Le Vent de la Chine Numéro 1

du 9 au 15 janvier 2012

Editorial : Le véritable combat de Hu Jintao

L’an 2012 commence sur une rumeur venant des plus hautes sphères : l’homme appelé à remplacer Wen Jiabao à la tête du Conseil d’Etat ne serait pas Li Keqiang, vice 1er secrétaire et vice 1er ministre, mais Wang Qishan (cf photo), chef d’orchestre de l’économie.

Si elle se vérifie, la nouvelle est de taille. Li Keqiang est le fils spirituel de l’actuel n°1 Hu Jintao. En 2007, faute de pouvoir l’adouber futur Président, Hu Jintao avait dû se contenter pour lui du poste de prochain 1er ministre. Si Wang coiffe Li au poteau d’arrivée, c’est un désaveu de plus pour Hu, signe de faiblesse face à ses opposants, le gang des petits princes de Xi Jinping ou Bo Xilai, ou encore du vieil mais toujours influent Jiang Zemin.

L’élévation supputée de Wang peut répondre à une logique de nécessité. A l’heure où la récession mondiale rejoint la Chine (cf p.2), il peut paraître plus efficace de placer à la barre Wang, un des acteurs du triomphe commercial chinois, que le pâle dauphin du Président. Au demeurant, ce coup s’inscrirait dans le contexte plus vaste du renouvellement du Comité Permanent, l’organe exécutif suprême -7 sièges sur 9 à pourvoir. Dans l’ombre, s’affrontent des personnages aussi en vue que Wang Yang et Bo Xilai, patrons du Guangdong et de Chongqing (cf p.3).

Ce n’est pas par hasard si Hu Jintao, ces jours-ci, fait feu de tout bois contre… le « péril occidental ». La revue théorique Qiushi publie son discours de novembre au ton militant et patriote. Hu y pourfend les «forces hostiles internationales», en train d’« infiltrer à long terme le pays, sur les terrains de l’idéologie et de la culture ».

NB: Hu Jintao semble prêter aux USA, à l’Europe et au Japon, paralysés pour 10 ans par l’obligation de se reforger ensemble un cadre durable (sociopolitique, financier, industriel…), plus d’énergie combative qu’ils n’en ont.

Hu adjure aussi les 80 millions de membres du Parti de « satisfaire les attentes des masses, dans le domaine culturel » : c’est celui qu’il semble avoir choisi depuis six mois, de pair avec sa « société harmonieuse », pour s’inviter au Panthéon socialiste aux côtés de Mao, Deng et Jiang. Au passage, Hu défend les « valeurs éthiques » de sa législature, contre l’occidentalisme et l’esprit mercantile, contre aussi la critique de Wen qui parlait en avril de « déclin moral », suite à un énième scandale alimentaire.

Loin de rester lettre morte, les slogans de Hu sont suivis de vigoureuses campagnes.

Au 01/01, à la TV, reality shows, concours de chant et meetings romantiques sont éradiqués (de 126 à 38). La pub intercalaire interdite (elle rapportait 27MM$ l’an passé). La justice frappe les dissidents—10 ans de prison à Chen Xi, 3 (de plus) à Gao Zhisheng, 9 à Chen Wei, et l’avocate Ni Yulan, qui vient d’obtenir le prix « Tulipe » (Pays-Bas), attend son lourd verdict. Enfin, une réforme du statut des étrangers promet à une partie d’entre eux (ceux dont Pékin veut) des « cartes vertes » avec visa jusqu’à 5 ans, mais à ceux en situation irrégulière, jusqu’à 60 jours de geôle ferme et 20 000¥ d’amende.

Le durcissement sert aussi à contenir un flot de critiques et scandales.

En alimentaire, Mengniu, n°1 du lait perd 25% en bourse (27/12) après la révélation de traces d’aflatoxine dans ses produits.

Sur le front du logement social dont l’Etat prétend bâtir 36 millions d’ici 2015, émergent des fraudes, malfaçons et mauvais prêts, résultant du choix de Pékin de se défausser du financement au niveau local (cf p2). Côté santé, le retour de la grippe aviaire, avec un mort (25/12) à Shenzhen ne fait rien pour rassurer les esprits.

Tout ceci éclaire le véritable combat de Hu Jintao : moins contre un étranger bouc émissaire, que pour assurer sa place dans l’histoire, et prévenir son isolement croissant face aux problèmes non résolus, par le recours au bon vieux remède autoritaire. Ce dernier ayant prouvé sa valeur dans au moins un domaine : sauvegarder une stabilité de surface jusqu’à la passation du pouvoir à Xi Jinping, dans 10 mois.


Politique : Bo Xilai, Wang Yang — Le parcours des combattants

Bo Xilai Regarde En Haut

Wang Yang et Bo Xilai sont de factions opposées—团派 tuanpai pour Wang (Ligue de la Jeunesse, base de pouvoir de Hu Jintao), 太子帮 taizibang pour Bo, le club des « petits princes » fils de la nomenklatura, dont vient aussi Xi Jinping,le futur Président.

En course pour le Comité Permanent en octobre, ces patrons respectifs du Guangdong et de Chongqing viennent de gagner chacun une bataille délicate, grâce au coup de pouce de leurs soutiens au coeur du pouvoir.

[1] En son fief de Chongqing, Bo arrache (14/12) l’amputation de 100 km d’une réserve aquatique sur le Yangtzé, et le feu vert au barrage de Xiaonanhai à 30 km de la ville, un chantier à 3,8MM$ et 1,75Gw de capacité. Envisagé depuis 1990, bloqué depuis 2009 par les ministères de l’environnement et de l’agriculture, le projet avoue bien des faiblesses :

– la perte de 46 km² de terres arables (gagne-pain de 400 000 paysans, qui seront déplacés),

–  un coût triple de celui des Trois-Gorges  à 2,144$ le kW de capacité installée,

– l’éradication de 189 espèces uniques de poissons, 60% de la faune du bassin. Mais que les 2 ministères aient levé leur véto et que les 30 membres  de la Commission du Conseil d’Etat aient voté à l’unanimité, en dit long sur l’aura de Bo Xilai, qui joue sur son image de « Mr Propre anti-Mafia», de gardien du temple post-maoïste, et de magicien de la croissance, ayant fait passer sa ville de n°5 à n°1 , avec 16,6% en 2011. A pu jouer aussi l’effet Fukushima : le programme nucléaire chinois est arrêté, et pour des raisons géotectoniques, Chongqing ne peut avoir de centrale. Bo a eu beau jeu de démontrer que pour sa mégapole de 35 millions d’âmes, Xiaonanhai n’avait pas d’alternative.

 [2]  à 900 km de là, à Canton, en décembre, Wang Yang se tire d’un guêpier, qui est à vrai dire le fruit d’un certain style de management social technocrate et contre-réformiste. Wang, en 2011, inventait l’indice du « bonheur provincial brut », mais il bloquait aussi une série de tests démocratiques à Shenzhen, anéantissant les espoirs de la ville soeur de Hong-Kong, de jouer au « laboratoire social » du pays.

Wang Yang

Depuis 20 ans à Wukan, bourgade de paysans-pêcheurs, le torchon brûlait : 660 ha de biens communaux étaient secrètement revendus par les leaders locaux (700M¥)  à des promoteurs HKgais. Prenant d’assaut la mairie en septembre, la populace découvrait les actes de vente, chassait ses cadres, se dotait de chefs. Ce qui n’empêchait pas Chen et Xie, les apparatchiks, de se faire « réélire » le 29/9 avec 80% des voix.
La police procéda à des arrestations, un leader mourut en détention. Alors, la situation explosa. 13 000 habitants se retranchèrent pendant 13 jours. Les insurgés déployèrent des banderoles « non à la dictature !» Enfin, s’arrachant à quatre mois de mutisme, Wang finit par désavouer ses cadres, libérer les détenus, rendre une partie des terres.

Aujourd’hui, il monte l’incident en «modèle de Wukan», vantant sa concertation douce, se défaussant sur la mairie pour toute responsabilité. Les experts ne doutent pas que Wang, «client» de Hu (tous deux natifs de l’Anhui) sera l’un des 9 nouveaux leaders nationaux… En somme, pour Wang comme pour Bo, missions réussies – plus par l’entregent, que par respect de l’environnement ou de l’Etat de droit !


Diplomatie : Chine et Japon — Embellie monétaire ou partage commercial du monde ?

Le 27/12 à Pékin, la visite du 1er ministre japonais Y. Noda s’acheva sur un accord monétaire innovant et fort inattendu, vu la fraîcheur passée des relations. Tokyo s’engagea à émettre des obligations en yuan sur le continent, pour les besoins de ses groupes. 

Il promit aussi d’acheter 10MM$ de bons du trésor chinois. Opérations destinées à renforcer la « monnaie du peuple » comme devise, accélérer son passage à la libre convertibilité et affranchir les deux pays de l’usage du dollar, et des frais de conversion qui vont avec, grevant 60% de leur commerce bilatéral (340 MM$ en 2010) et l’exposant aux risques de fluctuation erratique des taux de change.

Ces actions alimentent la rumeur qui court depuis des mois, d’un rapprochement entre ces titans d’Extrême-Orient. Telle embellie pourtant, ne va pas de soi. Six ans plus tôt, J. Koizumi, l’ombrageux 1er ministre de l’époque, causait l’orage en répétant ses visites au sanctuaire de Yasukuni, où reposent des criminels de guerre. En 2011 encore, Tokyo adhérait aux nouvelles alliances, militaire et commerciale Pacifique, initiées par B. Obama, visant (même s’il s’en défend) à contenir la Chine. 

Depuis 2010 par ailleurs, un rapprochement énergique est constaté entre Japon et Inde, comme pour s’ouvrir mutuellement un front d’investissements faisant l’impasse sur ce pays qui inquiète… Pékin d’ailleurs, par voie de presse, ne se gêne pas pour dénoncer chez ses voisins ce qu’un professeur appelle « stratégie de contention ». à cette lumière, la visite de Noda et les accords passés à Pékin sont interprétés par les uns comme signe de courage lucide de reconnaissance des réalités (l’avenir du Japon passe d’abord par la Chine), et par les autres comme une « ficelle » pour donner le change. 

Le geste est timide, sans échéancier pour lancer ces achats nippons de yuan. Mais sous l’angle commercial, il est très sensé. Pour Pékin, ouvrir au Japon un robinet à RMB, aujourd’hui bloqués par la méfiance des opérateurs chinois envers les circuits financiers socialistes, c’est atteindre le consommateur nippon en mal de produits pas chers. Politiquement, une fois le yuan convertible, il pourra agir sur les flux monétaires mondiaux.
 Pour Tokyo, ses firmes vont obtenir du cash pour poursuivre leur déploiement en Chine, et par la réévaluation du yuan (jusqu’à 40% en valeur actuelle), la consommation chinoise explosera – y compris en produits nippons, ce qui aidera le Japon à compenser la perte des marchés euro-américains affaiblis. D’ici 10 ans, entre ces deux-là, on pourrait aboutir à un « partage commercial du monde ».

Pour la Chine, l’entente avec Tokyo est le plus sûr moyen de mettre en échec la stratégie américaine d’isolation – elle en a sans doute été l’élément déclencheur. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et la méfiance reste de mise. Après le redépart de Noda pour… New Delhi, quatre politiciens japonais nationalistes posaient pied sur les îles Senkaku-Diaoyu, soulevant des protestations indignées de l’Empire du Milieu. Le message est clair : des deux côtés, les faucons attendent, chez leurs adversaires pro-dialogue, le faux-pas pour jeter du sable dans l’engrenage de cette trop savante machine ! 


Technologies & Internet : Objectif Lune… pour le prestige

Le 29/12, l’administration spatiale confirme son programme quinquennal : une station orbitale habitée, l’achèvement de Beidou (北斗 «grande ourse», le GPS chinois) et un pied sur la Lune -pour après 2020, selon les experts.

[1] à propos de Beidou, mi-décembre, le 10ème satellite du réseau (en 10 ans) permettait de lancer (27/12) le service national de positionnement global. Six relais suivront en 2012, 19 autres d’ici 2020. Si Beidou marche, l’Armée chinoise peut espérer récupérer une part des 50 milliards ¥/an de ce marché en Chine (mai 2011). Dès maintenant, il dame le pion au malheureux Galileo de l’Agence spatiale européenne, paralysé faute de crédits et de volonté politique. Son principal mérite, pour les militaires, est de leur permettre, en Mer de Chine et sur le Pacifique, de détecter l’intrus, guider leurs missiles…

[2] La Lune frappe évidemment l’imaginaire chinois -lieu du « Palais de glace » de l’héroïne Chang’E, dans toutes les mémoires.

Pékin prétend, d’ici 2017, y préparer une expédition. Cependant, sous l’angle scientifique, la mission a peu de sens. En 50 ans, la Lune a déjà reçu 100 engins spatiaux, permettant d’engranger un max. de savoir sur la surface sélène, mais laissant dans l’ombre les mystères de son sous-sol, y compris celui de sa naissance. La Nasa elle, réunit (31/12 et 01/01) les 2 sondes du programme GRAIL (Gravity Recovery and Interior Laboratory) pour dresser en plusieurs années les cartes du relief et du champ de gravité, promettant un bond de géant à la science. à cette lumière, le programme chinois semble plutôt tourné vers le prestige – investissement dans la fierté nationale…


Pol : Islam — Retour d’intifada

Territoire turkmène de l’Ouest, le Xinjiang voit depuis 20 ans défiler les mêmes vagues de frappes anti-séparatistes-extrémistes-terroristes, et d’émeutes sanglantes aveugles. Septembre-octobre avaient vu des patrouilles à toute heure, ratissant porte-à-porte en quête d’armes et de documents.   

A Kashgar et Hotan, quatre hommes étaient exécutés suite aux attentats de l’été qui avaient fait 32 morts. Le 28/12, à la nuit, tuerie à Pishan, près de Hotan, 8 morts (1 policier, 7 Ouïghours). La Chine évoque une « intifada » avec prise d’otages et tentative de sortir du pays. A Stockholm, le World Uyghur Congress en exil dément, accusant la police d’avoir exécuté des protestataires devant un commissariat.

Fait étrange (car les 2 ethnies ne partagent ni amitiés, ni langue), un autre désordre secoue les Hui, l’autre grande branche de l’Islam chinois. Le 31/12 à Taoshan (Ningxia), des centaines d’hommes de la police armée prennent d’assaut (canon à eau, gaz lacrymogène) une mosquée juste restaurée, la démolissent. Dans l’échauffourée seraient morts jusqu’à cinq fidèles. Bizarrement, le district local avait cofinancé l’ouvrage : manifestement, ce n’est que tardivement que le lieu de culte a été déclaré illégal. En défense de son action, la police invoque une participation de groupuscules intégristes de provinces extérieures (Yunnan, Gansu, Xinjiang).

Deux clés d’explications sont plausibles: – l’exaspération des cadres locaux face à la radicalisation lente de son islam, réponse au retard croissant de son bien-être ;   –   le choix du régime, face à toute minorité religieuse, de privilégier la  croissance en rejetant toute velléité d’autogestion !


Economie : Récession, la Chine tente de se préparer

Pour Wen Jiabao, gérer l’économie devient une vraie quadrature du cercle. Comment insuffler une bouffée de croissance, sans relancer l’inflation péniblement redescendue à 4,2% en novembre, après un an d’étranglement du crédit ? 2012 s’engage mal. C’est Wen qui le dit, promettant (01/01) des « moments difficiles »  dès le 1er trimestre. Les comptes sont vite faits. L’export « riche » vers l’Occident disparaît, celui «low cost» vers les pays en voie de développement aussi, concurrencé par l’Asie du Sud-Est.

L’immobilier baisse depuis 4 mois (-0,25% en décembre). Le foncier a perdu 16% en 2011, et le bâtiment perdrait 10% de ses ventes. La frilosité du marché se voit quand les villes  redressent les salaires minima, 15,9% à Shenzhen (1500 ¥), 8,6% à Pékin (1160 ¥) : les PME toussent, ou ferment. 

À ce rythme, la croissance qui faisait 9,7% il y a 12 mois, perdait 0,3% au 3ème trimestre, repassait dans les 8% au 4ème trimestre et devrait atteindre selon certains les 7,5% en mars 2012. Seule lueur d’espoir, l’indice des commandes industrielles a refranchi la barre de 50, à 50,3,  suggérant une sortie de récession,   mais cette petite hirondelle est encore loin de faire le printemps !

L’Etat fait ce qu’il peut, mais la passation de pouvoir  en  gestation prohibe toutes audaces et mesures nouvelles. 

Une baisse de réserves des banques est pressentie d’ici le Chunjie, le nouvel an chinois. Des primes sont à l’étude pour mars : primes à l’équipement des locataires de logements sociaux, aux renouvellements de voitures, aux produits « verts »… Pas question cependant de relâcher le mors de l’immobilier. Priorité est donnée aux logements sociaux, dont 7M d’apparts sont programmés cette année -même si le financement manque, à charge de provinces surendettées, l’audit national relève 84 milliards de $ d’ « irrégularités » en 2010. A même époque, Wen Jiabao prédisait 1500 milliards $ en mauvaises dettes.

L’Etat rectifie donc ses priorités d’investissements étrangers. Un catalogue apparaît (29/12), relayant celui de 2007.

Parmi les secteurs encouragés figurent sans surprise la voiture électrique, certains services, les hydrocarbures complexes (gaz de schiste, sables bitumineux), l’internet haut débit, où le MIIT (Ministère des Industries et des technologies de l’Information) vise d’ici 2015 un débit de 4 MB/s en secteur rural, et 100 MB/s dans les grandes villes.

Le principal « découragé » est l’automobile, qui perd sa détaxe à l’import d’équipements. C’est pour prendre en compte le suréquipement déjà visible (l’an dernier, les ventes nationales n’ont progressé que de 5,3%, beaucoup moins que les investissements des constructeurs), et pour tenter de protéger les marques nationales qui ne détiennent que 30% du marché…

Dans ce contexte, surgit l’outsider Renault, qui tente une nouvelle fois d’entrer sur ce marché où il n’est présent que via Nissan, sa filiale à 44%. Selon une fuite dans la presse chinoise, il aurait obtenu son ticket d’entrée, mais pas à Shenzhen comme il espérait, ni dans une usine propre : à Wuhan, dans un bâtiment de la JV Dongfeng Nissan. A deux blocs de l’autre JV de Dongfeng, PSA.
Honda, installé à Canton, aurait fait pression pour empêcher un concurrent de venir sur son juteux marché du sud. Entre Renault-Nissan et Dongfeng, l’accord viendrait d’être conclu, pour annonce imminente. Avec sans doute, une chaîne de voitures électriques. Il ferait bien de se presser car la même rumeur informée poursuit : après le gong du 30/01, pour toute implantation automobile nouvelle en Chine, rien n’ira plus.


Petit Peuple : Shenyang : le coeur en guise de jambes

À Rio, Dakar ou Shenyang (Liaoning), joue cette loi universelle des hommes : quand les parents divorcent, les mômes trinquent.

Ceux de Zhang Qingli s’étaient quittés quand il avait six ans. Son père s’était remis avec une marâtre acariâtre. Disputes, corrections se succédaient, menant au petit une vie d’enfer.  à 10 ans, en plein hiver 1996, suite à une soirée horrible, il avait fugué, par -25° dans le blizzard, sans anorak ni refuge. Trouvé mourant, il avait fallu l’amputer des deux jambes – faux départ dans la vie, s’il en est !

Des chances, il y en a toujours, pour peu qu’on sache les saisir. En 2006 à la TV, il voit le reportage d’un pépé s’étant découvert sur le tard une vocation de China-trot-ter, pédalant au gré des saisons du Yunnan à Dalian. Or, ce qu’un faible vieillard faisait, pourquoi un jeune de 20 ans, même cul-de-jatte, ne pourrait-il pas le faire ?

Il appela la Fédération des handicapés, et soumit son projet. Laquelle décida de le soutenir en offrant un fauteuil roulant. Il compléta ce viatique d’une carte, d’une boussole, d’un cahier noir et de quelques vêtements. Et il partit avec en poche, 40 renminbi, arpentant à son tour les nationales, G102, G108…

Ce fut une renaissance. Après quelques semaines, à 300 brassées au km et 60km/jour, il avait des biceps à la Popeye. Surtout, il découvrit qu’en produisant son déplacement, il reprenait la maîtrise de sa vie, faisant disparaître son handicap : en s’éloignant de toute rencontre déplaisante, il pouvait choisir sa compagnie. En prenant ses distances dès qu’on lui manquait de respect, il pouvait même éduquer son monde. Du coup, ses rapports avec les autres en étaient magiquement inversés : sa dépendance éliminée, remplacée par l’admiration des autres, pour son exploit permanent. 

Hommes et femmes de rencontre se battaient pour l’accueillir. Et il jouissait de son image nouvelle. Les handicapés, c’étaient les autres, dotés de jambes mais privés d’une vertu ô combien plus vitale : le courage de partir, coupant tous liens, pour la grande aventure.

Une fois dans ce paradis qu’il avait d’abord découvert par hasard, puis apprivoisé, il n’en est plus jamais ressorti. En six ans, sous son corps trop puissant, il a brisé trois fauteuils, usé 100 paires de pneus, dévalé 20 provinces, de Mongolie au Hunan, du Jiangxi au Laos, via le Xishuangbanna (Yunnan). Quand il pleut, il sort l’imperméable offert par un patron de PME. Ses nuits, il les passe sous les abris de bus. Quand il a faim, il se nourrit de ce qu’on lui donne – le ciel pourvoit plutôt généreusement à ses besoins, qu’il a de toute manière appris à limiter au nécessaire frugal.

Au chapitre «accidents», les Dieux ont été compatissants – une seule fois en 2007, dans le Shanxi, sur une chaussée glissante sous l’averse, il perdit le contrôle du fauteuil, culbuta dans un fossé. Quand il sortit de sa commotion, c’est par lui-même, au bout d’heures d’efforts, qu’il put s’arracher à la glaise pour aller au prochain dispensaire faire recoudre sa joue ensanglantée.

En octobre dernier, à Nanning (Guangxi), en route vers le Vietnam, il recassa sa chaise. Fort de son expérience, il s’est rendu droit au magasin Giant (marque d’origine taiwanaise, la meilleure du pays). Il savait y trouver le club de cyclotourisme déployé partout à travers le pays. Face à une demi-douzaine de fans de la petite reine, il raconta sa vie, ses étapes, son combat. Il fut applaudi, et ce fut de bonne grâce, avec enthousiasme même que le patron lui offrit sa soudure gratis, un panier à bagages, une nuit d’hôtel, et le lendemain, sur la caisse du club, 500¥ pour la route.

Comment croyez-vous que Zhang Qingli se sente aujourd’hui après six ans de route ?  à 35 ans, loin d’être usé par ses aventures, il déborde d’énergie. Il veut faire le tour du monde, découvrir Singapour, l’Australie. Ayant appris à convertir ses handicaps en atouts, il veut désormais financer son voyage en l’écrivant ou en le filmant, afin de nourrir de larges populations de son rêve vécu au quotidien – prouver à tous la justesse de l’adage selon lequel yǒu zhì jìng zhé, shì jìng chéng 有志者 事竟成   « Vouloir, c’est pouvoir » !