Le Vent de la Chine Numéro 2

du 13 au 19 janvier 2013

Editorial : Réformes du droit et guerre pour les rênes du pouvoir

À peine le nouveau pouvoir constitué, (issu d’une guerre de succession sans pardon entre les mouvances conservatrice de Jiang Zemin, libérales de Hu Jintao et Xi Jinping), la bataille se poursuit, avec pour enjeu le déblocage des réformes, et la reprise des rênes du pouvoir réel aux niveaux intermédiaires. Le signal fut donné le 04/12 par Xi Jinping devant le Comité Central, commémorant le 30ème anniversaire de la 3ème Constitution du pays. Le nouveau leader y exaltait le «rêve de la Chine» (Zhōngguó mèng, 中国梦) et le «rêve d’Etat de droit» (xiànzhèng mèng, 宪政梦). 

Le 01/01, l’hebdomadaire cantonais Nanfang Zhoumou voit détourner ses vœux aux lecteurs, basés sur ces principes de Xi Jinping. S’ensuivit alors un rare bras de fer entre le Nanfang Zhoumou soutenu par les media et l’internet, et la propagande centrale pilotée par les leaders Liu Qibao et Liu Yunshan

Puis le 07/01, Xi Jinping et Meng Jianzhu, l’ex-ministre de la Sécurité publique, juste promu chef de la Commission politique et légale, convoquent cet organe et y annoncent des réformes légales sans précédent.
L’action s’accompagne d’une attaque en règle contre les comités politiques et légaux et comités juridiques dans les provinces. Deux réformes concernent le permis de résidence (hùkǒu, 户口) et le droit de pétition. Visant à assainir le climat social et améliorer la qualité de la justice, elles sont importantes, mais on attend les détails. 

La 3ème vise le mécanisme des tribunaux, et exige rien de moins que la séparation du système judiciaire et du Parti. Meng critique l’institution toute puissante des « comités juridiques » qui, dans chaque tribunal, « passent aux juges en audience des petits papiers » dictant leurs verdicts, le plus souvent sur base vénale (source de profit pour ces hobereaux rouges locaux). 

La 4ème réforme est de loin la plus symbolique : Meng et Xi prétendent fermer dès 2013 les 320 camps de rééducation par le travail (láojiào 劳教 ), créés en 1955 sur le modèle soviétique pour isoler les déviants jusqu’à quatre ans sans jugement (à ne pas confondre avec les láogai 劳改, pour ceux, condamnés), qui abriteraient 160.000 bagnards.
Critiqués, les laojiao voient leur fin préparée depuis des années, mais demeurent « appréciés » des cadres provinciaux qui exploitent cette main d’œuvre gratuite. Or, une heure après l’annonce de cette réforme, celle-ci disparaissait des sites internet officiels, dévoilant ainsi la déchirure au sommet de l’appareil. 

On est aujourd’hui à un tournant, pour l’image de Xi Jinping et l’espoir suscité par sa promesse de changement : si les laojiao disparaissent, ce sera le signe le plus clair de la détermination du régime à se purger de ses mauvais génies. Sinon, on retombera dans la case précédente, celle d’un système voué à répéter sans cesse des promesses non tenues. Sauf que cette fois, la société est à bout, surtout ses corps socio-professionnels (des sportifs, aux avocats, en passant par les religieux et les universités) qui réclament la liberté d’association collégial, demande incompressible pour s’organiser, se doter de règles plus efficaces et rejoindre le niveau de compétence internationale, mais qui signifie la fin des privilèges des nantis du Parti.

Au fond, ces deux campagnes simultanées contre la presse et pour des réformes vers l’Etat de droit sont liées : l’aile réformatrice de Xi Jinping (et derrière, Hu Jintao) tente de reprendre les bases du pouvoir aux conservateurs à tous les niveaux (province, district, canton etc), dont les leaders implantés au sommet par Jiang Zemin mènent la contre-attaque. 

Cette bataille est aussi celle des dernières nominations, qui auront lieu avant mars. Wang Yang et Li Yuanchao, libéraux, seraient respectivement vice-1er ministre et vice-Président de la RPC, face à Zhang Gaoli l’autre vice-1er ministre conservateur. Tandis qu’en face, Bo Xilai, le grand perdant de cette phase, est déféré à la justice (09/01)… À suivre.


Environnement : Pollution fluviale et mémoire d’éléphant

L’histoire bégaie. L’hiver 2005, au Heilongjiang, l’avarie d’une raffinerie de la CNPC déversait des tonnes de benzène cancérigène dans la rivière Songhua. Les autorités locales tardaient quelques jours à admettre la catastrophe écologique, qui privait des millions de citadins d’ eau courante, provoquant des achats de panique d’eau—avant d’atteindre la Russie, elle aussi prise de court. 

Et voilà que le 31/12/2012 à Changzhi (Shanxi), suite à la rupture d’une canalisation due au gel, l’usine carbochimique de Tianji perd 39 tonnes d’aniline, dérivé de benzène, dont 9 passent dans la rivière Zhuozhang. Or, la mairie attendra 5 longs jours avant de lancer l’alerte : elle croit, de prime abord, n’avoir perdu qu’1,5 tonne (un cadre lui a menti, sur les dimensions de la pollution). Par la suite, elle s’en justifiera d’une manière assez légère, invoquant les règlements qui l’autorisent à garder le silence « tant que la crête de pollution n’a pas dépassé son territoire ». 

De ce fait, elle empêche administrations et populations en aval de se préparer et laisse le taux en effluents toxiques atteindre jusqu’à 720 fois le plafond autorisé, au passage du Shanxi au Hebei. Jusqu’à ce que flottent le 4/01 des millions de poissons morts…Dès le 5/01 au soir, Handan (Hebei) et Anyang (Henan) coupent l’eau potable à 3 millions d’usagers. 

Entretemps, des mesures ont été prises : des agents nationaux de l’environnement, sur place, permettront de rétablir le réseau sous 24h, des stocks d’eau potable ont été rassemblés pour limiter les achats de panique. Le patron de l’usine, le n°2, et deux autres cadres, ont été licenciés. 

Ce qui n’empêche Ma Jun, directeur d’un Institut des affaires publiques et d’environnement à Pékin, de qualifier l’incident de « sérieux » de par son volume et sa toxicité. L’aniline est aussi cancérigène, de surcroit inodore et incolore (indétectable au robinet). Zhang Bao alors, le maire de Changzhi, présente une autocritique tardive, s’accusant de « compréhension et vigilance insuffisantes sur les problèmes de pollution environnementale ». 

La malchance veut que dans la même province, un autre accident se soit produit 6 jours plus tôt. Le 25/12 à Linfen, un dynamitage dans un tunnel en cours d’excavation a causé 8 morts : les cadres ont différé de 8 jours l’annonce. Suite à quoi la population s’est indignée sur internet, et Li Xiaopeng, le vice-gouverneur, a promis de punir avec fermeté toute tentative future d’étouffer de telles catastrophes. Mais il n’a pu en éviter une, et le même comportement, dans la foulée. 

Fâcheuse coïncidence : d’ici quelques jours, Li Xiaopeng doit être formellement confirmé Gouverneur par le Parlement local. Il n’en faut pas plus à de nombreux internautes, via Weibo, pour parler d’agissements « criminels » et de réclamer une enquête. 

Ces attaques ont un substrat émotionnel. Li Xiaopeng n’est pas des plus populaires dans le pays. Il est « petit prince », fils de Li Peng, qui dirigeait de main de fer, 24 ans en arrière, la répression du Printemps de Pékin place Tian An Men. Un fardeau lourd à porter, car sur de telles choses, la rue chinoise a une mémoire d’éléphant. 


Diplomatie : Gonflé par la Chine, le Cambodge, nouveau dragon d’Asie

En décembre 2012, Pékin offrait 50 millions $ et les frais de funérailles de N. Sihanouk à son voisin, le Cambodge, au moment où ce dernier bloquait le débat, au sommet de l’ASEAN de Phnom Penh, sur un « code de conduite » en mer de Chine. Sous prétexte de refuser d’« internationaliser » ce litige, il satisfaisait la Chine, qui prétend régler l’affaire bilatéralement. 

A l’époque, on s’étonnait du prix de la défection cambodgienne, vu l’importance du service rendu : c’était la solidarité de l’ASEAN qui volait en éclat, pour les besoins du géant chinois. Lequel, par le passé s’était montré plus généreux envers Phnom Penh, lui offrant 1,2 milliard de $ en 2010 de la main de Xi Jinping (juste après la remise par le Cambodge de 20 dissidents Ouighours réfugiés sur son sol), assortis de 50.000 uniformes et 257 camions militaires (remis par Hu Jintao). 

Or, le soutien de Pékin va en fait bien plus loin. Pour le Royaume dirigé par Hun Sen, on peut parler de métamorphose et de lancement par la Chine dans l’ère industrielle, ce que ni l’ASEAN, ni l’ex-puissance coloniale n’avaient su faire. 

Côté militaire, l’aide se poursuit avec la livraison de 12 hélicoptères Z9 made in Harbin, engins utilitaires clones du Dauphin d’Eurocopter, conçus pour 14 passagers. Livrés d’avril à août, ils sont financés par un « prêt » de 195,5 millions de $ octroyé en 2011. La Chine offre aussi de la formation. De la sorte, militairement, Phnom Penh peut tenir tête à Hanoi et Bangkok, ses puissants voisins.

Côté industriel, les projets sont grandioses. La compagnie Cambodia Iron&Steel commande (31/12) à China Railway Group une aciérie intégrée de 14 km² à 1,6 milliards de $ en province de Preah Vihear. Une ligne de chemin de fer portera l’acier du Nord au Sud-Ouest du pays jusqu’au terminal sur l’île de Koh Smash (province de Koh Kong). Ses 11 gares permettront de développer les 4 provinces traversées (404 km) et transporter bien d’autres frets et passagers. Ligne et port coûteront 9,6 milliards $. Les chantiers débuteront entre janvier et juillet 2013, et s’achèveront en 2017. 

Trois jours avant (28/12), Sinomach, groupe d’Etat de Shanghai, signe avec la Cambodian Petrochemical un contrat qui ouvrira en 2016 une raffinerie de pétrole d’une capacité de 5 millions de tonnes de brut, à 2,3 milliards de $ (100.000 barils par jour). Une ligne ferroviaire transversale, un terminal, une aciérie, une raffinerie : tous les outils nécessaires et suffisants pour lancer une industrie nationale. Ce projet part de zéro : aucun de ces outils n’a d’embryon sur lesquels s’appuyer. Mais par ses projets de développement intégré à travers le monde, en Afrique notamment, la Chine a appris aux observateurs à prendre au sérieux ce genre d’annonce hors du commun. 

Tout cet effort chinois est sous-tendu par deux intérêts. Selon sa stratégie, la Chine paie pour s’assurer une fidélité dans l’ASEAN, influencer cette dernière et l’intégrer à son propre marché, tout en faisant oublier le contentieux sur la mer de Chine et en prévenant toute action collective antagoniste. D’autre part économiquement, des dizaines de milliards d’€uros d’actifs chinois (notamment textiles) se délocalisent vers l’Asie, dont le Cambodge récupère sa part, avec un salaire moyen à 130 $ contre 400 $ en Chine. Aussi la banque mondiale lui prédit un PIB en hausse de 7% par an d’ici 2017. Pour ce petit pays qui a tant souffert, c’est peut-être enfin la sortie du tunnel !


Automobile : Renault à Wuhan, bientôt le grand saut !

Renault retient son souffle, après 20 ans d’efforts pour s’implanter en Chine. 

En 1993, l’ex-régie créait avec Sanjiang (Hubei) une JV de fourgonnettes Traffic, mais se retrouvait contrainte 11 ans plus tard de fermer, faute de succès commercial. En 1999, le groupe se renforçait en Chine, grâce à l’entrée de sa filiale Nissan, en partenariat avec Dongfeng. Depuis 2004, Renault à son tour négociait avec ce partenaire, sa secondre entrée dans l’Empire du Milieu. 

C’est seulement maintenant qu’un accord de principe est conclu – soumis au feu vert de la toute puissante NDRC. Mais en décembre 2012, le Hubei « vendait la mèche » en soumettant le projet à l’avis du public : c’est à Wuhan, sa capitale, que doivent débuter dès mars les travaux de l’usine, d’une capacité de 150.000 unités pour commencer. 

Mais Wuhan est une déconvenue pour le groupe, qui préférait Canton – gros marché que se partagent peu de griffes étrangères, parmi lesquelles Nissan et Honda. 

L’investissement est de 7,2 milliards de ¥. Les modèles à produire en 2016 restent inconnus (Koleos, un SUV ?). Ce qui est sûr, c’est que Renault-Chine prépare une large gamme, mi-produite sur place, mi-importée de son usine coréenne, et un fort réseau de vente de 200 concessionnaires d’ici 2015 (contre 100 à ce jour). Le moment est opportun : en 2012, le marché chinois a dépassé l’Europe en ventes automobiles, avec 14,68 millions d’unités (+6,8%) contre 12,5 millions pour le marché européen, en recul d’1,1 million. 


Diplomatie : Pierre Moscovici au charbon à Pékin

Toute la journée du 08/12 à Pékin, au futur 1er ministre Li Keqiang, à Lou Jiwei patron de la CIC (China Investment Corporation) et à une kyrielle d’investisseurs, P. Moscovici, le ministre français des Finances martela ce mantra : « la crise de l’ Euro est finie ». 

Les nombreuses mesures adoptées par les 27 Etats membres, l’intervention accrue de la BCE, (la Banque centrale européenne), le grand nettoyage grec, la supervision intégrée des banques dès 2013, cela rendrait l’Euro insubmersible. L’action communautaire de relance manque encore, mais elle ne tarderait plus. 

Ses interlocuteurs n’ont manifestement pas tous été convaincus. Même les étudiants de Renda qui évoquèrent les critiques de J. Stiglitz, Nobel d’économie, (qualifiant de «suicidaire» l’austérité imposée par la chancelière A. Merkel), et la perte par la France du AAA par deux agences de notation. Avec 3310 milliards de $, la Chine a les plus fortes réserves en devises, dont jusqu’à 40% en Euros. Elle a donc prouvé sa détermination à soutenir la zone euro, et en cas de casse, elle serait partie perdante. 

Hormis ce but de rassurer les partenaires et de les convaincre de venir investir en France « 5ème puissance mondiale », P. Moscovici était aussi venu rappeler que son pays était en pointe dans l’usage du yuan comme devise, avec 10% des échanges bilatéraux conduits en RMB et 10 milliards de ¥ détenus en France. Il s’agissait aussi de préparer avant l’été une visite du Président Fr. Hollande – qui serait ainsi un des tous premiers reçus par le nouveau pouvoir chinois ! 


Société : « Nanfang Zhoumou », un incendie (mal) éteint

Qui décida de « caviarder » les vœux du Nanfang Zhoumou – le niveau local ou le central ? En tout cas, l’article réécrit par Tuo Zhen, le chef local de la propagande, fit sortir de leurs gonds les travailleurs de l’hebdomadaire, et bientôt, ceux des media du pays, et de millions de citoyens. La rédaction se mit en grève, osant réclamer le démantèlement de la censure : une revendication plus vue depuis mai 1989, quand le World Economic Herald (fermé depuis) avait rejeté le contrôle du Parti, accusant le pouvoir du décès de Hu Yaobang, qui avait provoqué l’insurrection du Printemps de Pékin. 

Mais pour les « faucons », cette censure, garante de la survie du Parti, est non-négociable. Liu Yunshan (Comité Permanent) et Liu Qibao (Bureau Politique), leaders de la propagande, réagirent le 7/01 à 01h du matin en réaffirmant la primauté du Parti sur la presse, innocentant Tuo Zhen, évoquant l’action de « forces ennemies d’outre-mer », et ordonnaient à tous les média de reproduire un éditorial du Global Times.

Une telle fermeté fut contreproductive. Face à cet oukase, la presse garda en tête les réformes de Xi Jinping et Meng Jianzhu vers l’Etat de droit, et put décrypter ce qu’impliquait la juxtaposition de signaux contradictoires : un conflit interne. Aussi la plupart des médias ignorèrent l’ordre. 
Le Xingjingbao (« Beijing News») à Pékin, n’eut pas cette latitude, ayant été convoqué par les chefs de la propagande. Il publia donc l’édito forcé mais seulement en page 20. Les journalistes eux, refusèrent de le signer, pour montrer que cette page n’était pas de leur fait, et le rédacteur en chef présenta une démission qui lui fut refusée. 

À Canton, la grève au Nanfang se durcit, soutenue de centaines de manifestants et de centaines de milliers d’internautes. Le 08/01, Hu Chunhua, le jeune Secrétaire provincial, vint au journal négocier, avec succès : la grève fut levée. Toutefois, les concessions du pouvoir semblent incroyablement lourdes : les journalistes ne seraient pas punis, Tuo Zhen, le censeur, et Huang Can, le rédacteur en chef, trop lié au Parti, quitteront leurs postes sous quelques semaines. Tout contrôle direct des articles disparaîtra –seuls resteront les outils indirects, comme la liste horaire des sujets tabous, et les sanctions en cas de viol. 

Dès le 9/01, le journal refonctionnait. Mais l’accalmie apparaissait fragile. Le 10/01, il publia un appel modéré en faveur d’une « remise à jour » de la censure, et d’une protection des média « raisonnable et constructive ». On en est là. Entre presse et propagande, la population s’exprime donc avec une audace nouvelle. Telle cette internaute : « ce dont la Chine a le plus besoin, n’est pas d’un porte-avion, mais d’un journal qui dise la vérité » !