’œuf toute velléité de souvenir. 

Des militaires en tenue de combat et en casques sillonnent en jeep les artères de la capitale. Tout voyageur est fouillé à l’entrée du métro, et 5 hélicoptères tournoient sur la ville. Sur toute la presse, la censure est en allerte rouge – il serait impensable d’y trouver la moindre allusion à cet anniversaire. L’internet est expurgé en permanence par des dizaines de milliers de censeurs amateurs, qu’on ap-pelle les 五毛 « 5 maos », d’après le montant qu’ils touchent par poste effacé—le mao valant 10 centimes de yuan, soit 0,06 euros par acte. 

La dernière attaque du pouvoir contre la toile se trouve dirigée contre le réseau social WeChat, qui compte 396 millions d’usagers actifs (presque un Chinois sur trois), via lequel on peut trop facilement organiser des rencontres clandestines, pas au goût du Parti…Google aussi, le groupe mal aimé par la Chine, ne fonctionne plus depuis le 29/05.

Une cinquantaine de personnes ont été arrêtées, avocats, journalistes, activistes et mères d’étudiants tués la nuit du « liu si » (六四, 4 juin) – mis en quarantaine pour leur éviter de manifester. Ils sont sans doute bien plus, en comptant ceux dont la disparition n’a pas encore été remarquée. La plupart ont été « invités » à quitter la capitale, et pourront y retourner une fois passée la date critique. 

Un indicateur du degré réel de souvenir de ces événements tragiques, est Hong Kong, enclave de liberté aux portes de la Chine. Chaque 4 juin, les habitants se rassemblent au Parc Victoria avec bougies, autour d’une copie de la « Statue de la Liberté » que les étudiants en art de Pékin avaient créée à l’époque Place Tian An Men. L’an dernier, ils étaient 150.000, cette année, 180.000 (cf photo), un record historique avec une participation (en hausse également record) de jeunes concitoyens venus de l’autre bord de la frontière sous prétexte de tourisme. 

Fait notable, ces commémorations, tout au long des années 1990 et 2000, stagnaient à une participation de quelques dizaines de milliers, avant de rebondir autour de 150.000 et plus, depuis 2009. Cette date coïn-cide avec la fin de la lune de miel en-tre Hong Kong et Pékin, et la crispation sur les élections libres promises à Hong Kong pour 2017, mais pas encore octroyées. En ce sens, la nuit de veille du Parc Victoria, milite pour le souvenir d’un moment démocratique du passé pékinois, mais aussi pour l’avenir immédiat du « rocher ».

« Ce qui choque, ose témoigner un étudiant pékinois, c’est que de toute notre vie, personne dans notre entourage ne nous a jamais parlé de ce dra-me – ni nos professeurs, ni l’Etat, ni même nos parents, qui étaient pourtant Place Tian An Men, à l’âge que nous avons maintenant. C’est comme si le pays entier était devenu amnésique. Un jour ou l’autre, il faudra quand même regarder notre histoire en face ! »

NB : En guise de retour sur les événements du Printemps de Pékin, nous vous proposons sur notre blog, un chapitre de notre livre de l’époque, « Pékin place Tian An Men » (Actes Sud / L’Aire – 1989).


Energie : He Jiankun, l’hirondelle qui fait le printemps écologique chinois…

Le 3 juin, He Jiankun, Président du Comité Consultatif « Changement Climatique », suscita l’étonnement en annonçant que dès 2016, la Chine obligerait ses usines, ses villes et ses campagnes, à limiter leurs émissions de CO2 par un système de quotas. Aujourd’hui, la Chine recrache entre 7 et 9,5 milliards de tonnes de CO2 par an (29% de la planète). En 2030, elle atteindrait un volume de 11 milliards de tonnes, avant d’entamer la redescente. Ceci, à condition qu’elle ait réussi d’ici là, à réduire sa consommation de charbon (remplacé par le gaz, le solaire, l’éolien), et qu’elle ait réussi à s’équiper de 150 à 200 GW de capacité nucléaire. 

L’annonce de He Jiankun constituait un tournant, moins sur les dates ou les volumes, que sur la philosophie : dans l’esprit chinois officiel, la « vraie » baisse des émissions de CO2, était l’affaire des pays riches. La Chine elle, pays émergent, pouvait se limiter à un effort de réduction « relative » de ses émissions, qui lui permettait de continuer à émettre toujours plus. Mais par cette annonce, la Chine accepte une méthodologie qui est celle du Protocole de Kyoto, et qui impose une baisse contraignante. Certes, He tempérait les espoirs trop hâtifs en précisant, après coup, qu’il ne s’agissait que de sa recommandation, pas d’une décision de l’Etat chinois. Cependant, en Chine, un fonctionnaire de ce niveau ne convoque pas la presse pour des effets d’annonces « personnelles ». 

D’autre part, la date de sa conférence était doublement symbolique :
– le 3 juin, chaque année, est un jour où l’Etat aime détourner l’attention sur des thèmes universels et réconciliateurs tel l’environnement,
– en outre, le haut fonctionnaire s’exprimait au lendemain d’une autre annonce environnementale : Barak Obama promettait pour 2030, une coupe de 30% du CO2 des centrales thermiques des Etats-Unis, leur première source d’électricité.
He confirmait ainsi les bouchées doubles mises par la Chine pour s’équiper en énergies alternatives, maîtriser la filière, et devenir n°1 dans l’infrastructure énergétique renouvelable (et dans l’agriculture à faible irrigation) du monde, y compris des pays pauvres. 

Tout ceci nous laisse encore loin du but : le futur système des Nations Unies pour relayer le Protocole de Kyoto, en décembre 2015 à Paris, avec effet à partir de 2020…Pékin devra d’abord confirmer son agenda d’un plan national de crédits carbone pour 2016 ; et que dans la pratique des bourses d’échange, les ventes et achats de reliquats de crédit d’émission fonctionnent, ce qui n’est pas encore le cas. Toutefois, quand on sait que les deux pays qui faisaient jusqu’à ce jour blocage au mécanisme mondial, sont les Etats-Unis et la Chine, on sent passer une effluve d’espoir, et He Jiankun confirme la volonté et la capacité de la Chine d’avancer vite.


Education : Le Gaokao sur la sellette

Pour 9,39 millions de lycéens (+3% par rapport à 2013, principalement originaires de régions rurales), les 7 et 8 juin 2014 seront les jours « noirs » du Gaokao (高考), concours de fin d’études secondaires. A l’examen, trois matières sont obligatoires : mathématiques, chinois et une langue étrangère au choix (principalement l’anglais), puis les élèves peuvent choisir entre des épreuves scientifiques (chimie, biologie, physique) ou littéraires (histoire, géographie, histoire de la politique). Les lycéens doivent répondre à des dizaines de questions, la plupart en QCM, et rédiger un essai en chinois.

C’est donc le royaume de la mémoire et du bachotage. Ceux obtenant les meilleurs scores choisissent leur université, parmi le millier que compte le pays. Pour des millions de jeunes, ce système peut être un puissant ascenseur social. Aussi, dès la naissance de leur enfant unique, les familles ont tout misé sur lui : cours particuliers et vacances studieuses durant toute la scolarité. 

Puis quand vient le Gaokao, ils financent des séances anti-stress : inhalation d’oxygène, voire hypnose. Durant l’épreuve, les parents gardent la rue pour imposer le silence, ou vont prier dans les temples bouddhistes, ou les églises.

 Car la tension est insupportable, vu les espoirs immenses, des jeunes et des parents, en cette chance unique. Pour un mot rude d’un professeur, ou une matière ratée, 79 jeunes se sont donné la mort en 2013. L’enjeu encourage la triche : on invente des récepteurs grands comme un grain de riz, que l’on s’enfonce dans l’oreille (la réponse vient par vibration), ou on sertit un écran grand comme un ongle au fond d’un thermos. Toute pièce métallique est donc interdite en salle d’examen, et les immeubles, à proximité, sont fouillés (c’est de là que les adultes tricheurs émettent les bonnes réponses). 

Systeme Anti Triche GaokaoPour lutter contre les différences de revenus entre les provinces mais aussi favoriser les minorités, le score minimal pour obtenir le Gaokao varie : dans celles les plus reculées comme le Tibet ou le Xinjiang, le score minimum est plus bas qu’ailleurs, ce qui assure un taux d’obtention plus élevé. Cela ne leur ouvre pourtant pas les portes des meilleures universités, car elles pratiquent un quota de places selon la province d’origine, favorisant les étudiants locaux. Par exemple, il est plus difficile pour un étudiant d’une province qui présente beaucoup de candidats (comme le Henan), d’intégrer une excellente université shanghaienne.

Toutefois, l’Etat tente de mitiger des injustices : pour la première fois, 30 à 50.000 malvoyants pourront se présenter cette année, répondant en braille ou sur PC. Mais comme la mesure n’a été communiquée qu’en mars dernier, ils n’ont eu que quelques semaines pour réviser – leurs chances de succès sont donc diaphanes. De même 56.000 migrants pourront concourir dans leur ville de résidence (Pékin exceptée) sans devoir rentrer dans leur province d’origine, ce qui leur garantit plus d’équité. 

L’Université du Zhejiang (une des plus progressistes) teste un nouveau mode d’admission : le Gaokao comptant pour 60%,le contrôle continu au lycée pour 10%, et un entretien d’admission pour 30%. Toutefois, la portée du test est faible : seuls 100 jeunes seront ainsi sélectionnés, sur les 2300 de la promotion 2014…

Bonne nouvelle : les jeunes filles poursuivant des études supérieures sont toujours plus nombreuses chaque année (même dans des filières techniques, habituellement « masculines »). 

La promotion 2014 apporte deux petites pierres à la déconstruction du Gaokao, héritier de l’antique concours mandarinal, basé sur l’autoritarisme et le par cœur : 

– 13 provinces offrent aux jeunes jusqu’à 20 points optionnels pour « bonne conduite ». Hélas, le chercheur Chu Zhaohui constate que ces bonus reviennent invariablement aux fils de familles pistonnées, élargissant ainsi l’écart de chance entre la haute et le peuple. D’où la polémique revendiquant d’abandonner ces points discrétionnaires. 

– L’Etat envisage très sérieusement d’abandonner d’ici 2017, l’anglais du Gaokao, qui en est pourtant, avec les maths et le chinois, une des matières principales. Sur le diagnostic, nul ne disconvient : malgré des notes plutôt bonnes obtenues au concours, guère plus de 5% des candidats parviennent à produire une phrase acceptable en anglais. La raison tient à ces 50.000 écoles privées qui, pour un marché de 5 milliards de $ par an, forment des millions de candidats, non à l’anglais réel, mais à celui du Gaokao. C’est pourquoi le ministère, sous prétexte d’alléger les programmes, veut éliminer la matière. 

Les défenseurs de l’anglais montent alors au créneau, avec une question à vrai dire dérangeante pour l’Etat : qui est responsable de cette situation ? La réponse tient à la pédagogie officielle, sclérosante et détestée. D’autres font remarquer que l’Etat veut « tuer » l’anglais, dans un effort idéologique de « renationalisation » de la culture. En tous cas, la plupart des parents défendent l’anglais, promesse de prospérité et d’ouverture au monde… Et comment la Chine va-t-elle poursuivre son effort d’internationalisation de son économie, sans l’anglais ? 

De la sorte, un débat furieux est en cours, dont l’issue n’est nullement assurée. En fin de compte, l’Etat pourrait bien devoir remiser aux calendes grecques, cette mort annoncée de la langue de Shakespeare sur son sol.


Environnement : Moissons : le chaume, au chômage !

Cette nouvelle insolite nous vient de l’Ouest de Shanghai : dans le canton de Taihe (Anhui), le secrétaire du Parti a décrété que pour la récolte du blé de printemps, qui débute, le chaume (la partie non récoltée de la tige sous l’épi) mesurerait 10 cm au sol, au lieu des 20 à 30 cm usuels. Sous l’angle de la pureté de l’air, la mesure a du sens : cette paille résiduelle est par la suite éliminée par brûlis, pratique très polluante pour l’atmosphère. Émise simultanément sur des milliers de km², la fumée envahit les villes, base d’un smog pernicieux, auquel viennent s’ajouter les gaz d’échappement des voitures, des moteurs diesel et des usines. 

Auprès des paysans cependant, l’annonce sema la consternation : pour couper ras, il faudrait au moins deux passages de moissonneuse-batteuse, d’où un surcoût en carburant de 160¥/ha, dont le canton n’acceptait de prendre qu’un tiers à sa charge –et encore, payé presque intégralement au village, non au fermier. De plus, les plus lésés étaient les propriétaires des moissonneuses. À régler la coupe si près du sol, sur le terrain rocailleux et irrégulier de l’Anhui, ils allaient à la catastrophe, risquant de désaffûter les lames trop vite, voire de les briser. 

Aussi, sur les 14 machines commandées pour la récolte, dès publication de la nouvelle règle, dans la nuit, 11 repartirent pour le Shandong (province ne réglementant pas encore les récoltes). Les fermiers de Taihe se retrouvaient donc seuls, avec la perspective de devoir couper à la faux, à la force des biceps…

Manifestement, l’incident n’est pas un cas isolé. Au moins un autre canton, Handan (Hebei) vient de fixer à 15 cm la hauteur maximum licite. Sur le fond, ces décisions et les réactions qui suivent, pourraient être des signes avant-coureurs d’une prise de conscience des leaders ruraux, de l’impératif de se préoccuper de l’environnement. Au plan technique, des solution vont forcément émerger rapidement (des machines plus réglables, des lames plus résistantes). De même, les paysans devraient vite reconnaître la plus-value d’un net surcroît de paille, utilisable dans l’alimentation du bétail. Enfin, à cette occasion, les cadres réalisent peut-être une cause structurelle de leurs ennuis : l’absence d’une structure de dialogue avec les fermiers et les firmes de moissonnage, pour pouvoir prendre des décisions matures et sans risques associés.


Petit Peuple : Laoshan – la vie nouvelle de deux jeunes de la haute (1ère partie)

En 2011 à Qingdao (Shandong), Tang Guanhua, 23 ans, voyait sa carrière toute tracée, venant d’une famille de la haute société locale. 

Concepteur de publicité, sa vie était facile, mais trop axée sur la société de consommation. Sa fiancée, Zhen Xing, n’avait non plus aucun souci d’argent : elle vendait aux riches propriétaires de villas les meilleurs systèmes d’alarme avec caméras reliées sur un réseau de gardiennage. Rien ne leur manquait, ni l’appartement de 300m², ni la BMW, ni les escapades deux fois l’an au bout du monde, ni les fêtes où avec les copains, ils rivalisaient d’esbroufe entre escarpins italiens ou montre suisse. 

Mais élevés depuis l’enfance en ce milieu factice, ces jeunes gens avaient appris à le connaître et en étaient las. Ils se languissaient d’une existence où l’on travaillerait dur, se lancerait des défis, et les gagnerait. A cette préoccupation, s’ajoutait celle du gâchis urbain, les débauches de lumières des écrans géants aux carrefours, les camions débordants d’ordures roulant vers les derniers terrains d’épandage encore libres autour de la ville…

L’instant déclencheur de la révolte vint d’une exposition d’art moderne, visitée avec leur bande d’amis. Au milieu des créations d’avant-garde, une structure grandeur nature en carton pâte rose, mi tente-mi-caverne, attisa leur curiosité. À l’intérieur, quelques saynètes évoquaient une poignée d’êtres virils, résolus, survivants dans un désert hostile. Cette installation avait fait une vive impression sur Tang, qui s’y était attardé bien plus que Zhen et ses copains. L’heure d’après, au restaurant où ils dînaient, Zhen, stupéfaite, l’entendit déclamer à la cantonade sa décision : il se retirerait du monde pour « expérimenter différents modes de survie ». 

À sa lubie utopique, tout le monde s’esclaffa. Tang voulait lâcher son job, se planquer au village, réinventer la vie. Pour autant, il prétendait emporter chauffage, téléphone, légumes bio et éclairage. La différence, c’est que tout serait « autonome » (à la Mao) et « sans gaspillage » (à l’écolo). 

L’écoutant pérorer, Zhen Xing fut émue. Moins par le programme extravagant de son homme que par sa détermination : elle savait qu’il ne ferait pas marche arrière. 

Depuis quelques temps déjà, elle partageait son rejet d’un univers imposé par leurs aînés. Aussi, sur le retour, dans la nuit, elle se blottit dans ses bras pour lui murmurer qu’il pourrait compter sur elle, dans cette aventure.

Quelques mois après, ils disparurent, laissant aux copains et aux familles leur adresse : un trou perdu à une heure de route, au sommet du mont Laoshan. Quiconque les appela ensuite, vit son portable sonner à vide. 

Laoshan Générateur électricitéÀ l’automne, six mois plus tard, les copains reçurent un long email, les invitant à venir leur rendre visite. Sur un terrain loué, Tang prétendait avoir recréé une résidence de rêve, équipé d’infrastructures rompant avec la tradition : « générateur électrique» (vélo-dynamo et solaire – cf photo), « purificateur d’eau », et même « lave-linge écolo ». Sans compter bien-sûr leur ferme bio « irriguée ». 

Comme convenu, les amis se mirent en route le jour dit. Mais quand au bout du mauvais chemin plein de fondrières, apparut la propriété, une déception teintée d’angoisse s’empara d’eux. Il y avait d’abord cette planche de bois de récupération pendue à un arbre, portant l’inscription prétentieuse de « laboratoire d’autosubsistance ». Derrière, ils trouvèrent trois bicoques misérables, dont une en roseau et en petits carrés métalliques qu’ils identifièrent comme des vestiges de fer blanc de boîtes de conserves. Tang, fièrement, leur présenta ses inventions : le « générateur » consistait en un vieux vélo suspendu, une dynamo et une batterie de voiture pour l’éclairage LED de la chambre, l’eau « courante » venait d’un toit de tôle ondulée –mais comme il n’avait pas plu depuis leur arrivée, ils avaient dû se replier sur une source à 20 minutes à pied, qui ne donnait qu’un filet turbide, utilisable seulement pour l’« irrigation » (à l’arrosoir). Et dans le carré d’ habitation, malgré l’hiver qui mordait déjà, il n’y avait pas de chauffage. 

Amaigri et bronzé, Tang les emmena derrière ses claies de fèves, au potager de 30m² en piètre état. Il cueillait à la main les pucerons nichés dans ses légumes : « tout est OK », affirma-t-il, d’un ton péremptoire. 

Au dîner (raviolis au poulet, haricots verts et pastèque, servis par Zhen), les amis adjurèrent le couple de renoncer à leur folie et de retourner à la civilisation. « Vous n’y êtes pas du tout », répondirent-ils, mi-amusés, mi-indignés, « nous ne changerions pas notre vie pour un empire. Nous sommes en train de gagner notre pari, et recréer la vie saine détruite par nos parents, « l’homme laboure et la femme tisse » (男耕女织 - nán gēng nǚ zhī). Et pour enfoncer le clou, Tang et Zhen, bras dessus, bras dessous, leur firent cette invitation solennelle :
« Revenez dans deux ans, jour pour jour, et là, vous aurez la preuve que face à votre mode vie, c’est nous qui avons fait le bon choix ». 

Perplexes, les copains s’en retournèrent sur Qingdao. Ils se voyaient en ‘rat des villes’, face à ce couple ‘rat des champs’, tandis que Tang et Zhen ne comprenaient pas le mépris que leur affichait leurs amis.

Notre petit couple d’écolos réussira-il à relever le défi ? Vous le saurez au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 9 au 15 juin 2014 – Forum « Travailler Ensemble » à Shanghai
Semaine du 9 au 15 juin 2014 – Forum « Travailler Ensemble » à Shanghai

12 juin à Shanghai, au Pullman Shanghai Skyway Hotel : Forum « Travailler Ensemble », le speed-meeting entre PME et Grandes Entreprises – déjà plus de 60 entreprises participantes au 3 juin ! Pour en savoir plus et s’inscrire, cliquez ici.

9-11 juin, Shanghai : Conférence asiatique sur le papier et la pâte à papier

9-12 juin, Canton : BCS, Building Solar China – Salon et Conférence sur les technologies solaires dans le bâtiment

9-12 juin, Canton : Salon international de l’éclairage et des technologies d’éclairage dans le bâtiment

11-13 juin, Shanghai : Salon international de l’aéronautique

11-13 juin, Shanghai : GSMA Mobile Asia Congress, Congrès mondial sur le GSM

11-13 juin, Shanghai : China international Medical Devices Exhibition

12-14 juin Shanghai : iFresh Shanghai Fru&Veg Expo

13-15 juin, Xi’an : World Dairy Summit, Salon des produits frais

14 et 15 juin Paris, Premier Colloque international sur le « YI JING « , organisé par le Centre DJOHI, sous l’égide de CYRILLE JAVARY