Le Vent de la Chine Numéro 27-28

du 31 au 6 septembre 2013

Editorial : Canicule politique
Meteo Canicule Chine 2013 Nasa

Une plaie qui frappa la Chine cet été : la canicule, avec un record de 78°C à Turpan (Xinjiang – température au sol) en août, tandis que des trombes d’eau sur le Dongbei fin août forçaient la population à fuir leurs logis – au 28/08, on comptait 90 morts. Succédant à d’autres calamités (le gel de janvier, les pluies de mai sur le Henan), il en découle un recul de la récolte de blé d’été, le premier en 10 ans : 16% perdus, 20 millions de tonnes. Dès lors, pour compenser, la Chine achète à l’étranger : les traders estiment à 10 millions de tonnes ses importations en 2013, contre 3 millions de tonnes en 2012. La Chine détrône, comme 1er importateur, l’Egypte qui risque de ne plus pouvoir se nourrir : au bord du gouffre, elle n’a plus que 45 jours de réserves.
Diverses prédictions que nous avancions avant l’été, se sont vérifiées : Œ

– Tel le procès de Bo Xilai qui vient de se tenir (23-26/08). Comme prévu, la Cour a volontairement gommé tout volet politique. Pour autant, des surprises fusèrent, tant sur les révélations que le régime était disposé à tolérer sur l’affaire (sur la « corruption » et la « débauche » des élites) que sur la vive défense opposée par le tribun au banc des accusés (cf page 2).

– Comme prévu, la hache de guerre a temporairement été enterrée avec l’Union Européenne, sur les panneaux solaires. Dans ce ciel rasséréné, Allemagne et France peuvent boucler de fructueuses affaires.

Ž La dérégulation des taux d’intérêt a été poursuivie par la Banque centrale, comme succédané à la planche à billets.
Celle du taux de prêt fut levée le 18/07. Celle du taux de dépôt demeure, à 110% du taux pivot, mais les banques annoncent l’émission de dizaines de milliards de ¥ de certificats de dépôts à 3 à 6 mois, échangeables sur le marché interbancaire. C’est une étape vers la libéralisation, garantissant la présence de liquidités, et la relaxation des contrôles sur la rémunération de l’épargne.

Ce train de mesures fait partie du programme du 1er ministre Li Keqiang, en mê-me temps que la levée des barrières d’entrée aux marchés et celle des monopoles, et la réforme des institutions qui vise à déléguer d’importantes prérogatives aux niveaux intermédiaires. 

Par contre, suite au conclave balnéaire à Beidaihe début août , Li et Xi Jinping le n°1, semblent avoir du mal pour leur plan géant d’urbanisation (pour 300 millions de migrants sur 20 ans, l’octroi des mêmes droits qu’aux citadins de souche, coût estimé par l’UNDP à 6800 milliards $). Ils ont affronté une coalition de provinces endettées, de milliardaires craignant pour leurs fortunes, et de banques fragilisées par leurs mauvais prêts (telle la CITIC, sur le delta du Yangtzé : + 90% depuis janvier). Face à la fronde, l’Etat fait le dos rond : ce frein à la croissance, c’est lui qui l’a voulu, en bloquant le crédit. Et il le contrôle, en maintenant d’avril à juin une croissance à 7,5%.

Que penser de l’annonce (26/08) du 3ème Plenum du Comité Central, en novembre, par le Bureau Politique réuni dans l’heure suivant la fin du procès de Bo Xilai ? 
Deux lectures sont possibles : soit ce régime où la vieille garde politique reste ultra-influente, garde foi dans le potentiel de développement du pays pour 10 ans, sous ses règles actuelles sans rien changer d’essentiel ; soit (et c‘est notre impression) Xi et Li, après avoir gagné cette bataille cruciale sur les mao-nostalgiques, ont emporté un combat décisif à Beidaihe, pour jeter toutes leurs forces dans la réforme et « battre le fer pendant qu’il est rouge ». 

Xi poursuit son programme improbable mais pragmatique d’alliance des ailes conservatrice et libérale (le fameux « Rêve de Chine ») – sans doute pour rassembler les voix favorables à son programme de réformes au Plenum. Il donne des gages à la gauche, notamment par son dernier « document n°9 », pamphlet contre la démocratie mondiale. 
En échange, Jiang Zemin, son ultra-conservateur prédécesseur, lui apporte son ostensible soutien. Xi place aussi, dans l’armée et dans le civil, ses hommes de confiance et poursuit censure et arrestations de critiques trop remuants. Il se renforce donc, bien plus vite et plus fort que n’avait pu le faire Hu Jintao, avant lui. De la sorte, il poursuit une politique avec deux fers au feu. L’une, pour se faire des amis et ne toucher à rien. L’autre, pour pousser la réforme, sans en avoir l’air.

Dernière minute : Jiang Jiemin, patron de SASAC, mis sous enquête pour corruption
Jiang Jiemin, patron de SASAC, mis sous enquête pour corruption

En mai 2013, Le Vent de la Chine, dans le cadre de l’étude « Xi Jinping, la nouvelle ère« , dressait le portrait d’un homme d’influence, Jiang Jiemin. Ancien patron de la CNPC et protégé de Zhou Yongkang (également mis sous enquête il y a quelques jours), il fut nommé à la tête de la SASAC en mars 2013 (State-owned Assests Supervision & Administration Commission) même si, à l’époque, Jiang faisait déjà l’objet de rumeurs de corruption…
Le Vent de la Chine vous propose de lire dès à présent son portrait, avant d’en savoir plus au prochain numéro !

Pour lire les 47 autres portraits de l’étude « Xi Jinping, la nouvelle ère« , commandez-la dès à présent !

JIANG JIEMIN (蒋洁敏)
STATE-OWNED ASSETS SUPERVISION & ADMINISTRATION COMMISSION CHAIRMAN
THE RESISTIBLE RISE OF THE ENERGY FACTION

Born in Shandong province in 1955, Jiang Jiemin is a key figure in China’s oil and gas industry with almost 30 years’ experience. Just months before being named to head the SASAC, he was elevated to become a full member of the 18th Central Committee.
Until March of 2013 head of the CNPC and its listed subsidiary PetroChina, Jiang has been made chairman of the State-Owned Assets Supervision and Administration Commission (SASAC). The commission manages the ten dozen biggest state-owned enterprises, and has seen profits from these firms, many of which enjoy a monopoly, skyrocket in recent years. These consortia and the SASAC are a closed, politically connected club, arguably the most powerful economic lobby, and they select informally from among their peers those who are to run and protect their institutions, those most apt at defending their own interests parallel to those of the nation, or even of the party. They exemplify what China analyst Willy Lam calls “the rise of the energy faction in Chinese politics.”

Jiang’s move was orchestrated by the party’s powerful Central Organization Department, which controls appointments to the top 4000 nomenklatura positions, including the heads of state-owned conglomerates. His elevation was supported by patron Zhou Yongkang, a veteran of CNPC who later became public security minister. Close to Jiang Zemin, Zhou belongs to the Shanghai Faction, and retains power despite stepping down from the Politburo Standing Committee last autumn. From Jiang Jiemin’s promotion, it may be inferred that Zhou, while compromised in the unresolved Bo Xilai imbroglio, still had enough clout to nominate a protégé to head the SASAC, one of his spheres of influence.

As the head of SASAC, Jiang will face calls to reform China’s leading state-owned firms, especially the oil titans, and halt a string of ecological disasters that have emerged over the last years. Under his leadership, the CNPC was responsible for an explosion at its Dalian refinery (Liaoning) in July 2010, which led to a spill in coastal waters and killed a fire-fighter. Other accidents followed within the network of the CNPC plants, arguably the result of over-rapid expansion and failure to invest in accident prevention. Before this string of catastrophes, in an address to fellow leaders of oil companies, Jiang stated: “Environmental protection is our national policy, and is, above all, the corporate responsibility.” According to the press, Jiang Jiemin got away with a “stern warning”, and « demerit » marks” for the Dalian oil spill. Despite these minimal sanctions, and some unconfirmed rumours of corruption (March 2013), Jiang Jiemin continues to rise…


Politique : Zhou Yongkang, colosse de l’ombre, trébuche
>Zhou Yongkang'
Maître de toutes les polices de 2002 à 2012, Zhou Yongkang était proche de Bo Xilai, et l’un des leaders les plus puissants. Sa mise sous enquête (30/08) en étonne plus d’un – comme si c’était une autre étape d’un scénario rédigé en août à Beidaihe. Le long silence sur cet événement n’était pas, comme souvent en Chine, signe d’une victoire conservatrice, mais plutôt celui d’une prudence pour permettre aux décisions de s’appliquer dans la surprise et sans résistance. 
Comme pour l’ex-maître de Chongqing, l’enquête se fait « pour corruption » dans le cadre de la continuité et de la campagne n°1 de l’équipe au pouvoir. Pour la même raison que pour Bo Xilai, les raisons politiques sont occultées. Mais l’affaire est assez grave pour avoir incité, la semaine passée, la famille de Zhou à quitter le pays sans être inquiétée—cette fuite affaiblira la défense du leader déchu. 

En même temps, d’autres enquêtes frappent 4 leaders de la CNPC, où Zhou passa quelques années : Ran Xinquan, Wang Daofu, Li Hualin et Wang Yongchun, ses ex-lieute-nants. C’est la fin annoncée du « gang pétrolier », lobby par qui il fallait passer pour avoir de l’or noir en Chine. Autres personnages sous enquête : Guo Yongxiang, l’ex-vice gouverneur du Sichuan (et secrétaire de Zhou), Li Chuncheng, l’ex-vice secrétaire provincial et un autre vassal. Et pas par hasard, on le sait déjà, c’est sur son époque sichuanaise que doit se concentrer l’enquête sur Zhou !

Politique : Japon – Chine : « moi non plus »

DiaoyuL’été n’a rien changé dans les rapports tendus sino-nippons. Estimant les conditions médiocres, Pékin exclut de voir le 1er ministre Sh. Abe au G20 de St Petersburg (3-4/09). Lequel Abe engage son pays dans des « préparatifs à divers conflits en Asie ». Pékin aussi, promet de « ne pas reculer devant les problèmes »…

C’est des îles Diaoyu que part ce vieux litige, minuscule archipel sous contrôle nippon depuis 130 ans, réclamé par la Chine. 

La Chine est aussi en conflit sur d’autres espaces maritimes avec Vietnam et Philippines. Stratégiquement, Pékin rejette toutes les tentatives de Tokyo et Manille pour discuter : son jeu pour l’heure, est d’isoler ces pays, en jouant sur sa masse. 

Par contre, au sommet « Défense » de l’ASEAN au Brunei (24-25/08), le secrétaire d’Etat américain était omniprésent, protecteur. 
Sur le fond, Chine et Japon rivalisent de rigidité : face à ses droits mal définis (incertains) sur ces îles, Tokyo refuse même d’admettre l’existence d’un problème, et de discuter, ce qui ne peut qu’indisposer le rival régional. 

Les deux pouvoirs n’ont guère de raison de céder : au dernier sondage, 90% de chaque opinion déclare « haïr » l’autre. Chez les intellectuels, le taux passe à 70% au Japon, 50% en Chine. 

Cette conduite d’échec résulte en fait d’imprévision historique : quoique sans douleur 30 ans en arrière, la normalisation n’a pas été faite alors. Désormais, toute concession d’un de ces deux pouvoirs apparaîtrait une reculade devant son opinion.


Agroalimentaire : Lait : rétablir la confiance, en urgence

Aujourd’hui, le lait en poudre importé occupe au moins deux-tiers du marché, reflet de la méfiance profonde des familles envers le produit local. Pour l’Etat, c’est inacceptable. La qualité doit changer et la confiance revenir, par fierté nationale, et pour éviter une rupture de stock mondial, qui n’est pas loin.

Aussi, le 27/08, le MIIT annonce un plan de 4,9 milliards de $ de prêts bonifiés offert sur concours à quelques producteurs, pour les aider à racheter les plus petits. D’ici 2018, les 128 groupes actuels devraient repasser sous la barre des 50. Les fonds devraient aussi soutenir des commandes d’équipements de pointe, et des plans de R&D et de formation. Des groupes tels Sanyuan (Pékin), Feihe et Wondersun Dairy (Heilongjiang) seraient les mieux placés pour toucher cette manne. 

L’enjeu est de taille. Ce marché du lait maternisé doit augmenter de 80%, avec les 150 villes intermédiaires de plus d’1 million d’habitants qui n’attendent qu’un retour de confiance pour devenir à leur tour consommatrices de lait pour divers âges et diverses natures. La renaissance du lait chinois s’accompagne dès maintenant de JV, pour les plus gros, avec des majors mondiaux et avec un cadre règlementaire strict, imposant par exemple aux producteurs d’être propriétaires d’une partie de leur cheptel productif, concentré en exploitations de 10 000 têtes afin de faciliter l’amélioration génétique, l’hygiène de la collecte, les soins vétérinaires…

Enfin, quatre majors nationaux, dont Mengniu et Yili ont dès à présent reçu l’ordre de sortir de nouveaux produits de « top qualité », avant décembre 2013.


Monde de l'entreprise : Ententes et corruption, la chasse aux mauvaises pratiques
Ententes et corruption,  la chasse aux mauvaises pratiques

En juillet, l’Etat lançait une action publique très médiatisée. Dans le secteur des médicaments, les inspecteurs du tout nouveau ministère de la Supervision s’attaquaient au groupe britannique GSK, accusé d’avoir distribué en quelques années 3 milliards de ¥ à des médecins en dessous de table, pour s’assurer qu’ils prescrivent ses remèdes. Plusieurs employés de GSK étaient appréhendés. Puis d’autres groupes mondiaux étaient mis sur la sellette : Eli Lilly (USA, 30 millions ¥ distribués), Sanofi (France, 1,7 million ¥), Novartis (Suisse), AstraZeneca (R-U).

Parallèlement, la NDRC, la Commission nationale de réforme et de développement, s’en prenait à 5 majors étrangers du lait maternisé, et un chinois. Parmi ceux-ci, Fonterra, Dumex et Nestlé. Nestlé était épargné mais les 4 autres étrangers devaient verser 110 millions de $, convaincus d’entente sur les prix

Puis une campagne plus vaste fut lancée contre 30 firmes étrangères y compris dans les télécoms (GE, IBM, Intel, Qualcomm) et la banque (JPMorgan). De là à penser qu’il y a campagne concertée pour museler l’industrie étrangère en Chine, la tentation est grande : ce type d’action s’est déjà vu par le passé et la pression est forte du côté des lobbies automobiles, « conseillant » à l’Etat d’enquêter sur le marché des voitures de luxe, source alléguée de choquantes marges. 

Mais le Conseil d’Etat se défend vertement de telles visées. D’abord, argumente Xu Kunlin, directeur à la NDRC, les groupes locaux sont aussi dans le collimateur, tel le secteur de l’alcool : Moutai, Wuliangye et Kweichow ont écopé en juin de 71 millions de $ d’amende pour cartel. Il s’agit d’une action complexe, visant moins telle ou telle firme que différents secteurs clés et différentes pratiques. 

Dans le lait, ce que l’on vise, est l’entente sur les prix, pratique inévitable dans une économie émergente, où les « gros » acteurs peuvent se partager le marché pour éliminer les petits.
Dans le médicament, une autre perversion fausse le marché où dans le système chinois, on s’assure une position dominante en soudoyant le « marchand » qu’est le médecin et l’hôpital. 

M. Xu promet par ailleurs que les frappes réglementaires pourraient s’étendre bientôt sur d’autres pans de l’économie : télécoms, banque, énergie, équipements médicaux, automobile… Or, ces secteurs sont souvent aux mains des conglomérats publics. Tout se passe comme si, en frappant d’abord les privés/étrangers, l’Etat voulait s’absoudre d’une accusation de « favoriser l’étranger aux dépends du national ».
Historiquement, la Chine s’est d’abord intéressée au contrôle des fusions (pour éviter les monopoles). En 2007, le ministère du Commerce bloquait par exemple la reprise du n°1 national du jus de fruit Huiyuan par Coca-Cola, pour 2 milliards de $. Les autres supervisions commencent à présent à suivre, celle des prix par la NDRC et celle des autres pratiques délictueuses, surveillées par l’agence publique SAIC.

L’affaire du lait a une portée fort symbolique. Suite aux scandales à répétition, l’image globale du lait chinois est au plus bas. A prix d’or, la population s’arrache les produits étrangers, par importations parallèles, forçant même les nations étrangères à protéger la priorité de leurs propres citoyens dans leurs propres magasins. Aussi pour les grands producteurs mondiaux, la tentation de gonfler leurs prix en Chine, était grande. L’Etat devait mettre un terme à cette pratique qui grevait inutilement le pouvoir d’achat de dizaines de millions de jeunes parents, aux salaires souvent encore bas. De fait, suite à la « thérapie de choc » de la NDRC, on vit les groupes laitiers visés réduire « spontanément » leurs prix de 10 à 20%.

En même temps, un groupe comme Mengniu entame sa reconquête en s’associant à 2 majors européens (Danone et le Danois Arla) – un deal réciproquement fructueux (savoir-faire et image de marque européenne, contre parts du marché chinois), et voit ses ventes et profits remonter de 16% au 1er semestre. 

Chez les groupes pharmaceutiques sous enquête, on observe aussi de substantielles baisses « volontaires » de prix, qui seront d’une grande aide aux pouvoirs publics pour réduire les coûts de santé – un des buts de Li Keqiang. Mais cette action mène à une situation potentiellement explosive auprès des 13.500 hôpitaux publics du pays. Car le médecin notoirement mal payé, complète son salaire par différentes enveloppes rouges, toutes illégales—celle du groupe pharmaceutique, celle pour l’accès accéléré à la table d’opérations… Aussi, le coup de torchon voulu par l’Etat devra impérativement s’accompagner d’une autre réforme, celle des salaires du personnel médical ! 

On observe enfin d’autres frappes radicalement inédites contre le monde industriel, chinois cette fois dans le pétrole.
Sinopec et la CNPC se voient refuser toute nouvelle raffinerie tant que les tests d’effluents sur les unités bâties en 2011 et 2012 resteront négatifs. De la part du ministre de l’Environnement, une telle fermeté est du jamais vu, révolutionnaire, vu la niveau record de pollution en Chine. 
Enfin, ces trois types de « mauvaises habitudes» (entente sur les prix, corruption et pollution) ont un point commun : elles grèvent le PIB, et en octroyant aux firmes un profit indu, les détournent de la course à l’excellence. C’est sous cet angle que doit se rechercher le but commun de ces frappes coordonnées : encadrer, doucement mais fermement, l’économie chinoise vers la relance, la concurrence et le durable.


Politique : Bo Xilai – un procès qui ébouriffe

Depuis octobre 2012, la Chine attendait le procès de Bo Xilai, un des fils de l’aristocratie rouge, beau parleur, administrateur surdoué du Liaoning, puis de Chongqing. Alors, il était tombé suite à l’assassinat d’un Britannique par son épouse Gu Kaikai, et à la cavale de Wang Lijun, son chef de la police, réfugié au consulat des Etats-Unis à 350 km… C’était notoire, Pékin redoutait cet homme aux ambitions sans limites. Aussi, tous s’attendaient à une parodie judiciaire à huis clos, expédiée en quelques heures. Le procès se tenait à Jinan (Shandong), en plein été : quel meilleure moyen d’enterrer l’affaire ? 

Or, à la surprise générale, on assista au procès le plus transparent depuis la révolution de 1949. La presse n’était pas admise, mais les débats étaient retransmis en live sur Weibo et 30 témoins étaient cités. Surtout, on trouva un Bo Xilai survolté, amaigri mais fougueux comme jamais, qui se défendit bec et ongles.

La veille de son expulsion du Bureau Politique (15/03/2012), Bo Xilai était accusé à mots couverts par Wen Jiabao, 1er ministre, de menées séditieuses – avec d’autres leaders historiques tel Zhou Yongkang, il aurait visé le pouvoir par des voies non constitutionnelles. Mais dans sa riposte, Xi Jinping et son équipe, tout en parant ce danger, voulaient aussi rassembler pour faire passer leur réforme, et éviter le choc des clans (réforme et conservateurs). C’est pourquoi au procès, les chefs d’inculpation se limitèrent à la corruption, évitant tout motif politique.

Les proches de Bo, Gu Kailai et Wang Lijun vinrent à la barre -ou en vidéo- soutenir les accusations du procureur. Bo dépeignit Gu comme « folle mentant comme elle respire », et Wang comme « âme vile, du genre à raconter des bobards ». Afin de les disqualifier comme accusateurs, il suggéra même qu’ils étaient liés comme « peinture et colle » (« cul et chemise »). Quant à ses aveux signés, ils auraient été obtenus sous la contrainte, donc nuls…

Le procès n’en dévoila pas moins, à la Chine entière, les amantes de Bo, la cour qu’il entretenait, les cadeaux qu’il se faisait offrir à lui et aux siens, voyages en Afrique, villa sur la Côte d’Azur, sociétés écran… Par contre, Bo obtint de l’opinion un succès d’estime pour son panache, et le soutien que vinrent lui apporter sa 1ère femme et son fils. 

Enfin, voyant lucidement sa cause désespérée, Bo Xilai accusa la cour d’« arbitraire et de partialité », lui déniant le droit de le juger. Le procureur lui, conclut à des faits reprochés « extrêmement graves » et à l’impossibilité pour la cour de recourir à la clémence vu « l’attitude non-coopérative » de l’accusé. Le procès a été très suivi par des millions d’intellectuels, juristes et journalistes, stupéfaits par la tournure des événements. 

A peine le procès terminé, comme dans une partition musicale bien réglée, le Bureau Politique se réunissait (27/08) pour annoncer un Plenum du Comité Central en novembre, qui décidera d’orientations nouvelles pour l’administration et l’économie. Un mot d’ordre l’accompagne : « la réforme continue – elle ne s’arrêtera plus ».

En même temps, débutait l’enquête contre Zhou Yongkang et toute une vague d’hommes de son clan – une page se tourne…Bo Xilai attend son verdict, sous peu. Celui-ci peut aller d’une dizaine d’années de prison à la peine capitale. A en croire la dernière rumeur, des cadres de haut niveau souhaitent la fermeté extrême, par peur, s’il parvenait à sortir, de sa vengeance !


Joint-venture : Europe – Chine : Hache de guerre enterrée, ou pas?

Entre Europe et Chine, l’année avait débuté sous une tension grandissante au fil des mois. En juin, à l’initiative du Commissaire à la Concurrence K. de Gucht, Bruxelles avait imposé une taxe anti-dumping de 47,6% sur les panneaux solaires de 130 firmes chinoises, pour un marché de 21MM€ en 2012. En 3 ans, la Chine avait quadruplé ses usines de ces produits, dépassant en capacité la demande mondiale. 

Œil pour œil, Pékin répliquait à l’action des Etats membres par une enquête anti-dumping sur le vin, divisant ainsi les Européens : les grands industriels solaires étant en Allemagne et 55% des exports de vin de l’Union Européenne (140 millions de litres) étant français. Dès lors, les commandes chinoises chutaient en France, de 9% de janvier à juin (à 280M$), tandis que celles d’Australie et des USA, d’Espagne et d’ltalie pétillaient à +30%.

Ayant plus à perdre que d’autres en terme d’échanges et d’investissements, Berlin et Londres étaient hostiles à un conflit commercial—comme la majorité des 27 pays. Aussi l’accord fut obtenu sans peine durant l’été : d’ici 2015, la Chine s’engage à respecter des prix minima de 0,56€ le watt installé, contre 0,45€ précédemment, ainsi qu’un quota d’export de 7 GW/an. Les industriels chinois poussèrent un soupir de soulagement, après s’être « attendus à pire ».
Quant aux experts européens, ils estimèrent le deal largement favorable à la partie chinoise, lui permettant de sauver l’essentiel de ses marchés (grâce au quota très élevé), tandis que le prix pénaliserait les exploitants européens de grands ouvrages solaires, ceux-ci cessant d’être rentables au dessus de 0,50€. 

C’est à ce prix que l’enquête vinicole chinoise fut passée à la trappe, et que divers projets européens mûrs, à l’étude depuis des mois furent approuvés, comme la JV Renault-Dongfeng à Wuhan qui doit produire dès 2015 quelques 150.000 voitures, berlines et 4×4.
De même, Daimler annonçait un investissement de 2 milliards d’€ pour une nouvelle usine pékinoise avec son partenaire BAIC, qui sera la plus grande du groupe au monde, lui permettant de doubler sa capacité à 200.000 Mercedes-Benz en 2015, tout en poussant la part de pièces locales de 50 à 66%. Il s’agit, pour le groupe de Mannheim, de combler son retard sur Audi et sur BMW qui ont déjà franchi en Chine la barre des 300.000 ventes annuelles, le reste des ventes de Daimler en Chine étant assuré par l’importation. 

D’autres groupes français poursuivent eux aussi leur expansion planifiée, comme Air Liquide qui promet 300M€ d’ici 2020 pour doubler sa production de gaz divers dans le pays, à travers son programme Tengfei II. Ou comme L’Oréal qui s’apprête à finaliser son rachat de Magic Holdings, le producteur des masques faciaux, pour 843M$. Un achat local qui lui permettra de contourner une contradiction majeure en Chine : l’Europe interdit mais la Chine impose aux nouveaux produits cos-métiques un test sur des animaux (impliquant la vivisection)… 
Mais attention, rien ne dit que l’embellie euro-chinoise puisse durer : à Bruxelles, le commissaire de Gucht annonce qu’il a « la preuve » de financements publics aux panneaux solaires chinois, incompatibles avec l’OMC. Ce qui pourrait suffire à faire capoter l’accord de cet été qui doit encore être avalisé par les 28 membres en décembre. Pour conclure, entre Européens et Chinois, on marche sur des œufs…


Santé : Dossier sur la vieillesse chinoise – une terra incognita
Dossier sur la vieillesse chinoise – une terra incognita

Jusqu’à hier, le 3ème âge chinois était méconnu. Publiée en juin par l’université Beida, la Banque mondiale et d’autres partenaires, l’enquête CHARLS de l’université de Pékin change la donne en apportant une masse prodigieuse de données éclairantes, fournies par 17 708 vieillards interrogés dans 28 provinces.De la sorte émerge un tableau de ces Anciens qui furent les témoins et acteurs de la révolution de ‘49. .Un détail ne trompe pas : le taux extrêmement élevé de réponses à l’appel des enquêteurs. Avec 94% de participation à la campagne et 69% en ville, c’est probablement un record, suggérant un besoin d’exprimer une détresse cachée. Les statistiques le révèlent : 2/3 des personnes âgées chinoises vivent séparés de leurs enfants, dans une maison désormais silencieuse. C’est le fameux syndrome du « nid vide », porteur de souffrances émotionnelles. Heureusement, 85% d’entre elles gardent un héritier à quelques kilomètres, en ville ou dans le district. 

Surprise : parmi les 38% qui vivent avec un enfant, celui-ci est le plus souvent un garçon et non une fille, démentant le préjugé d’un beau sexe refuge de la piété filiale. En fait les personnes âgées totalement seules sont rares (9%) : sans leurs enfants, d’autres vivent simplement avec leur conjoint (37%) ou un autre proche (16%), bru, petits-enfants… 

Par ses revenus, ce 3ème âge chinois tire le diable par la queue avec en moyenne 4600¥/an, chiffre atteint pour 53% d’entre eux, par une aide des enfants, de 1700¥/an en moyenne (soit 37% du budget total). Les enfants semblent par ailleurs se répartir la tâche : ceux qui vivent au loin donnent davantage, et les plus proches, paient en temps et en présence. Pour les seniors, la précarité arrive d’un coup, quand l’entreprise les met à pied, avec une retraite trop mince et discriminatoire. Résultat, 29% de ces personnes âgées vivent sous le seuil légal de pauvreté, contre 20% des quinquagénaires. 

Vu sous l’angle de la consommation, l’enquête confirme leur misère : 42,4 millions de sexagénaires vivent en dessous du seuil de subsistance, soit 23% de la tranche d’âge. On constate aussi un fort écart entre ville (10%) et campagne (29%), fruit de l’avancée inégale du système des pensions. En effet, 84% des personnes âgées citadines en touchent une, contre 43% des paysans. De ces chiffres émerge un bilan pas entièrement négatif : guidée par ses valeurs confucéennes, la Chine offre à ses seniors un « service minimum » bien plus grâce à l’effort de la famille qu’à celui de l’Etat. 

Mais la situation évolue, et se dégrade. Après 40 ans d’existence, le planning familial fait des ravages, en sapant, dans la pyramide des âges, le socle de jeunes aptes à soutenir ses anciens. Les sexagénaires comptent encore sur 3 à 4 enfants, mais les quinquagénaires n’en ont plus que 2. Et à 1,6 enfants par femme en moyenne, la société vieillit en accéléré. En 1950, l’âge médian chinois était 24 ans. En 2050, il aura doublé, à 49 ans. Et là où en 1950, 12 travailleurs soutenaient un retraité, en 2050 ils ne seront plus que 2. 

Ce scénario est classique et normal, pour une société industrielle. Mais la Chine s’apprête à le boucler en 40 ans, avant d’être devenue riche, alors que l’Europe l’a complété en un siècle. Pour le futur 3ème âge, une telle perspective réduit leurs chances de passer leurs dernières années dans un certain confort. D’autant que, comme on le voit dans ce numéro du Vent de la Chine, leur santé n’est pas excellente. Autrement dit, la pendule d’argent fait tic-tac, et l’Etat, très conscient, s’est jeté dans la course contre la montre pour prendre le relai de ses citoyens—voire, pour le tendre au secteur privé et à l’étranger.


Santé : Une santé fragile – le réveil de l’Etat

Pour la santé de ses seniors, en 10 ans l’Etat a étendu la sécurité sociale à presque tous les citoyens (92% en ville, 94% au village). Mais en cas de maux sérieux, pour 15% des vieux citadins (39% des ruraux), les frais d’hôpital dépassent 50% de leur revenu annuel, ce qui les ruine.

La retraite n’arrange rien, à 60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes, pour ne leur laisser qu’une pension famélique. Aussi le système n’est respecté qu’en ville où, à 65 ans, 80% sont au repos tandis qu’au village, à 80 ans, ils sont toujours 4 sur 5 à travailler.

En plus, la santé est moins bonne en Chine qu’en Occident. L’enquête CHARLS estime à 100 millions les vieillards souffrant d’hypertension (cholestérol…), soit plus de 50% de la tranche d’âge, dont 40% ne se soignent pas, faute d’en être conscients. 

Surprise, contrairement à la tendance mondiale, les femmes âgées se portent moins bien : 59% font de l’hypertension (contre 49% des hommes), 47% sont dépressives (32%), 28% sont en dépendance pour les soins rapprochés (20% ), et 39% souffrent de douleurs constantes (24%). Elles sont aussi plus souvent sujettes à des troubles cognitifs (2,73 mots rappelés sur 10, contre 3,09 à leurs compagnons). 

En fait, un tel bilan de santé chinois n’est pas si insolite : « il est typique d’une société juste passée à l’ère moderne et rappelle la manière dont on vieillissait en Europe il y a 50 ans », commente cet expert. 

Treize ans après avoir franchi le seuil démographique du vieillissement, la Chine s’éveille. Désormais, l’Etat se voudra « garant en dernière instance », offrant en plus de l’habit et du couvert qu’il garantissait jusqu’alors, un toit, les soins médicaux et une sépulture, le tout en service intégré. 

De son côté, le 1er ministre Li Keqiang vient d’annoncer (16/08) une loi imminente pour un nouveau cadre de la vieillesse, destiné à accélérer l’arrivée d’une industrie compétitive car vu l’immensité de la tâche, il est impossible à l’Etat de se reposer sur lui seul. Tout en attirant le privé, l’Etat veut fusionner les agences existantes en des centres régionaux du 3ème âge.
Les 500.000 ONG du pays devraient aussi jouer leur rôle et obtenir soutiens et subventions – elles viennent déjà de recevoir cet été un nouvel enregistrement qui accélérera leur accès à une existence légale. 

Enfin, dans ce nouveau cadre, l’étranger sera courtisé, encouragé à investir bénéficiant d’une simplification des procédures et d’autres grâces fiscales. En matière de gériatrie, son avance sur la Chine est telle que sans son aide, Pékin ne peut espérer atteindre son objectif d’ici 2015 de 30 lits d’hospice par 1000 personnes âgées, contre 21,5 à présent. 

Parmi les candidats à ce marché d’avenir, figurent déjà quelques groupes précurseurs, tels le Singapourien IHC et les Français Orpea Group et Colisée Patrimoine Group (cf. notre article dans ce numéro).