Le Vent de la Chine Numéro 37

du 14 au 27 novembre 2011

Editorial : Sommet de Durban : renaissance ou enterrement

La visite en Chine (05-08/11) de Nathalie Kosciusko-Morizet a été l’occasion précieuse de sonder les intentions de la Chine, à 20 jours du Sommet de l’ONU sur le réchauffement climatique, à Durban, du 28 /11 au 09/12 en Afrique du Sud. La ministre française de l’Ecologie en tire une prédiction digne de Salomon : « Durban, ce sera la renaissance, ou l’enterrement ».

Depuis 10 ans, l’ONU discute en vain un plan de coupe des émissions de CO2, en relai du protocole de Kyoto qui expire fin 2012. En 2009, au Cop 15 de Copenhague, le groupe des 77 guidé par Pékin avait voulu forcer la reconduction de Kyoto, pour que les pays « riches » continuent à porter seuls l’effort de baisse, les émergents gardant toute liberté. Quoique la Chine, soit 1er pollueur, depuis 2007. Les scientifiques avertissent : suite à une poussée mondiale de +6% des émissions de C02 en 2010 (et de 33% en Chine depuis 2006), pour limiter à 2% le réchauffement d’ici 2100, c’est déjà trop tard.

Mais Pékin semble soudain en pleine effervescence. La ministre salue sa « forte prise de conscience » de la « non-durabilité de la croissance », convergente avec la position française: désireuse de compromis. Pour autant, cette main tendue n’est pas -encore- suivie de concessions sur ce qui fâche. Elle parle toujours «intensité carbonique» et non «baisse d’émissions », et émet toujours plus. Son attitude reste ambiguë, entre sa rigidité ombrageuse et sa maturation aux responsabilités de puissance. « NKM » devine pourtant une tentative de revirement, déjà nette dans les objectifs du XII. Plan, en consommation d’énergie (+17% d’efficacité carbone) et d’eau (+30% d’efficacité d’usage). Après son départ le 9/11, le Conseil d’Etat a adopté un plan de 17% de coupes des émissions, et de brûlage de 4,1milliards de tonnes de houille en 2015 (contre 3,2milliardst en 2010) – même si les provinces, sourdes à ses appels, prétendent en brûler 4,6MMt. La détermination de Pékin semble d’acier.

Sur l’examen de conscience que s’impose la Chine, d’autres pays d’Union Européenne perçoivent les mêmes signaux. À Berlin, « il y a une remise en cause… mais pas encore accompagnée d’un contenu à offrir à l’Ouest ». À Londres et Bruxelles, on se donne quatre ans pour entraîner la Chine, les autres pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et les USA vers un accord sur une base nouvelle et équitable, à signer d’ici 2015, à appliquer d’ici 2020.

La France, elle, espère de Durban un « mandat » pour négocier la prorogation de Kyoto, moyennant une concession que la Chine, chef de file, soumettrait au clan émergents : tels des quotas de réduction «nationaux contraignants», ou «liés à des conditions économiques». Pour encourager cette coopération fructueuse aux firmes françaises, grandes (Suez – eau) ou petites (Keolis – transports, Citelum – éclairage public), la ministre a proposé une coopération franco-chinoise pour la création de filières ‘circulaires’ d’interconnexion d’industries et de services à bas carbone, ou « de fonctionnalités », telle l’ «autolib» de voitures libre-service, où Paris s’épargne des milliards d’² d’investissements redondants tout en assurant aux citadins un service moins invasif et moins cher.

Si elles parvenaient à adopter un mandat post-Kyoto à Durban, les nations auraient la voie ouverte pour créer un « organe mondial de l’environnement », 6 mois plus tard à Rio (pour le 20ème anniversaire de la convention éponyme).

Mais la ministre ne peut exclure à Durban l’autre scénario-horreur, où Pékin reste sans rien offrir, se réfugiant derrière la paralysie des USA. Alors, les « 77 » se retireraient, sourds à tout compromis. Le sommet de Rio servirait de trompe-l’oeil pour faire oublier la retombée de l’espoir, la passivité des nations face à un réchauffement désormais inéluctable.

C’est ainsi que la planète retient son souffle, face à ce débat dont dépend son sort 100 ans plus tard. A Durban, selon la capacité chinoise à se remettre en cause, ça passe ou ça casse !


Transports : Le ministère du Rail négocie le tournant

Depuis ce 23/07, à marquer d’une pierre noire pour les chemins de fer chinois, 10 000 km de rails, tunnels et ponts, et des commandes de centaines de rames sont au point mort. Impayés depuis mai, cheminots et métallos attendent la fin du chômage technique. Les projets sont bloqués, 90% du programme «TGV» de l’année attendra 2012 – ou les Calendes grecques – la Chine ne s’étant pas remise de l’accident de Wenzhou qui fit 40 morts et 200 blessés, aux images calamiteuses de wagons basculés dans le vide, puis tentés d’être enfouis sous terre par les pelleteuses. Cette pause fut nécessaire pour détecter des malfaçons dues à la fraude et à des délais intenables -vu la rareté des compétences techniques. Comme à Baishan (Jilin), où un ex-paysan, chef de chantier d’un viaduc, a rempli les piliers de gravier au lieu du béton obligatoire pour absorber les vibrations.

A cela s’ajoute le problème de la dette. Du temps de Liu Zhijun,l’ex-ministre aujourd’hui en prison, les invests étaient lancés sans étude de marché, selon des critères politiques et de prestige, tout en évitant méthodiquement la coopération du monde extérieur dont on avait racheté un strict minimum de brevets et plans.

Mais depuis, Pékin a lancé sa campagne anti-inflation. À court de cash, les banques prêtent moins à ce client peu fiable. Même pour les chantiers ayant sauvé leur feu vert, il n’est plus possible de commander les matières 1ères. Aussi, pour honorer les échéances, le ministère doit émettre (08/11) 30 MM¥ en bons à taux inédit, 4,6% sur 7 ans, et 5,2% sur 20 ans – en plus de la garantie du min. des Finances, qui a également réduit de moitié la taxe sur les intérêts (2011-2013). Mais la dette est si lourde, qu’en 2011 les bonds du ministère atteindront 240 MM¥, + 37% par rapport à 2010.

L’Etat doit intervenir. Le ministère du Rail a aussi reçu 200 milliards de ¥ du ministère des Finances, de quoi payer 250  milliards de ¥ dus à 36 prestataires. Le ministère du Rail a promis de régler les créances les plus urgentes avant le 20/11. Et dès le 01/11, il versait 4,5 et 6  milliards de ¥ à CNR et CSR, ses fournisseurs de matériel roulant. Une misère face aux 2 230  milliards de ¥ de sa dette globale (60% de ses actifs). Le XII. Plan prévoyait 3 500 MM¥ d’investissements ferroviaires. Aujourd’hui, on murmure un chiffre raboté à 2 000 milliards de ¥.

Ce programme TGV est donc inanimé et avec lui, l’immense espoir né 10 ans plus tôt, de stupéfier le monde en le dépassant sur le terrain du high tech. Dans l’attente du bilan de l’enquête officielle (2 mois de retard), la confiance des usagers est au plus bas et les commandes étrangères (Brésil, Californie, Russie, Thaïlande) réduites à néant. Les PME équipementières expatriées sont démotivées – moins par cette baisse de régime, que par leur mise à l’écart depuis de trop longues années.

Cela pourrait être le moment de changer d’aiguillage : relancer le plan, selon des principes nouveaux, plus ouverts. En commençant par séparer les organes de décision-contrôle, aujourd’hui concentrés en la seule main du ministère du Rail. Mais il est trop tôt. Au ministère, comme au Conseil d’Etat, plus rien ne bouge, dans l’attente de la découverte du Graal : le XVIIIème Congrès, l’avènement de la nouvelle équipe au pouvoir, seul moyen sûr de sentir le vent, les règles du jeu futur.


Diplomatie : Mékong — le grand nettoyage

La découverte le 05/10 dans les flots du Mékong des corps sans vie de 13 matelots du Huaping et du Yuxing8, avait frappé la Chine de stupeur. Laquelle vira à la colère, quand il apparut que les neuf coupables appartenaient à l’armée thaïe, probablement compromis dans un trafic de drogue.

Le drame agit en révélateur, permettant de débloquer un vieil imbroglio. Du fait du refus chinois de siéger à la Mekong River Commission, le « Danube de l’Orient » était le havre des pirates birmans, thaïs et laotiens.

À présent, avec une Chine frappée au grand jour, on voit bien que rien ne sera plus comme avant dans la région. Bangkok préparait la cour martiale à ses hommes félons, et Pékin convoquait ses voisins pour négocier un accord quadripartite pour l’éradication du banditisme sur le fleuve. Le 31/10, un préaccord apparaissait. En plus d’un  échange renforcé d’informations sur les gangs, et d’une prime aux familles de victimes (200 000 ¥/mort), probablement à charge de Bangkok, le trafic redémarrerait en décembre en convois, sous la protection de patrouilles chinoises. 600 membres de la police armée du Yunnan feraient la navette à bord de cinq cargos modifiés, équipés de hors-bords rapides.

Avantages : la sécurité de retour pour les 130 bâtiments de cette flottille, la baisse des coûts, l’explosion prévisible d’un cabotage qui valait 10 milliards de ¥ l’an passé, de la croissance, malgré la crise mondiale… Mais chez les riverains, le malaise est palpable. La souveraineté est en jeu, par cette « présence armée plus ou moins permanente » qui risque de faire du Mékong un « vecteur d’influence chinoise » selon C. Thayer, expert australien. Les chantiers chinois en Birmanie n’arrangent rien : pipelines stratégiques, base navale à Sittwe. La Chine n’a pas bonne presse chez ses voisins (cf VdlC n°33 de 2011 sur le barrage de Myitsone) : « Sur la patrouille chinoise, nous devons poursuivre les discussions entre les 4 pays » dit sobrement Titima Chaisang, la porte-parole du gouvernement thaï.

 Le hasard veut qu’un autre incident maritime éclate le 6/11 : un chalutier chinois arraisonné par le Japon. L’affaire rappelle celle de 2010, face aux îles Diaoyu-Senkaku, d’un autre chalutier chinois surpris par les garde-côtes japonais dans ces eaux revendiquées par Pékin. La Chine exigea la libération de Zhan Qixiong, le capitaine, puis à son retour, lui déroula le « tapis rouge ». Mais, bien plus tard, une fois le tapis renroulé, Pékin interdisait au marin matamore de reprendre la mer, à vie.

Cette fois, pas d’esclandre : à mi-voix, Pékin se borne à réclamer un « règlement rapide ». Il faut dire que ce dernier incident a lieu au large de Nagasaki, en eaux nippones non contestées. Clairement, au-delà de ses affirmations nationalistes, la Chine est aussi demandeuse de bonnes relations avec le Japon, dont le 1er ministre, Y. Noda, vient à Pékin en décembre. Celui-ci, à l’évidence sur la même longueur d’onde, a fait libérer l’homme (09/11).

Conclusion : de ces deux dérapages contrôlés, on sent que la Chine se familiarise avec le droit maritime, tout en gérant plus sereinement ses relations avec ses voisins.


Technologies & Internet : Et Mars devra attendre

Pas de chance pour Phobos-Grunt, la sonde spatiale russe lancée le 9/11 depuis Baïkonour (Kazakhstan) vers Phobos, une des deux lunes de Mars : elle est restée sur orbite entre 207 et 347km de la Terre, faute d’ignition des moteurs. 14,6t flottant dans l’espace avant l’inévitable retombée dans l’atmosphère.

Cette mission à 163 millions de US$ ambitionnait d’alunir sur Phobos d’ici 2013, avant de rapporter sur Terre 200 grammes de roche.

Hélas, d’où qu’elles décollent, ces missions martiennes semblent sous mauvaise étoile : 21 sur 41 ont raté. Reporté depuis 2009, ce vol interplanétaire russe était le 1er en 15 ans, et 90% de ses systèmes n’étaient pas testés. La Russie a depuis perdu une part de savoir-faire en missions spatiales.

Si cet échec a sa place au Vent de la Chine, c’est qu’à bord de Phobos-Grunt se trouvait Yinghuo-1, (萤火-1 « feu de luciole »), le satellite chinois de 115 kg visant à élucider l’énigme de la disparition de l’eau sur la Planète rouge, et d’autres bouleversements dans son environnement.

L’alliance spatiale sino-russe était pertinente, offrant à la Chine d’accélérer l’extension de son périmètre de sortie spatiale, aujourd’hui limité à l’orbite terrestre. Mais si cette seule raison de coopérer rencontre l’échec, ce projet convenu en 2007 entre Hu Jintao et Vladimir Poutine sera réévalué côté chinois, notamment par Yung Kai-leung, père HKgaisdu projet, et par les dirigeants de la CASTC, corporation militaire (China Aerospace Science and Technologie Corp), pilier du programme spatial chinois.


Société : L’éveil de l’emploi social ?

Le problème de la ville, pour l’ex-villageois privé du réseau d’entraide du village, c’est le choc d’un univers à pollutions multiples.

L’accueil du nouveau venu n’arrange rien : sa citoyenneté de 2nd rang, les services (logis, école, santé, SS) dont il est privé par son hukou, permis de résidence discriminant. Or, avec 10 à 20 millions de nouveaux urbains par an, la ville évolue dans un climat d’inégalité galopante. Sans tradition de soutien aux plus vulnérables, elle compte sur le comité de quartier pour régler les problèmes. Aussi, le travailleur social reste une rareté : à 1 pour 6500 habitants en Chine contre 1/500 à Hong Kong, et 1/350 aux USA. Jusqu’à hier, selon la thèse révolutionnaire, la gestion des citoyens était le monopole du Parti. C’est pourquoi les 200 000 travailleurs sociaux chinois sont à ce jour sous-qualifiés et sous-payés.

Pourtant, la défaillance de la ville envers celui (celle) qui coule, coûte cher, en terme de délinquance, fugue, stress…

Conscient de la bombe sociale que cela implique, pour la première fois dans son histoire, l’Etat saute le pas : le 8/11, le min. des Affaires civiles pense recruter 1,8 million d’aides sociaux d’ici 2015 et 3 millions pour 2020, impliquant des salaires et de la formation, aujourd’hui absents. Manquent aussi les ONG – employeurs peu aidés par le système.

Mais dans une Chine qui vieillit plus vite que son ombre (221 millions de plus de 60 ans d’ici 2015), cette décision était urgente à prendre : une fois accepté par le régime, le corps d’aides sociaux mettra 20 ans à se mettre en place.


Monde de l'entreprise : Contrefaçon—la Chine vertueuse, par nécessité

Hasard du calendrier, 2 affaires de contrefaçon chinoise tombent le 7/11, compromettant de prestigieux intérêts américains :

– Gaopeng, filiale de Groupon (USA, n°1 mondial de l’achat groupé, 20 milliards de $ d’actifs) est prise la « main dans le sac », ayant écoulé quelques centaines de fausses montres Tissot. Pour cette JV avec Tencent, c’est un coup dur, moins en terme financier que pour son image. Il compromet ses chances de rattraper le leader Lashou -Gaopeng n’est que 8ème national, après 9 mois de présence, d’efforts et de dépenses en Chine.

– Fort agacement au Sénat américain dont la commission militaire désigne plus d’1 million de pièces contrefaites dans les radars, chasseurs ou tanks engagés en Afghanistan depuis 2009—ce ne serait que le « sommet de l’iceberg ». Les plus grands noms de l’industrie kaki américaine sont impliqués, avec un risque triple : [1] mettre en danger des soldats par leur faible fiabilité, [2] priver l’industrie nationale de 7,5MM$/an de contrats, [3] affaiblir la sécurité – ces filières pouvant se doubler de réseaux d’espionnage.

Les sénateurs condamnent la Chine, source apparente de 90% des contrefaçons. Mais le dossier laisse apparaître une lourde responsabilité locale. Exemple, une PME américaine, Deals Direct , importait en 2005-2006 des équipements Cisco-China contrefaits. De même, Raytheon, L-3 Comminication. ou Boeing, avec des budgets tronqués, ont été peu regardants sur l’origine des éléments qu’ils montaient. Idem, Gaopeng, contraint d’offrir des « affaires irrésistibles» malgré sa faiblesse financière (10 bureaux fermés dès août), a été tenté de vendre des produits mal vérifiés.

Un jour plus tôt, le pouvoir chinois fêtait le succès de sa campagne « Dégainer le sabre » : dans 182 métropoles, pelleteuses et rouleaux-compresseurs écrasaient des monticules de cigarettes, alcools et médicaments frelatés, faux T-shirts. 25 millions de faux produits furent anéantis, fruit d’un an de saisies.

L’image est forte et calculée, instrument de propagande, annonçant une tolérance zéro, à onze mois du XVIII. Congrès. Mais ici aussi, on voit passer le spectre de la récession. Évincées à l’export, des milliers de PME cherchent à survivre en se créant un marché sur place : au diable la qualité et la propriété intellectuelle ! Si ces copies avaient échappé à la saisie, elles auraient rapporté 18 milliards de ¥. Mais en « VO », le chiffre eût été de 500 milliards de ¥. Bien sûr, ce marché gris reste virtuel : l’acheteur de copies ne peut se payer du Lanvin ou du Vuitton. Il est surtout source d’inflation, c’est pour cela que l’Etat le traque. Justement, le 9/11, il ouvre un Bureau de répression du piratage intellectuel pour intensifier les contrôles dans 7 domaines industriels, et la coopération interrégionale.

La reprise en main touche aussi la finance. Le 9/11, un promoteur immobilier de Lishui (Zhejiang) est condamné à mort pour délit de banque grise, après avoir drainé, de 2003 à 2008, quelques 5,5 milliards de ¥ d’épargne, avec des taux d’intérêts jusqu’à 120%/mois. Il y a là le désir de faire un exemple, de « tuer la poule pour effrayer le renard », mais l’avocat Zhang Junsan dénonce un verdict permettant de masquer les manquements de la tutelle du secteur financier.

Quoiqu’il en coûte, l’Etat est déterminé à tuer l’hydre de l’inflation. Personne n’est à l’abri : même China Telecom et China Unicom vont être poursuivis pour abus de position dominante, avec même cette éventualité inimaginable hier, d’ouvrir le marché au secteur privé. Si grande est la peur de l’explosion d’une bulle chinoise, la Chine passe à l’action.


Petit Peuple : Nankin : le boursicoteur taoïste

A Nankin (Jiangsu), Cai Yujiu passe ses journées à vélo, se faufilant dans les embouteillages lesté d’une bonbonne de gaz, vide ou pleine, suivant qu’il effectue l’aller ou le retour de sa tournée. Fait rare dans ce turbin, même quand il revient avec 2h de retard, jamais son patron ne s’avise de le disputer : car chaque matin, Mister Cai se transforme en Dr Jekyll, président d’un fonds boursier, riche de 6 millions de Yuans.

Tout débuta en 1993. Ouvrier de son état, en usine (d’état), Cai savait bien qu’à 39 ans, jamais un gars comme lui ne s’arracherait de la pauvreté par la simple force des bras. Mais à la TV, les nouveaux milliardaires, Li Ka-shing ou Yang Baiwan, le faisaient rêver – « pourquoi pas moi ? », se disait-il.

Un jour, il osa entrer au salon de courtage, église athée dont les vitraux électroniques dévidaient leurs psaumes colorés, rouges pour les valeurs en baisse, verts pour celles en hausse. Derrière son tiroir-caisse, le courtier expliqua à Cai qu’il fallait 5000¥ de dépôt. Il fonça à la maison, cassa la tirelire : il n’en avait que 3000. Qu’à cela ne tienne, un collègue compléta. 30 minutes après, rouge d’émotion, il ouvrait le compte, début de sa carrière d’investisseur.

Il s’était préparé avec le sérieux du désespoir, potassant les manuels, tenant à jour ses graphes. Il épargnait 300¥/mois qu’il plaçait. Il garda son emploi, menant les 2 activités de front. Même en 1996, quand l’usine le balança, il reprit du collier, comme livreur de gaz. C’ est pourquoi aujourd’hui, rêvant de lui confier son épargne, son chef lui laisse programmer son agenda comme il l’entend, n’enfourchant sa bécane qu’une fois close la salle des marchés.

Disons-le tout net : Cai est doué. Dès le départ, comme un ancien, il s’est tourné vers des valeurs obscures, de bourses de 2de zone. Il a placé à court terme, empêchant ainsi les autres de le suivre à la trace. De la sorte, dès 2001, ses 5000¥ s’étaient mués en 200 000 jolis petits renminbi.

Alors il passa aux fonds fermés, s’épargnant le droit de timbre et surtout le risque des parts supplémentaires parasites qui font chuter les cours. Il se limita aux « B-shares » pour étrangers : des positions sûres, qui lui permettaient d’attendre au chaud dans la tempête, puis de revendre, une fois franchi le cap des +50%.

Détail incongru : son profit, il n’y a jamais touché, sauf le jour des noces du fils. Pour le reste, il vit des 4500¥ de leur pension, à sa femme et lui, et du salaire de livreur. Il ne touche même pas au profit de ses actionnaires, n’exigeant en retour que leur confiance, et qu’ils acceptent tout, les gains comme les pertes. Son rêve simple : doubler sa fortune chaque année comme W. Buffett. A ce rythme, il franchirait, dès 2014, la barre des 30M¥, dix mille fois sa mise. Alors, il se mettrait à « aider les pauvres »…

Quel est donc ce capitaliste torturé par la haine du profit, qui se refuse la vie de luxe, finalité normale de toute course à la fortune ? On peut le supposer, en bon Chinois, Cai cultive le réflexe sécuritaire, l’art de ne pas baisser sa garde et de toujours se garder une poire pour la soif en cas d’adversité. On peut aussi inférer qu’il souffre du stress des nouveaux riches chinois : l’angoisse de paraître traître à la promesse d’égalitarisme de la révolution. On sent là le travail d’une école socialiste, le souvenir de la génération précédente où tous partageaient un même niveau de pauvreté améliorée.

Cai peut aussi avoir sa raison secrète de s’accrocher à son labeur. Autour de lui, dans les milieux boursiers, trop de nababs succombent à leur AVC, fruit de 1000 heures à se ronger les sangs, tempête sous un crâne et corps inactif, dans la terreur de tout perdre. Tandis qu’à vélo, Cai pense à tout autre chose ou mieux, à rien. Tel est son secret d’agioteur taoïste, sa discipline pour se hisser jusqu’ au «wuwei» (无畏, non-être) à la conscience blanche, transparente comme une goutte de sueur. Ainsi, le voyant passer sur sa bécane, fier comme Artaban, prolétaire-millionnaire, riches et pauvres méditent l’adage bouddhiste : 知足常乐 (zhīzúchánglè ), « le bonheur est à qui sait se contenter de ce qu’il a ».


Rendez-vous : A Canton, la Foire de l’automobile
A Canton, la Foire de l’automobile

13-16 novembre 2011, Shanghai : ACP Asia Comm. – Conférence pour l’Asie sur les telecoms et photonique

14-17 novembre, Shanghai : All in Print + RE China, Salons de l’imprimerie

16-18 novembre, Shanghai : FHC – Food & Drink, Salon de l’alimentation & de la boisson

16-21 novembre, Shenzhen  : Elexon – Salon de l’électronique

16-21 novembre, Shenzhen : China Hi-Tech Fair

20-22 novembre, Canton: WWM Asia, Convention sur les vins et spiritueux

22-28 novembre, Canton : 9ème Foire Automobile