Le Vent de la Chine Numéro 3

du 20 au 26 janvier 2013

Editorial : Pollution atmosphérique—un électrochoc

Que la météo s’invite dans l’éditorial du VdlC, est du jamais vu. Le choix s’imposa le 12/01, quand l’indice de pollution frisa les 1000 particules mobiles (PM, de 2,5µ) par m3, 40 fois la norme de l’Organisation mondiale de la Santé. 

Dès l’avant-veille à travers le pays, des milliers de vols furent annulés ou retardés. Des aéroports fermèrent, tels Changsha (Hunan) et Kunming (Yunnan). Le 13/01, Pékin émit la 1ère alerte orange de son histoire, consignant au foyer enfants, vieillards et malades. Ce fut la ruée vers les masques (500.000 commandes en 48h sur internet) et purificateurs d’air.
Province aux quatre villes les plus viciées, le Hebei édicta l’état de désastre naturel de classe IV.
Partout, les hôpitaux furent pris d’assaut, avec le double de crises cardiaques de la normale. À Pékin, 58 chantiers ou usines fermèrent (tel Hyundai), 41 ralentirent. 33% du parc auto public fut immobilisé (comme à Xi’an et Shijiazhuang). 

D’ordinaire, Pékin est à la limite du supportable, côté fumées de voitures et d’usines, sous une couche d’ozone multipliée par 16 en 40 ans, dit le chercheur Hanqin Tian de l’université Auburn (Alabama). Et cette fois, le froid extrême (-22°C, record en 30 ans) fit « sauter la banque », en exacerbant le chauffage au charbon. La lame inouïe de pollution ne cessa que le 16/01, à faveur d’un nouveau front froid qui nettoya l’air—pour quelques jours.

Après coup, le pays médite l’avertissement, comme la nature longtemps négligée se vengeait. La responsabilité revient à l’homme – à son gouvernement, concentrant tous les pouvoirs d’organisation et empêchant tout rééquilibrage par des contrepouvoirs de type presse ou ONG. Wang Yuesi, physicien de l’atmosphère estime à 3,4% voire à 6,7% la perte de la capitale en PIB par an (19 à39MM$).
Sur Weibo, les blogueurs ne se privent pas de blâmer une culture du déni. 

Le 31 décembre, la mairie de Pékin vantait encore « les émissions de polluants baissées de 30 à 70% en 14 ans », les 286 jours de « ciel bleu » en 2011 -un mode de calcul pourtant déjà abandonné car inefficace. 
Pour Zhou Rong, de Greenpeace, le 1er problème tient à l’incapacité de Pékin et des provinces à s’entendre sur des règles communes d’environnement. 

En 2012, quatre métropoles subirent 8572 décès respiratoires liés à la pollution. Souvent, elles franchirent le plafond des 200PM, où les écoles devraient garder les enfants en salle. Mais nulle fois l’alerte ne fut donnée.
Dans sa course au PIB, la Chine tolère des normes laxistes pour les camions, et les lobbies (CNPC, Sinopec) n’ont aucun mal à retarder l’introduction du standard IV de diesel à bas soufre. De la sorte dit Wang, Pékin a gonflé de 3% ses concentrations en PM2,5 de 2006 à 2010, et selon le réseau européen EDGAR en 2011, la Chine émettait 9,7MKt de dioxyde – le double des USA.
Pourtant, la Chine défend toujours sa liberté de polluer, tout en appelant les autres pays au grand nettoyage.

Cela ne signifie pas que la Chine reste immobile. Elle vient d’imposer au 01/01 un indice de 2,5µ dans 74 villes, d’adhérer à l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena). De 2010 à 2015, au 12ème Plan, elle veut baisser de 17% son intensité carbonique. D’ici 2035, dit l’Agence internationale de l’énergie (AIE), elle veut réduire sa dépendance au charbon à 55% contre 80% en 2010. Dès novembre 2012, elle produisait 75GW/h d’électricité renouvelable, soit +20,3% sur 12 mois. Enfin, elle vient d’entamer la rédaction d’une « loi du changement climatique ».

Confronté à cette crise, Li Keqiang déclarait (15/01) que le problème ne datait pas d’hier, et ne se réglerait pas demain.
Pour commencer, de « 2011 à 2015 », le ministère annonce 56 milliards de $, de financement surtout local, pour réduire de 5% le niveau des microparticules nocives dans les villes. Les scientifiques le savent, et la rue s’en doute toujours plus, cela sera loin de suffire—rien ne remplacera un débat interne sur le modèle de développement durable au pays, intégrant la priorité de santé et bien-être. 
Ce qui nous ramène à la même vieille question primordiale, celle de l’Etat de droit !


Défense : Mali : l’Armée Française au travail pour la Chine

Le 15/01, l’armée française atterrit au Mali avec chars et chasseurs Rafales. A contrepied de son rôle historique de « phare du tiers-monde », la Chine dénonce alors « la nouvelle attaque de la rébellion » et laisse au vestiaire ses piques traditionnelles contre le « colonialisme », les « gendarmes du monde » et l’ « ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain ». Au contraire, elle réaffirme son soutien à « la souveraineté et l’intégrité territoriale » du Mali. 

Si la Chine cette fois, soutient à mots couverts une intervention si contraire à ses valeurs, c’est qu’elle est une de celles qui en profite le plus, sans avoir à partager les coûts et risques politiques. Autour du Mali, les pays du Sahel partagent sa pauvreté et fragilité. Ce qui n’a empêché les groupes chinois d’y investir en lourd. 

Parmi leurs projets comptent, au Niger une mine d’uranium (Azelik), un champ pétrolier, la réfection du réseau électrique ; au Tchad, un autre champ pétrolier, un projet d’oléoduc de 300 km et de raffinerie à N’Djamena pour 1 milliard de $ ; à Abidjan, en Côte d’Ivoire, un prêt de 500 millions $ (10/01) pour financer la première centrale hydroélectrique du pays. 

D’autres projets non négligeables sont signés par la Chine au Cameroun, en Mauritanie, en Guinée, au Sierra Leone…: des milliards de dollars qui seraient menacés si ces régimes tombaient comme châteaux de cartes sous le boutoir des terroristes d’Aqmi. 


Sécurité Alimentaire : Alimentaire – la chasse aux fraudeurs

L’administration chinoise de l’ hygiène promet de récompenser jusqu’à 300.000 ¥ (36.000 €) toute dénonciation véridique d’une fraude alimentaire. Une mesure qui exprime le désarroi du régime. L’affaire du lait à la mélamine en 2008, avait affecté 300.000 nourrissons : chargée du dossier, Wu Yi, la vice1er ministre, avait promis un changement radical.

Mais depuis, la promesse s’est avérée vaine, surtout du fait d’une croissance hyperbolique de la production et de la consommation : rien que de 2004 à 2008, le panier de la ménagère avait quasi doublé, à 800 milliards ¥. Fin décembre 2012 encore, la CCTV dénonçait du poulet aux hormones et aux antibiotiques chez KFC et McDonald’s. Même si les tests menés ensuite n’ont pas été conclusifs, ces soupçons entretiennent chez le consommateur une certaine déprime. Mais l’appel à la délation est-il la réponse ? 

[1] La production et la distribution sont atomisées en millions de PME, aux côtés de quelques dizaines de gros acteurs, surtout étrangers, qui sont la cible naturelle des dénonciations, quoiqu’ils aient le plus les moyens et la volonté de respecter les lois. 

[2] La délation est aussi l’outil de l’ICAC, (Independent Commission against corruption l’instrument anti-fraude de Hong Kong, qui marche très bien. Mais l’ICAC compte aussi sur la confiance citoyenne dans l’Etat de droit, absente en Chine.

[3] Manque aussi, pour fonctionner, la garantie d’impunité au délateur. Laquelle, en un pays si grand et si morcelé, apparaît plus qu’improbable.


Joint-venture : Caterpillar grugée

Caterpillar grugée par sa filiale chinoise Era et sa sous-filiale Siwei (4000 jobs, Zhengzhou, Henan), tous deux acquis pour 653 millions de $ en juin 2012. 

Sept mois après (18/01), Caterpillar perd 580 millions de $ dans cette « carambouille », où auraient trempé des agents chinois et américains. 

La fraude relance la polémique sur la «Grande muraille» comptable érigée en Chine ces dernières années, contre les audits extérieurs.


Diplomatie : Pékin-Tokyo, « face à un mur »

Chaque jour, la dispute sino-nipponne sur la propriété de l’archipel Diaoyu-Senkaku s’aggrave. Nippon depuis 130 ans, le rachat en septembre 2012 de trois îles de l’archipel par Tokyo à une famille, a rompu l’équilibre et précipité la crise.

Derniers incidents : le 11/01, la Chine fait survoler les îles par un avion Y-8 de l’administration océanique chinoise – le temps qu’il faut pour que deux chasseurs nippons F15 le rejoignent et le suivent. C’est ce qu’attendaient deux bombardiers chinois J10, volant un peu plus loin, qui se mettent à leur tour à suivre les F15…Course poursuite aussi vaine que grandiloquente !‚ 

Le 16/01, l’administration chinoise de cartographie annonce un relevé général des îles, effort qu’elle prédit « difficile, du fait d’une occupation illégale par certains pays » (allusion à l’alliance de défense nippo-US). Sh. Abe, l’actuel 1er ministre nippon (LDP, droite nationaliste) visite Hanoï, Bangkok et Jakarta (16-18/01) : c’est pour resserrer l’alliance – après avoir sollicité le soutien de l’Otan. Pékin répond au Quotidien du Peuple que « toute tentative d’encercler la Chine est vouée à l’échec ». 
On assiste aussi au bal des manœuvres : près de Tokyo s’en déroulait une série le 13/01. L’APL, l’armée chinoise, prépare les siennes, et instruit ses trois armes à se tenir prêtes à « la guerre ». Pris entre deux feux, Taiwan programme 62 manœuvres en 2013 et toute l’Asie réarme aussi vite qu’elle peut.

Cependant, au-delà de tous ces cris de « retenez-moi », d’autres actions se poursuivent, plus discrètes. 

Le 14/01, l’ex-ministre de l’éducation japonais, K. Kosaka, rencontre le vice-ministre des Affaires étrangères chinois, Fu Ying, pour préparer la visite d’un envoyé spécial du LPD. Kosaka est suivi (15/01) de l’ex-1er ministre Y. Hatoyama, qui fait tout pour dissiper la tension : il visite le musée de Nankin (témoin des 200 à 300.000 victimes des massacres du Mikado en 1937), y présente des excuses spectaculaires au nom de son pays. Il déclare que le Japon devrait admettre l’existence d’un conflit sur les îles : furieuse, Tokyo proteste.
NB : dès 2012, Hatoyama avait été reçu par le tandem Xi Jinping –Li Keqiang qui, voyant le clash inéluctable, préparait cette seconde ligne de communication d’urgence. 

Sur ce monceau de positions contradictoires, un éclairage peut permettre d’y voir plus clair. 
La Banque mondiale prédit pour le Japon un PIB en hausse de 0,8% en 2013, puis d’1,2% et 1,5% en 2014 et 2015, à condition de régler son problème avec la Chine. 

Si elle se réalise, ce sera une croissance médiocre, surtout après les 224 milliards de $ que Tokyo aura lancé en stimulus, (une action d’ailleurs estimée à risque par les experts, alors que le Japon croule sous des dettes de 220% de son PIB). Tandis que la Chine elle, maintient la vapeur, en tête des nations en croissance, visant +8,4% en 2013. En cas de conflit, c’est évidemment Tokyo qui a le plus à perdre. Certes, Abe mise sur ses dernières cartes, le renforcement des échanges avec Inde et Asie du Sud-Est. Mais entre eux s’étale l’Empire du Milieu, chaque jour plus fort… 

Ce qui est en jeu n’est pas les Senkaku, mais le leadership sur l’Asie. Pour Tokyo, il peut être traumatisant de le perdre, surtout au rival de toujours. Mais il sera encore moins supportable de tuer le dernier ressort de sa croissance, le marché et l’emploi chinois. 
Dernier élément de ce conflit : il manquait jusqu’alors entre les deux pays un geste symbolique de générosité d’un des partenaires. Hatoyama vient-il de le faire ?


Société : La face cachée du planning familial

Que donnent les « petits empereurs » (小皇帝, xiao huángdì), une fois adultes? 

Lisa Cameron et Xin Meng, de l’université Monash (Melbourne) publient leur enquête au British Medical Journal, sur 33 ans de planning familial et sur le véritable prix à payer pour avoir épargné à la Chine dans la période 400 millions de bouches à nourrir. 
Les chercheurs ont sélectionné dans Pékin (où le planning fut appliqué sans faille) 421 jeunes adultes (29 à 37 ans), nés juste avant et après l’imposition du système, qu’ils divisèrent ensuite entre enfants uniques et enfants élevés en fratrie.
Destinés à dresser leur profil psycho-social, tous se livrèrent à des jeux de rôle, avec un partenaire, un peu d’argent, et la liberté d’affronter la situation seul ou en binôme. 

Le bilan fut instructif. Aux résultats des tests (jeu du dictateur, jeu de confiance, jeu de risque et compétition), il fut possible de retrouver le groupe de chaque jeune. Surtout, tous les stéréotypes sur l’enfant unique se retrouvèrent validés.

Moins généreux que celui élevé en fratrie, l’enfant unique n’a donné que 40% de son argent, contre 43% pour les autres.
Plus méfiant, il n’a confié que 46% de ses avoirs au partenaire (contre 50%), et ne lui a rendu que 30% (contre 35%) de ce que l’autre lui avait confié – faute d’avoir suffisamment confiance en l’autre, qu’il se montre à terme aussi généreux que lui.
Moins prônes au risque, seuls 44% acceptèrent de se mesurer à autrui en mathématiques (contre 52%), et à pile ou face, seuls 58% acceptèrent de jouer le triplement des gains contre la perte de leurs avoirs (contre 66% au fils de fratrie). 

Enfin, un test de personnalité en 44 questions permit d’identifier chez ces petits empereurs un retard en diverses vertus sociales : moins spontanés, moins ouverts d’esprit, moins agréables et extravertis, et par contre davantage prédisposés à la névrose et au pessimisme. 
En général, ils se montrent aussi plus indifférents aux misères des autres, ce qui amènera plus d’exclus et de désirs de revanche. De fait, les divorces de jeunes, en hausse de 13% en 2012 dans Pékin, sont attribués à une capacité moindre au compromis, garçons comme filles. 

Trop couvés par leurs parents, les enfants uniques sont 23% de moins à accepter des métiers à risque comme entrepreneurs ou investisseurs. Aussi pour les auteurs de l’enquête, ils sont perdants, et leur société avec, car ils sont les preneurs de décisions des 30 à 40 années à venir, et leur profil psychologique peut compromettre l’expansion du pays. 

De tout cela, les chercheurs concluent qu’il faut abandonner en urgence le planning. Sans même tenir compte de l’autre lourd déficit du système : les 32 millions de garçons contraints au célibat, suite à des décennies d’avortement sélectif féminin (118 naissances pour 100 filles). 

Malheureusement, le gouvernement ne semble pas partager la vision des universitaires étrangers : le 16/01, Wang Xia, la ministre de la Population, réitérait que le planning était encore « là pour longtemps », en aucun cas à supprimer dans l’année, tout au plus à affiner. Il faut dire que cette administration qu’est le Planning familial (6 millions de cadres), jouit des privilèges de sa fonction : des amendes qu’elle prélève, pour infraction à sa règle !


Petit Peuple : Qiantun : l’échec triomphant du menuisier

Dans le villange de Qiantun (Hebei), l’avenir apparaît sombre pour Liu Qiyuan, 45 ans, patron d’une entreprise de menuiserie, qui vient de s’endetter à produire sept capsules de survie de 4 tonnes chacune. 

<p>Ces habitacles de 14 places ne serviront pas avant bien longtemps, puisque la dernière « Fin du monde » Maya, le 21 décembre 2012, n’a pas eu lieu.

La faute revient à Daiyue, sa fille, 20 ans plus tôt : « Papa, avait-elle demandé un jour d’automne 1992, c’est vrai que la Terre va s’arrêter ? ». La petite de 5 ans ne faisait que répéter les dires de deux pasteurs, américain et coréen. « Mais non ! », avait-il répondu. « Quand même, papa, tu peux pas faire, pour nous trois, une maison incassable ? »
Après 30 secondes, « Hum, mouais, je crois bien ! », avait-il marmonné – promesse qui allait changer à jamais leurs destins, lui faisant griller 250.000€ au bas mot sur ce projet insensé.
« C’est un gars doué, se lamente son voisin qui lui a prêté de l’argent, tout ce qu’il touche des doigts se transforme en or. S’il ne s’était pas lancé dans cette bêtise, il serait riche ! ».
Sa femme renchérit : « il a dépassé plusieurs fois le budget que j’avais fixé, avec tous ces ouvriers spécialisés ».
Même Daiyue déplore son obstination : « je ne savais rien de la vie quand je lui ai mis ça en tête…Depuis, j’ai tout essayé pour l’en détourner ». Mais elle en reste fière : « je vois que mon rêve d’enfance a été réalisé, et me dis que je suis la plus chanceuse sur Terre : qu’est-ce que l’argent, face à l’amour d’un père » ?

Il faut dire qu’elles ont fière allure, ces capsules en fibre de carbone double coque qui protègent 14 passagers des chocs, de l’eau, du froid, du feu, de la faim et de la soif, des radiations (la pompe aspirante filtre l’air), de l’obscurité (grâce à des lampes LED). Dans l’eau, elles peuvent s’orienter au moyen d’un périscope, et se diriger par l’hélice d’un moteur de hors–bord.

Même sa femme au fond, trouve son intérêt dans ce ruineux hobby : quoique le plus sexy des hommes, Qiyuan se donne tant à fond, qu’il n’a pas le temps de penser à une « 2nde épouse » (ertaitai,二太太)comme le font tous les autres patrons.

Pour réussir, Qiyuan a dû reprendre ses manuels de physique, de sciences des matériaux, d’informatique, et travailler dur, en autodidacte, créant son petit labo pour mettre au point ses habitacles. Au point de tester une capsule lui-même, se laissant dévaler du haut d’une colline jusqu’au canal d’en bas, pour voir si elle le sauverait. Infatigable, il déploya durant 20 ans une énergie dévorante.

Dans cette fable véridique de Chine du XXI. siècle, une chose n’est pas tout à fait claire : quelle force a poussé Liu Qiyuan tout au long de ces années de course solitaire ? Ce ne sont pas les motivations qui manquent : il en aurait plutôt trop, qui partent dans tous les sens. L’amour de sa fille pouvait certes suffire au départ, mais pas pour aller jusqu’au bout. 

A pu jouer aussi l’esprit d’entreprise effréné de tant de patrons chinois, voire la rage d’inventer, celle d’un Prométhée décidé à faire reculer les limites physiques de l’homme. Ajoutons une pincée d’anarchisme (il ne s’en cache pas) et un doute philosophique sur les capacités de tout leadership à sauver l’humanité des désastres naturels. Sa famille elle, met en avant sa sainte haine de l’argent – un rejet du moteur du profit, qui pollue tant d’âmes de cette Chine postsocialiste.

En définitive, Liu Qiyuan pourrait aussi avoir mené à bien ce projet pour se réconcilier avec son père.
Ce dernier n’avait pas supporté de voir son garçon surdoué abandonner ses études. Mais on l’a vu, pour sa construction de nefs de survie extrême, le jeune patron a du trimer dur, et il l’a mené à bien. Aussi, à 80 ans bien sonnés, le patriarche salue son fils pour avoir su créer seul un produit dont personne n’a la maitrise : il lui donne son absolution.

Même si l’avenir n’est pas garanti, l’honneur et le sens de la vie, eux le sont, comme l’harmonie familiale. Et impavide aux aléas du lendemain, notre jeune patron flotte fièrement entre ses deux principes matériel et spirituel : 上不着天,下不着地, shànɡ bù zháo tiān ,xià bù zháo dì, « en lévitation entre ciel et terre » – sans atteindre ni l’un ni l’autre, mais dans la certitude simple du devoir accompli.