Le Vent de la Chine Numéro 32

du 12 au 18 octobre 2013

Editorial : Taiwan – le pouvoir usé de Ma Ying-jeou

En 2008, la victoire sans bavure de Ma Ying-jeou à la Présidentielle fut un tournant dans l’histoire tumultueuse de Taiwan et de ses rapports avec la Chine. C’était la victoire du Kuo Min Tang nationaliste sur le DPP autonomiste, et un pas vers la réunification après 60 ans d’indépendance de facto. C’était la fin d’une forte tension en-tre ces frères ennemis – en 1996 sous Jiang Zemin, l’APL avait tenu autour de Taiwan des exercices menaçants, forçant l’envoi dans la région d’un porte-avion américain. C’était aussi la revanche du million de Chinois ayant suivi Chiang Kaichek dans sa débâcle en 1949, sur les 19 millions d’insulaires historiques. C’était enfin la victoire d’ un style « Mr propre » incarnant la loi citoyenne, sur Chen Shui-bian, Président indépendantiste et patron du DPP, corrompu, décrié, et qui serait bientôt en prison.

Mais les temps ont changé. A l’heure où la République de Chine souffle sa 102ème bougie (10/10), Ma est à présent haï des électeurs, avec une cote de 9,2%. La chute fait suite à sa tentative d’écarter par la force Wang Jin-pyng, Président du Parlement, membre de son parti. L’accusant cet été de collusion, Ma l’avait expulsé du KMT, et prétendait l’écarter de son poste au perchoir du Yuan Législatif.

Hélas pour lui, le 13/09, un tribunal casse sa décision, confirmé en appel le 30/09. Début octobre, très isolé, Ma renonce à aller en Cassation où il aurait sans doute connu le même sort. Ainsi, Wang conserve son poste, causant un revers au 1er édile de la République. 

Pourquoi tout cela ? Au-delà des prétextes, une des raisons de Ma à sa tentative de limogeage musclé, serait que Wang a fait retarder la ratification par les élus du pacte économique sino-taiwanais de juin, qui ouvre 18 services et qui, si appliquée, renforcerait la prospérité de l’île. La Chine, dit-on, a fait cette concession pour pouvoir enchaîner sur un « dialogue politique », lui-même prélude à la réunification -très redoutée à Taiwan. Aussi pas par hasard, à peine Wang Jin-pyng menacé d’ éviction, sa cote montait à 60,5% ! 

Cette joute comporte aussi une incidence constitutionnelle. Ma, patron de l’Exécutif, tentait d’abattre Wang, tête du Législatif. Et c’est le pouvoir judiciaire qui l’en empêche, protégeant ainsi le principe de la séparation des pouvoirs. 

L’impopularité de Ma résulte enfin aussi du marasme : le chômage des jeunes (20-24 ans) monte depuis janvier (14,77%). Les 10 milliards de $ dépensés par les touristes chinois depuis 2008 n’ont pas freiné la tendance. Toujours plus, la jeunesse insulaire doit s’exiler pour travailler. 

Cependant l’isolement croissant de Ma inquiète Pékin. Depuis 1949, ce leader est, et de loin, son meilleur avocat. Si la Chine doit souffrir le blocage du pacte, et voir en prime son avocat emporté par la vague de son impopularité, rien ne va plus ! 

Aussi à Bali, le 4/10, en marge du sommet de l’APEC, le Président Xi Jinping disait son impatience à V. Siew, ex-Président taiwanais (KMT) : « le vieux fossé entre les deux rivages devra être comblé pas à pas, et non perdurer de génération en génération ». Manière discrète de rappeler les 1100 missiles sol-sol pointés sur Taiwan depuis la Chine, au 31/12/2012. 

Pékin peut avoir une autre raison de s’inquiéter. Le coup de force échoué contre Wang, semble une tentative d’évincer un rival sous prétexte de corruption – technique politique très répandue sur le continent, dont l’ultime avatar est la perpétuité infligée à Bo Xilai. Aussi, que Taiwan ait pu désavouer son leader par le simple jeu d’une justice indépendante, est pour Pékin un précédent insupportable, en raison de sa valeur d’exemple sur sa propre opinion. On peut donc comprendre son désir de couper court. 

Justement à Bali, Wang Yu-chi, « ministre du dialogue » (taiwanais) et Zhang Zhijun, son homologue continental, prenaient des mesures d’exception : pour la première fois, ils s’adressaient par leurs titres et non par « Monsieur », et tentaient d’organiser à l’arrachée un Sommet sino-taiwanais à Pékin pour 2014. Tant qu’ils peuvent encore, et tant que l’opinion et les institutions insulaires le permettent…


Culture : Enchères – un record pour « la Cène » de Zeng Fanzhi
Enchères – un record pour « la Cène » de Zeng Fanzhi

« La Cène » de l’artiste Zeng Fanzhi (49 ans) vient d’établir un record aux enchères Sotheby’s à Hong Kong en trouvant acquéreur (qui a souhaité rester anonyme) pour 23,8 millions de $ – soit le tableau le plus cher de l’histoire par un artiste asiatique contemporain vendu aux enchères. Il avait auparavant été estimé à 10,3 milions de $.

Le tableau de 4 mètres de long sur 2,2 de haut, réalisé en 2001, représente le Christ et ses 12 disciples portant des uniformes de jeunes pionniers du Parti Communiste Chinois laissant sur la table quelques morceaux de pastèque… 

Ce tableau a été mis en vente par le couple de collectionneur belge, Mimi et Guy Ullens, installés en Suisse, qui ont fait promettre à l’acheteur de le prêter au Musée d’Art Moderne de Paris pour une exposition à partir du 18 octobre.

Ce n’est pas la première fois que Zeng Fanzhi, artiste installé à Pékin depuis 1993 mais originaire de Wuhan, établit un record. En 2008, son « Mask Series 1996 No. 6 » (cf photo ci-dessous) avait été vendu par Christie’s Hong Kong pour 9,6 millions de $, brisant alors le record de l’époque.

Zeng Fanzhi   Mask Series 1996 No. 6


Santé : Une Première pour un laboratoire chinois

Le vaccin anti-encéphalite japonaise du Chengdu Institute of Biological products est « pré-qualifié » (approuvé) par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), y compris en usage périnatal. 

C’est une première pour un laboratoire chinois, et à 20 centimes d’€uros la dose, cela le qualifie pour des ventes dans le tiers-monde asiatique (Bangladesh, Laos, Cambodge, Corée du Nord)…là où il est le plus nécessaire. C’est aussi, pour la pharmacie chinoise, l’entrée dans la cour des grands, avec des molécules complexes et de qualité internationale.


Politique : Disparitions énigmatiques

En marge des luttes politiques et de la campagne anti-corruption menées depuis le printemps, accidents et suicides de hauts cadres s’enchainent dans le Sud-Ouest de la Chine.

À 44 ans, He Yuying, Directrice ajointe à Chengdu des câbleries Sichuan Star Cable, décède le 23/09 suite à une chute du haut d’une tour. Star Cable était un important fournisseur du pétrolier CNPC. Or, le Sichuan était une base de pouvoir de Zhou Yongkang, ex-patron de toutes les polices, qui y avait été 1er Secrétaire du Parti de 1999 à 2002. Depuis juillet, trois autres dirigeants de Star Cable ont « disparu », peut-être arrêtés, à l’instar de divers dirigeants de la CNPC, et d’anciens apparatchiks sichuanais : Li Guangyuan (Président), Shen Ludong (DG) et Yang Ping (Directeur financier). 

Pendant ce temps là, le 25/09, Liu Yunshan, patron de la Propagande, honorait la mémoire de Lan Hui, vice-maire de Beichuan (Sichuan) tombé accidentellement d’une falaise, lors d’une inspection d’un chantier le 23 mai dernier…

Au Yunnan, Lei Yi le président de Yunnan Tin, 1er producteur mondial d’étain, est inculpé pour 20 millions de ¥ de bakchich versés par une filiale de Goldman Sachs. 

Sur Zhou Yongkang, les rumeurs se contredisent. Des médias citent des proches (parents, relations d’affaires), comme impliqués dans l’enquête anti-corruption. Mais il réapparait en personne (02/10) à une fête de son « université du pétrole » (cf photo), mettant ainsi en doute son limogeage jusqu’alors pressenti pour le 3ème Plenum de novembre


Société : Les vacances du « chaos d’or »

Cette année encore, la semaine de la fête nationale (01-07/10) n’a pas failli à sa tradition de grand chambardement. 

À 430 millions, ce fut presque un tiers de la population qui se mit au tourisme, en hausse moyenne de 20% (avions : 7,7 millions, trains : 65 millions, routes et bateaux : 615 millions de passagers). Et si commerçants et hôtels peuvent se frotter les mains, le confort des usagers fut limité, entre files d’attentes et stress, avec pour tout paysage, « mers et montagnes d’êtres humains ». 

Les sites touristiques furent pris d’assaut (Cité Interdite : 170.000 visiteurs le 02/10, le double du plafond autorisé), au point de fermer les portails comme au parc de Jiuzhaigou (Sichuan). Des milliers d’heures furent perdues en queues et en embouteillages de milliers de bus sur d’étroites voies d’accès à travers des reliefs tourmentés. En sept jours, les 125 sites les plus célèbres étaient visités par 31,2 millions de voyageurs néophytes, laissant derrière eux les traces de leur passage. 
Ainsi le 1er octobre, Place Tian An Men, 110.000 patriotes jouaient à pousse-pousse pour voir le baisser du drapeau. Derrière eux, les escouades de nettoyeurs récupéraient 5t de déchets, et la presse résolument positive criait… au progrès, se rappelant des 20t de 2010. Pour pimenter le tout, un smog terrible terrassait la capitale, avec 400 microparticules (2,5µ) /m3 la nuit du 4/10.
Dai Bin, directeur de l’Académie nationale du tourisme concluait que ces congés nationaux avaient « atteint le stade des visites, mais pas encore celui de la détente ».

De là, on pourrait conclure – un peu hâtivement- que ce régime de tradition socialiste n’a pas su gérer les vacances de ses travailleurs. En effet, l’Etat semble avoir les mains liées : en guise d’ersatz de congés payés, ce dernier a rendu obligatoire ce « paquet » de vacances nationales, où administrations et entreprises chôment de concert—aux frais de l’employeur. Sinon, aucune entreprise n’offrirait de gaité de cœur des congés à ses employés. 

Ainsi en 2008, à l’occasion de la fête de la lumière pure (Qingmíng 清明), des bateaux dragons (Duānwǔ 端午) et de la mi-automne (Zhōngqiū 中秋), 3 jours fériés furent offerts aux masses laborieuses, pour atteindre 11 jours légaux par an (en réalité, en cumulant avec les reports sur les week-ends, le chiffre est bien supérieur). Hélas, cette réforme rata son but d’étaler et améliorer les congés.

Un sondage sur internet de l’Administration nationale du Tourisme vient de révéler que 82.2% des sondés critiquent l’organisation actuelle des congés nationaux et 56.6% sont en faveur de la suppression de la semaine d’octobre. La CCTV parla d’une « semaine d’or », devenue un « chaos d’or », et que cela pourrait accélérer la refonte du système – annoncée en février dernier pour 2020.
Alors, comme dans le monde d’économie mature, les congés se prendraient avec flexibilité, moyennant une révision des horaires. Song Haiyan, professeur de gestion touristique à Polytechnic University (HK) attend une véritable réforme pour 2016-2018. 

Ce délai s’explique d’une part, par la pression des entreprises, souvent peu enthousiastes à payer davantage leurs actifs à « ne rien faire ». D’autre part, aux yeux de Xi Jinping et Li Keqiang, les vacances sont importantes mais pas (encore) prioritaires ! Le pouvoir souhaite d’abord lancer son programme de réformes, immense et contesté… 


Société : Le viager – léguer ou mieux vivre ? Un dilemme…

Au Conseil d’Etat (14/09), Li Keqiang proposa un outil original en faveur des vieillards démunis de pension ou bien dotés d’une retraite famélique. Ces 200 millions de sexagénaires (qui, en 2050 seront 500 millions) disposent souvent d’un logis : pourquoi alors ne pas le céder aux banques, en viager

Aussi appelée « hypothèque inversée », la formule est offerte par la banque CITIC depuis 2011 : après expertise et visite médicale, le candidat reçoit 60% de la valeur du bien, divisé en 120 mensualités (10 ans) plafonnées à 50.000¥ par mois. Après cela, si le retraité est encore en vie, il reste chez lui – sans chèques, et à sa mort, la maison revient à la banque. L’idée de Li est lancée comme ballon d’essai : en 2014, suite aux réactions et suggestions, le plan définitif sortira. 

En soi, l’idée est attractive:  aujourd’hui, la jeune génération est plus aisée que celle de leurs parents, mais ne les aide pas (ou trop peu), surtout s’ils sont restés au village. ‚Le viager ne pourra que renforcer le marché immobilier, en étoffant le parc foncier des banques. ƒ La rente du viager peut financer un placement en maison de repos – ce qui soutiendra la stratégie « 90/7/3 » du gouvernement, où 90% des vieillards passeront leurs derniers jours à la maison, 7% en centres diurnes et 3% en home. „Et surtout, un viager bien encadré permet à l’Etat d’éviter un lourd régime de retraites, du type qui grève fort les finances des Etats européens. Ce pilier du viager aiderait à combler le trou des pensions, 16.500 milliards ¥ en 2010 et 68.200 milliards ¥ en 2033, selon Cao Yuanzheng, Chef économiste à la Banque de Chine. 

Et pourtant, chez les intéressés, la proposition de Li est accueillie avec doute, sinon refus net. De nombreuses personnes âgées avouent ne pas oser vendre en viager, craignant perdre l’amour et l’entourage de leurs enfants, si elles les déshéritent. Face à la thématique de la famille et de la mort, la Chine reste confucéenne. La règle est de léguer, ce que le viager exclut. 

NB : Ceci est un second conflit d’intérêt du 3ème âge avec l’Etat, après celui sur la sépulture : le Chinois désire être enterré, l’Etat prône l’incinération pour réserver le sol à la ville et l’agriculture.

D’autres objections techniques sont à prendre au sérieux, et elles sont légions. Œ La banque va-t-elle estimer impartialement le bien ou bien trop bas, au vu des propriétaires? Quid de la fluctuation du marché? Si le bien double en valeur sur 10 ans, la prime versée restera non indexée d’où injustice. 

Mais si le cours chute, par exemple en cas d’éclatement de la bulle immobilière, comment dédommager la banque ? Ceci explique pourquoi, à ce jour, les assurances n’ont pas pénétré ce marché du viager, que le cabinet Essence Securities estime aujourd’hui à 130 milliards de ¥.Ž 

L’Etat tente par ailleurs de refondre la taxation de l’immobilier et des héritages, tant pour financer son programme d’urbanisation que pour désendetter les provinces (20.000 milliards de ¥ selon Liu Yuhui, chercheur à la CASS). Mais ces projets sont en conflit avec le viager, dont le revenu ne peut revenir à la fois au fisc et à la pension mensuelle. De source médiatique, la taxe foncière pourrait rapporter 200 milliards ¥ – qui seront tout ou partie perdus pour le trésor public, si l’on généralise le viager.  Et qu’advient-il du viager après 70 ans d’existence du bien, quand il atteint la caducité de propriété ?

En somme, le viager est une chance ouverte à la société chinoise, pour faire face aux charges imprescriptibles du 3ème âge à l’avenir – mais il devra d’abord faire l’objet d’une forte maturation, tant du cadre règlementaire que des mentalités.


Diplomatie : ASEAN – La Chine toutes voiles dehors

Au Brunei au Sommet de l’ASEAN (9-10/10, cf photo), en l’absence de Barak Obama retenu aux USA par sa crise budgétaire, la Chine entama la reconquête des cœurs de ses petits voisins, par toute une panoplie d’initiatives en partie nouvelles. Dès le 04/10 à Bali, au sommet de l’APEC, Xi Jinping leur proposait une banque asiatique d’infrastructures, l’extension du fonds d’infrastructures ouvert en 2009, et offrait à l’hôte indonésien 30 milliards de $ de crédits.

Au Brunei, Li Keqiang soumit aux 10 pays de l’ASEAN une offre d’intégration régionale et de « route maritime de la soie » (海上丝绸之路). Il appela au bouclage d’ici 2015, du « partenariat intégral économique régional », pacte de libre échange incluant toute l’Asie, dont Inde et Japon, en concurrence avec le projet de TPP des Etats-Unis entre nations riveraines du Pacifique. 

Au sein de l’ASEAN, le traité de libre échange sera « actualisé » – la rotation du Secrétariat général, du Vietnam à la Thaïlande, jusqu’en 2015, pourrait faciliter les choses. 

Li adjurait aussi l’ASEAN de faire un « traité de bon voisina-ge» et lui promettait d’explorer dans l’année l’actualisation du « code de conduite » sur la mer de Chine. C’est un tournant, par rapport à la ligne dure précédente. Va-t-on, comme il le célébra, vers une « décennie de diamant » pour les deux blocs ensemble ? Pas déjà, faute d’une place, dans ce scénario, pour l’autre acteur incontournable dans la région, les Etats-Unis ! 

Légende photo : on peut noter les Premiers ministres Nguyen TanDong (Vietnam) et Li Keqiang (en 4 et 5ème position à gauche), aux relations pourtant tendues, mais aujourd’hui, main dans la main !


Politique : La clé de l’énigme Xi Jinping ?

Xi Jinping Apec BaliÀ trois semaines du 3ème Plenum du PCC, Xi Jinping se trouve sur tous les fronts, dans le Hebei, comme à Bali, et s’adresse à la Thaïlande, comme à la Nouvelle Zélande, à Obama, comme aux cadres du Parti. Initiatives qui permettent de clarifier son programme depuis son arrivée au pouvoir en mars 2013. En un mot, il s’agit de faire la synthèse entre deux tendances internes : 

– la gauche « ultra », chapeautée par Liu Yunshan, chef de la Propagande, hostile à toute réforme qui menace les privilèges du clan des leaders historiques,

– et les réformateurs, industriels privés et intellectuels, sous la houlette du 1er ministre Li Keqiang qui souhaite la dérégulation du crédit et du sol, genre de prélude à la séparation du Parti et de l’Etat, qui s’applique d’abord dans des zones franches. 

Xi se trouve naturellement au confluent des deux tendances, étant fils de la nomenklatura, mais ayant aussi passé 30 ans de carrière dans le poumon économiques du delta du Yangtzé. Aussi, quoiqu’en apparence incompatibles, les deux tendances se réconcilient en la personne de Xi (homme aux amitiés multiples) et sur le but commun de la sauvegarde du Parti. Sa campagne anticorruption, la plus vaste depuis Mao, ne vise pas à l’éradiquer mais plutôt à enrayer sa croissance. Elle doit aussi rassurer la gauche sur l’avenir, et la préparer à accepter les concessions exigées par l’aile réformiste, au nom de la croissance et de la stabilité sociale. Sous prétexte de remettre au pas les cadres, elle adjure les apparatchiks de suivre une « ligne de masse » : en trois jours, Xi dirige 4 meetings télévisés dans le Hebei, séances de « critiques et d’autocritiques » qui rappellent inconfortablement des méthodes politiques en vogue 50 ans en arrière. 
Ce faisant, Xi occupe le terrain laissé libre par Bo Xilai, qui s’était attiré une vaste sympathie populaire de 2010 à 2012 par ses campagnes néo-maoïstes. 

Un slogan vient de conquérir sa place : la « lutte pour l’opinion publique » (yúlùn dòuzhēng 舆论斗争). Il s’agit d’un renforcement de la censure de l’internet, du jamais vu dans l’histoire. 

Officiellement, Pékin entretient 2 millions de censeurs, parfois dans le privé, payés de 6000 à 8000¥, pour effacer tout message non conforme. Ces « soldats de la pensée » seraient donc en effectifs bien supérieurs à ceux de l’Armée populaire de Libération (1,5 million d’actifs). Par cet énorme investissement, ils assurent l’ordre sur la toile, et permettent à Xi Jinping de faire passer ses positions en tous domaines, sans objection : avertir la Nouvelle Zélande sur la qualité de ses exports laitiers, Obama sur la dette américaine, ainsi que tout officier de l’APL, avant toute promotion ou sa retraite, qu’il devra subir un audit, ou tout fonctionnaire, qu’il devra plus penser au peuple..

Mais à vouloir satisfaire les deux tendances, tout ce qui sort pour l’heure, est cette pression autoritaire tandis que les dossiers clé des réformes restent dans l’ombre, affaiblissant leur crédibilité. En apparence, il ne s’agit donc pas d’un juste milieu mais d’un recadrage conservateur, en faveur des consortia, des provinces de l’intérieur et des clans au pouvoir.

Or l’état de grâce est à présent terminé. Pour que Xi puisse continuer à rassembler, il va falloir montrer autre chose, lors du Plenum. Il n’y a plus beaucoup de temps : en fait, sous la répression accrue, déjà l’opinion s’adapte et trouve d’autres moyens – voire plus de courage – de critiquer le « rêve de Chine » et le tourner en dérision…


Petit Peuple : Shidao : la mutinerie du Bounty, version chinoise (1ère partie)

Le 27 décembre 2010, le Lurong 2682 prit la mer, se détachant d’un quai défoncé du port de Shidao (Shandong). A la barre, Li Chengguan, le capitaine, avait le visage buriné d’embruns et de soucis. Malgré les pétarades qui saluaient le départ, la mission s’engageait sous des auspices très incertains. 

Son chalutier de 33m partait pour deux ans dans le Pacifique Sud, riche en calamars. 

Chaque fois que les cales réfrigérées seraient pleines, ils débarqueraient le poisson dans les ports chiliens ou péruviens, le temps de refaire le plein de carburant, d’eau douce et de vivres. Au retour, chaque homme d’équipage devait recevoir jusqu’à 3750 yuans par mois, primes comprises, ce qui, vu la dureté de la vie, le danger élevé dans ces eaux agitées, n’était pas un pont d’or. Et puis Xinfa, l’armateur aux plus de 100 navires, avait la réputation d’être mauvais payeur. 

Aussi Li, pour recruter ses 32 hommes, avait dû accepter un peu n’importe qui, et même des gars à la dégaine et à la réputation louche, tel Xia Qiyong le cuistot, un boutiquier en faillite qui comptait sur la paie pour redémarrer son commerce à son retour. Ou encore cette bande du Dongbei, dirigée par Liu Guidao, une petite frappe de 28 ans à la gueule d’ange, mais dont Li se méfiait. Ou encore le gang mongol mené par un certain Ji, à la mine patibulaire. Au moins, Li avait-il pu embarquer son beau-frère Wu Guozhi et Wang Yongbo, son copain de 20 ans – un vrai marin celui-là qu’il recrutait comme « Bosco » (second officier). Avec ces gars, Li espérait tenir le cap. 

Espoirs mal placés : à peine en mer, tout dérapa. Après quelques semaines, la moitié de l’équipage grognait de l’aube à la tombée de la nuit : manque de sommeil, mauvaise pitance, longues journées à haler le chalut, trier la prise, vider et empaqueter le poisson – la pêche n’attend pas. La paie aussi, causait récrimination : « minable », disaient-ils, surtout qu’ils en mettraient leur main à couper, la prime de rendement passerait à l’as. 

Il faut dire que Xinfa ne faisait rien pour dissiper les doutes : aucun marin n’avait reçu d’assurance-accident, et les contrats d’embauche étaient tellement truffés de vices que même les marins pouvaient s’en rendre compte. Aussi, confrontés à ce bouillon de médisance, le capitaine Li et le bosco Wang pouvaient constater la débandade de leur autorité. Chaque soir, les chefs des deux gangs rivalisaient d’insolence et de provocation, auxquels le capitaine n’avait à opposer que de molles échappatoires.

Tout bascula le 18 juin 2011, au sortir d’un port chilien où le Lurong 2682 venait de faire sa première relâche technique. 

A la nuit tombée, une mutinerie éclata comme un éclair, préparée soigneusement par les deux bandes ayant fait alliance. A 23h, une équipe en salle de transmissions confisqua les cartes SIM des radios et du GPS, les réduisant au silence : dès lors, pour la Chine, le chalutier était hors radar (大海捞针, dà hǎi lāo zhēn), « aussi introuvable qu’une aiguille jetée en mer ». Entretemps, un autre commando faisait le guet sur le pont, prêt à trancher la gorge de quiconque surgirait, risquant de faire échouer la rébellion, tandis que les leaders approchaient, sur la pointe des pieds, la cabine de Li, endormi. Ils pénétrèrent en vociférant, le poignardant deux fois à la cuisse avant de lui ordonner, les yeux chargés de haine, de faire cap vers le Shandong. Tremblant de tous ses membres, le capitaine céda immédiatement – on peut le comprendre, craignant pour sa vie. Mais ce dont il n’avait pas conscience en se rendant si vite, c’est qu’il devenait de facto complice, trahissant ses hommes, son armateur et son honneur de marin. Sur ces entrefaites arriva Xia le cuistot, brave idiot, qui tenta de défendre son capitaine. Ce fut la première victime, lardé de coups de surins malgré la tentative du chef mécano pour le sauver. Jeté du pont supérieur, Xia agonisant atterrit sur la coursive, d’où il fut relancé à la mer. 

Dès lors, une atmosphère délétère s’empara du navire, odeur de soupçon et de mort. Parmi les mutins, les chefs connaissaient bien le sort qui les attendait à l’arrivée – la justice chinoise n’est tendre ni avec les pirates, ni avec les assassins. Aussi, sous prétexte de voguer vers le pays, ils cherchaient la parade. Et s’ils ne pouvaient sauver leur peau, qu’au moins un maximum d’hommes les suive en enfer – que les innocents meurent ou tuent avec eux ! 
En face, les vrais marins, Wang le bosco, Wu le beau-frère, ou Wen Dou le 1er mécano, méditaient la contre-attaque. Mais la reddition spontanée de leur capitaine avait sapé leur résistance…

Quelle parade trouvera Li, le capitaine ?
Vous le saurez en lisant le prochain épisode, dans le Vent de la Chine n°33 !


Chiffres de la semaine : 2 millions, 5 tonnes, 7148 entreprises

Beijing Tiananmen 20135 tonnes de déchets ont été retrouvés sur la place Tian An Men, après le passage de 110 000 vacanciers, le 1 octobre

C’est tout de même moins que l’an dernier (remercions la pluie !) et ses 8 tonnes de poubelles et beaucoup mieux qu’en 2010, année record, où il fallut nettoyer plus de 20 tonnes.

2 millions de censeurs pour 591 millions d’internautes

L’Etat, pour maintenir en ordre sa toile, emploie 2 millions de personnes pour repérer, censurer, supprimer les messages non conformes à la ligne du Parti de 591 millions d’internautes chinois.

7 148 entreprises chinoises en Europe

C’est le nombre d’entreprises chinoises implantées dans 35 pays européens. Elles embauchent 123 780 personnes.