Le Vent de la Chine Numéro 38

du 28 novembre au 4 décembre 2011

Editorial : Chine-USA : un bras de fer… pour éviter le pire !

Barack Obama vient de jeter le gant à la Chine : curieux défi qui arrive en fin de mandat. Avant lui, bien des poids lourds de l’Ouest (B. Clinton, G.W.Bush, N. Sarkozy, A.  Merkel, D. Cameron…) s’y étaient risqués, mais à leur arrivée aux affaires, encore dans l’ivresse du succès.  De la part du Président des USA, c’est donc un geste lourd, longuement médité, qui selon un ambassadeur, a le potentiel de réinstaurer des années de guerre froide.

Soigneusement préparée, l’offensive  s’est déroulée en trois lieux et huit jours, à travers la zone Pacifique :

–           Au sommet de l’APEC (Coopération Economique de la zone Pacifique) à Honolulu (Hawaï), la présence de Hu Jintao n’empêche pas Obama de lancer les palabres pour un Partenariat Transpacifique (TPP), où les USA échangeront leur marché agricole contre l’accès aux services et aux marchés publics des pays émergents, sous un respect accru de la propriété intellectuelle. Or, de cette 1ère zone mondiale de libre échange, l’usine du monde serait exclue, le temps d’apprendre à « jouer selon les règles »: pour Pékin, telle exclusion est politiquement et commercialement invivable.

–          A Canberra (Australie), Obama inaugure un traité de défense et va ouvrir à Darwin en 2012 une base de 2500 Marines, à un jet de galet de la Mer de Chine du Sud revendiquée par Pékin. C’est le «choix stratégique» de revenir dans la zone, protéger la liberté de naviguer, avec des troupes libérées d’Irak et Afghanistan.

–          A Bali, au sommet EAS, (East Asia Summit) sans tenir compte de la mise en garde du 1er ministre chinois Wen Jiabao, un Obama applaudi, déclare vouloir régler en multilatérale le partage de cette mer convoitée.

Pour Pékin, marginalisé, le camouflet est grand. Pourtant, il pourrait avoir été planifié pour prévenir un dérapage pire encore. Car à travers cette double offensive, Obama vise divers buts, sur différents plans: [1] enrayer l’avancée en Mer de Chine d’une armée chinoise (APL) qui, depuis 10 ans, prend à la lettre une vieille revendication du KuoMinTang d’avant 1949, [2] se faire réélire en 2012 en un 2d mandat, et [3] éviter que le Congrès ne matérialise enfin son vieux fantasme d’une taxe aux exports de la Chine, pour la forcer à réévaluer son yuan, lequel monte certes (4% depuis janv.), mais pas assez vite. Aussi en temps de crise, une avancée des faucons Républicains et Démocrates (co-auteurs d’un projet de loi de taxe chinoise) est inévitable. Il sera accéléré par le XII. Plan chinois de relance des industries «high tech», rivales de celles des USA (cf p.2). 

Le vice 1er Wang Qishan avertit que son pays agira   selon ses intérêts: «une convalescence déséquilibrée vaut mieux qu’une récession partagée». Ainsi le déficit commercial étatsunien, à 30MM$ en oct., est parti pour rebattre cette année le record de 2010 (273MM$). Aussi, le bras de fer engagé par Obama entend servir de «barrière coupe-feu» à l’agressivité du Congrès, pour le dissuader de voter l’irréparable.

‘   Vu d’en-face cependant, de Chine, il aura d’autres conséquences : [1] Pékin voit revenir son vieux spectre de l’encerclement. Son inquiétude se devine à sa modération dans la presse : prudence, avant d’avoir défini sa propre attitude. Et l’on croit déjà voir, derrière les hauts murs de l’appareil, une recherche des responsables ayant déclenché tout ce souci. N’est-ce pas justement pour prévenir la critique, que l’APL se crée (22/11) un département de planification stratégique, destiné à faire « reprendre confiance » (sic) et à « améliorer la gestion stratégique » ?    [2] Les autres continents feront l’objet d’une cour accrue de la part de Pékin : subventions aux émergents, ouvertures aux Asiatiques, Africains, au Brésil, conciliation à l’Europe…

Enfin, le pire (qui serait, entre Chine et monde, une rupture de confiance) est-il nécessaire? J. Huntsman, ex-ambassadeur américain à Pékin, candidat à l’investiture républicaine n’y croit pas. La remontée du yuan est engagée, préfigurant  la fin du litige. De plus, les concessions chinoises à la 22ème Commission mixte sino-américaine (Chengdu-21/11, cf p.3), semblent dire que la Chine avait senti monter l’impatience des USA. Tardives, ces offres n’ont pu éviter le dévoilement de la bombe : elles pour-  raient au moins prévenir sa détonation.

 

 

 


Automobile : La vraie naissance de la « E-voiture » en Chine

A Chengdu, à la 22ème Commission sino-américaine (22/11), Pékin a fait « marche arrière » en voiture électrique.

Depuis 2010, pour s’imposer comme leader sur ce marché automobile mondial encore à prendre, le législateur envisageait d’imposer aux constructeurs étrangers le passage sous marque locale (comme c’est déjà le cas en voiture à essence) et, plus grave, le transfert obligatoire d’au moins une technologie maîtresse (batterie, moteur ou électronique) – ce qui aurait permis au partenaire chinois d’hériter, sans bourse délier, d’un savoir-faire encore non-amorti.

Pékin renonce donc, et accepte le principe d’égalité des chances. Elle confirme aussi l’ouverture du plan de prime à l’achat jusqu’à 60 000¥ /auto, même étrangère, pourvu qu’elle soit made in China. Si l’on ajoute la promesse de lever toute pénalité dans 25 villes pour cette filière(loterie de plaque, circulation alternée pair-impair, tarifs des parkings) , c’est bien à la naissance de cette voiture à « émission zéro » que l’on a conscience d’assister en Chine.

Ce qui motive cette volte-face :

[1] la cuirasse règlementaire du E-véhicule décourageait l’Occident, soucieux de préserver son patrimoine technologique. Ainsi Nissan, GM ont fait le choix d’importer plutôt que de produire en Chine, malgré la certitude de renoncer aux privilèges locaux. Mais politiquement, le protectionnisme chinois passait de moins en moins, notamment aux USA. 

 [2] Entre la volonté politique d’avoir « 20 millions » de E-véhicules en 2020 et « 250 millions » en 2050 (70% du parc), et la réalité des 10 000 unités circulant aujourd’hui en Chine, la césure devenait évidente. VW, par exemple, n°2 national, prévoit de vendre d’ici 2018… « 10 000 voitures électriques ». Clairement, sans l’étranger et sa force de frappe en R&D, le pari chinois de l’auto électrique était ingagnable. Tandis que l’ouverture du marché ne pourra qu’accélérer l’arrivée à maturité, où les réseaux de recharge, batteries et électronique de bord seront réellement utilisables.

En attendant, même avec une baisse des ventes en 2011 (+5% face aux +33% de 2010), le marché chinois reste plus que jamais l’Eldorado des constructeurs du monde. L’investissement s’accélère : 19 milliards de $ pour VW d’ici 2016 (il compte doubler sa production frisant les 4M/an d’ici là) et pour PSA 1,3 milliard de $ « pour commencer », à Shenzhen où il inaugure sa JV avec Changan pour produire sa ligne de modèle haut de gamme DS, y compris (plus tard) en versions moins polluantes, hybrides et diesel. Il investit aussi dans son centre local de R&D, et prétend toujours à 8% du marché chinois, tablant sur sa bonne image. C’est alors qu’apparaît le plus clairement le défi imposé aux étrangers par la crise: tout en renforçant ses capacités chinoises (+2000 emplois d’ici fin 2012), PSA doit perdre 5000 emplois en Europe : « les marchés européens sont clairement sous pression », dit son PDG P. Varin. Litote que l’on pourrait traduire en : « sans redéploiement en Chine, point de salut » !


Reportage : Interview de Markus Ederer, Ambassadeur de l’Union Européenne

Interview de Markus Ederer, 1 er ambassadeur de l’Union Européenne

 Vent de la Chine  : Depuis le G20, on dit la Chine prête à acheter des bons émis par Bruxelles – est-ce pour « sauver l’Europe » ?

 Markus Ederer : L’UE et la Chine pensent plutôt en termes d’intérêts propres. Avec 3200 milliards de $ de réserves, la Chine doit diversifier. Sous cet angle, le Fonds Européen de Stabilité Financière, doté de l’indice «AAA», est une solide option. Les placements souverains sont confidentiels, mais nous croyons savoir que 40% de sa dernière émission sont partis en Asie, notamment en Chine. La Chine a aussi intérêt à préserver un ² fort, ainsi que soutenir son 1er marché à l’exportation. Cela lui fait d’assez bonnes raisons pour investir dans notre dette souveraine.

VdlC : Au 1 er janvier 2012, l’UE lance son système de crédits carbone pour les compagnies aériennes, avec taxes aux plus polluantes. Pékin est contre : où va-t-on ?

ME: Ce plan a été voté par les 27 Etats membres, après consultations int’les pour le rendre acceptable hors UE. Certains carriers des USA ont porté plainte à la Cour de Justice Européenne. Or l’avocat général vient de prédire qu’ils seront déboutés. La question de fond est : ce système est-il légal ? Il semble l’être. Enfin, des discussions sont prévues avec l’étranger : nous sommes prêts à octroyer des dispenses aux Cies dont les efforts de réduction de CO2 seront reconnus équivalents à ceux de l’UE. Autrement dit, il faut attendre : une fois le système lancé, nous allons voir.

VdlC : Y-a-t-il un risque de voir les transporteurs asiatiques troquer Paris pour Dubai, comme « hub » vers les USA ?

ME : Rassurez-vous, nos capitales restent assez mythiques pour dissuader les Asiatiques de les bouder. Et puis vous savez, pour les passagers, le coût de cette nouvelle taxe ne dépassera pas 10² …

VdlC : Ce 28/11, 180 pays siègent à Durban, pour négocier un système mondial de coupe des émissions de CO 2 . Comment les choses se présentent-elles ?

ME : Dans le cadre du XII.Plan, la Chine fait de gros efforts pour infléchir son économie vers le « vert » et le durable. Elle est donc pour nous un allié, déterminé à faire sa part pour assurer l’avenir. Il me parait peu probable que nous parvenions dès Durban à un accord pour remplacer le protocole de Kyoto (qui s’achève au 31/12, NDLR). Mais les chances sont sérieuses, avec l’aide de l’UE et de la Chine, de convenir d’échéances vers un système mondial contraignant de coupes des émissions.

VdlC : Face à l’extension de la sécurité sociale chinoise aux résidents étrangers, que fait l’Europe?

ME : Le XII. Plan vise une « croissance inclusive », et davantage d’équité et de cohésion sociale. L’Union Européenne ne peut pas être hostile à ce type de projet : nous le soutenons donc en principe. Mais pour autant, nous voulons aussi rester vigilants à l’application, et aux effets pratiques pour les résidents européens. Pour l’instant, nous attendons et nous prions nos interlocuteurs chinois d’éviter dans leur application de la loi, toute redondance de leurs cotisations sociales avec les nôtres déjà en place.


Technologies & Internet : Télécoms – la bataille des mammouths

La NDRC (National Development and Reform Commission) dévoile son enquête (9/11), secrète depuis janvier contre China Telecom et China Unicom, pour abus de position dominante en internet-ADSL (permettant la transmission de films, de son…). C’est une 1ère : la loi anti-mono-pole de 2008, qui frappe des piliers de l’économie d’Etat !

Tout en ristournant à des gros clients (banques etc), ces géants des télécoms occupant 2/3 du marché auraient surfacturé l’accès à leurs concurrents fournisseurs de service, qu’ils rayaient du marché. Leur entente leur permettait aussi de maximiser leurs profits en maintenant leurs réseaux 10 fois plus lent qu’aux USA ou au Japon, et quatre fois plus cher.

Bouche en coeur, China Telecom et China Unicom, tout en prétendant «coopérer», contestent l’accusation, au point d’arriver au blocage. Car s’ils acceptent de transiger, comme souhaite la NDRC, interrompant l’enquête en échange d’une ouverture du marché, ils perdront leur monopole. Tandis que si la procédure va à son terme, ils ne risquent que 1 à 10% d’amende sur leurs recettes d’ADSL de 2010 (50  milliards de ¥ de chiffre en 2010 pour Telecom, 30  milliards de ¥ pour Unicom)…

Mais l’Etat ne peut attendre. L’arrivée de nouveaux fournisseurs de services, selon une source anonyme, réduirait les prix de 38% d’ici 2016, tout en stimulant le passage des internautes à l’ADSL- une condition sine qua non pour réussir le pari de faire de l’activité culturelle un « pilier stratégique » de l’économie nationale, supposée peser 150 MM² en 2016. Aussi le temps des privilèges des grandes entreprises d’Etat semble se tarir !


Sécurité Alimentaire : Contrôles alimentaires sur le gril

Douche froide pour Volvic, Evian (groupe Danone ) : le 15/11, des lots de leurs eaux minérales étaient détruits par l’AQSIQ, administration de l’hygiène alimentaire, pour taux en nitrites excessif (cancérigène). Chez Danone, c’était la consternation. Ses eaux de table respectent les normes de de l’OMS (0,02mg/l) et de la Chine (0,1mg/l). Pour le groupe français, c’est incompréhensible.

Bizarrement, alors que l’AQSIQ (Administration pour le contrôle de la qualité, de l’inspection et de la quarantaine) maintient la ligne dure, le ministère de la santé lui, va vers la reconnaissance des normes mondiales: durant des décennies, son plafond en nitrites était 20 fois plus bas, à 0,005 mg/l, avant de s’aligner sur l’international qu’en 2008.

Le problème de Danone pourrait venir d’ailleurs, de la teneur en bactéries. Dès 2007, l’AQSIQ détruisait 118 t. d’Evian sur ce motif, et Danone déplorait l’«écart culturel» avec une Chine non habituée à la pratique d’eaux de sources non filtrées, contenant une flore microbienne « normale »…

Cette année, Danone est loin d’être le seul étranger épinglé : 422 produits importés ont été saisis. L’AQSIQ a aussi sanctionné la production locale : 4 marques de raviolis surgelés ont été retirées des rayons du sud de la Chine (19/11) pour excès de staphylococcus aureus.

Enfin, en bactéries comme en nitrites, réalisant l’aspect pénalisant de sa norme pour les industriels, le ministère de la Santé planche sur le relèvement du plafond pour cette bactérie dans les surgelés : la Chine apprend vite !


Environnement : Climat : « En réalité, nous sommes d’accord »

Etonnante Chine ! À la veille du COP 17, (Conference of the Parties) sommet climatique de Durban, elle prétend changer de ligne, d’un protectionnisme ombrageux vers une ouverture tous azimuts. Elle l’affirme dans son dernier « Livre blanc » (22/11), publié juste avant la rencontre des 180 pays et entités participants :

[1] Pékin y confirme le lancement d’un plan contraignant de crédits-carbone dans 7 métropoles et provinces, avec quotas d’émission de CO2 et bourses d’échange des reliquats.

[2] Pour la 1ère fois, il fait bon accueil aux ONG, jusqu’alors non-grata en tant que rivales du monopole étatique : « Earth Hour » (du WWF) et « Energy Foundation » sont saluées.

[3] à Chengdu (22e Commission mixte, 21/11), la Chine promettait aux US la production et vente de voitures électriques à pied d’égalité avec celles chinoises. Or les négociateurs américains révèlent que ces privilèges s’étendront à toute l’industrie high-tech (des énergies renouvelables à la biotechnologie, aux nanotechnologies et nouveaux matériaux) : comme sur ces secteurs, au titre du XII. Plan, l’Etat réservera 1700MM$ d’investissements en marchés publics, R&D et subventions, c’est une forte concession à l’Amérique (et à l’Europe, erga omnes), sous réserve d’inventaire !

Sur le plan théorique, tout en maintenant sa vieille prétention, par la voix du vice-Président de la NDRC (National Development and Reform Commission) Xie Zhenhua, que « la responsabilité du réchauffement global incombe d’abord aux pays développés -c’est donc à eux d’assumer l’effort de mitigation », Pékin embouche une trompette plus humble, réaliste et… solidaire : « l’espèce humaine cherche désespérément, à travers tous ses pays, à réduire les émissions de CO 2». Premier producteur de CO², Pékin admet aussi que ses efforts ne suffisent pas puisqu’ils aboutissent à une hausse.

Tout ceci suffira-t-il à arracher un succès à Durban ? Sans doute pas de suite. Une part des 40 nations ayant accepté par le passé, sous le protocole de Kyoto, de se plier à une baisse contraignante, sont déçues par la ligne dure jusqu’à ce jour, du « bloc tiers-mondiste » conduit par Pékin. D’autres comme les USA sont ingouvernables, et sous l’effet de leur lobby pétrolier, refusent tout effort environnemental.

Parmi les problèmes à résoudre à Durban figurent la gestion d’un fonds vert de 100 milliards de $, pour l’accès des pays en voie de développement aux technologies à bas carbone. Les pays en voie de développement le veulent « sans contrôle », or les Occidentaux exigent un droit de surveillance.

De même, le principe d’un traité à deux vitesses, où les grands pollueurs peuvent rester absents (USA) ou exemptés (Chine), devient moins acceptable pour les nations «ex-riches» en pleine tempête financière. Aussi, l’objectif en 2015 d’un accord intérimaire, apparaît prématuré pour la Russie et le Japon. Enfin, le plan européen de crédits carbone « aviation » suscite en Chine et ailleurs, une levée de boucliers (cf p.3, interview).

Mais au-delà du rendez-vous de Durban, la Chine fait ses comptes, à l’horizon 2015. Selon un de ses think-tanks climatiques internationaux, son XII. Plan, lui coûterait 909 milliards de $ en investissements environnementaux et en fermetures d’activités, 15,6 milliards de $ de PIB et 0,95 million d’emplois. Mais ces pertes seraient compensées par 224 milliards de $ de création de PIB et 10,6 millions de jobs. Le calcul est vite fait, et le choix solide et définitif, d’un tournant vers une économie durable et à bas carbone -même s’il implique l’obligation d’attirer les technologies nouvelles et de partager le marché avec l’étranger – comme la Chine se prétend désormais prête à le faire.


Petit Peuple : Shanghai – le cri du corps

Vers 11h, d’un étouffant matin d’août, sur les marches du Tribunal de Pudong Shanghai, Zhuang Jinghui affichait sur son dos le dazibao de ses doléances : « respect de la loi, droit à porter plainte ». De sa silhouette émanait un curieux mix de grotesque et de colère. La femme de 77 ans exhibait les plis de son ventre, ses membres aux muscles disparus, ses fesses décharnées – elle était nue.

A la base du fait divers se trouvait l’éternelle histoire de l’expropriation abusive. Faute de disposer d’un impôt foncier comme partout ailleurs, toutes les mairies chinoises y recourent, chassant chaque année des masses de citoyens propriétaires – seul moyen pour elles de boucler leur budget. Aux expulsés, elles paient le prix de ce que les proprios avaient payé 20 ans plus tôt. Aux promoteurs, elles cèdent aux enchères à prix d’or. Ces derniers se remboursent au centuple, sur la plus-value des tours aux vues imprenables qu’ils bâtissent, succédant aux hutongs et cours carrées qui occupaient les lieux depuis le début des temps. Cette politique est plus qu’impopulaire, elle est haïe. Cette pratique génèrerait 90 à 190 000 émeutes par an, et toujours plus. Le cas de Mme Zhuang comporte une variante aggravante : l’expulsion causa le décès de sa soeur, ajoutant lourd au préjudice.

Tout commença en 2002, quand la ville convainquit cette doctoresse de goûter au repos mérité, en lui achetant sa petite clinique. Or, premier accroc, le montant ne fut jamais payé. En 2004, en son absence, huissiers et casseurs entrèrent chez elle, où vivait aussi sa soeur. Dans la bousculade, elle tomba en syncope. Emmenée à l’hôpital, elle succomba. Les media ayant relaté la violence des nervis, la «Réserve foncière» de Pudong (l’organe auteur de l’expropriation) lâcha du lest, le temps que s’estompe l’affaire. En 2008, pensant la tempête calmée, elle fit séquestrer Zhuang trois jours dans un hôtel, le temps d’aplatir l’immeuble. Zhuang reçut pour l’occasion une enveloppe dérisoire : 200¥.Mais la justice ronronnait doucement. Cinq ans après son dépôt, la plainte de la toubib débouchait sur un verdict. «Réserve foncière» était condamnée à lui verser 5000¥/mois jusqu’à son relogement. En fait, 2 ou 3 mensualités tombèrent, avant de s’interrompre.

Été 2011, Zhuang vit débuter une nouvelle ère de sa vie. Une fois épuisées ses économies et la charité de ses proches, elle n’avait plus de moyen de subsistance. Alors s’imposa avec simplicité biblique ce geste extrême : aller s’agenouiller dans le plus simple appareil sur les marches du Tribunal. Le 18/07, son 1er essai fut vain. Cosmopolite, Shanghai est rompue aux excentricités, à la nudité d’artistes comme d’implorants : à bout de forces, la vieille dut bien se rhabiller et retourner à la chambrette qu’on lui prêtait encore.

Le 12/08, elle tenta à nouveau et là, un badaud s’arrêta, 2 puis 3, groupuscule d’indignés scandant yuwang (terme shanghaïen pour «injustice») – trop heureux de pouvoir lâcher la vapeur sur d’autres sujets de colère. Ensemble, ils furent reçus au tribunal mais toujours sans succès. Entre Réserve foncière et ce greffe, le combat était trop inégal, admit sans fard un juge – l’instance était bel et bien au-dessus des lois. Quelques jours plus tard, la retraitée recevait la visite d’appariteurs peu amènes, qui lui conseillèrent de surveiller ses nerfs et son habillement, sous peine de se retrouver en asile, entourée de vrais fous : pas le meilleur décor pour finir ses jours.

Pourtant, le combat continue, dans les médias et sur la toile. Par son pathétique combat de David contre le géant, Zhuang trouve des alliés. Le meilleur, à vrai dire, se trouve être l’énergie vitale sourdant du fond de sa misère. Le dicton dit qu’« une fois acculées, les bêtes mordent » (kùn shòu yóu​ dòu​, 困兽犹斗) . Même les rois et empereurs les plus puissants peuvent redouter le désespoir ultime : la plus grande des libertés commence quand on n’a plus rien à perdre.


Rendez-vous : Sommet de Durban COP17, sur le changement climatique
Sommet de Durban COP17, sur le changement climatique

28 nov. – 9 décembre, Durban : Conférence sur le changement climatique COP17

29 nov. – 2 décembre, Shanghai : Marintech China, Salon de l’industrie maritime

30 nov. – 2 décembre, Shanghai : Salon de l’accessoire et de la mode

30 nov. – 2 décembre, Pékin : China Foodtech

30 nov. – 2 décembre Shanghai : Salon de l’approvisionnement pour les produits pour bébés et enfants

1-3 décembre. Zhengzhou : PharmChina