Le Vent de la Chine Numéro 25-26

du 8 juillet au 1 septembre 2012

Editorial : XVIII. Congrès : un accouchement aux forceps

La classe politique a trois mois pour faire ses choix, aussi lourds et complexes que les chaleurs torrides de la saison.

Elle va devoir présenter au XVIII. Congrès d’octobre les 9 futurs leaders suprêmes d’ici 2017, ainsi que des solutions à l’instabilité sociale, à la corruption galopante, aux dérapages écologiques abhorrés de tous (voir l’affaire de Shifang, p2). Peut-être le plus dur, elle devra fixer à l’intention des cadres de base un mot d’ordre cohérent de gestion des tensions, ce qui signifie trancher le nœud gordien entre deux visions du monde incompatibles :
– Celle des conservateurs historiques implantés en 2003 par Jiang Zemin au Comité Permanent de son successeur Hu Jintao, toujours dominants 10 ans plus tard (Jia Qinglin , Li Changchun, Zhou Yongkang…). Ils s’appliquent à ne jamais transiger sur le monopole de pouvoir, ni communiquer, mais gouverner seuls au nom de la croissance, quitte à museler la divergence par la force.
– Celle d’une Li Yuanchao, patronne du Département de l’Organisation (proche de Hu) qui prône une «meilleure identification du mécontentement avant qu’il n’explose […], l’approfondissement de la réforme des cadres […] par la sélection démocratique des candidats, la transparence, la concurrence ». Ce clan est celui issu de la Ligue de la Jeunesse (Tuanpai), que Hu dirigea en début de carrière.

Ces camps s’opposent aussi sur l’objectif : pour les uns, le maintien par tous les moyens du rôle directeur du Parti ; et pour les autres, l’avancée vers la loi et l’Etat de droit. Au fond, ces leaders ne s’accordent que sur un point: la sensation que la Chine est à un tournant, et que les règles du jeu passé ne la portent plus – ni politiquement (sous l’angle de la répartition du PIB) ni économiquement (sous celui de la priorité absolue jusqu’à présent aux grands consortiums d’Etat).

Le procès de Bo Xilai se prépare, ex- « Roi » de Chongqing et ex-leader du clan des « Petits princes ». Sa chute en mars a profondément troublé la société, par l’i-mage d’un groupe de cadres au-dessus des lois, enrichis à milliards à force de fraude et pouvant même torturer et tuer impunément. L’Etat aussi est divisé, devant choisir entre son image et ses solidarités entre grandes familles (un des principes absolus du régime).

Par exemple, Zhou Yongkang, quoique notoirement impliqué, se permet de charger indirectement Bo, son ex-allié, en plaidant (dans un discours reproduit dans la presse) contre l’usage de la torture : ce qui semble indiquer un vote, un consensus pour limiter au maximum le nombre des inculpés. Le dilemme, ici, est de pratiquer un grand nettoyage (comme prétend le faire ces mois-ci Wang Yang, à Canton), mais aussi, d’éviter d’agiter plus encore la barque malmenée du Parti : donc enterrer le malheureux incident !

Autre énigme du moment : depuis la chute de Bo, Xi Jinping, le successeur pressenti de Hu, se tait et ne voyage plus, à l’inverse de tous les autres leaders. Le 01/07, un média étranger (Bloomberg) publie l’état de sa fortune familiale, 376 millions de $, scoop qui lui a été divulgué de l’intérieur, et qui l’affaiblit. Qui est derrière, et dans quel but ? En principe à ce jour, Xi ne peut perdre sa place de n°1. Mais il pourrait y accéder dans un état de faiblesse qui l’empêche de se lancer dans les réformes fondamentales attendues.

Reste enfin la série d’appels depuis des mois, à la fidélité de l’armée, avertie de s’abstenir de «quitter le Parti, pour se mettre au service de la nation». Selon Peter Mattis, fin analyste, la démarche vient du camp réformateur, et vise à créer, avec cette loyauté des militaires, le socle nécessaire pour imposer les douloureuses réformes, l’abolition du statut de la caste dirigeante au-dessus des lois.

C’est avec de telles armes, par jeu de bandes, que partisans et adversaires de la réforme se battent aujourd’hui. À quatre mois du Congrès, force est de le reconnaître, rien n’est joué—le fléau peut encore retomber de n’importe quel côté. Le pire, recherché par les conservateurs, étant qu’il ne bouge pas du tout, maintenant la glaciation de facto.


Environnement : Shifang : de l’eau dans le gaz lacrymogène

La manifestation de Shifang (Sichuan, 1-4/07) fut menée 4 jours et 4 nuits, sous des dizaines de milliers de parapluies, tandis que les gaz lacrymogènes des 8.000 policiers étaient neutralisés par la pluie.

Le métallurgiste Hongda avait reçu l’autorisation du ministère de la protection de l’environnement. De cette fonderie à 1,05 milliards de $, d’une capacité de 400.000t de cuivre par an et 40.000 de molybdène, la mairie attendait une prospérité qui arracherait cette ville de 500.000 habitants à son traumatisme, suite au séisme de 2008.

Mais un détail avait été oublié : consulter la population, angoissée par le risque d’effluents cancérigènes.

Le 01/07, les émeutes débutèrent, coordonnées par le réseau Weibo (dont un fameux appel du bloggeur Han Han). Montés de Chengdu, les renforts ne purent empêcher le blocus des camions et bulldozers, la prise d’assaut de la mairie, l’incendie de 10 voitures de police, et des « 15 » blessés.

Le 02/07, la Mairie annonça l’abandon définitif du projet : à quatre mois du Congrès, dans un climat social et moral délétère, Pékin ne croyait pas pouvoir se permettre l’ouverture d’un nouveau front social, faute au niveau local d’avoir respecté les consignes de transparence et de débat avec la base. 21 des 27 arrêtés ont été relâchés. Mais à l’avenir, la volte-face du régime autoritaire restera dans les mémoires.


Politique : Hotan – massacre évité de justesse

Vendredi 29/06, le vol Tianjin Airlines Hotan-Urumqi, (Embraer ERJ-190) décolle avec 92 passagers.

Peu après, six pirates en tenues de la compagnie, dont un « handicapé », annoncent un détournement, ordonnent aux passagers de rester assis, et tentent de pénétrer au cockpit à coups de barre de fer (issus de la fausse béquille). Mais 10 passagers et les policiers à bord se battent, les maitrisent. Quand l’appareil se pose après 16 min., on compte 2 morts (pirates) et 10 blessés.

C’était la 1ère tentative de ce type en Chine depuis ‘90. Ouïghours, de Kashgar, les pirates peuvent avoir voulu tirer vengeance d’une fermeture musclée d’école coranique à Hotan en juin, ou bien rappeler l’insurrection brève, mais violente de juil. 2009 à Urumqi (200 morts).

Bilan : le protocole de sécurité a connu une grave faille, en laissant monter ces hommes armés. Mais la suite du mécanisme a tenu bon – notamment les policiers à bord – et les passagers qui, gardant en tête le scénario du 11/09 aux USA, n’ont pas obéi aux ordres de rester à leurs places pour lancer la contre-attaque. Soulagées du dénouement, les autorités ont d’ailleurs distribué 1 million ¥ aux 10 passagers combattifs, et 500.000 à l’équipage.

Mais l’alerte a été sérieuse : le Xinjiang rappelle que lui aussi, comme le Tibet (où continuent les suicides par le feu) n’est pas en paix. Dans les deux territoires autonomes, 60 ans d’efforts pour gagner les cœurs, restent sans fruits, et la politique de pacification est entièrement à revoir !


Politique : La revanche des berceaux, demain ?

Le 04/07, trois démographes du Conseil d’Etat sonnent l’alarme : la population d’âge actif baisse, de 74,5% en 2010 à 74,4% en 2011.

Après 40 ans de contrôle des naissances, la femme chinoise n’engendre plus qu’1,6 enfant, un demi de moins qu’il ne faudrait pour stabiliser la population. Mais comment fera-t-on pour payer les pensions en 2050 où un travailleur aura quatre pensionnés à charge ?

Dès 2015, les sexagénaires seront 16% : « plus on attend, avertit le trio de chercheurs, plus la Chine sera vulnérable ». Pour alléger de 50% le déficit en actifs d’ici 2050, il faudrait ramener de suite le taux de fertilité à 2,3 – mais le pli est pris, les familles sont confortables avec un héritier, et n’en veulent pas plus !

Jusqu’à hier, Pékin s’opposait à tout démantèlement de ses puissants organes de contrôle des masses (le planning en est un). En cette attitude conservatrice, joue aussi le lobbying de cette structure de 6 millions d’agents, membres du Parti, qui perdraient emplois et privilèges en cas de dérégulation. Mais le scandale d’un avortement forcé à 7 mois en juin, a révélé à l’Etat l’impopularité croissante de sa politique, et ce poster affiché ce mois-ci dans Pékin, semble être là pour préparer la population à une décision déjà prise, de désormais encourager les naissances au lieu de les punir !


Culture : Cinéastes de tous les pays, unissez-vous !

Quels points communs entre A. Schwarzenegger, T. Hanks et R. Downey Jr. ? Outre leur passeport, les trois acteurs seront bientôt à l’affiche de coproductions sino-américaine qui se multiplient ces derniers temps, permettant aux maisons d’Hollywood de contourner le quota de 20 longs-métrages étrangers projetés en Chine par an.

Avec « Flowers of War » (dèc 2011), Zhang Yimou avait ouvert le bal des coproductions. Depuis, les annonces se multiplient.

J. Cameron s’est dit en avril «sérieusement» intéressé. « Iron Man 3 », sortie l’an prochain, est coproduit par DMG (Pékin) et Disney Marvel (USA).
Des scènes du film seront tournées en Chine cet été et les producteurs cherchent un nouveau 2nd rôle chinois, suite à la défection d’Andy Lau. DMG est aussi présent dans le très attendu thriller « Looper » avec Bruce Willis. « Cloud Atlas », de Warner (avec H. Berry et l’actrice Zhou Xun, sortie octobre), est cofinancé par Dreams of Dragon (105M$), fondé en 2008, dont c’est le 1er pas dans le cinéma. Ces participations permettent de faire entrer des touches chinoises, acteurs, décors, bouts de script. Elles sont généralement positives.

Hollywood n’a pas attendu les coproductions pour intégrer une « Chinese Touch » à ses scénarios. Un choix dicté par :
– l’évolution économique – n°2 planétaire, la Chine devient incontournable,
– et par le souci de se faire bien voir au pays du Milieu – des autorités, et du public.

Dans « 2012 » déjà, les Chinois sauvaient le monde grâce à leur arche de Noé. De même « Skyfall », le prochain James Bond (sortie déc. 2012) est tourné en partie à Shanghai. Cette tendance, Dreamworks l’avait flairée dès 2008 avec sa suite des « Kung Fu Panda », gros succès en Chine. La société américaine ouvrira d’ailleurs prochainement un studio à Shanghai, JV à 45% avec China Media Capital, Shanghai Media et Shanghai Alliance Investment, au capital de 330 millions de $. Cette création est vue comme «moment historique» par son PDG J. Katzenberg À Shanghai en mars, il assurait avoir un plan de développement « sur le très long terme » (le 1er film devrait sortir en 2016). Son ambition : produire des films d’animation « de qualité internationale », capables d’intégrer « des éléments de la littérature, de la culture et de l’histoire chinoises ».

Ces coproductions arrivent à point pour assister une l’industrie américaine du film en panne de crédits.

Mais la Chine n’y perd rien, entrant dès lors de plain-pied sur le marché planétaire, avec une injection massive de savoir-faire. Car les productions 100% chinoises se vendent mal hors frontières. « Le côté exotique, les péplums et les histoires marquées par un réalisme cru et sans espoir ont un peu lassé le public occidental, analyse Luisa Prudentino, professeur à l’Inalco, experte en cinéma chinois. Le gros problème est le manque de créativité ». La Chine de la rue ne partage pas cette critique : comptant 9.230 salles fin 2011 (dont 3.030 inaugurées dans l’année), elle a vu ses recettes de billetterie doubler en 3 ans, de 980 millions à 2,08 milliards de $. Avec une préférence malgré tout pour les productions importées, qui assure un fort marché d’avenir à ces coopérations.


A la loupe : « Shangri-La, annexe du paradis »

Dans son best-seller « Lost Horizon » (1933), J. Hilton imaginait la paradisiaque vallée de Shangri-La, avec vie éternelle à la clé, cachée quelque part dans les Himalayas. La Chine l’a transposée et matérialisée au nord du Yunnan. En 2001, un vote au Parlement dota la « Zhongdian » de l’époque (« domaine de la Chine »), du nom de Shangri-La , plus conforme à ses ambitions de promotion touristique.

Shangri-La, c’est une succession de paysages de rêve à 3200m d’altitude, sans pollution. Des lacs, tels le Bita ou le Napa sont restés inchangés, en des espaces si riches en biodiversité que la réserve nationale de Pudacuo (la plus grande du pays) compte 1300 km², 20% de la faune, 30% de sa flore et 100% de ses espèces menacées. La région ne manque pas de merveilles naturelles, tel l’ensemble de vasques de tuf à Baishuitai (photo), créées au fil des millénaires par écoulement d’eau calcaire. Le site est le berceau de la culture Naxi, une ethnie qui se partage le territoire avec les Yi et surtout les Tibétains (80% de la population).

Pas de Shangri-La sans monastère bouddhiste : au pied du mont Foping (« paix bouddhiste »), la ville abrite celui de Songzanlin, érigé dès 1679 sur un site choisi par le Dalaï-lama de l’époque. A son apogée, Songzanlin comptait 3000 moines : il n’en a plus que 700 aujourd’hui, mais reste le 6ème plus grand centre lamaïste du pays. Détail curieux, le sanctuaire serait hérétique, par son culte rendu (en plus de Bouddha et de son aréopage de saints) au Dieu Cerf Tchup’De. Instauré par le 5ème Dalaï-lama, ce culte est dénoncé par l’actuel, le 14ème : « Si vous croyez au Dieu Cerf, pas la peine de venir à moi ». . ’
A deux pas du sanctuaire se dresse l’hôtel « Songstsam Retreat », création d’un Tibétain qui fit carrière comme cameraman à la CCTV et profita de ses voyages pour acheter des dizaines de meubles anciens. Au tournant du siècle, il acquit et rénova une ferme en maison de charme (22 chambres), selon un concept si intéressant qu’un investisseur singapourien lui permit de créer un véritable hôtel (75 chambres), au management confié au groupe Accor. Les 110 employés sont presque tous autochtones, afin de soutenir la culture locale, pour le plaisir du voyageur curieux d’histoire et d’authenticité.

A 10 minutes en taxi, la ville de Shangri-La abrite 300.000 habitants apparemment point gênés par l’altitude. La vieille ville est curieusement bien conservée : les maisons sont de pierre au rez-de-chaussée (dédié aux commerces), et en bois à l’étage (logis). La bonne humeur de Shangri-La est contagieuse : chaque soir, les locaux se rassemblent pour une danse traditionnelle en rond, aux petits pas glissés et aux petits gestes de bras. Hans et touristes s’y joignent aussi…

Finalement, le paradis n’est pas de ce monde, mais il est des lieux plus doués que d’autres pour la gentillesse et la beauté : Shangri-La, parmi eux, sans aucun doute !


Société : Les goguettes du Chinois (riche)

Confidentiel il y a 20 ans, le tourisme de la Chine hors-frontières explose : en 2011, ils sont 78 millions de Chinois à avoir pris leurs vacances à l’étranger, 20 % de plus qu’en 2010. L’Organisation Mondiale du Tourisme prévoit qu’ils franchiront la barre des 100 millions vers 2020.

Ce vol hors-Chine, rêve universel de tous les Chinois, près de 6% de la population peut se le permettre : la classe moyenne aisée au revenu annuel de 24.000 à 48.000 €. Pour le 1er voyage, ce « à l’étranger » ne l’est pas tout à fait : en quête d’un havre protecteur, l’expatrié débutant vise d’abord Hong Kong ou Macao, les ex-enclaves britanniques et lusitaniennes. Puis le second « trip » va souvent tâter du reste de l’Asie (Corée du Sud, Malaisie, Thaïlande).

Lorsqu’ils s’envolent pour l’Europe, ils font penser aux Japonais des années ’70 : ils voyagent en groupe pour voir un maximum de pays (4-6) en un minimum de temps (8-10 jours).

La France reste leur destination privilégiée (devant Italie, Suisse et Allemagne), avec ses sites mythiques, Tour Eiffel, Provence, et sa vertu « romantique » supposée (làngmàn, 浪漫). En 2011, plus d’1 million de Chinois passaient par l’Hexagone, et l’OMT en prédit 4 à 5 millions d’ici 2020. Un sondage le précise : 88% des touristes chinois n’ayant pas mis les pieds en France, comptent le faire d’ici deux ans, et 71% des Chinois l’ayant fait, recommandent la destination.

Ce touriste chinois vit pourtant un curieux paradoxe : seuls 39% de ces visiteurs ressortent « très satisfaits » de leur aventure en France, contre 68% pour les Britanniques. Ce qui ramène à l’exigence première du Chinois, sans expérience de l’étranger : se retrouver « chez lui » aux antipodes. Or, son budget « voyage », soudain très élevé, lui donne l’impression – forcément fallacieuse – qu’il a des droits illimités.

Ce sont les maisons de luxe qui emportent la mise, surtout celles capables de s’adapter à cette demande : Aéroports de Paris avec son site internet en chinois et son application mobile qui traduit en instantané les panneaux d’orientation ; certains grands magasins (Galeries Lafayette, Printemps, Louis Vuitton, Champs Elysées), avec du personnel sinophone ; Le Figaro avec « Paris Chic », son magazine gratuit des bonnes adresses en chinois. Encouragé par la détaxe et un taux de change favorable, le Chinois dépense en France 60% de son budget voyage, 650 millions d’€ en 2010.

À l’étape parisienne qui reste un must, vient s’ajouter une palette de formules thématiques : Châteaux de la Loire, Route des vins, le « mariage à la française » à Châteauroux, sports d’hiver, golf… Après avoir pris ses marques avec le tour opérateur classique, le Chinois entend s’émanciper et privilégier « ce qui lui plait » à « ce qu’il faut avoir vu » (du point des autres).

Cette industrie nouvelle est mutuellement bénéfique. Mais, seul bémol, de l’avis des professionnels, un hôtel (ou un magasin), rempli à 50% de Chinois peut gêner les autres clients : en groupe, le voyageur chinois a tendance à perdre sa discrétion légendaire. Défi interculturel qui se résoudra – mais pas en un jour !


Joint-venture : ZTE et Huawei au pilori en Algérie

Entre Chine et Algérie, de tous temps, les relations ont été cordiales – Pékin intéressée par les hydrocarbures du pays maghrébin, et Alger par une coopération enfin libérée des temps néocoloniaux. En Algérie depuis les années ‘80, les groupes chinois y décrochent de nombreux marchés, notamment en grands projets d’infrastructures.

Mais ces temps-ci, le torchon brûle. Huawei et ZTE, les géants des télécoms, viennent d’être exclus des marchés publics algériens pour 2 ans pour « corruption et trafic d’influence » par décision (06/06) d’un pôle judiciaire spécialisé du tribunal d’Alger.

Mohamed Boukhari, ex-conseiller du PDG d’Algérie Télécom et Chani Medjdoub, sulfureux homme d’affaires et lobbyiste algéro-luxembourgeois, sont condamnés à 18 ans ferme et 50.000€ d’amende pour bakchichs touchés de 2003 à 2006 au Luxembourg, sur des contrats d’équipement octroyés par Algérie Telecom aux groupes chinois. Sont aussi reprochés des «transactions douteuses» et du « blanchiment d’argent ». Trois cadres chinois de ZTE-Algérie et Huawei-Algérie, en fuite, prennent 10 ans de prison par contumace – sous mandats d’arrêt internationaux.

L’Algérie n’est pas seule concernée. La presse locale dénonce les largesses occultes des télécoms chinois à travers les autres continents.

En Autriche, 6 millions d’€ soupçonnés chez Huawei en 2011, pour un chantier portant sur le décuple. En mars aux Philippines, Gloria Arroyo, l’ex-présidente (2001-2010) est arrêtée pour un contrat « validé » par elle en 2007, « gonflé » des 130 millions de $ d’origine à 330 millions de $. Discret mais efficace, son mari aurait su trouver les « mots » qu’il fallait auprès des personnalités à convaincre, ayant touché pour cette tâche quelques millions $ de ZTE, il est aussi sous les verrous.

Alors que tombe le verdict sur l’affaire Algérie Telecom, l’Algérie attend le dénouement d’un autre scandale bien plus lourd, sur l’autoroute Est-Ouest. En 2006, deux tranches (sur 3) de l’axe stratégique Tunisie-Maroc (1.230 km) revenaient au consortium sino-chinois CITIC (groupe financier) CRCC (génie civil). Ce fut le chantier le plus grand d’Algérie, le plus cher d’Afrique, et le plus gros pot-de-vin de l’Histoire algérienne, avec 200 millions de $ évoqués.
En 1ère ligne, on retrouve Ch. Medjdoub. Adoubé par le consortium, il serait allé « négocier » directement avec le ministère algérien des Travaux publics, aidé d’un certain Pierre Falcone, pied-noir, ex-marchand d’armes, patron de BTP et investisseur en Chine dès 1988, qui disposait d’« entrées privilégiées » à Alger. Sur place, de bonnes sources n’hésitent pas à affirmer que les dés étaient pipés et l’appel d’offre international, pipeau : le contrat aurait été passé directement de gouvernement à gouvernement. CITIC-CRCC se dit outré, et « victime d’une campagne malveillante ».

La vraie question, sur ces affaires, semble être celle de leur impact sur l’avenir : vont-elles amener les deux pays vers plus de transparence et d’ouverture des marchés, au bénéfice du consommateur ? Sans doute pas (ne soyons pas angéliques). Mais Pékin pourrait avoir envie de moraliser les pratiques de ses groupes, pour soigner son image.


Automobile : En Chine, le luxe à 4 roues, en mode turbo

Avec sa croissance turbo depuis trois décennies, la Chine est le dernier vivier de clients pour les constructeurs auto.

La récession commence à mordre, ici comme ailleurs : frappées par l’abolition des primes aux petites cylindrées et par les quotas de plaques dans les grandes villes, les ventes n’ont progressé que de 2,5% en 2011, après 32% en 2010. Mais une niche résiste, magnifique : l’automobile de sport et de prestige. Ferrari, Maserati, Rolls-Royce et autres Lotus devraient négocier le virage 2012 en très légère perte de vitesse.

Dans l’empire du Milieu, flegmatiquement depuis trois ans, Bentley frise les 50% de croissance, passant en 2009 de 500 ventes à 1.800 en 2011, au prix de 300.000 à 600.000$ l’unité. Pour la première fois l’an passé – comme chez le compatriote Rolls-Royce – la Chine est passée 1er marché mondial devant les USA : « les Chinois sont très attirés par le raffinement, l’artisanat et la beauté », explique le constructeur… allemand – car Bentley est une filiale de Volkswagen, comme Rolls de BMW.

À l’écurie Lamborghini par contre, on sent une baisse de régime, après la furia de 2011, à +70% (340 véhicules vendus), la marque romagnole n’envisageait plus que « 20 à 30% » de croissance en 2012, et même «plus près de 20 que de 30», prédit J. Page, chef du marketing, tout en interprétant : « la baisse de croissance du PNB exerce un effet mental sur les gens ».

Si l’on rentre dans le fantasme automobile chinois, Ferrari détient la palme. En 2011 à 500 unités (à près d’1million de $ l’unité), ses ventes haussaient de 75%. La firme vient de fêter ses 20 ans de Chine: elle a souffert une petite panne d’image pour avoir voulu trop en faire. Ayant préparé un modèle spécial Chine, elle l’a présenté début mai, en un rodéo échevelé … sur les remparts de Nankin. Mais adorée des « fans », ce genre d’insolence fait grincer des dents les « patriotes » qui voient dans leurs monuments l’âme du pays. Pire, sur la brique classée- Unesco, le bolide laissa des traces de gomme brûlée, que des bloggeurs dénoncèrent en photo le lendemain. Peu après, Ferrari aggrava son cas, étant contrainte à rappeler 56 modèles pour défaut d’arbre de transmission. Puis la coupe déborda le 09/06 à 14h, quand 34 Ferrari, sans même se cacher, se livrèrent à un rallye à près de 200km/h sur l’autoroute Hangzhou-Shanghai. Incapable de les rattraper, la police humiliée en fut quitte pour faire alpaguer au péage d’arrivée, et lourdement taxer les 8 plus lambines.

Certains journalistes locaux, «mauvaises langues», accusent la marque au cheval cabré d’avoir orchestré tout cela pour faire parler d’elle : elle n’en a pas vraiment besoin, jouissant de la pub gratuite que lui donnent les diffusions des courses de F1 à la TV et d’un mini-blog Weibo extrêmement couru, avec 318.000 fans abonnés (le triple de Lamborghini et quintuple de Maserati).

Il faut plutôt voir dans cette apparition de la voiture de sport en Chine la cristallisation d’une contradiction sociale : la fierté du propriétaire jeune et riche (35 ans en moyenne, chez Ferrari) qui s’oppose à l’amertume du nouveau prolétaire. Avec un écart riches/pauvres qui se creuse (le coefficient de Gini qui définit ce fossé social, est passé en 12 ans de 0,41, « endurable », à plus de 0,50 en 2012, dans la zone rouge), cet étalage irrespectueux de bling-bling nourrit l’instabilité, à quelques mois d’une passation du pouvoir.


Economie : Le grand jeu financier de l’été

« Embellie dans le secteur non industriel», claironne la presse.

En juin, l’immobilier à Pékin, voit ses prix monter de 2,29%, et les ventes de 10,5% à 25.600 logements. L’indice PMI de la construction (celui des commandes du mois par les patrons du secteur décrivant leur confiance dans leur marché) atteint 58,2 en juin, son meilleur score en 19 mois (au-delà de 50 points, le marché est en hausse). Bonne nouvelle, pour un marché qui génère 11% du PIB et même le double en comptant le mobilier, l’électronique… qui en dépendent. Ce regain est dû aux efforts d’une trentaine de villes, telle Yangzhou (Jiangsu) qui offre 0,6% de prime à l’achat de logis meublé. Pékin laisse faire, comme un moindre mal – espérant pouvoir faire l’économie d’un plan de stimulus.

Mais pas de mystère : l’industrie elle, recule, sous le boutoir de la crise, la panne de l’Europe. La Corée du Sud prévoit la perte en 2012 de la moitié de sa hausse des exports, de 6,7 à 3,5%. Frappé, le PMI industriel chute en juin, à 50,2 contre 50,4 en mai, voire selon HSBC (plus plausible !) à 48,1. C’est le 8ème mois de chute de suite.
Les consortia publics voient en juin leurs profits baisser de 5,3% sur mai (après 2,2% sur avril).
À la veille des JO de Londres, un exemple parlant est l’habit sportif, marché de 19 milliards de $, qui n’en finit pas d’écouler son inventaire 2011, même avec des rabais jusqu’à 50%. Finies les 10 ouvertures de magasins par jour (11.000 boutiques ouvertes depuis 2008) : les experts s’attendent à voir les 20 leaders passer à 5 ou 6. Les ténors nationaux Li Ning (7,2% du marché) et Anta (7,1%) devraient sauver leur tête.

Autre dragon que l’Etat doit affronter cet été : l’endettement des provinces dû à la poigne d’un Etat déterminé à prévenir l’éclatement de la bulle du foncier.
Fin 2010, les provinces doivent aux banques 10.700 milliards de ¥ fin 2010 – conséquence d’années de fuite en avant dans des infrastructures inutiles et de prestige, et de la disparition, depuis 18 mois, de la ressource des ventes de terrain aux promoteurs.

Un des remèdes, dès mai, a consisté pour Pékin à autoriser, pour 23 milliards $, de projets gros consommateurs d’acier (les aciéries sont souvent propriété des provinces), un autre, à relâcher le crédit, et à en en baisser le coût : c’est d’ailleurs à quoi s’emploie la Banque centrale, le 6/07, en entaillant le taux d’intérêt, pour la 2de fois en 30 jours : désormais, les banques peuvent prêter à 4,2%, un bon marché plus connu depuis des années. Mais la tutelle des banques, CBRC (China Banking Regulatory Commission), avertit qu’elle compte limiter les prêts aux régions. En effet, aujourd’hui, avec 60% des revenus locaux obtenus hors taxation, une bonne part de ceux-ci proviennent toujours… de l’emprunt, alourdissant l’ardoise !

Pour autant, la Banque centrale signale qu’elle poursuivra cet été sa « prudence financière » et ses « réformes clé » de dérégulation du crédit : les baisses du taux, ne sont pas finies!

Enfin une mesure radicalement nouvelle est la création annoncée de la zone financière de Qianhai, à Shenzhen, sous un investissement global de 45 milliards de $ pour en faire une mini City en Chine, en concurrence avec Hong Kong ou Londres. Elle permettra un volume limité de change du yuan selon la loi de l’offre et de la demande, par des comptes capitaux privés.

C’est un signal à Canton, à Hong Kong, au monde, que le pays avance vers la libre convertibilité. Il s’agit peut-être aussi de soutenir le personnage le plus libéral de la scène politique chinoise : Wang Yang, patron de Canton, soudainement étoile montante du Parti, une fois dégagé le rival Bo Xilai.