Le Vent de la Chine Numéro 8

du 7 au 13 mars 2011

Editorial : Wen Jiabao : guerre sainte à l’inflation

Le Plenum de l’Assemblée Nationale Populaire (05/03) marque un tournant: à 624MM¥ en 2011, le budget de la sécurité civile (polices, justice, prisons) passe pour la 1ère fois  celui de l’Armée Populaire de Libération (601MM¥). L’effort de renforcement du contrôle social est encore plus net en observant les courbes de hausse par rapport à 2010 : 13,8% contre 12,7% pour l’armée. C’est, nous semble-t-il, le contrecoup des événements en cours dans le monde arabe, où la colère de la rue naît d’une conjonction de flambée du coût de la vie (vivres, logis) et d’une corruption généralisée au sein d’un régime autoritaire.

En son discours d’ouverture, le 1er ministre Wen Jiabao marque le coup, et réorganise un effort, déjà sensible les années passées, et porte à un niveau sans précédent, la lutte contre  l’inflation galopante des prix alimentaires et de l’immobilier. Nourrir – malgré le réchauffement climatique – et loger le peuple, rectifier une politique de croissance trop favorable aux nouveaux riches : telle est la stratégie de survie sur laquelle les équipes dirigeantes sont à l’unisson,  celle sortante en 2012 (Hu Jintao Wen Jiabao) et la suivante avec le XII. Plan (Xi Jinping – Li Keqiang).             

L’agriculture sort prioritaire,  plus encore que les 9 années précédentes des deux mandats de Hu : d’urgence, il faut renforcer  la production vivrière et l’approvisionnement des marchés. Wen promet au paysan une hausse de revenu/an, supérieure à celle du citadin (7% net contre 7% brut). Le prix  minima poursuivra sa montée (10/ 14¥ le quintal de blé, 18/46¥  celui de riz), pour compenser l’inflation. Malgré un recul prévu en 2011, Pékin vise d’ici 2016 une récolte de grain de 600 Mt (+9%). Dans ce projet, l’actuelle inflation vivrière joue en sa faveur, comme transfert naturel de ressources de la ville vers les campagnes.

L’investissement central annuel en faveur des paysans sera de 988MM¥ soit +13% : à la fois vers la distribution et la banque  rurale, mais aussi  vers les productions déficitaires  (coton, huile, sucre), l’extension à tous de la retraite et de l’assurance maladie de base, voire celle d’une  retraite complémentaire. Wen veut aussi renforcer le stockage public (pour stabiliser les marchés et les prix), et maintenir des programmes sociaux telles les ventes subventionnées d’électroménager et les constructions de fosses à méthane. 

Un article manque à la liste: le transfert au paysan du droit du sol, seul moyen pour le protéger des expropriations abusives…  mais ce serait une réforme politique, laquelle est laissée à la discrétion du prochain pouvoir.

Côté logement social, Wen confirme 11,5M de HLM en 2011 et 103MM¥ de crédit (+25%). D’ici 2016, 20% de la population urbaine devrait y avoir accès (Bo Xilai, l’outsider de Chongqing renchérit, offrant «33%» pour ses administrés). Wen confirme aussi l’avènement d’un Office national de gestion des HLM, et un plan d’occupation des sols révisé assurant chaque année la priorité des lots à bâtir. A l’évidence, le leadership veut sérieusement d’enrayer spéculation et immobilier de luxe.

Une autre politique évolue, traduisant un consensus entre les deux équipes dirigeantes : celle concernant l’énergie  et l’environnement. Sur cinq ans, Pékin promet une hausse des énergies renouvelables à 11,4% du mix total, une baisse (relative au PIB) en dépense d’énergie de 16% et en émissions de CO² de 17%, et de 8 à 10% en autres polluants. En surface, la forêt s’accroîtra de 21,66%.

Un nombre de réformes longtemps différées sont rappelées – mais non promises : une tarification unifiée de l’électricité, la césure entre administrateurs et producteurs, la mise en place d’un régime de quotas d’émissions de CO², et de commerce de ces droits…

Signalons pour conclure la liste des retards dont a pâti selon Wen le dernier Plan : s’y succèdent les services (en qualité, et en emplois), la R&D, les hôpitaux, l’éducation, l’inflation, les expropriations, la sécurité alimentaire et pour finir la corruption. Tout se passe comme si le 1er ministre, en  confessant aux 2980 édiles sa liste d’échecs, avait inversé l’ordre de gravité, pour en rendre l’acceptation plus facile !

 

 


A la loupe : Le Yuan, prochain billet vert?

La place du yuan dans le monde de demain est une des questions sur lesquelles financiers et politiciens retiennent leur souffle. L’économie chinoise progresse à rythme vif quand le monde «riche» stagne, et dépassera les USA sous 20 ans, nul doute. Pékin excelle aussi à brandir chaque semaine un nouveau test de dérégulation, et ses progrès dans les circuits financiers planétaires. Faut-il croire qu’un jour, au même rythme que son économie, sa finance pourrait remplacer le dollar comme étalon des échanges?

Influent professeur à Beida, M. Pettis, parie qu’il faudra des décennies pour y arriver, pour les raisons suivantes: [1] Faute d’un excédent commercial sur la Chine, ou d’une libre convertibilité, le monde ne peut pas amasser de vastes volumes de yuan. [2] Au cours des 10 dernières années, le corset raide des règles financières chinoises n’a fait que se renforcer, plutôt que s’alléger.  [3] Malgré ses aspirations à une influence régionale amicale (soft power), Pékin n’a pas su créer un climat détendu avec son voisinage, qui ne sera donc pas prêt à soutenir un rôle pour le yuan -début mars encore, la Chine forçait sa présence en mer de Chine, indisposant Japon, Philippines et Vietnam.

Il y a bien pourtant ces « progrès » affichés du yuan hors frontières : les 67000 exportateurs chinois qui se sont faits payer 77MM$ en ¥ l’an passé; la prédiction par la banque HSBC d’ici 2015, d’ «au moins 50%» des échanges en yuan avec les pays émergents. Mais, répond Pettis, ce trafic ne fait qu’ 1% du mondial, et ne change «rien». Idem pour le marché «dimsum» des obligations en yuan : les cinq banques étrangères aujourd’hui autorisées sont pour l’instant bridées limitées par de féroces quotas de 4,4MM$ .

Même remarque pour les échanges de devises entre banques centrales. Seuls les pays à économie faible acceptent ce genre de troc avec la Banque centrale, revenant à des prêts déguisés, ou à une mise au vert de ses sino-dollars. Pour convaincre les «vraies» Banques centrales d’échanger avec la Chine comme port-refuge lors des tempêtes, il faudra que celle-ci produise les garanties que l’Ouest s’applique à lui-même -l’état de droit, la stabilité politique à long terme.

Vu sous cet angle, le scénario du yuan superstar, n’apparaît en définitive guère plus que le remake du film de 20 ans en arrière, mettant en scène le Yen. La seule différence étant que le yuan doit jouer sous des contraintes bien plus dures. La plus dure de toutes, est que le lien passif du yuan (comme toutes les monnaies d’Asie) au billet vert, qui incite les USA à consommer plus que leurs besoins, tout en les privant (par l’endettement) des moyens de leur R&D, la chair vive de l’avenir.

Aussi au-delà des officielles déclarations d’intention de dérégulation et de course à la libre convertibilité, ni Pékin, ni ses provinces, n’ont un intérêt objectif, ni le désir d’enterrer tel formidable privilège. Même si les USA y perdent plus qu’ils ne gagnent, à conserver leur pouvoir monétaire «impérial». Leur intérêt (selon Pettis) étant de rehausser le coût de la consommation pour renflouer l’emploi.

Conclusion: la future monnaie étalon mondiale se joue-ra entre dollar, euro (une fois assaini de ses membres ou de ses pratiques les plus contestables) et les Droits de Tirage Spéciaux du FMI -où le yuan sera présent, mais non dominant – par consentement mutuel.

 

 

 

 


Joint-venture : Volvo, Yoplait, «rachetez-vous»

Acquis par Geely en 2010 pour 1,5MM$,Volvo voit son avenir suivi de près par le monde automobile, depuis qu’en 2009 SAIC (Shanghai Automotive Industry Corp), autre groupe chinois, a dû revendre sa filiale coréenne SSanyong après cinq ans de mauvaise gestion, faute d’avoir assimilé sa culture d’entreprise.

Li Shufu, Président de Geely, semble avoir retenu la leçon. Sous son ombrelle, Volvo hier proche de la faillite, parvient à s’assurer entre 10 et 11MM$ de recapitalisation à travers le monde d’ici 2015, et aspire au doublement de ses ventes à 0,8M d’ici 2020. Parmi ces investissements figurent 1 voire 2 usines en Chine, à Chengdu (Sichuan) mitoyenne de celle de Geely, et à Daqing (Heilongjiang), grâce auxquelles le groupe suédois prétend quintupler ses ventes chinoises dans le segment « luxe », à 200.000 unités d’ici 2015. Volvo et sa maison mère se montrent très clairs, dans la volonté de garder le clivage entre leurs images, respectivement haut et entrée de gamme.

Mais quand les marchés de Pékin ou Shanghai saturent, l’arrivée d’un nouvel acteur fait froncer des sourcils. Bain &Co l’avertit, en 2015 la Chine produira 40millions de voitures par an, pour des besoins de 26 millions : de quoi épuiser les profits de tout le secteur. Les plus grands, comme VW ou General Motors, peuvent espérer y voir les autres disparaître. Mais sur un tel marché en fin de cycle, quelle chance pour Volvo?

Un autre passionnant défi en cours est la tentative de rachat partiel de Yoplait, 9% des yogourts sur les  cinq continents, n°2 mondial derrière Danone. General Mills (US), détenteur de la licence Yoplait pour le marché américain, et Nestlé sont en course – PAI, le fonds d’investissements français revend ses 50% de parts, le reste restant à la coopérative d’éleveurs fondatrice de la marque.

La surprise est venue du shanghaïen Bright Food, qui arrive en tête en offrant 1,7MM², prix très lourd -en 2010, Lactalis (France) avait été rejeté sur une offre d’1,4MM². Tel prix s’explique en partie par le niveau élevé de l’alimentaire dans le monde en année «de vaches maigres», où les productions vivrières sont en déficit. Mais par son offre attractive, Bright veut aussi dépasser un double préjugé chez l’acheteur.

 [1] En 2009, le secteur laitier chinois fut mondialement éclaboussé par le scandale de la mélamine -même s’il fut alors un des rares à sortir indemne de l’enquête.

[2] Par ailleurs, Bright a aussi la réputation d’un groupe aux réactions primesautières, venant de se désengager coup sur coup du rachat de United Biscuit (UK) puis de GNC, producteur américain de vitamines.

Mais Bright, «King-Kong» de l’alimentaire régnant sur le riche delta du Yangtzé (lait, mais aussi confiserie et spiritueux) espérerait 100MM$ de ventes cette année. Avec sa réserve de technologie forte et de bons produits exportables, Yoplait serait pour lui une échelle vers ses trois voies d’expansion- la qualité, la restauration de son image, et les marchés émergents. Entre le français et le chinois, les chances de synergies apparaissent sérieuses, selon Ge Junjie son PDG adjoint.

Paris suit les tractations, et se réserve d’intervenir, mais ses propres champions Bel et Lactalis sont déjà au tapis.

Et l’exemple de Volvo sauvé, refinancé par son repreneur céleste, pourrait faire pencher la balance dans l’autre sens ! 

 

 


A la loupe : (suite) Bruits et tremblements autour du Parlement

(suite) Protection sociale : 95% des Chinois, ce mois-ci, inscrivent en tête de leurs soucis la retraite. Celle-ci reste insuffisante, à quelques 100aines de yuans/mois. Sauf celle des 10M de fonctionnaires qui se voient assurer une fin de vie confortable sans avoir cotisé —l’Etat paie tout. Ce dont Wen Jiabao, à sa séance de «tchat», vient d’admettre l’aspect «déraisonnable». L’État qui place 10% de son budget dans la protection sociale, promet de faire passer d’ici 2015 la part à 25%, et veut refondre le système fiscal durant le XII. Plan (2011-2015) dans le but de restaurer l’équité. Il faut dire qu’en 2010, le Bureau national des taxes a pris le chemin inverse, prélevant 21,3% de plus qu’un an plus tôt (1260MM$), soit trois fois plus que la croissance du revenu urbain (+7,8%).

Aussi l’État va rehausser le seuil d’imposition. Il est depuis 2008 à 2000¥ – mais avec l’inflation, l’impôt frappe de plus en plus les moins riches. A 3000¥ le nouveau seuil, seulement 20% des Chinois seront assujettis contre 50% à présent. A défaut d’une indexation du seuil d’imposition à l’inflation, qui léserait trop de puissants intérêts, le Conseil d’État vient d’adopter un régime de primes indexées aux classes moyennes et défavorisées, à charge des provinces, d’ici décembre. De même, la taxe à la consommation (TVA) est annoncée «sous 5 ans» – pour mieux faire supporter l’impôt par les riches, étant donné, comme l’admet l’ANP, les nombreuses fortunes cachées (189 identifiées par l’expert R. Hoogewerf, en recouvriraient en réalité 400) La taxe à la propriété arrive, visant aussi à enrayer la spéculation et l’inflation. Une révision de l’indice de pauvreté tente un brave dépoussiérage du chiffre officiel, «back to reality». Car à 1196¥ de revenu/an, le seuil de pauvreté exclut 100M de nécessiteux, que l’Etat oublie d’assister. Le nouveau seuil serait de 2400¥/an.

Enfin, pas de double plenum (de l’Assemblée Nationale Populaire et du CCPPC – Conférence Consultative Politique du Peuple chinois) sans folklore : Chen Guangbiao, magnat des recyclages du Jiangsu, s’est rendu à la session de la CCPPC place Tiananmen à bicyclette. Sur le parvis, à la meute des média, il a communiqué la liste des prénoms tous neufs pour sa famille : «Bas carbone» pour lui, «Verte» pour sa moitié, «écologie» pour l’aîné, «Environnement» pour le cadet (bon anniversaire!). Il a aussi promis un happening par jour de session, pour éduquer chaque édile et chaque journaliste aux simples actes à réaliser pour réduire le tsunami d’ordures menaçant de submerger les villes du pays… Lui-même symbolisant la prise de conscience très rapide du pays, à cet effort de discipline inédit qui se profile dès demain.

 

 


Pol : Quelle région sera la plus heureuse en 2015, Canton ou Chongqing ?

 

Tout à la poursuite de leur carrière, leurs leaders s’affrontent sur ce thème. Par des actions non spécifiées, Wang Yang, secrétaire de Canton, promet l’accès au 幸福 (xingfu, bonheur) d’ici la fin du XII. Plan.  

Bo Xilai va plus loin, promettant à son fief le record de félicité céleste, le revenu paysan doublé, l’urbain augmenté de 75%. Un de ses outils de bonheur, est la campagne «rouge» sur place, faite de chants révolutionnaires à haute dose, et de logements sociaux. Dès le 2 mars, 15.300 HLM de 40 à 80m² étaient distribués par loterie aux 22.300 éligibles.

Les détracteurs reprochent au nouveau mantra d’être une poudre aux yeux occultant d’autres valeurs gênantes car «bourgeoises», comme justice ou équité.  Enfin aujourd’hui, selon Gallup, seuls 6% des Chinois se disent «heureux» 125ème rang mondial, il y a de la marge! 

 

 


Temps fort : Bruits et tremblements autour de la session du Parlement

La simultanéité du Plenum et des débordements du monde arabe (et leurs interférences en Chine) nous forcent à modifier la maquette de ce numéro, pour mieux suivre les dessous du grand rendez -vous annuel, entre pouvoir et société.

 

Sécurité : c’est le maître-mot du mois, comme chaque année et en 2011 bien plus encore. A Pékin, des dizaines de dissidents voient leur liberté restreinte, telle Ding Zilin avec 127 autres mères de la place TAM. Le centre-ville est bouclé de toutes sortes de police (anti-terrorisme, anti-émeutes, agents de quartier), les pompiers-mêmes sont en alerte rouge. Les hélices des avions privés ont été démontées et les montgolfières clouées au sol : l’espace aérien leur est fermé à 200km aux alentours.

Le printemps  du jasmin arabe lui aussi irradie ses ondes jusqu’à Pékin. Détail cocasse, la censure a effacé de l’internet un clip tourné au Kenya en 2006, de Hu Jintao fredonnant la chansonnette 茉莉花 (molihua, «jolie fleur de jasmin»). A l’admiration générale, la Chine a su évacuer de Libye en temps record 36.000 ressortissants, employés par 75 firmes chinoises. Suite à quoi  la SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission) fait ses comptes -puisque l’Etat fait les frais de cette débâcle: à l’avenir plus question pour les GEE (Grandes Entreprises d’Etat) d’envoyer des millions de travailleurs en pays à risque, sans filet de protection comme jusqu’à présent. Mais des chercheurs tel le professeur Wang Suolao (Beida), n’hésitent plus à dire que la Chine devrait renoncer à sa pseudo non-ingérence pour soutenir les   rebelles  libyens : afin de sauver ce qui peut l’être des 18MM$ de chantiers laissés en plan !

Société: l’Assemblée nationale populaire s’inquiète de l’âge de retraite des femmes, dont le «privilège» d’un départ à 50 /55 ans (contre  60 aux hommes) ne masque plus leur retraite tronquée. Solutions visées :

[1] laisser les femmes décider par elles-mêmes,  et [2] relever l’âge général de la retraite, suivant en cela la tendance mondiale, afin d’anticiper le vieillissement annoncé de la société chinoise.

Même réexamen critique du planning familial. 400M de naissances furent économisées en 40 ans, mais désormais l’Office statistique ne voit plus en 2010 que 6,3M de gain net en population, ce qui met le pic de vieillissement (quand la population commencera à décroître) à 2026, sous la barre des 1,4MM d’habitants. Encore bloqué à 1 à 2 enfants par couple,  l’assouplissement du planning s’approche – le paiement des pensions dans 20 à 30 ans en dépend !

Un autre débat à l’ANP concerne les abus financiers. Telles ces expropriations abusives en milieu rural qui ont quasi décuplé en 10 ans (selon la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales), après enquête auprès de 1564 villages), à 180 cas en 2010. Or en ce domaine, un nouveau type de   dérive foncière est en train de s’imposer : 39% des terroirs furent loués à des firmes en 2010, sans accord des paysans, ni compensation à leur expulsion.  Parmi ceux-ci, 70% se  disent spoliés (logique). Plus étonnant, 38% se plaignent de n’avoir pas été consultés: indice d’une prise de  conscience rapide des  droits individuels. Ainsi le patrimoine de l’État, principe constitutionnel, est détourné par des industriels et chefs  de village, en une forme de privatisation sauvage, source de déstabilisation à la limite de l’ingérable.

 

 


Petit Peuple : Chongqing—la constance du portefaix

L’acte héroïque de Zheng Dingxiang semble fait de cette pierre dont on pave en Chine l’harmonie sociale, et qu’affectionnent les officines de la propagande. Un « frère Bangbang » en Chine, est cet être en voie de disparition, le portefaix avec son bât de bambou poli sur l’épaule, qui lui permet d’équilibrer deux charges astronomiques : un mode de transport bien adapté aux ruelles sinueuses de villes de montagne comme Chongqing (Sichuan).

Ce métier, Dingxiang l’exerce depuis 40 ans, réduit à cette extrémité par son manque d’éducation et par la charge de 5 autres bouches que la sienne : 2 grands-mères, son épouse, 2 petits-enfants, depuis que son fils émigré à Canton a été quitté par sa femme lasse de son impécuniosité chronique.

En plus des 3 lopins qu’il cultive dans les collines à des heures de marche (lui rapportant 1 à 2 sacs de haricots et de soja/an), Zheng vend chaque matin ses bras au marché de Wanzhou, son arrondissement : 3¥/h la petite charge, 10¥ la lourde.

Ce soir du 9 janvier, un marchand de nippes venu se  réachalander à Chongqing, cherchait porteur pour «10¥» : tarif si outrageusement bas pour la demi-camionnette de textile, que tous tordaient du nez. Jusqu’à ce que le brave Zheng finisse par se sacrifier, crachant dans ses mains et fixant les colis à sa palanche avant de s’ébranler, ployant sous le faix.

A travers ces ruelles au pavé peu sûr, le client crapahutait gaiement, insouciant de l’épreuve du pauvre coolie (un des rares mots français, soit dit au passage, venus du chinois, de 苦力, signifiant «force amère») : après une courte halte pour éponger d’un revers de manche élimée et crasseuse la sueur du front, Dingxiang dut se rendre à l’évidence : son pékin avait disparu. Il re-tourna au marché – mais en vain. Espérant détecter un indice, il ouvrit les ballots. Il y trouva 35 manteaux et 36 pulls, mais sans adresse. Qu’en faire? La décision apparut immédiate, d’une clarté adamantine: en aucun cas il ne pourrait garder ce petit pactole. Sourd aux voix tentantes des collègues suggérant de tout mettre au clou, au moins de s’en garder un « au chaud contre le froid », Zheng se mit à arpenter les rues, d’un marché à l’autre, pour retrouver son chaland -toujours sans succès.

La neige qui tombait, la toux qui creusait sa poitrine ne vinrent pas à bout de son obstination. Médusés, les agents du commissariat le virent entrer faire sa déposition… Mi-compatissant, mi-goguenard, l’un d’eux avait suggéré la solution classique : une petite annonce.

C’est au guichet du journal que Zheng trouva sa formule,  admirable de concision lapidaire, «je manque d’argent, mais pas de ver-tu». Tout de suite répercutée à la rédaction, elle toucha un journaliste qui se précipita pour l’interviewer.

C’est suite à cet article que le client refit surface cinq jours plus tard : Chen Guixi, stupéfait de sa bonne fortune, et qui avait depuis belle lurette fait le deuil de sa camelote. De retour chez lui dans le Guangxi, il s’était fait co-pieusement disputer par son épouse, qui l’avait renvoyé à Chongqing, pour refaire son stock. A présent éperdu de gratitude, Chen voulait offrir à Zheng 500¥ d’étrennes. Ce dont avec le sens exacerbé de l’honneur des pauvres, Zheng ne voulait en aucun cas entendre parler: «tu peines dur comme moi », fit-il, «et comme dit le proverbe, une chose perdue en rue, n’est pas pour autant à celui qui la trouve» (路不拾遗 lù bù shí yí).

Zheng Dingxiang venait d’illustrer pour nous la très bouddhiste vertu au nom de laquelle moins on en a, et moins on en désire. Lui-même tirait de l’aventure une satisfaction inoubliable: celle de s’être découvert membre d’une noblesse plus rare que celle du sang ou de l’argent : de celle du coeur.

Quant au journal, le fait d’avoir tiqué sur cet acte de désintéressement, prouve sa rareté. Elle-même indice (a contrario) que beaucoup de Chinois ont un petit quelque chose sous le soleil…

 

 


Rendez-vous : A Canton, les Salons de l’emballage, son et lumières, de l’imprimerie

9-12 mars, Canton : Soundlight/ SLM, Salons son & lumières

9-11 mars, Canton : Sino Pack, Salon de l’emballage

9-11 mars, Canton : Sino Print/ Sino Label/ Printing, Salons de l’imprimerie

9-11 mars, Canton : PVP China, Salon des pompes, valves, tuyaux

10-12 mars, Foire de Suzhou

11-13 mars, Shanghai : Pet Fair, Salon des animaux familiers