Le Vent de la Chine Numéro 4

du 31 janvier au 20 février 2011

Editorial : Un lapin riche et cocardier

La relecture du VdlC N°6/7 de 12 ans en arrière, montre le chemin parcouru depuis la dernière année du Lapin.

Au printemps lunaire de 1999, 1,5milliard voyageurs sillonnaient le pays. En 2011 ils seront presque le double (2,85 MM), indice de la vague de bien-être vécue depuis. 85% prendront le bus. 12% le train. 32millions prendront l’avion en vols intérieurs, et 57millions en vols internationaux : quatre fois plus qu’en 1999.

En 12 ans, l’écart riches/pauvres s’est aussi approfondi. Au Chunjie ’99, l’Etat assistait 1,1million d’invalides et vieillards dans le besoin et 15millions de chômeurs. Mais aujourd’hui, certaines estimations officieuses voient ces groupes jusqu’à quintuplés.

Le train se modernise: le TGV chasse le tortillard pour convoyer les vacanciers. Pour l’État, par sa vitesse, il libère plus de voies pour les trains de fret. Mais le peuple peine à payer des prix exorbitants, jusqu’à 2625¥ l’aller Shanghai-Chengdu (Sichuan), en voiture luxe. Il faut aussi dire que seul un tiers des voyageurs peut trouver des billets. Aussi les ventes à la sauvette prospèrent, non découragées par l’arrestation de milliers de receleurs. Comme si ces handicaps ne suffisaient pas, un froid poignant gèle la migration, surtout vers 4 provinces du Centre-Sud, épicentre du blizzard : voies ferrées bloquées, centaines de routes verglacées. Électriciens et chasse-neige travaillent jour et nuit, et 500 bonnes vieilles locos à vapeur reprennent du service, espérant éviter la paralysie de millions de pauvres hères transis, des jours entiers dans les gares…

Enfin pompiers/ policiers feront des heures supp’ durant les fêtes pour prévenir les explosions, incendies des pétards qui comme chaque année, convertissent toute ville en Sainte Barbe…

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Dans l’imaginaire local, le Lapin est le 4ème élément du cycle astral, né (dit la légende) en contemplant la Lune. Il n’est pas toujours apprécié – sa personnalité contradictoire dérange !

• Introverti, il apprécie la paix. Détestant le litige, il aime écouter, négocier, et régler les litiges de propriété.

• Si besoin est, il sait se cacher, fuir par bonds savamment erratiques : peut-être une année faste pour la résistance des foules, des dissidents à l’autorité…

• Trait inattendu, Jeannot-lapin chinois s’avère aussi artiste, cultivé, mondain voire raffiné jusqu’au narcissisme.

• La dualité du signe est renforcée par ses «éléments»-qui le complètent, selon la complexe règle de l’astrologie chinoise. Cette année, le métal blanc domine, ce qui lui donne de la solidité. Mais le bois, aussi présent, le fragilise dans les moments de crise inattendue.

En clair, quelles surprises nous réserve notre fantasque boule de poil ?

En finance, disent les maîtres de feng shui, le 1er semestre sera variable et timoré. Le conil «tremble encore au souvenir du tigre» de 2010, et plus matériellement de la présente lame de fond inflationniste, que les économistes voient tomber après l’été. Puis au 2d semestre, le lapin nous rendrait une conjoncture favorable—temps des investissements, sortie de crise.

En politique, il faut admettre que Pékin a été « fort tigre » en 2010. Elle força le 1er ministre japonais Naoto Kan à libérer le patron du chalutier qui avait volontairement éperonné des garde-côtes nippons dans leurs eaux côtières. Elle priva sans préavis l’étranger des terres rares dont elle avait le monopole. Elle brandit enfin ses foudres envers l’institution du Prix Nobel, suite à la sélection d’un lauréat qui lui déplaisait.

Va-t-elle en 2011, adopter une ligne lapinesque plus douce, restaurant du coup son image mondiale ? Pas sûr.

Le XVIIIe Congrès de 2012 se rapproche, avec changement d’équipe dirigeante en perspective. D’ici-là, les leaders auront bien du mal à résister à la tentation d’assurer leur carrière, par l’expression haute et forte de leur défense des intérêts nationaux.

 

 


A la loupe : e-commerce, le croquemitaine électronique

Par sa progression boulimique, le e-commerce chinois a quelque chose de géant: révolution qui bouleverse les us de 100aines de M de consommateurs et sonne l’alarme chez les 20M de négoces conventionnels. La CNIIC –l’agence de l’interprofession- vient de publier son bilan : en 2010, ses 1726 sites ont vendu pour 79MM$ de biens, + 370% (si-si !). En 2015 ils auront quadruplé à 311MM$ et d’ici 2030, encore quintuplé à 1500MM$. Pourtant, le e-commerce ne pèse encore que 2 achats/an/habitant. Mais ce n’est qu’un début. Face à cet envol du chiffre d’affaires, le nombre des clients lui, n’a avancé que de 50% (160M d’internautes, un peu moins d’ 1/3), ce qui prouve que ces acheteurs en ligne, une fois mis en confiance, confient une part toujours plus grande de leurs achats à l’internet.

A ce jeu, les plus gros sont les plus forts. N°1 de la messagerie, STO Express atteint 2,1M de pièces/jour, +35%, 1/5ème du chiffre national. Tencent déploie ses galeries en ligne sur sa messagerie QQ. Baidu gagne via ses pub en ligne. China-Mobile veut égaler Apple sur le modèle de Itunes, pour ses abonnés au « smartphone ».

Le roi incontesté est Taobao, le site d’Alibaba.com di-rigé par Jack Ma : 370M d’usagers, 3,7M de boutiques hébergées gratuitement. Ses grands clients sont à la côte: le seul delta du Yangtzé fait 15% de son business via por-table. Il s’agit d’un public jeune : 75% ont de 19 à 28 ans.

Avec un groupe d’investisseurs, J. Ma crée son réseau indépendant de distribution, espérant y attirer 15MM$ en 5 ans (dont 1/3 en fonds propres) sur 3 hubs d’1Mm² entre Pékin-Tianjin, les delta du Yangtzé et des Perles. D’ici 2020, il espère parvenir à livrer toute commande sous 8 heures, à quelque point de Chine que ce soit.

Le ministre Chen Deming veut renforcer le e-commerce en le crédibilisant par la création d’organes de gestion : CIECC le club de l’interprofession, un centre de plaintes sur internet et par téléphone (400-640 0312).

Et l’étranger?Bain(US) a investi dans Gome. Media-Saturn/Metro prépare son entrée avec Foxconn. Wal-Mart injectera 10M$ dans 360buy.com, au sein d’un consortium de 500M$ (dont 40% à CITIC).

Carrefour lui, croit que le e-commerce va toucher un public nouveau sans frapper l’ancien, bon par ex. en électroménager, moins bon en vivres frais. «La Chine, dit cet expert, reste en dessous des taux d’équipement en hypermarchés de l’Ouest. Ici en Chine, nos 182 magasins sont rentables: nous comptons garder le rythme».

Dans ces conditions, l’e-commerce est pour le groupe un champ d’expérimentation sur Pékin et Shanghai, via sa galerie virtuelle aux 3000 produits avec livraison gratuite au-dessus de 500¥.

NB: pour une fois, l’e-commerce-Carrefour est moins avancé en Chine qu’en Europe à la clientèle plus mature. En ce pays, le groupe explore surtout des techniques de vente nouvelles, comme l’émission massive de mails d’alerte des campagnes, comme sa foire au vin.

 

 


Joint-venture : La géothermie kenyane aidée par Chine et France

Entre France et Chine, deux organes publics semblent agir avec une liberté atypique mais créative, dans l’aide à l’Afrique : l’Agence française de développement, l’AFD et l’Eximbank (Chine) qui s’associent (25/01) pour prêter 163M$ au Kenya, dans un projet d’énergie géothermique de la firme d’Etat kenyane GDC.

Situé sur la grande ligne de fracture de l’Est africain, ce pays souffre d’un criant déficit en électricité, malgré la présence importante dans son sous-sol de vapeur d’eau. Carence aggravée par la panne en 2008 et 2009 des centrales hydroélectriques frappées de sécheresse. Aussi en 10 ans, Nairobi veut détecter et mettre en perce 566 puits le long de la grande vallée du Rift, moyennant 2,6MM$ d’investissement. Ils alimenteront des turbines pour 2,3Gw, assez pour combler les besoins nationaux actuels.

L’AFD prendra en charge 73M$ pour deux derricks et leurs équipements de forage, l’Eximbank fournissant le reste. Selon les plans, le matériel sera livré en 2013. Il a de bonne chance de provenir de Chine, comme c’est déjà le cas avec deux sets rachetés en seconde main à la CNPC. L’intérêt pour l’AFD, est de placer dans une affaire viable, voire, de contrebalancer l’influence chinoise sur la région.

 

 


A la loupe : La Chine en eaux troubles

En 2000, les experts qui sonnaient l’alarme sur la croissance urbaine au mépris de la gestion durable de l‘eau se voient donner raison. Rappelant que presque deux tiers des villes du pays consomment toujours plus qu’elles n’en disposent, Chen Lei, ministre des ressources en eau, s’apprête à plafonner d’ici 2015 la consommation à 620MMm3, soit -30% en 5 ans, par tranches de 10.000¥ de PIB généré.

Dans ce plan « de salut public », sept villes et provinces dont Pékin vont devoir se fixer d’ici mars des cotes d’alerte en volumes de consommation, en efficacité de l’usage et en degré de pollution. Leur respect ou non servira de critère d’évaluation du travail des maires, gouverneurs et secrétaires du Parti. Selon une méthode classique de l’administration socialiste (sur divers dossiers «chauds» tels pollution, planning etc), ces quotas seront subdivisés en cascade tout le long de la pyramide de pouvoir. Si une de ces « lignes rouges » est franchie, le leader local sera sanctionné sur le champ (dans le cas extrême), et à la fin de l’année, lors de l’octroi des points de carrière.

La manière dont marche ce robinet, a pu être constatée à l’automne, avec les consignes de coupes d’électricité pour atteindre l’objectif alors menacé, de baisse de 20% sur 5 ans. Partout en Chine les centrales ont moins fourni aux usines et aux villes, même sous climat glacial. Les usines ont réagi en se dotant de groupes électrogènes pour compenser le déficit, et honorer leurs contrats. Leur courant était plus sale et plus cher- mais ce n’était plus le problème de la ville qui elle, respectait son quota…

Ces mesures nouvelles pour l’eau, devraient être inscrites au « document central n°1 » des plus hautes priorités du pays, et applicables d’ici juin 2011.

On comprend qu’il y a urgence. Pour 20millions d’habitants, dit le maire Guo Jinlong, Pékin réclame 3,6MMm3 d’eau qu’elle n’a pas, et n’en reçoit que 3,05MM. Endémique depuis 12 ans, la sécheresse empire. A 97 jours secs au 30/01, on est partis pour battre le record de 1970 (114 jours). Dès 2003, Pékin a lancé le projet pharaonique du canal Sud-Nord, plus de 1000km pour alimenter le Fleuve Jaune du nord avec le Yangtzé du sud. Le projet à 60MM$ (Vdlc N°1/2003) aurait du déjà être opérationnel pour les tracés Est et Centre. Le tracé Ouest, le plus ambitieux (sur le plateau tibétain, entre 4 et 7000m d’altitude), ayant été remisé sine die faute de la technologie (même étrangère) pour le réaliser. Tout cela a déjà coûté 17.45MM$ et il reste encore 4 ans pour l’inauguration de la section médiane du canal, avec encore 330.000 riverains à reloger entre Hubei et Henan.

En attendant, on passe aux «plans B». Un nouveau réservoir va être construit en 2011 au Hebei -le 7ème pour la capitale. Un nouveau canal va être creusé en urgence, de 500km, jusqu’au Fleuve Jaune, pour en soutirer 300Mm3 /an —une ponction que les riverains du Shanxi et du Hebei vivent mal, non accompagnée de compensations, et alors que leur terre à eux se désertifie.

Même quand le grand Canal ouvrira, portant à Pékin 1MMm3/an, la mairie sait déjà que le compte n’y sera pas : il manquera encore 190Mm3. L’expert hydraulicien Wang Jian réitère ce vieil avertissement: «sauf à plafonner tout de suite la croissance de population et l’expansion urbaine, nous allons droit au mur». Message que peu sont disposés à entendre. Mais plus pour très longtemps, car des sons identiques émanent d’autres secteurs de l’environnement—la qualité de l’air, le recyclage des déchets : le non-durable arrive à son terme !

 

 


Argent : Paysans – le vent de la fortune tourne

‘ Sarclant ses primeurs sous sa serre par -10° extérieurs, le pay-san chinois reflète le succès du Président Hu Jintao, dans son pari d’enrichir le monde rural.

‘ Depuis 2003, cette scène se retrouve dans toutes les «ceintures vertes» autour des villes, fruit du soutien public à la création de millions de serres. Les citadins y gagnant une amélioration radicale de leur régime nutritionnel: des légumes frais «quatre saisons».

De même, l’inflation alimentaire (11,7% en déc.) semble le fruit d’une volonté délibérée pour redistribuer au paysan sa part du PIB. De juillet à décembre, le maïs a augmenté de 15%, le blé de 6% et le coton, en pleine pénurie mondiale, de 64%. Et à la veille du Chunjie, moment de bombance, les légumes ont pris 10 à 13% par semaine.

D’autres mesures depuis 2003 ont été la suppression des taxes, l’extension de la sécurité sociale et les aides à la production. Le résultat pour 2009, est un revenu paysan de 5.919¥, en hausse de 10,9% : pour la 1ère fois, elle dépasse celle des citadins (+7,8%). Il reste encore du chemin, avant de rattraper les 19.109¥ du citadin moyen. Mais le progrès est net, encourageant le 农民«nongmin».

Nouvelles difficultés : Froid sévère et sécheresse ont fait griller 4Mha de semailles d’hiver entre Dongbei, Shandong et Centre-Sud. Pour compenser, l’État débloque 15MM$, dont les 4/5èmes en primes à l’équipement (tracteurs, semoirs), le reste en soutien au prix du riz, maïs et coton, tout en instruisant les cadres de base de payer les bénéficiaires avant les labours de printemps.

Pékin tente aussi de protéger le paysan du cadre local : 14Mm² de bâtisses illégales ont été rasées en 2010, récupérant plus de 1000ha de terre arable déloyalement confisquée. De même, le bureau de l’ANP révise la Loi Administrative Rurale, pour endiguer les démolitions forcées des «biens collectifs» (fermes publiques héritées de Mao), qui prolifèrent depuis 2 ans, encouragées par l’envolée des cours du terrain, et par le fait que ces «coopératives» ne tombent pas sous la loi des «biens d’Etat». Déjà, les deux tiers des 2,73millions d’ouvriers agricoles des fermes collectives pékinoises sont devenus actionnaires de leurs biens -mettant un terme à 50 ans de servage qui ne leur accordait qu’un salaire et pas d’intéressement aux profits.

NB: Tout ceci n’est qu’une approche timide vers la réforme de fond, qui octroierait au cultivateur la propriété inaliénable de son sol et le droit de l’hypothéquer. Ceci quadruplerait le nombre des emprunteurs solvables, et pourrait être le terreau de la prochaine révolution industrielle chinoise axée cette fois sur le marché intérieur. Mais ce pas envisagé à l’été 2010, a été abandonné: il devra attendre la prochaine législature et équipe dirigeante, en 2012…

 

 


Pol : Nouveau produit à l’export : la santé « made in China »

C’est une affaire qui marchera. Peut-être aussi une page vierge dans l’histoire de la santé. Menés par le prestigieux East Hospital et la SDRC (Shanghai Municipality Development & Reform Commission), les 20 meilleurs hôpitaux de Shanghai viennent de créer la SHMTPPP, (Shanghai Medical Tourism Products & Promotion Platform) 1ère agence de tourisme médical du pays. J. Yang son patron voit grand : dès 2012, il vise 200.000 malades étrangers en Chine, venus chercher des soins pour un montant moyen de 10.000$. Pour tenir le pari, la Chine part de Shanghai, sa base médicale d’excellence, et a monté cette officine qui réserve tout: avion, chirurgien, salle d’op, hôtel…

Le client-cible aussi a été soigneusement défini: la diaspora des têtes de pont de deux continents, Jakarta et Los Angeles, aux 3M de Chinois autochtones.

Cette opération vise à placer la Chine sur un marché où d’autres, comme Thaïlande et Corée, prospèrent déjà. Elle part de bas, manquant d’un tissu de contacts avec l’étranger: prix à payer pour 40 ans d’«ouverture» au monde plus faible que celle du reste de l’Asie. Mais elle peut compter sur quelques bons atouts: des hôpitaux refaits à neuf, équipés dernier cri, un personnel compétent et souvent dévoué, d’excellents services d’appoint -massages, acupuncture, médicaments chinois, sources chaudes etc.

L’atout n°1 sera sans doute le prix: à 130.000 aux USA, le pontage coronarien en coûte 10.500$ à Shanghai, et la greffe de moelle de 62.000$ au dixième du prix. Heureusement pour leur bonne image, la transplantation d’organes n’entre pas dans les services offerts.

Pour autant, le tourisme médical version chinoise n’est pas sans ombre. Le suivi de l’opération est impossible à assurer en Chine, quoique les cas de rejets et de complications soient nombreux. De même, les Chinois ne font pas preuve d’une confiance infinie en leur médecine, se déplaçant à 3000 l’an dernier vers Taiwan pour s’y soumettre à des check-up de pointe à 3000$.

Cette médecine offre 2 gammes distinctes de services.

[1] Les opérations classiques, à prix cassés;

[2] et celles encore au stade de la recherche clinique, donc interdites en Occident, telle la thérapie génique ou celle des tumeurs neurologiques. Des chirurgiens chinois, envoyés en échange en Europe ou aux USA, en retournent avec le savoir de ces techniques inabouties, et les offrent au risque du client et au prix fort. Là, on peut voir de rares demandeurs européens se tourner vers la Chine après avoir épuisé les recours de leur propre système de santé…

Enfin, cette santé à l’export s’adresse à un public limité : Amérique, Asie, Proche-Orient. Et pas les Européens de l’Ouest, qui n’en ont pas besoin, étant souvent couverts à 100% par leurs systèmes hospitaliers. Cela n’empêche pas, pour elle, l’offre d’un système de tourisme de cure, et de convalescence post-opératoire. Et pour la Chine, la perspective de conquérir sa part du marché mondial en blouse blanche..

 

 


Temps fort : Les bonnes résolutions publiques de l’année du lapin

Un peu à l’instar de l’esprit de Noël, le Chunjie diffuse à travers toute l’Asie confucéenne un sentiment de lien moral et de remise en ordre de sa vie. C’est la période où le politicien ressent le plus ses devoirs envers la base, voudrait s’en faire aimer : temps des bonnes résolutions en grand nombre, pour régler les vieux problèmes. Tel sur le front social, envers les faibles et démunis.

– Les kidnappeurs se voient offrir trois mois pour se rendre ou rendre leurs victimes, moyennant le pardon de la justice. Ce trafic frappe chaque année des dizaines de milliers de paysannes naïves, sitôt revendues : rien qu’en Malaisie (car le trafic traverse les frontières), 5400 Chinoises étaient arrêtées, fin novembre 2010 pour prostitution.

– Pékin promet de combattre la bigamie, par un registre informatisé des mariages contre ces 10aines de milliers de travailleurs au loin, qui se sont remariés « au noir »…

– Le congé de maternité est étendu à 9 mois maximum à Shanghai (contre 4 mois ailleurs en moyenne).

– Aux vieillards, un amendement de loi doit bientôt permettre d’assigner les enfants en justice. A l’origine est la plainte d’un Pékinois pensionné de 87 ans, sans soucis financiers mais en misère affective. Il réclamait de chacun de ses 6 enfants, une heure de visite /semaine. Ils sont 167 millions de sexagénaires concernés, 7 millions de plus chaque année…

– L’Etat se démène pour combler les failles de l’éducation dues à un formalisme et autoritarisme étriqués. 26 universités dont Beida testent une autonomie accrue de recrutement des profs. Le Heilongjiang teste des méthodes pour éradiquer fraudes et plagiat, les plaies de ce milieu. Shanghai et six provinces ouvrent des maternelles-pilotes et des formations d’instituteurs : surtout en zones rurales, épicentre de 80% des besoins, complètement négligées. Mais le ministère a omis dans ses réformes les injustices les plus lourdes : le déni de crédits à l’école privée, incapable de ce fait de se battre à armes égales avec celle publique, et la fermeture de facto des portes des meilleures universités aux enfants migrants obligés de retourner passer leur bac sur leur lieu de naissance.

Une préoccupation centrale est la gestion foncière : des expropriations déloyales, des compensations inéquitables, des terrains que les mairies rechignent à «gâcher» en logements sociaux. Le régime multiplie là les promesses vagues sans plus, et pour cause : en Chine, le foncier est le financement n°1 des provinces, déjà endettées, de qui une réforme constitutionnelle destituant le monopole de l’Etat sur la terre, signerait l’arrêt de mort…

En politique, voici encore quelques mini-promesses : La Cour suprême va casser tout verdict de peine de mort où les preuves à charge ont été obtenues illégalement.

Le 1er ministre Wen Jiabao (25/01) visite à Pékin neuf pétitionnaires, règle leur affaire les jours suivants : afin de redonner espoir aux millions d’autres, et prévenir les émeutes.

Petit geste offert à l’étranger, Gao Feng, directeur à la sécurité publique promet d’alourdir les sanctions au piratage intellectuel, sans précision. Ce clin d’oeil s’adresse surtout aux USA qui en 2009, perdaient 3,5MM$ en contrefaçon vendue en, ou venue de Chine.

à l’aviation civile, l’État offre d’ici juin les 1075km² de l’espace aérien de Pinggu (Pékin), aux pilotes privés. Mais n’est-ce pas «trop peu, trop tard», alors qu’explose le phénomène des «vols noirs» ? De plus en plus de jets privés, se rendent n’importe où en Chine sans plan de vol, puis se posent à la diable, quitte à régler l’affaire à coup de liasses de billets, après l’atterrissage…

 

 


Autres : La demi renaissance du cinéma chinois

Au moment du Chunjie, une profusion d’affiches dans les rues, d’une grande variété -comédies, action, ou dessin animé- vantent les films qui sortent, en concurrence pour le chaland. En même temps la SARFT, tutelle de l’audiovisuel publie un intéressant bilan de l’évolution du marché des salles obscures en 2010.

La bonne nouvelle: les 6200 écrans locaux sont pris d’assaut avec +64% de fréquentation en un an. La ville qui s’ennuie et qui s’enrichit, peut se payer les frissons du 7ème art. En 2010, près d’une salle surgit par jour – mais presque trois en 2011. Or, même ainsi, la Chine n’a qu’un cinéma par 200.000 hts contre 1/9000 aux US. D’où l’afflux des investisseurs, 1100 en 2011 contre 500 en 2009: c’est un marché porteur, qui tanne Bollywood pour le 2d rang mondial, avec 526 longs métrages (+15%).

La concentration gagne. Bona (Pékin), un des 6 groupes privés agréés en 2003 entre au Nasdaq (New York). Wanda (Dalian) s’est doté d’un parc de 50 salles à travers le pays, franchissant en 1er la barre du milliard de yuans en 2010. Fait remarquable, ce retour d’amour pour les salles obscures se produit au royaume du CD pirate, qui ne coûte que 8¥ pièce, contre 40¥ l’entrée en salle : les chinois ont vite appris, et veulent « the real thing » !

La mauvaise nouvelle: de qualité médiocre, les films locaux sont boudés. Au box-office, rien que les 2 monstres sacrés américains de 2010, Avatar et Inception ont trusté 20% des recettes avec 300M$… Aussi des 526 films tournés en 2010 (+15%), seuls 200 ont été projetés, dont 80% n’ont même pas récupéré, en recettes, le coût de la production. Deux titres chinois se battent pour la 1ère place, loin derrière les block busters américains : Bullets de Jiang Wen, et Aftershock de Feng Xiaogang, titrant chacun à ce jour 100M$ -la moitié d’Avatar.

Feng explique ainsi le phénomène: «l’époque n’est pas propice à l’émergence de génies en Chine: la tutelle s’ingère trop». Joue aussi l’autocensure de réalisateurs, surgelés dans leur respect de l’autorité et la morale traditionnelle, que les jeunes rejettent dès qu’ils ont le choix. Le comble a été atteint en 2008 avec la sortie de Kungfu-Panda, production hollywoodienne qui présentait correctement la culture chinoise traditionnelle, laissant les Chinois éblouis. Mortifié, le secteur faisait son autocritique, se demandant pourquoi la Chine ne pouvait assurer ce niveau de qualité, au moins sur ce portrait d’elle-même.

La Chine aurait intérêt à trouver une réponse assez vite, n’ayant plus beaucoup de temps. Condamnée par l’OMC, elle va devoir offrir d’ici mars des échéances pour lever ses obstacles à la libre circulation des biens audiovisuels. Après, il sera temps de chercher à rattraper l’étranger sous l’angle de l’élégance et d’un reflet de la vie réelle. Manifestement la Chine, sous l’angle du 7ème art, comme sous tant d’autres comme la recherche ou l’enseignement, se trouve à un tournant de son existence. Ce qui manque à tous ces domaines de création et ce que les professionnels réclament avec toujours plus d’insistance, étant rien moins que « la liberté au pouvoir » !

 

 


Petit Peuple : Yichang— ma beauté, ou vos désirs

A 19 ans, Su Zizi (pseudonyme) défraie la chronique de ce pays hier encore pudibond, en posant nue sur Internet. Mais plus que son audace, c’est sa force vi-tale (活力 «huoli») qui frappe en elle, atout suffisant pour chambouler un destin qui s’annonçait sombre.

Su naquit en 1991 à Yichang (Hubei), en même temps que la ville et que le chantier du barrage des Trois Gorges. Son père camionneur acheminait du matériel. Sa mère étant chômeuse, leur maison, en plus d’être vide d’homme, manquait de tout. Et comme l’époux était d’une fidélité aléatoire, les disputes s’amoncelèrent, culminant en 1974 par un divorce : la mère alors laissa Zizi aux grands-parents pour refaire sa vie.

Sous la faible poigne de ces vieillards dépassés, la gamine se mit à fuguer, fumer (pas que du tabac), et suivre sa bande dont elle était l’âme damnée. Cela ne l’empêchait pas de briller à l’école-quand elle y allait -vu sa mémoire phénoménale à retenir les cours rien qu’en les écoutant.

Ce qui la sauva, à 16 ans, de ce mauvais coton, fut paradoxalement la corruption galopante locale. En 2007, les cadres firent raser son quartier, détournant le budget de relogement : mal lotie, la grand-mère devint neurasthénique, puis eut une attaque qui la laissa dans un fauteuil. Zizi vit s’alourdir ses corvées ménagères et, pour payer les médicaments, dut prendre des petits boulots du soir, plongeuse ou caissière, à 400 ¥/ mois. C’était vraiment selon l’expression classique bouddhiste, «survivre dans la mer amère» (苦海余生, kǔ hǎi yú shēng). Très vite, Zizi sentit l’urgence d’échapper à cette vie de dupe et de s’offrir des études.

Le défi était écrasant. En fac des Beaux-arts, Renda, l’ultra sélecte université de la capitale qu’elle visait, n’offrait pour la session 2009 du Gaokao (Baccalauréat), en tout et pour tout qu’une seule place ! Qu’à cela ne tienne : en plus du lycée du jour, des jobs du soir, elle révisait la nuit, ne s’accordant plus que 3 heures de repos. Mais en juin, quand furent affichés les résultats, Su Zizi pouvait arborer un large sourire : elle était prise !

Certes, vivre à Pékin coûte plus qu’à Yichang. Mais pour cette petite souris n’ayant pas froid aux yeux, la ville aux mille lumières était un géant fromage. Elle tomba un jour sur une offre d’emploi à Shanghai, 10 jours de modèle à 5000¥, assez pour tenir un trimestre. Il y avait un hic cependant : c’était nue qu’il fallait poser. Souci vite dissipé. Honte et modestie craquèrent sous l’attrait du chèque, et le rappel du bon sens : nudité n’était pas crime!

Tout se déroula dans la bonne humeur, jusqu’au 7ème jour où une photographe tenta de la forcer à des poses obscènes, lui faisant valoir que sa nudité faisait d’elle de facto une fille de rien. Zizi en tira une leçon: la vente de son corps en images lui apportait aisance voire célébrité, mais aussi une aura aisément sulfureuse qu’elle allait devoir gérer de main de fer. Elle prit un avocat pour régler ses contrats, et c’est son propre studio privé qui accueille les photographes, à son prix et à ses conditions strictes d’utilisation, nourrissant d’innombrables blogs. Après 1000 tergiversations et une censure bénigne, son université a fini par accorder son blanc-seing, admettant son besoin d’un revenu pour boucler ses études.

Disons le tout net: fausse ingénue et vraie opportuniste, Su Zizi va un peu loin en prétendant que montrer son joli corps, serait de sa part une création artistique. Mais ça marche, tant l’humanité chinoise est avide de combler son retard en représentation des désirs et quête de plaisirs. Coqueluche éphémère de Pékin, Su recevait le 16/01 une cinquantaine de journalistes à l’espace 798, temple de l’art moderne de Pékin, en marge d’une expo de son corps «one woman show» au titre provocateur ou hédoniste: « dans vos appareils, en me cadrant, que voyez-vous? ma beauté, ou vos désirs ? »