Le Vent de la Chine Numéro 10

du 17 au 23 mars 2013

Editorial : Les habits neufs du Conseil d’Etat

« Nous refusons tout jusqu’au-boutisme en réforme politique…Jamais nous n’adopterons le système occidental ». Avec ces 1ers mots de Yu Zhengsheng, juste nommé Président de la CPPCC, le ton est donné : pas de réforme à attendre des vieux alliés de Jiang Zemin, placés par lui au pouvoir suprême en novembre 2012. Mais voilà qu’en face, Xi Jinping, le n°1 rétorque le 11/03 par l’éditorial du Quotidien du Peuple : « respectez le marché, redécouvrez la société. Notre réforme de fond doit limiter les pouvoirs de l’administration, laisser les citoyens jouer leur rôle ». 

En filigrane des travaux de l’ANP (Assemblée nationale populaire) se déroule ainsi un «combat des chefs», sur la portée des changements de politiques et de la restructuration du Conseil d’Etat.
Résultat: les avancées sont là, mais loin de l’ambitieux concept discuté depuis des mois* : l’organigramme compte 25 ministères, au lieu de 18 attendus.
Parmi les percées, figure la fusion des instances de qualité alimentaire (cf VdlC n°9). Peut-être un test, destiné à démontrer aux sceptiques qu’un organe fusionné assure un meilleur résultat. Autre fusion, celle des 17 autorités de la mer (police, douanes, pêcheries…). Le prétexte est une meilleure emprise sur les îles Diaoyu-Senkaku. Le Japon voit une « menace ». Mais cet organe renforcé pourrait aussi brider toute sorte d’abus, surpêche, destruction de la côte et incursions «patriotes» vers les eaux litigieuses, donnant ainsi plus de chance à la négociation multilatérale. 

Le démantèlement d’un ministère des Chemins de fer est applaudi. Celui qu’on appelait le « parrain » ferroviaire, trustait depuis 10 ans les contrats : il créa dans l’intervalle le 1er réseau de TGV du monde, d’une qualité incertaine, au prix de centaines de morts par accident. Il se retrouve donc subdivisé entre une tutelle confiée au ministre des Transports sous la férule de Yang Chuantang, et une corporation qui s’ouvrira au privé pour les fournitures voire la gestion. L’épongeage partiel des 2660 milliards de ¥ de dettes lui permettra d’aller en bourse et de s’assainir. 

Succès aussi en planning familial, même si les officiels insistent à croire que rien ne changera. Mais avec la fusion au ministère de la Santé sous les ordres de mme Li Bin, c’est son mandat qui disparait, sous l’impératif urgent de relancer la natalité, afin de pouvoir financer les pensions dans 20 ans. Mais quel sera l’avenir pour ses 500.000 fonctionnaires ? 

Face à ces avancées, il y a aussi des ratages.
Pas de super ministère de l’Energie (les lobbies gagnent des années de sursis). Pas de renforcement des Affaires étrangères, par la montée d’un diplomate au Politburo: au lieu de Wang Huning, juste élevé à cet organe, Yang Jiechi passe Conseiller d’Etat, et Wang Yi, ministre des Affaries étrangères. 
Pas de baisse de pouvoir pour la NDRC (, malgré les rêves de Li Keqiang de donner plus d’autonomie aux secteurs productifs. En environnement, au lieu du dynamique Pan Yue que la rumeur voyait déjà désigné, Zhou Shengxian le ministre sortant est reconduit –mais réélu avec le plus faible score de tout le cabinet (2734 voix), tandis que le comité « environnement » de l’ANP encaisse 850 voix contre et des «bouh!», record de contestation dans l’histoire du Parlement chinois, inviolé depuis 1992.
Enfin les ONG resteront partiellement contraintes à l’illégalité. Elles sont 4 millions en Chine, volontaires, altruistes et privées, présentes en tous domaines (na-ture, 3ème âge, santé) Seules 10% (les plus «pistonnées ») sont légales, les autres dépendant pour leur survie de l’arbitraire du prince. Selon la nouvelle règle, seront homologables celles de type
« scientifique », tandis que celles « politique, légale ou religieuse » devront toujours « trouver la protection d’une agence publique ». Mais une ONG de lutte contre le Sida : est-elle politique ou scientifique, et qui établit la distinction ?
Manifestement pour quelques années encore, la société de base ne sera pas encore bienvenue dans la gestion de ses propres affaires, jalousement gardées aux mains d’instances proches du Parti. 

* cf « Xi Jinping, la nouvelle ère », notre étude politique, dont nous préparons une importante mise à jour, incluant les nouveaux profils des ministères, les CV des ministres…


Religion : « HABEMUS PAPAM »

L’élection en la chapelle Sixtine de François (cf photo), premier pape du nom (13/03), suscite bien des espoirs de meilleure coopération et de reconnaissance mutuelle entre chrétiens et communistes en Chine, entre Zhongnanhai et Vatican. 

Depuis 2010, ce cheminement est entièrement bloqué et les vieilles méfiances réciproques règnent. 

Côté Rome, trois évêques nommés par Pékin ont été excommuniés. 

Côté Pékin, la Conférence épiscopale (une des deux instances officielles) radiait fin 2012 et assignait à résidence Damien Ma Daqin, évêque de Shanghai, pour avoir souhaité se retirer de l’autre tutelle religieuse, l’APC (Association Patriotique Catholique). Et en dépit de la fonte du nombre des prêtres d’active, deux séminaires étaient fermés, dont celui du Shanxi (07/01). La dernière fois que Pékin évoquait la chrétienté catholique (18/02), c’était pour lui dicter ses conditions préalables à toute normalisation (pas vraiment signe de souplesse) : « lâcher Taiwan » et « éviter de se mêler des affaires chinoises internes ». 

Pourtant sous Benoit XVI, les choses n’avaient pas si mal débuté. En 2007, le Pape émettait une lettre ouverte à l’Egli-se chinoise, qui appelait au dialogue et respirait un esprit de compromis. En face, il y avait eu réponse, rencontres discrètes ; l’on commençait à pratiquer des nominations conjointes, désignées par une partie sur base de la liste de l’autre. Que s’est-il passé pour casser le processus ? 

Un ensemble de causes ont joué. Les luttes de succession de Hu Jintao ont causé une radicalisation. D’autre part, les tutelles, Conférence et APC freinent un concordat où elles ont tout à perdre, à commencer par leur existence spirituelle (car c’est le Pape que l’on écoutera) et matérielle (il faudra restituer des biens d’église, tel le séminaire pékinois, domaine sans prix au cœur de la ville). Aussi c’est la Conférence et non le pouvoir qui a dicté, puis annoncé le châtiment de Ma Daqin. Même si la perte d’image, internationale et interne dans l’église chinoise, est pour le régime. 

En outre, le Parti aussi se fait un certain souci, face au réveil de la spiritualité. Plus la morale civique recule, sapée par la corruption et la course à la fortune, plus la population spoliée cherche refuge vers les religions, qui accueillent des conversions par millions, y compris parmi les couches les plus éduquées et au sein du Parti. Catholiques, protestantes et bouddhistes, les chapelles de l’ombre foisonnent, bravant la persécution : dix prêtres clandestins au moins sont en prison. 

L’arrivée de François libère des espoirs. Le nom du nouveau pontife, fait référence au Saint d’Assise, et aussi à François-Xavier, 1er évangélisateur à avoir mis pied en Chine en 1552. On entend aussi les appels des deux bords : ceux de l’évêque Jean Fang Xingyao, Président de l’APC, et de Jean Tong, évêque de Hong Kong, membre du Conclave. Ren Yanli, chercheur à la CASS voit en cette élection la chance d’un nouveau départ. À l’en croire, Li Keqiang et Xi Jinping «se documentent, prennent leur temps, avant de décider». Comme si le mal était venu, sous le pouvoir précédent, d’un abandon du dossier à ceux qui avaient le plus grand intérêt à la stagnation. 


Politique : Les deux plenums lavent plus blanc que gris

Graves ou légers, nombre de sujets se discutaient la semaine passée, aux deux plenums qui viennent de s’achever :

– Le cas de Li Tianyi s’aggrave. Accusé de viol collectif, ce fils du Général-ténor Li Shuangjiang est aussi convaincu de mensonge sur son âge, pour bénéficier d’une sentence allégée en tant que mineur. Il avait déclaré 17 ans, il en aurait 19, dit la presse. Si l’on s’acharne sur ce jeune, ce serait en raison d’un comportement d’enfant gâté, mais surtout de luttes de faction (cf Vdlc n°9)

– L’anglais fait des ravages à l’école, déplore devant la CCPPC le chercheur Zhang Shuhua. Trop populaire, il fait oublier… le chinois, dont le niveau se délite, sans pour autant améliorer celui des jeunes en la langue de Shakespeare, qui reste obligatoire même lorsque l’on se destine à la médecine ou à l’histoire ancienne… 

Corruption et évasion fiscale sont au cœur des deux assemblées. Un professeur, Zhu Lijia, estime à 1,2 million le nombre des hauts cadres « nus », dont fortunes et familles sont déjà sorties du pays, et les attendent au chaud. En 2011, selon une étude de Boston Consulting et de CCB, les riches avaient mis au frais 446 milliards de $ hors frontière, 3% du PIB, chiffre qui devrait doubler sous 5 ans. Certains préparent l’émigration pour éviter enquête et emprisonnement, d’autres pour contourner le futur impôt sur l’héritage. 

Mue par la même préoccupation, une autre fraude fiscale réside dans l’épidémie de divorces comptables : ces couples comptent poursuivre leur vie maritale, mais se séparent afin de contourner l’imminente taxe foncière, chacun conservant un seul appartement, plafond de l’exemption. 

D’ici 2015, à +20%, les millionnaires en $ seront 2 millions, et les multimillionnaires (15 millions de $ et plus) 130.000…Or selon l’économiste Wang Xiaolu, cette classe cache au fisc un total de 2340 milliards de $ par an, oist 20% du PIB. Mais Ma Kai, patron du Conseil d’Etat, annonce sa riposte avec un registre unifié des biens fonciers et des patrimoines (dit « code de crédit social ») pour les suivre à la trace. On prête aussi à Wang Qishan, nouveau patron de la police du Parti, le projet d’une campagne, à peine les plenums achevés, grand « coup de torchon » sur cette caste hors de contrôle depuis 10 ans.

– Pas étonnant dans ces conditions, que plus de 50% des cadres, selon un sondage fin février, souffrent de weibophobie, de terreur du twitter chinois, outil de masse qui risque de dénoncer leurs fredaines. Ce qui ne les empêche, en tout illogisme, d’approuver à 70% son usage, pour dénoncer ces enrichissements abusifs…mais pour débusquer les autres ! 

– Dernier sujet qui émeut les édiles : la noirceur des cheveux des plus âgés d’entre eux, artifice pour réparer des ans l’irréparable outrage ! Pour les uns, cette teinture témoigne d’hypocrisie et applaudissent Zhu Rongji, l’ex-1er ministre qui, à 84 ans, vient d’oser s’exhiber en poivre et sel, sincère et naturel. « Mais, disent les autres, le gris, c’est le vieux, la porte de la mort—le noir, c’est la discipline, la force du pouvoir » … Faites votre choix !


Diplomatie : Pyongyang : un cran de plus dans la sévérité

Suite à l’essai nucléaire mené par la Corée du Nord (12/02), l’ONU vota le 7 mars des sanctions auxquelles la Chine s’est associée, raidissant ainsi son attitude envers son petit voisin. Dès le lendemain, aux postes-frontières de Dalian, Dandong et d’ailleurs, douaniers et policiers contrôlaient plus sévèrement camions et navires chargés de riz pour le pays du Matin calme. De source japonaise, les marchés du dernier paradis du stalinisme connaitraient une fièvre des prix. 

En même temps, une fuite venue des banques chinoises (forcément orchestrée par le PCC) révèle à Shanghai des centaines de millions de $ placés par le jeune leader Kim Jong-un. Séoul et Washington réclament, suivant les sanctions votées, le gel de ces fonds susceptibles de passer dans des missiles et des bombes. Or pour l’instant, Pékin s’abstient, préférant « vérifier d’abord le statut et l’usage » de ces fonds. 

Clairement irrité des foucades de son voisin, la Chine a perdu patience. Mais par tradition politique, elle préfère l’homéopathie aux traitements de choc : si la Corée du Nord devait s’effondrer, ou se lançait dans des aventures balistiques désespérées, le remède serait pire que le mal. De plus, elle se trouve liée avec Pyongyang par un traité d’amitié… 

Enfin, dans sa gestion du dossier nord-coréen, Pékin doit aussi, de plus en plus tenir compte de sa propre opinion, exaspérée, et comprenant . 
toujours moins sa permissivité.


Sécurité Alimentaire : Crise d’hygiène – la « soupe porcine shanghaïenne »

Fort souci d’hygiène à Shanghai : en 8 jours,  plus de 13.00 carcasses porcines (et toujours plus) ont été repêchées dans la rivière Huangpu, source d’eau potable de la « tête du Dragon ». 

De quoi ces bêtes sont-elles mortes et où ? Les plus invraisemblables suppositions courent, comme ces cadres qui avancent le « froid de l’hiver », une « nourriture inadaptée ».

D’autres relèvent sur quelques carcasses la présence d’un « circovirus ». Tous s’empressent de rassurer « aucun risque de santé publique, le virus n’est pas transmissible à l’homme », et ils désignent Jiaxing (Zhejiang), le foyer d’origine, à 100km en amont. « Un paysan aurait avoué avoir déversé à la rivière les carcasses de ses cochons », dit Xinhua, un peu vite. 

Les vétérinaires dénoncent non le paysan, mais le cadre, incapable de gérer. D’ordinaire plus prévoyant, Pékin n’a créé aucun fonds de compensation en cas d’épizootie, et les assurances ne couvrent pas ce risque. Aussi quand la maladie apparait chez ses bêtes, au lieu de la déclarer, l’éleveur la cache dans l’espoir de les voir guérir. Et quand advient le pire, il les jette à l’eau pour s’épargner les frais d’équarrissage. 

Les langues se délient : ce cas n’est nullement le 1er, juste un peu plus grave. Et il dénote une prise de conscience générale, d’une pratique qui devient aujourd’hui inacceptable. Les résultats de l’enquête en cours du ministère de l’Agriculture, donneront une idée de la détermination du tandem Xi Jinping – Li Keqiang, à éradiquer cette pratique laxiste à l’avenir. 

Légende photo : Sur Weibo, la parodie de l’affiche du film « Life of Pi » devient « Life of Pig »


Politique : Clôture Session Parlement – Li Keqiang : une conference-”révolution”, pour changer de Chine

Avec la restructuration du Conseil d’Etat juste approuvée, « nous n’avons certes pas atteint la réforme idéale », déclara Li Keqiang, dimanche 17 mars en la salle d’apparat du Palais du Peuple à Pékin. C’était son baptême du feu face à des centai-nes de journalistes chinois et étrangers – événe-ment rituel après l’intronisation de tout nouveau gouvernement. « Mais pour avancer, ajouta-t-il, il faut composer avec les réalités ». C’est en ce style nouveau, mêlant idéal démocratique et transparence que Li inaugurait son mandat, maniant les 2 maîtres-mots de « constitution » (Etat de droit) et d’« équité ».

Dès le départ, Li Keqiang veut « prendre ses responsabilités, et le courage de faire les choses » pour « remodeler l’Etat face au marché et à la société ». C’est peut être en citant l’échec de ses projets de super ministère de l’Energie ou de l’Environnement, qu’il citait les difficultés : « la structure actuelle est inadaptée… les citoyens sont frustrés, et il y a trop d’occasions de corruption mais pour changer les choses, il faut l’accord de trop d’instan-ces. C’est difficile et exaspérant ! » Mais Li promet de poursuivre : « sur les 1700 champs de compétence du Conseil d’Etat, nous promettons d’en retrancher au moins un tiers (durant notre mandat) ». Dans cette tâche qu’il entreprend avec Xi Jinping, Li voit « une révolution : il y aura des sacrifices à fai-re…nous sommes déterminés… nous ne nous défilerons pas ».

Un autre mot-clé au programme est celui de « dividende de la réforme, pour la société »: l’Etat va consommer moins, s’interdire de construire de nouveaux locaux, réduire les émoluments et les dépenses de prestige public: « nous devons (re-)gagner la confiance des masses en promouvant la frugalité ».
Et ici, même si Li prend soin de saluer d’abord la «solide fondation» léguée par l’ex-1er ministre Wen Jiabao, on a du mal à ne pas entendre comme une critique à ses prédécesseurs cette phrase : «c’est seulement quand on est pro-pre soi-même, que l’on peut exiger des autres de l’être aussi ». Promettant de ne pas viser le profit dans l’action de son cabinet, il réclame même la supervision de la société pour restreindre les abus des fonctionnaires -plus tard, parlant d’environnement, il réitère cette invitation aux masses de dénoncer, voire d’empêcher la pollution des entreprises. La corruption, pour lui, est « aux antipodes » de ce que veut le pouvoir, et il promet de la réprimer avec «toute la rigueur de la loi ».

Ceci, afin de financer l’urbanisation à grande échelle, le développement du marché intérieur par les franges basses et moyennes, ce dont il attend des dizaines de millions d’emplois nouveaux, des services, la croissance future. L’urbanisation, c’est aussi augmenter les dépenses de sécurité sociale pour que « tous les frais de santé soient remboursés », et pour que les comptes de retraite individuels soient transférables en Chine – point de départ pour supprimer, « à long terme », la citoyenneté à deux vitesses entre citadins et paysans…
Enfin, dans son auto-présentation au monde, Li Keqiang soumet nombre de déclarations vertueuses, mais peu de chiffres. Comme si trop d’ennemis, et trop peu de pouvoir l’empêchaient de s’engager sur des promesses quantifiables. C’est sans doute sage, mais cela ne plaide pas pour sa capacité à changer les règles du jeu et réaliser son programme, au moins à court terme !

Dernières nominations

Li Yuanchao nommé
Vice-Président de la République

Et au Conseil d’Etat
(1er Ministre, Li Keqiang) :

4 Vice-Premiers :
Zhang Gaoli,
Mme Liu Yandong, Wang Yang,
Ma Kai
5 Conseillers d’Etat et
25 ministères

Développements à suivre dans le prochain numéro et dans la mise à jour de notre étude : « Xi Jinping – la nouvelle ère »


Petit Peuple : Pékin : Hung Huang, femme au parfum de livre

Editrice de Time Out Beijing la revue (en chinois) des fashion victims, Hung Huang est d’une nature complexe et attachante, forcée par son passé de louvoyer entre son héritage américain aux exigences de clarté et de transparence, et sa Chine de toujours, qu’elle tente de faire bouger. Non sans succès : son blog est suivi par 16 millions de Chinois anxieux de rester à la page ! 

Sa vocation : aider sa société à faire le lien entre un état d’esprit simple des années ‘80, et ce XXI. siècle de jeunes révoltés, citadins, salariés, individualistes. Huang déconstruit : par ses conseils et son mode de vie, elle décourage le conformisme et la discipline, et encourage l’affirmation de soi, l’art, la musique, la bonne chère, toutes choses longtemps oubliées. 

Dans le quartier de Sanlitun à Pékin, Huang a aussi ouvert BNC (Brand New China), boutique avant-gardiste qui héberge et lance les collections de jeunes stylistes. 

Telle audace est rare en Chine, surtout chez une femme. Mais Huang fut formatée par ses origines, de longue date aux plus hautes sphères intel-lectuelles du pays.Son grand-père fut ministre de l’éducation sous Chiang Kaichek, notable sous Mao – mais refusa toujours d’adhérer à tout parti. Après la révolution de ’49, son père prof de fac fit comme lui, refusant sa carte au PCC. Sa mère par contre, fut le prof d’anglais de Mao, et après son divorce, prit en secondes noces un ministre des Affaires étrangères. Hung Huang elle-même s’en tint à cette tradition familiale des grands mariages, en comptant parmi ses époux, Chen Kaige, star du cinéma. 

Hung Huang naquit juste après le calamiteux « grand bond en avant». La révolution força souvent ses parents à de mystérieux exils à la campagne. Elle fut éduquée par ses grands-parents, dans une « cour carrée » traditionnelle. 

Son destin bascule à l’âge de 12 ans : sa mère l’envoie à New York, avec 4 jeunes espoirs de la nomenklatura, secrètement voués à une carrière d’ambassadeur ou de ministre. Mais l’éducation américaine la happe. Elle en reviendra à 24 ans bilingue, en grand conflit entre la subculture yankee et la morale chinoise dominante, patriotisme, service, fidélité à l’héritage antique. Elle fréquente donc les deux bords, chinois et expats, d’abord comme consultante, puis reprend en 1999 le magazine agonisant d’ un ami américain ayant tenté l’aventure de lancer un media gratuit en Chine. 
Aujourd’hui, Huang croit avoir réussi, en maintenant le titre à flots et en diffusant l’image d’une femme libre, dans une vie innovante. 

Pour autant, Huang reste lucide sur la perte de valeurs qui ravage la Chine, et l’incapacité de ses concitoyens à communiquer et dialoguer. Ce blocage, à son avis, pourrait autant être attribué au système, qu’au passé. Rien, à ce qui lui semble, ne résume mieux cette impasse que ce meuble (cf photo) qu’elle garde précieusement chez elle : un “ershisi shi”, (二十四史), ou “armoire des 24 dynasties”. Irrégulièrement cloisonné, il contient 24 réceptacles, un par dynastie, des Qin, (亲-221-209) aux Qing (清1644-1912), chacun plein de dizaines de monographies d’empereurs, imprimées en caractères classiques De ces meubles, croit Huang, il ne resterait que 200 au plus – le reste fut brûlé dans les autodafés de la Révolution. 

Pour cette artiste et femme d’affaires, l’objet d’époque Qing est son héritage, legs du grand-père. Mais il porte une signification contradictoire : il témoigne d’une culture sclérosée, peut-être même mort-née en un passé férocement autoritaire, et en tout cas stérile, puisque cet objet « de décoration » ne sort jamais ses livres, qui ne sont jamais lus. 

Mais il est aussi le rappel d’une famille intellectuelle, fidèle aux valeurs de transmission du savoir. Même après la révolution, la société chinoise conserve une vénération envers le lettré, qu’il soit riche ou pauvre. Ce petit meuble “ershisi shi” fait de son propriétaire (à condition qu’il s’agisse d’un objet de famille et non acquis sur un marché d’antiquités) un être de haut statut : «un genre de grand prêtre de la société», ajoute Huang avec un petit rire. « Nous sommes « shūxiāng mén dì » (书香门第), conclut-elle : une famille, dont on sent encore les origines, comme en odeurs, par « une porte dont émane toujours la fragrance des livres ».


Rendez-vous : Rendez-vous de la semaine du 18 au 24 mars 2013
Rendez-vous de la semaine du 18 au 24 mars 2013

19-21 mars, Pékin : CIPPE, Salon du pétrole, pétrochimie et équipements

19-21 mars, Pékin : EXPEC, équipements contre les risques d’explosion

19-21 mars, Shanghai : SOLARCON, Salon de l’énergie photovoltaïque

19-21 mars, Shanghai : Laser world of Photonics China

20-21 mars, Shanghai : Première Vision China, Salon du textile europ

26-28 mars, Shanghai : Domotex Asia, ChinaFloor, R+T Asia, Salons de revêtements de sols, portes, portails, volets déroulants