Le Vent de la Chine Numéro 27

du 2 au 8 septembre 2012

Editorial : Veille du Congrès – rentrée tendue !

A quelques semaines du XVIII. Congrès qui doit introniser le prochain gouvernement de 6eme génération sous Xi Jinping (Président-1er Secrétaire) et Li Keqiang (1er Ministre), Pékin se serait bien passé des trois drames routiers qui viennent d’endeuiller le pays. 

Au Shaanxi et au Sichuan (24/08), 2 collisions entre bus et camions firent 47 morts. À Harbin, la chute de 100m de rampe d’un pont autoroutier sur la rivière Songhua (26/08) a sévèrement choqué l’opinion et le pouvoir. 

C’était l’un des plus longs du pays (15km), des plus chers (300 millions de $), et plus récents (9 mois). Harbin fut prompt à innocenter les architectes, préférant accuser quatre camions en surcharge. Mais des experts, tel Chen Zhaoyuan de Tsinghua (Pékin), dénoncent une dérive récente, mêlant carriérisme et corruption.

Au cours des 10 dernières années, 200.000 ponts se sont construits, à rythme vertigineux. À présent, tout « politique » qui commande un pont, exige l’inauguration durant son mandat, et donc la tenue simultanée des études, du design et de la construction – une hérésie, pour les professionnels. Pour faire plus vite, on rogne sur la sécurité. Et pour payer les dessous de table, on recourt à des fournitures en dessous des normes du contrat.
L’impact de la critique est lourd : car les pratiques pour les ponts sont aussi celles des écoles et des usines. Sa capacité à tout faire, plus vite et moins cher qu’ ailleurs, le « miracle chinois », se fissure ! 

La Chine se trouve entraînée dans un maëlstrom de conflits maritimes pour le partage d’archipels, avec pas moins de 3 voisins (Vietnam & Philippines pour les Spratley, Japon pour les Senkaku-Diaoyu). Le cas des Diaoyu-Senkaku est le plus brûlant. 

Ces derniers mois, dans cette guérilla, force est de reconnaître que c’est Tokyo qui bouge, fort du soutien américain. En juin-juillet, les deux marines tenaient des exercices conjoints aux thèmes très suggestifs comme « la reprise d’une île ». En plusieurs déclarations, la Diète nippone et 1er ministre Noda dissipaient tout doute sur leur détermination à défendre l’archipel. Le Pentagone confirmait ses obligations légales au côté nippon en cas de conflit. Et Tokyo préparait pour octobre le rachat de 3 des 5 îlots, pour 25 millions de $, aux Kurihara, la famille propriétaire. Autant de gestes vécus comme des provocations en Chine, qui lançait (15/08) ses activistes de Hong Kong sur les îles, y déployer le drapeau rouge aux 5 étoiles, avant d’être expulsés par les Japonais. D’autres activistes nippons suivaient le 18/08, avant que Tokyo ne ferme la zone pour calmer le jeu.

Sur le fond : peuplées de pêcheurs jusqu’au XIX. siècle, aujourd’hui désertes, les Senkaku ont été prises en 1900 par les canonnières japonaises, puis gérées par Tokyo depuis Taiwan, sa colonie d’alors (qui depuis, les revendique). Elles passent en 1945 sous contrôle des USA, qui les rendent en 1972 au Japon. Enfin, détail important, jusqu’au tournant du siècle, ces cinq îlots incultes n’intéressaient personne, avant que l’on ne réalise le potentiel halieutique et minéralier de leurs fonds, et des routes maritimes passant à leur large. 

En même temps se réveillait l’antagonisme de nations aux ambitions rivales, pour le leadership sur l’Asie. Pour le socialisme chinois confronté à tant de problèmes internes et à une opinion nerveuse, la marge de concessions sur ses revendications extérieures, semble à peu près nulle. Aussi, ce bras de fer s’accompagne d’un réarmement – de la Chine et de toute l’Asie. Cet été a vu l’accélération du plan chinois de missile intercontinental DF41 (14.000km, et jusqu’à 10 ogives nucléaires), tandis que les USA déployaient au Japon leur « bouclier high-tech », tel le X-Band, radar d’alerte précoce, tout en envisageant de l’étendre aux Philippines et ailleurs. 

Cet effort est annoncé comme outil de défense contre… la Corée du Nord : prétexte qui ne trompe personne, mais qui avoue quand même son souci de maintenir et de renforcer l’alliance sino-américaine. En attendant des temps meilleurs !


Economie : Spectre de récession – mais « stabilisation » à l’horizon ?

Un temps protégée de la crise mondiale par sa non-convertibilité, la Chine commence à tousser, face à l’effondrement de son export. Du coup, à quoi bon investir ? Les banques qui prêtaient 920milliards de ¥ en juin, n’ont plus fourni en juillet que 540 milliards de ¥ (-40%!). 

Leurs « mauvais prêts » remontent (à + de 2%, dans le Zhejiang), sous les dettes « triangulaires » entre fournisseurs, transformateurs et commerçants. Aciéries, automobile, électroménager, partout c’est l’explosion des stocks. Juillet-août, l’Agence internationale de l’énergie prévoyait une baisse de la consommation de pétrole de 33%.Et pour le 9ème mois de suite, les patrons commandaient moins de fournitures, avec un indice de 47,8 en août contre 49,3 en juillet (50 étant l’indice d’une croissance étale). Le 26/08, la bourse retombait à son niveau de 2010. Pour la première fois dans son histoire chinoise, un groupe français majeur voyait son chiffre entrer en récession. Sans mystère, la croissance du 2nd trimestre était à 7,6% – à 0,1% du chiffre fatidique équivalent en Chine à une récession. 

Certes, ces difficultés ont été en partie « choisies » par le pouvoir : à laisser monter en neige l’immobilier et l’automobile, il risquait l’éclatement d’une bulle, tout en enfumant ses villes et en dépensant des sommes faramineuses en pétrole (importé à 50%, et lourdement subventionné). Aussi depuis 2011, ces secteurs se voient assujettir un frein sévère. Suite à quoi le 29/08, Zhang Ping, à la tête de la NDRC, prétendait voir la « stabilisation » de la crise chinoise, grâce à la cure forcée de ces secteurs, et à un nouveau train de grands travaux annoncé, tels ces 372 milliards de $ de crédits d’ici 2015 aux projets « bas carbone », dont 155milliards de $ aux coupes des dépenses énergétiques. L’essentiel ira à l’industrie, où l’Etat vise une économie de 300 millions de t de charbon/an. Le nombre d’aciéries devrait se réduire de 25% – surtout par concentration. 

Côté logement, dans 44 villes les prix repartent à la hausse : l’Etat laisse faire, pour sauver de la faillite ces groupes de génie civil qui « pèsent » 15% du PIB, et pour renflouer les provinces à sec– de janvier à juillet, leurs ventes de terrains (40% de leurs ressources) avaient baissé de 27,1%.

La semaine passée, Wen Jiabao promet en urgence de redonner force aux exportations. Ce qui se traduira, à court terme, par une accélération des paiements des restitutions à l’export et un renforcement des crédits disponibles à l’assurance-export, accompagnés d’une promesse de réduction des enquêtes et des taxes sur les entreprises. 

Mais s’arracher au marasme, le pouvoir, plus ambitieux, prépare depuis des années 3 ateliers géants afin de changer de modèle de croissance : il s’agit de déréguler le crédit (laisser les banques publiques, privées et étrangères commercer librement en yuan convertible), le foncier (reconnaître le droit inaliénable d’usage du sol), la taxation (pour offrir en impôts à l’administration les ressources qu’elle aura perdue en saisies), et assurer la redistribution plus équitable du PIB aux citoyens. 

En définitive, c’est à ces tâches (plutôt qu’à des réformes purement politiques) que devrait s’atteler le Comité Permanent, rajeuni et décisionnel, de Xi Jinping, et sur elles qu’il devra être jugé.


Politique : Un procès Gu Kailai, résolument dépolitisé

Le 20/08, le procès-éclair de Gu Kailai s’est conclu à Pékin : reconnue coupable du meurtre en novembre 2011 du Britannique N. Heywood, l’épouse de Bo Xilai est condamnée à mort avec sursis. 

Sans éclaircir aucune des questions sur les circonstances, le verdict en pose même de nouvelles, relevées par le réseau social Weibo. Avec son physique si différent, la femme au box des accusés était-ce bien Gu ? D’autres calculent que la peine réelle infligée (la perpétuité) pourrait en fait se limiter à 9 ans, en faisant jouer la remise de peine « médicale »… D’ailleurs, où se trouve Gu Kailai ? En prison ? En résidence surveillée ? Top secret !
Ce qui est clair, est que l’affaire a été jugée au pénal, expurgée de sa racine politique. Jamais le nom de Bo Xilai n’a été cité. Ni les tractations qui planaient alors entre lui et les différentes mouvances (« club de Shanghai », « clan des petits princes »), que le scandale a interrompu, tout comme sa carrière. 

On sait déjà que ce choix judiciaire, adopté aux plus hautes instances du Parti et de l’armée, visait à enrayer tant que se pouvait la perte d’image du régime, et à éviter la déchirure entre diverses fractions. Car Bo Xilai est issu de la nomenklatura (fils de Bo Yibo, un des 8 « immortels », compagnons de Deng Xiaoping). Et dans ce tout petit groupe de familles qui tiennent le pays, une seule règle tacite compte : « vous respectez nos enfants, nous respectons les vôtres ». 

Quelles suites peut-on attendre dans la gestion de ce scandale ? Quelles sanctions pour Wang Lijun (ex-bras droit de Bo), l’homme par qui le scandale arriva en février – quand il fuit au consulat américain de Chengdu ? Et pour Bo, sous le coup d’une instruction pour « sérieuses violations à la discipline » ? 

D’autres fautes ont déjà été relevées contre Bo, comme cette condamnation à deux ans de camp contre un de ses détracteurs, que la Cour Suprême cassa cet été (une procédure rarissime en justice chinoise). 

Bo est aussi soupçonné d’avoir brisé des entrepreneurs (sous prétexte de « mafia ») et confisqué leurs fortunes pour financer ses projets géants d’infrastructures : bravant la police secrète, certains se rendent à Pékin pour approcher la presse étrangère, se plaignant d’expropriations et de sévices de la part du tandem, aujourd’hui séparé et ennemi, Bo Xilai et Wang Lijun !

Vendredi 31/08, grande surprise, à l’issue des 5 jours de meeting du bureau du Parlement (ANP), contre toute attente, Bo Xilai n’y est pas destitué de son mandat d’édile, « du fait » (explique un port- parole) « que nul ne l’a demandé ». Ce qui a pour effet, entre autres, de maintenir le leader hors des griffes de la justice. Cela signifie aussi que le soutien à Bo, au plus haut lieu, reste suffisant pour geler la situation. Pour longtemps ? 

Sans doute pas. Hu Jintao attend l’imminent Plenum du Comité Central, avant le XVIII. Congrès, pour briser les dernières défenses de l’ex-« roi » de Chongqing : impossible de procéder à la nomination d’un nouveau pouvoir et à l’approbation d’un programme de réformes, avant d’avoir préalablement nettoyé de façon crédible les écuries d’Augias. 

Quelque soit le résultat de cette issue, dans ce jeu d’ombres, on peut prédire une baisse de crédibilité irréparable à court terme, pour l’image du Parti, endommagée par cette sanglante saga de familles de leaders au-dessus des lois.


Monde de l'entreprise : Contrefaçon – on ne rit plus !

Désignant tout produit contrefait, le « Shanzhai » (山寨, du nom du fortin des bandits d’honneur, dans le roman « Au bord de l’eau ») est central dans la vie de la Chine, comme dans ses exportations – jusqu’aux chips d’électroniques dans les chasseurs de l’US Air Force. 

Face à cette pratique, l’attitude des provinces est ambigüe – elles y trouvent des emplois à bon compte et un moyen d’atténuer les différences de richesse. Mais depuis des années, l’opposition du pouvoir central se précise. En 2011, 22 fausses boutiques Apple étaient fermées. En août 2012, les magasins de faux CD et DVD à Pékin sont vides. Et le 6/08, un certain Xiao, patron d’usine à Heyuan (Canton) écope de la prison à vie, pour avoir produit pour plus de 100 millions de ¥ de faux sacs à main. Apparemment, pour la justice chinoise, ce plafond est désormais le déclencheur de la réclusion à perpétuité. 

Xiao a aggravé son cas en narguant l’administration de l’industrie et du commerce, qui l’avait épinglé une première fois en février, à la tête d’une usine de 500m². Or, l’homme subjugué par l’appât du gain, avait immédiatement reloué une autre surface d’atelier de 350m². 

A en croire la presse, les services chinois de répression des fraudes comptent déjà à leur actif la fermeture de près de 3000 officines de ce genre.


Politique : XVIIIème Congrès : Hu, Jiang, Bo – un combat incertain

D’après un officiel présent à Beidaihe (fin juillet/mi-août), le conclave secret de centaines de leaders du Parti se tint dans une ambiance inquiète, sous la lumière bleutée de l’affaire Bo Xilai.

Sans concession, Hu Jintao harangua des heures durant sur l’avancée galopante de la corruption, de la pollution, de l’endettement des provinces. Sous ce climat d’urgence, un consensus semble s’être dégagé, soutenant la demande du 1er Secrétaire, pour réformer la structure de l’organe suprême du Comité permanent (CP). A neuf membres, il abrite une minorité conservatrice (léguée en 2003 par Jiang Zemin) qui aboutit à la fois au pouvoir personnel (chacun son portefeuille) et au blocage des décisions collectives et à une paralysie des réformes, d’où a surgi l’affaire Bo Xilai, qui déclencha de grands espoirs comme panacée d’un homme providentiel faisant le travail sans s’embarrasser des lois.

En mars, il se disait que Zhou Yongkang, 69 ans, patron des polices (Chef du Comité des affaires politiques et légales), léguerait sa charge en octobre à … Bo Xilai, qui s’en servirait pour étendre au pays le « modèle de Chongqing », en accord avec diverses mouvances… C’était un risque de coup d’Etat.
Le crime de Gu Kailai (cf p3) vient « à point » pour enrayer ces visées. Mais pour la frange du régime au pouvoir (la majorité, autour de Hu), l’affaire impose de tirer des leçons pour prévenir tout retour d’un tel scénario. 

Le pouvoir veut réduire à 7 membres le Comité Permanent, avec moins de vieux gardes rouges, plus de jeunes technocrates. Moins de dossiers « chasses gardées » et le retour à une tradition de décisions collégiales.

L’autre décision est encore plus claire : le successeur de Zhou perdra sa place au Comité Permanent, pour descendre au Bureau politique. Ainsi, le patron de 660.000 hommes de la Police armée aura désormais un chef, sans doute, Li Keqiang, dauphin de Hu Jintao, pour qui ce dernier brigue le poste de vice Président de la Commission militaire centrale, tête de l’armée (APL) : dès lors, plus de coup d’Etat possible.

Hu met dans la balance son départ de ses trois postes (n°1 de l’Etat, du Parti, et de l’APL comme chef de la CMC) d’ici mars. Refusant de s’accrocher aux rênes de l’armée comme l’avait fait Jiang durant deux ans. De ce fait, il revendique un style « propre et net », pointant du doigt l’Etat de droit, qui est désormais son mot d’ordre et son héritage pour la nation. Mais en contrepartie, il revendique pour Li (son futur « chargé d’affaires ») ce poste de n°2 de l’APL, et pour sa fraction –probablement– la majorité au Comité permanent ! 

« Mais », dit ce haut cadre, « l’accord n’existera, qu’une fois le consensus atteint sur la liste des 7 leaders », lors de l’imminent plenum du Comité Central, voire même jusqu’aux heures précédant l’ouverture du XVIIIème Congrès. En clair, on voit perdurer une forte popularité de Bo Xilai, protégé par une coalition hétérogène de gauchistes, « petits princes » (et leurs clans respectifs) accrochés à leurs privilèges, ou bien citoyens de tous bords, angoissés par la montée de l’occidentalisation et la multiplication des nouveaux entrepreneurs qui ponctionnent, à travers leurs conglomérats privés, une part excessive du PIB. 

Non limitée à une poignée d’aïeuls, la nostalgie maoïste touche de vastes pans de la société, y compris des quadra de retour des universités américaines. Pour beaucoup, Bo Xilai est « victime d’une machination ». Et Jiang Zemin demeure assez puissant pour s’être juste fait dédier au Quotidien du Peuple (21/08) un vibrant panégyrique. En somme, pour le prochain pouvoir, rien n’est joué !


Diplomatie : Merkel, couac avec Bruxelles

Angela Merkel, la chancelière allemande, arrive à Pékin (30-31/08) pour relancer les affaires et rendre confiance, à une Chine échaudée par la chute des importations européennes et des soucis de l’Euro. 

Après échanges, Hu Jintao réitère sa promesse d’acquérir de la dette de certains Etats membres, et signe l’achat de 50 appareils Airbus (en leasing, pour une filiale de la banque ICBC) : 1er « deal » de ce type depuis l’ouverture d’un conflit entre les deux bords, sur la taxation communautaire des émissions de CO2 de tout appareil empruntant l’espace aérien des 27 Etats membres. 

Mais rien sans rien : Merkel se retrouve (31/08) à promettre à ses hôtes de demander à Bruxelles la suspension d’une procédure anti-dumping contre leurs cellules photovoltaïques, intentée par 20 industriels sous la bannière de EU ProSun. Refusant la perspective de sanctions, elle plaide les palabres et demande aux partenaires de jouer cartes sur table.

Affaire épineuse : à Bruxelles, le commissaire K. de Gucht affirme que la loi des 27 ne prévoit pas d’exception. De plus, la procédure doit démarrer incessamment et durer 45 jours : les eurocrates croient improbable un accord endéans tel délai. Le plus curieux, est que la première victime en cette affaire, est l’industrie d’outre-Rhin, dont plusieurs firmes ont déjà déposé leur bilan – alors que Berlin mise sur cette filière comme meilleure chance de remplacer celle nucléaire…


Petit Peuple : Foshan : la révolution du « vieillard indigne »

Quand il tourne les pages de son album photos jauni, Qian Jinfan revoit sans nostalgie le fonctionnaire gominé qu’il était 50 ans en arrière – dans l’administration Mao, en costume, chemise blanche élimée, nœud papillon fané, sa raie de côté.

Aujourd’hui, les cheveux noirs de jais lui tombant aux épaules, elle porte un top moulant imprimé léopard, et affiche des ongles soignés et vernis d’un rose discret, des traits du visage assouplis par les crèmes antirides. 

Eh oui, « Papy » Qian a viré de bord. Et sans concession, il se veut femme et attractive ! Rompant avec 60 ans de vie rangée, il a surpris son monde en 2008 en troquant ses jeans-baskets pour des talons, un sac à main et des jupettes, au grand désespoir de sa femme et de son fils.
Mais Jinfan avait insisté : « à 80 ans, c’est le moment où jamais de s’assumer ! ». Et tant pis si ensuite, les commères de passage à la maison se mirent à cancaner, et les copains de son fils, à le traiter de « monstre !» dans son dos (怪物, guàiwu) .

Car le geste de Jinfan, loin d’être le gâtisme d’un vieil obstiné, soldait toute une vie d’attente. Dès 1931, à l’âge de 3 ans, il savait que les Dieux lui avaient joué une mauvaise blague en le jetant dans un corps d’homme. Dès lors, à son Foshan natal (Canton), il menait son combat pour regagner son identité féminine. 

À 6 ans, il s’accrochait aux jupes de sa grand-mère pour sortir à la cordonnerie, guigner les escarpins de filles.
Dans les années ‘50, à 20 ans, sa révolution à lui consistait à porter, sous sa vareuse de prolétaire, une audacieuse lingerie féminine – il prenait des hormones pour gonfler sa poitrine, stopper la barbe. 

Vite cependant, il renonça, face à la folie rouge prête à détruire homosexuels, travestis, et toutes pratiques dissidentes.
25 ans passèrent. En 1978, enfin, Deng Xiaoping ouvrit les vannes de la mode étrangère, de la permissivité relative : bouffée d’oxygène pour Jinfan qui se mit aux pantalons « pattes d’eph’ », aux T-shirts serrés et aux cheveux mi-longs, sans être inquiété. 

En 1982, pour satisfaire ses vieux parents, il épousa une fille de 29 ans – il en comptait 54. Quoique n’ayant rien oublié de ses rêves d’androgynie, il se résolut, bon Chinois jusqu’au bout, à faire passer « le devoir avant tout ». Pendant 20 ans de plus, il sauva les apparences, le temps d’éduquer avec elle leur fils. 

Ce n’est qu’une fois l’épouse ménopausée qu’il reprit un traitement hormonal puis, par petites touches, « sortit du placard » (出柜chū guì). En 2008, son travestissement se limitait au foyer – prétextant l’honneur familial, les siens le privaient de sorties. Jusqu’à 2010 où, sa patience usée, il décrocha son téléphone et contacta la presse. 

Aussitôt, ce fut l’avalanche. Quotidien du Peuple en tête, les média se l’arrachèrent. Weibo, le réseau social se divisa entre ceux le haïssant et les autres le portant aux nues. La Chine restait pantoise sur cet ex–rond de cuir cultivé, calligraphe, amateur d’art antique, qui s’habillait en femme ! 

Protégé par son statut de patriarche respectable, Jinfan impose aux médias son thème, qui dépasse de loin la liberté sexuelle ou de genre, pour aborder celle de l’individu face à la morale dominante et le droit à « faire peau neuve» (重新做人, chóngxīn zuò rén). 

Il rappelle un personnage de l’auteur allemand Heinrich Böll, «la vieille dame indigne» qui, après la guerre et 70 ans de vie exemplaire, s’était mise à faire la follette, se farder et sortir avec les jeunes, à la grande honte des siens. Mais c’est qu’elle avait accepté de sacrifier ses jours au service des autres ou pire, à celui de valeurs répressives, imposées par un système totalitaire. Elle avait payé sa dette : elle entendait désormais mener sa vie à sa guise. De plus, après tant de dangers et misère, toute étonnée d’être encore en vie, « elle ne croyait plus à sa propre mort ». Libérée de la peur, elle changea résolument d’existence. 

Or, ce qu’elle fit dans le roman, Jinfan le fait à présent en vie réelle avec le même résultat : détourner le cours du destin, s’approprier le temps !


Rendez-vous : Rendez-vous de la semaine du 3 septembre 2012
Rendez-vous de la semaine du 3 septembre 2012

5-7 septembre, Pékin, IPVSEE, Salon de l’énergie photovoltaïque 

<p>7-9 septembre, Shanghai : HORFA 2012, Salon de la vente de chevaux

6-9 sept. Shenzhen : CIOE, Salon de l’optoélectonique

8-11 sept. Xiamen : CIFIT, Salon de l’investissement et du business

8-11 sept. Dalian : CIGF, Salon de l’habillement et du textile 

10-12 sept. Shanghai : China Paper – China Forest

10-12 sept. Pékin : CIOF, Salon de l’optique