Le Vent de la Chine Numéro 23

du 24 juin au 30 juin 2012

Editorial : Le temps de l’introspection

Péniblement, à quatre mois d’un XVIII. Congrès qui marquera un tournant dans l’histoire du pays, la Chine fait son introspection sur une longue série d’« affaires », qui dérangent par leur prolifération apparemment incontrôlable.

– Ainsi depuis 2008, le pays affronte son 4ème incident majeur de qualité du lait pour bébé, en dépit de tant d’efforts des ministères pour permettre au secteur de regagner la confiance.

– L’opinion attend fin juin le rapport d’autopsie du dissident Li Wangyang, retrouvé pendu au lendemain du 23ème anniversiare des événements de la place TAM. Même à Hong Kong, Chow Yat-ngok, ministre de la Santé (sortant) adjure ses concitoyens de réclamer la vérité.

– Dans l’univers de la TV, 100 critiques fusent, par exemple contre « Dialogue » (CCTV-9) dont le commentateur s’est égaré en mai en propos xénophobes, ou contre « Only You » (Tianjin-TV) dont le présentateur est accusé d’« arrogance » et d’ignorance des « valeurs morales ». Des téléséries sont aussi attaquées, jugées « indigestes » et « pompeuses » : pas assez libres, leurs réalisateurs ne trouvent pas le terreau propice à leur créativité.

– A Chongqing, Zhang Dejiang, le nouveau Secrétaire du Parti, avoue (18/06) que le scandale suite au départ de son prédécesseur Bo Xilai (mars, avril), a endommagé durablement l’image du Parti.

– A Pékin, le dissident Ai Weiwei se voit interdit (20/06) d’assister au recours en justice qu’il intentait à l’Etat.

– A Fuzhou (Fujian), un pétitionnaire meurt empoisonné par des gangsters, semble-t-il, aux ordres des cadres qu’il accusait d’expropriation illicite.

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Ce n’est pas par hasard si le 18/06, le Parti communiste chinois (section de Pékin) publie un ouvrage en 4 tomes, « Etude sur l’intégrité morale des cadres en Chine antique et contemporaine ».

Il s’agit d’insuffler dans les mois qui le séparent du XVIII. Congrès, un réarmement moral parmi le corps des serviteurs de l’Etat. Fruit de deux ans de recherche de la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales), sous l’égide du Comité de vérification de la discipline et du département de la propagande, il cite Confucius, le Tao, et décline les six aspects de la moralité classique chez les cadres : service du peuple, loyauté, pragmatisme, équité, incorruptibilité et discipline. Il définit aussi ses vices : « avidité excessive, exploitation du peuple et tyrannie brutale ».

Plus subtilement, un autre essai de relèvement moral est diffusé en boucle à la télévision : sur orbite, les 3 cosmonautes du vaisseau Shenzhou-9 enchaînent les actes simples (boire avec une paille, faire des saluts amicaux en apesanteur) et techniques (expériences scientifiques). Ils sont un puissant symbole, rêve de transplanter dans l’espace un bout de société socialiste chinoise, hors-poussière et corruption, admirable de courage et de discipline…

Hélas, ces images de pureté et de records battus, dans l’espace comme au fond de la fosse des Mariannes par moins 6900m (par le sous-marin Jiaolong, 20/06) flattent le patriotisme, mais ne peuvent faire beaucoup pour rétablir la confiance de la rue. Pas plus que la campagne de rééducation des cadres.

Sur ce sujet, paradoxe: la plus forte cri-tique à cette action vient de Zhang Lifan, historien, ex-membre de la CASS, la sphère intellectuelle dont émane l’Etude sur l’intégrité. Zhang rappelle les dizaines de campagnes lancées au fil des décennies dans le même objectif, et leur échec pour la même raison : pour protéger une caste du vice, partout sur Terre, l’éthique est inopérante, il faut l’application de la loi.

La différence par rapport au passé, est que jamais la population chinoise n’a été si éduquée et enrichie (ou enrichie parce qu’éduquée). Désormais, elle voit, et ne supporte plus la corruption. Aussi l’on comprend les doutes de Zhang sur les chances de succès de cette campagne. Mais l’appareil, au moins, aura prouvé sa conscience du problème, et sa volonté de reprendre le dessus.


Agroalimentaire : Après la course au lait, la bataille de la qualité

Pour Yili, n°1 national, détruire six mois de sa production de lait pour bébé, plombé au mercure, fut un coup dur. Et pour tous les producteurs locaux, de même.

Si en lait frais les producteurs locaux n’ont pas de soucis à se faire (pour raisons techniques, ils gardent un monopole en lait frais, yaourts…), sur le marché du lait en poudre pour bébé, l’étranger tient 50%, et la course est engagée pour la qualité. L’un après l’autre, les producteurs veulent contrôler les éleveurs. 

Pour R. Decorvet, Président de Nestlé Chine, « le modèle du petit élevage privé n’est plus soutenable », ne serait-ce au nom de l’objectif de l’Etat de renforcer la productivité.

Nestlé a réduit le nombre des petits fournisseurs de 30.000 à 12.000, et crée au Heilongjiang un centre de training et deux fermes de 10.720 têtes (pour avril 2013). Il espère aussi voir sa part du marché « bébé » passer à 12%, une fois avalisé son rachat (avril 2012, pour 11,75 milliards de $) de la branche mondiale de Pfizer.

Fonterra, le n°1 mondial (Nouveelle Zélande), qui vend chaque année pour 2 milliards $ en gros aux groupes chinois, crée lui ses larges laiteries autour de Pékin. China Modern Dairy (contrôlé à 24% par l’investisseur KKR- Kohlberg Kravis Roberts) possède 150.000 laitières provenant de l’hémisphère sud. Yashili est possédée à 24% (pour 130 millions de $) par Carlyle. En juin 2011, Müller Milch (Allemagne) plaçait 45 millions de $ dans Huaxia Dairy ; en mai, Bright Dairy montait une ferme à 20 millions de $ à Wuhan, et Yili ouvrait en Mongolie un élevage de 5.000 têtes (35 millions de $).

Mengniu lance le projet le plus inattendu. Cet ex-n°1 du secteur s’associe à Arla Foods, son fournisseur dano-suédois en ingrédients laitiers et en service de R&D : Arla paie 289 millions de $ pour 6% du groupe, et recevra en échange un marché quintuplé à 600 millions de $, d’ici 2016. Le risque est de se retrouver compromis dans d’autres affaires de qualité à l’avenir.

La plupart des nouveaux joueurs, sans tradition laitière, sont des investisseurs opportunistes, dont le maintien dans le secteur n’est pas garanti, et qui tablent sur la demande chinoise, face à laquelle la Nouvelle-Zélande elle-même commence à ne plus suffire. Par bonheur, un « joker » apparaît, qui pourrait aider à combler ces besoins : à partir de 2015, une Europe verte partiellement dérégulée produira 9 milliards litres de lait de plus, dont une partie s’exportera (en poudre) en Chine.

Un espoir s’estompe, celui de décupler la production laitière chinoise grâce à la prairie mongole, laquelle est limitée en pâturages. Pour étancher la soif laitière du Céleste Empire, seule la stabulation (bétail maintenu dans un espace restreint) offre la productivité suffisante, à condition d’améliorer le cheptel par des espèces importées. Mais ici aussi, arrivent des limites : l’aliment, aussi importé (tourteau de soja brésilien, « pellet » de maïs américain), n’est pas disponible à l’infini, et le traitement du lisier, très polluant, pose de lourds défis techniques. De ce fait, la taille maximum de la ferme ne peut dépasser 10.000 têtes. On discutait de tout cela à Zhengzhou (Henan) le 18/06, en présence de Gao Hongbin, vice-ministre de l’Agriculture.

Clairement, les années noires des scandales laitiers ne sont pas encore terminées. Mais lentement, grâce aux efforts de l’Etat, les réseaux de formation et de contrôle qualité se mettent en place – on est sur le bon chemin.


Environnement : Sommets du G20, Rio+20 – la grande désillusion

Par le hasard du calendrier, les nations du monde se réunissaient semaine passée au Mexique et au Brésil, en deux sommets sur deux problèmes urgents : la réforme des circuits financiers, et une croissance ordonnée et durable.

Or, ces deux sommets se sont déroulés dans une atmosphère similaire, fataliste, ayant raboté bien des ambitions.

Il y eut moins de négociations que de défilés de monologues d’intérêts régionaux. Deux phénomènes défavorables se conjuguent : la grande récession, et le fait que c’est la première fois dans son histoire, que l’humanité entière aborde des problèmes aussi lourds que nouveaux, nécessitant une gouvernance sociale que certains n’ont pas…

L’Europe poursuit sa grande retraite, et la Chine, sa pression douce, à la tête du bloc des pays émergents. En somme, tant en gouvernement monétaire que climatique, faute de décisions communes, l’avenir reste ouvert, et tout reste à faire.

Le G20 de Los Cabos

Au Sommet du G20 (Mexique, 18-20/06), siégeaient les Présidents des 20 puissances mondiales, pour poursuivre la réforme financière entamée en 2008 suite au crash aux USA.

L’outil n°1 était la réforme du FMI (Fonds Monétaire International). Dès 2009, le G20 le recapitalisait de 500MM$, dont 10% à charge de Pékin.

A Los Cabos, la dotation fut de 430milliards de $, dont 43 milliards de $ payés par la Chine et 22 milliards de $ par la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud. En retour, les pays émergents « BRICS » attendent un vote étendu au Conseil de direction de l’organe désormais piloté par Christine Lagarde. L’ensemble des pays d’Europe et d’Asie fourniront 340 milliards $, et les USA, rien ! En pleine période électorale, le Congrès est indisponible. Pour cette même raison, la complétion de la réforme du FMI fut repoussée d’octobre 2012 à janvier 2014.

La question taraudante était celle des chances de survie de l’Euro.

Un soulagement apporté par les élections en Grèce, qui choisissait de rester dans la zone Euro, fut éphémère. La Chine reste persuadée que « la faiblesse systémique de l’Europe et son absence actuelle de leadership entraineront tôt ou tard ses banques dans une impasse qui exporteront leur mal ». Dans ces conditions, la Chine se borne à soutenir l’Europe – en parole.
Hu répéta qu’il n’y aurait pas de stimulus pour relancer l’économie mondiale. Ainsi, la Chine se prépare à soutenir l’Eurozone de manière moins risquée : d’ici 2020, selon le rapport du groupe Rhodium en partenariat avec le fonds CICC (China International Capital Corp), les investissements chinois hors frontières atteindront 1.000 à 2.000 milliards de $, dont le quart en Europe – en immobilier, marques et actifs industriels. Dès le 1er trimestre 2012, selon un rapport de A Capital, l’Europe était la 2ème destination du capital chinois après l’Amérique Latine, avec 1,7 milliards de $, soit un triplement de ces opérations en un an.

Du reste, Hu était venu pour une autre démarche : prier Obama de ne pas éreinter la relation bilatérale durant la période difficile des élections. Ce faisant, implicitement, il « votait » Obama contre Romney, et l’assurait d’éviter de le mettre en difficulté pendant sa campagne. De même, il mettait en sourdine les divergences sur la question syrienne, laissant Obama dire que « Chine et Russie reconnaissaient les dangers d’une guerre civile » – admettant implicitement que les violences présentes ne pouvaient durer…

Après la rencontre entre Hu Jintao et F. Hollande, les deux présidents affirmèrent la volonté de renforcer « la coopération en énergie nucléaire et en aéronautique, tout en s’ouvrant aux énergies nouvelles et hautes technologies » – peut-être un prélude à de nouveaux échanges industriels « mondialisés » d’une nature encore indiscernable.


Environnement : Le RIO+20 du développement durable

« Une taxe carbone est une de nos options d’avenir… Mais comme nous préparons aussi un mécanisme d’échanges de droits-carbones, ajouter une taxe aux principaux émetteurs pourrait compliquer la législation » Su Wei, chef négociateur

Un signe qui ne trompe pas : aux 50.000 délégués de 190 pays présents à Rio (Brésil), quatre leaders n’avaient pas cru bon venir s’ajouter, d’un coup d’aile depuis Los Cabos : V. Poutine, B. Obama, D. Cameron et A. Merkel.

Autre mauvais signe : avant l’arrivée des délégués, « L’avenir dont nous voulons », le communiqué final, était prêt, tout chaud, et non-négociable. Chaque participant s’efforçait de justifier ce « forcing » de la présidence brésilienne, et de le présenter comme un succès de compromis raisonnable.

Dernier symptôme : suite à une collusion improbable, mais vraie, des USA et du Venezuela d’Hugo Chavez, un projet de Traité de protection de la haute mer a été éliminé des débats.

Dans ces conditions, que reste-t-il de ce sommet honni de tous ? Un genre de traité, dont tous les articles auraient été laissés en pointillé : un « forum de haut niveau » (organe consultatif), un « processus de fixation des objectifs » pour le développement durable.
Commentaire d’une ONG : « si les Etats ne déploient pas plus de volonté politique à l’avenir, ce papier restera lettre morte ».

Un « quart de résultat » aura été une nouvelle unité de mesure, dit du « capital-nature », ou du PIB « vert ».
Appelé « GDP+ », il sera en place en 2020, mesurant les performances économiques compensées par la qualité de l’air, les ressources en eau et en forêts. Le Royaume-Uni (Nick Clegg) sera un des 1ers pays à l’adopter.

Face à un pays hôte brésilien « sympa mais pas à la hauteur », la Chine n’a pas eu se battre pour bloquer toute avancée durant ce sommet. On a aussi évité tout débat sur la limitation des émissions dans l’aviation, où l’Europe tente de discipliner les pratiques mondiales à partir de son espace aérien, ce contre quoi Pékin mène l’opposition.

Peu avant l’ouverture du Rio+20, la Chine venait d’admettre 20% d’émissions supplémentaires de CO2 en 2010, 1,4 milliard de tonnes que les provinces avaient jusqu’alors cachées.
Pourtant la Chine, en interne, agit avec vigueur vers sa décarbonisation économique. En 2011, elle investit 52 milliards de $ en énergies renouvelables, introduit une taxe aux ressources minérales, et prépare une taxe des émissions carbone. Ainsi, la Chine refuse toute discipline communautaire, mais elle compense en effort national. Tout son style, face à l’étranger, est résumé ici : un égoïsme sacré, mais pas une fuite aveugle en avant !


Agroalimentaire : Grain – la Chine va glaner aux champs

Les récoltes d’hiver sont rentrées à 95% – le paysan achève ses semailles de printemps. Or, le 15/06, selon le Centre national des grains et oléagineux, la récolte de blé a baissé à 111 millions de tonnes (-2,3 millions de tonnes). Le US Department of Agriculture avait prédit, (après étude par satellite) un manque à gagner de 10 millions de tonnes, dû à la sécheresse et à des parasites. 

Le résultat est que le 14/06, le pays procédait à un achat record en 8 ans et demi, de 110.000 tonnes, aux Etats-Unis. Et ce n’est qu’un début, disent acheteurs et vendeurs ! L’importation pourrait atteindre 5 millions de tonnes au second semestre (au lieu des 1 à 3millions de tonnes/an usuels), nécessaires pour regarnir les stocks.

Même tendance en matière de maïs. Pour 2012-2013, la Chine s’attend à devoir importer jusqu’à 9 millions de tonnes de ces céréales fourragères, au lieu des 5 millions de tonnes de l’an dernier. La Chine a commandé 3 à 4 millions de tonnes aux USA, mais aussi, pour la première fois à l’Ukraine (3millions de tonnes). L’Argentine aussi se tient prête : interdit en Chine pour cause d’OGM, son maïs pourrait recevoir le feu vert de Wen Jiabao en personne, lors de son passage au Cône sud, du 20 au 26 juin. Le Brésil en a profité pour se mettre sur la liste des nouveaux fournisseurs.

Si l’on ajoute que la Chine renforce aussi ses rentrées de soja, à 57 millions de tonnes (record mondial attendu cette année), on voit dès maintenant, une Chine qui consomme toujours plus de pain, pâtisseries, produits laitiers, viandes et bières (dont elle buvait 50milliards de litres en 2011), et qui ne peut plus assurer seule sa demande en céréales. Elle vient de faire son deuil définitif du principe maoïste d’autosuffisance alimentaire !


Taiwan : Taïwan : les gâteries pékinoises

Depuis quelques mois, on voit bien que la ferveur taïwanaise pour le rapprochement avec le continent, marque le pas : le Président nationaliste Ma Ying-jeou, qui vient de sauver son second mandat en avril 2012, est talonné par son vieux rival, le parti DPP autonomiste.

Pour enrayer cet essoufflement, la Chine a apporté des cadeaux au 4ème Forum du Détroit à Xiamen (Fujian, le 18 juin) : un véritable new deal à l’intégration – sans le dire.

Aux firmes insulaires, 600 milliards de ¥uan (75 milliards d’€) de prêts à l’investissement en Chine sont offerts sur 4 ans – peut-être une partie du futur stimulus. S’ajoutent 300 milliards de ¥ (37,5 milliards d’€) en crédits de R&D.

Nanning, Wuxi et Changchun s’ajoutent aux 27 villes où les Taïwanais peuvent obtenir la résidence directe, et ce, pour deux ans au lieu d’un.

D’ici l’automne, dans six provinces côtières autour de Tianjin et Shanghai, ils obtiendront le permis de travail direct dans les firmes industrielles, les administrations et les écoles (une fois leur diplôme reconnu).

En échange, la Chine espère simplement la réforme de « règlements discriminatoires envers les étudiants chinois », soit un accès plus large aux universités de l’île, ce qui ne semble pas un objectif inaccessible.

En somme, dans le souci de se faire accepter par Taïwan, et dans l’incapacité de faire des concessions sur son propre système autoritaire, la Chine investit, à sens unique, à fonds perdus, sur l’avenir.


Petit Peuple : Qingdao – Pan Qi, l’arbre qui gâche la forêt

«L’Amazonisation» des villes chinoises, est l’un des mystères du XXI. siècle en Chine. 

Entre bitume et asphalte, poussent arbres et parterres, jusqu’à gêner le passage des deux-roues et piétons. Affaire pavée de bonnes intentions : il faut domestiquer la jungle de béton, canaliser gaz d’échappements et poussières, mettre au vert les yeux larmoyants. Après le succès des plantations de Pékin pour les J0 en 2008, toutes les métropoles provinciales, conformistes et opportunistes, ont emboité le pas. C’est pourquoi à Qingdao ce printemps, Pan Qi, la journaliste, poussa des cris d’orfraie en voyant « sa » place Huiquan massacrée, pelouses défoncées par les semi-remorques, les milliers de troncs malingres déposés dans l’attente d’être transplantés, alignés comme des poireaux.

Pour la chroniqueuse de 27 ans, c’était un crime de lèse-enfance : ce square, c’était là où petite, elle aidait grand-père à lancer ses cerfs-volants.
En bonne Chinoise, Pan Qi avait toujours professé un mépris gouailleur sur toute politique, même locale. Mais là, son sang ne fit qu’un tour. D’une volée de tweets vengeurs, elle posta l’incident sur le microblog de Weibo. Puis elle alla sur place adjurer les jardiniers d’arrêter le carnage vert: de préserver l’âme de la ville. Incrédules, les manœuvres en sueur détaillèrent le maquillage, le tailleur, les talons hauts. A mi-voix, ils objectèrent qu’ils obéissaient aux ordres : « allez voir avec le patron » . Les plus audacieux ajoutèrent qu’ils étaient bien contents de faire bouillir la marmite, à 120¥/jour.

Changeant de tactique, Pan Qi appela le bureau de la construction, et fut reçue par une fonctionnaire courtoise, mais sure de son droit et bien décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds par une simple citoyenne.

Sur Weibo cependant, la sauce commençait à prendre. Les tweets de Pan Qi étaient suivis de milliers d’autres, posant les bonnes questions: le gazon serait-il replanté ? Les essences choisies résisteraient-elles au climat océanique iodé de Qingdao ? Le projet du « planteur fou » (comme on commençait à l’appeler) coûtait 4 milliards de ¥ : combien étaient perdus en bakchichs aux cadres vénaux ? Surtout, sur un sujet concernant au 1er chef la population, comment la mairie avait-elle pu omettre de la consulter ?

Du coup, celle-ci se mit à communiquer : déjà balnéaire et portuaire, la fière cité maritime était en train de mettre une autre corde à son arc, une vocation forestière, florale, écolo. Dès le 1er mois, 1,8 million d’arbres avaient été plantés, 40 à la minute, jour et nuit : la cité d’avant-garde volait de victoire en victoire !

La journaliste avait potassé son droit : plusieurs lois lui permettaient d’interpeller le rond de cuir, d’exiger des réponses.
Commença alors une vicieuse bataille. Pan réclamait des comptes : devant son avancée, les cadres tendaient une grande muraille téléphonique, la baladant de bureau en bureau, du paysagiste au responsable des parcs, du service des pétitions au sous-comité juridique. Mais sans jamais lâcher prise, Pan nota tout, reconstitua l’organigramme avant de tout rebalancer sur Weibo, au nom des droits et des devoirs du citoyen.

Et cette fois, miracle : ce ne fut plus Qingdao mais la Chine entière qui applaudit, blâma la mairie, le « grand blanchiment vert », clamant que le pays avait besoin de plus d’esprits civiques comme le sien.

On en est là : à la mairie, on fait le gros dos, laissant passer l’orage tandis que les planteurs impavides poursuivent leur tâche, sans perdre un tronc ni une minute. En apparence, c’est donc le système qui gagne, et la journaliste qui mouline en vain ses attaques, « lançant un œuf contre une pierre » (以卵击石,yǐ luǎn jī shí). Mais dedans leurs murs, les fonctionnaires ont encore le cœur qui bat à 140 coups/ minute. De mémoire de mairie socialiste, jamais on n’a vécu contestation si frontale et audacieuse. Aussi, loin d’être une fin, c’est un début. Et du haut de ses 27 ans, Pan Qi le sait bien !


Rendez-vous : Les salons de la semaine
Les salons de la semaine

28-30 juin, Pékin : Salon de l’Agriculture moderne

28-30 juin, Canton : Hosfair, Salon des équipements hôtelier + Salon des vins et spiritueux

3-6 juillet, Pékin : Salon de l’emballage

3-7 juillet, Shanghai : Eastpro, Salon de la machine outil

5-6 juillet, Shanghai : Forum sur le gaz de schiste

5-8 juillet, Shanghai : Salon du mariage