Le Vent de la Chine Numéro 21

du 5 au 11 juin 2011

Editorial : La grande soif de l’Empire

La sécheresse au centre de la Chine prend des proportions graves.

Au 31 mai, entre Hubei, Hunan, Jiangxi, Anhui et Jiangsu, elle frappe 35 millions de villageois, 7 millions d’hectares de terroir (12%) : une telle crise naturelle n’avait plus été vue depuis les années ’60. Emblématiques d’une culture chinoise «de carpe et de riz», lacs et cours d’eau agonisent, 269 rivières à sec dans l’Anhui, des milliers de lacs, même les grands, tels Poyang (Jiangxi), Honghu (Hubei), Dongting (Hunan). Le coton végète, et les riz, blé et maïs grillent sur pied.

Certes, on ne peut parler de catastrophe, prêche le ministre de l’Agriculture optimiste, qui attend toujours une récolte d’été de 180 millions de tonnes. Les silos sont pleins, le centre ne compte que pour 5% de la récolte totale, et pour la 8e année de suite, celle d’hiver a été belle. Mais alors, pourquoi ces imports de grain tous en hausse en 2010, surtout le blé (+36%) ?

Comble de malchance, la pénurie menace d’être mondiale : aux Etats-Unis, grand fournisseur, seuls 34% du blé de printemps sont levés, contre 85% d’ordinaire – à Chicago, la bourse spécule dur !

A cette crise, le paysan accuse et voit trois causes humaines.

[1] Depuis 2006, le Barrage des 3 Gorges limite le flux vers le cours inférieur. Or le 31/05, le niveau est à 149,65m, plus qu’à 4,65m de la limite où il ne peut plus fournir : finies alors, l’irrigation et la navigation en aval.

[2] Réceptacle d’eaux usées non retraitées et d’engrais, son réservoir accumule les émissions de méthane à effet de serre, phénomène frappant tous les lacs.

[3] A 2,3¥uan/m3, l’eau chinoise reste parmi les moins chères, ce qui n’incite pas à l’économie. D’autant que l’absence de subventions durant 30 ans a empêché l’entretien des réseaux d’irrigation, qui fuient énormément.

NB: au Nord, Nord-Est, la situation n’est guère meilleure. Seule différence, ces régions semi-désertiques vivent en pompant sur leurs réserves fossiles.

Ceci réveille la vieille polémique sur cet ouvrage, imposé par l’État à partir de 1994 malgré un rare vote de défiance du tiers des députés du Parlement. Le 25/05, le Quotidien du Peuple exhume un article posthume du Prof. Huang Wanli, célèbre expert hydraulicien plaidant pour le dynamitage du barrage «tant qu’il est encore temps». D’autres dénoncent le XII. Plan hydroélectrique qui budgétise, d’ici 2016, pour 100Gw de nouveaux barrages à l’Ouest, +50% dans des zones d’une stabilité tectonique pas toujours vérifiée.

Autres signes de sécheresse: les villages forent frénétiquement de nouveaux puits, Shanghai subit l’intrusion d’eau salée (25/05) dans son 1er réservoir d’eau potable. Les prix des légumes, tels salade et chou ont augmenté entre 16 et 30% dans le mois.

On l’a déjà dit, la sécheresse en Chine, se conjugue à une pénurie d’électricité. Contrairement à 2010 où la cause était la fermeture de centrales polluantes, en 2011 elle émane du refus des cinq gros électriciens de produire, après avoir perdu 1,5 milliards$ en quatre mois, suite au refus de Pékin de les laisser répercuter les hausses de la houille.

Or l’État semble à présent jeter l’éponge -c’est rare- tolérant 3% de hausse pour la consommation des industriels de 15 provinces. Dans les faits, depuis longtemps, les provinces avaient augmenté le tarif d’achat aux électriciens, mais non ceux à la consommation, quitte à financer la différence. Quoique modeste, la hausse s’ajoutant à celles des matières 1ères et des salaires, risque de sonner le glas de bien des PME, craint Xu Hongcai, membre d’un centre de recherche pékinois.

C’est alors que, pour limiter les dégâts, l’État interdit certaines productions très polluantes et énergivores, telles les batteries à acide et à plomb et certains vélos électriques hors normes (+ de 20km/h, plus de 40kg).

Comme par un coup de baguette magique, la hausse du prix du courant faisait remonter la bourse, après 6,7% de pertes en mai, surtout les cours des géants électriciens. Cela pouvait sembler à une fin de fronde. Mais en même temps partout, les signes se multiplient de rébellion de grands groupes, contre la politique d’austérité : les charbonniers, Unilever, l’alimentaire, affûtent leurs prix d’un cran… Pas de doute, ce pays reste en pleine tourmente inflationniste et l’autoritarisme, comme instrument de lutte, ne suffit plus.

 

 


A la loupe : Mer de Chine : les vieux dragons pointent la tête

Après avoir couvé depuis des années, la tension remonte en Mer de Chine, entre la Chine et ses voisins.

Le 5/03, Manille accuse Pékin d’avoir gêné sa mission d’exploration à 250km de Palawan, puis d’avoir érigé des fortins sur pilotis sur des atolls. Le 29/05, 1000km à l’Est, Petro-Vietnam déplore que des garde-côtes aient sectionné les câbles de ses navires techniques à 200km au large de Phu Yen (Vietnam). Pékin réplique que ces pays avaient violé, ses droits (il revendique toute cette mer), et l’entente de 2002 de s’abstenir de toute provocation dans la zone contestée.

A l’analyse, ce tumulte résulte du très ostensible soutien démontré en oct.2010 par les USA aux petits riverains, au sommet de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) d’Hanoi. H. Clinton avait martelé l’«intérêt national américain à la liberté de navigation et de commerce légal»… dans la zone.

Pour le partage de cette mer, elle défendait le principe de palabres multilatérales, sur base du droit de la mer de l’ONU, sous son arbitrage : autant de camouflets à la Chine, qui prétendait négocier en bilatéral. Suite à quoi les pays voisins reprennent confiance, et leurs préparatifs d’exploitation pétrolière: ils mettent ainsi Pékin devant le fait accompli, la forçant à contre-attaquer !

La tension met aussi le doigt sur la paralysie de la diplomatie face aux besoins incompressibles de l’Asie en énergie. Depuis 2001, les réserves chinoises en pétrole auraient fondu de 40%. D’ici 2025, la demande vietnamienne en gaz triplera (selon la Banque Mondiale), et d’ici 2040, pour alléger ses imports, Manille veut gonfler ses réserves de 40%. Or, Pékin (selon l’AIE, l’ Agence Internationale de l’Energie) évalue les hydrocarbures au large du Vietnam, à 14 fois ses réserves de pétrole, x10 celles en gaz.

Le passé est tissé de rancoeur. Dès 1974, l’APL, l’armée chinoise, prenait au Vietnam l’archipel Paracelse; en 1988, elle lui coulait des garde-côtes (70 morts) puis en 1994 lui chassait une mission d’exploration. Depuis, elle arraisonne toujours plus de pêcheurs vietnamiens – 400 en 2010, qui se retrouvent dépouillés, humiliés et taxés, et reviennent dès que libérés, tant par fierté nationale que par nécessité halieutique.

L’avenir est glauque. De Hanoi et de Manille, 4 groupes pétroliers internationaux ont reçu des licences de forage en zones interdites par la Chine, qui a fait savoir qu’elle réagirait : côté vietnamien, Talisman (n°3 canadien) sur les blocs 133-134, Exxon (USA) sur le bloc 119 ; et côté philippin FEP (Royaume-Uni) et Philex (Philippines)…

Cela dit, au-delà des bravades matamores, on négocie dans les coulisses. Le 25/05, des officiers chinois étaient reçus (atterrissaient) à bord du porte-avions USS Vinson. Le chef d’état-major de l’APL Chen Bingde rend visite à son homologue aux USA, et le général min. de la défense Liang Ganglie à Singapour, Djakarta et Manille (mais pas à Hanoi!) offrant des bonnes paroles, une campagne conjointe contre la piraterie somalienne en haute mer, et deux bouées sophistiquées d’alerte anti-tsunami.

Barack Obama lui, danse sur des oeufs, réaffirmant l’intention d’«ancrer l’US Navy » dans la région mais réclamant le «soutien» de la Chine, pour une «relation stratégique renforcée».

Au sommet de Singapour (3-5/06) de sécurité de la zone Pacifique, il envoie Robert Gates, secrétaire à la défense, avec pour voeu ferme de «ne pas marginaliser» Pékin. Il veut négocier un droit de la mer acceptable pour tous. Sa position est confortable: en 18 mois, profitant de l’angoisse de l’ASEAN face à la poussée forte de la marine chinoise, il a regagné un rôle d’arbitre des mers d’Asie. A présent, il espère calmer le jeu, réconcilier, et aider au partage de cette mer stratégique et de ses richesses, condition sine qua non de la paix future…

 

 


Joint-venture : Imminente, la Sécurité sociale chinoise pour expatriés

Au 1/07, les expatriés salariés en Chine en poste pour plus de six mois bénéficieront de la sécurité sociale locale. 

 

Pour les hordes de jeunes Occidentaux venus à l’aventure, et les migrants d’Asie du Sud-Est débarquant pour remplacer les Chinois dans l’ «usine du monde», la mesure comble un vrai besoin. Œuvre du ministère des ressources humaines et de la Sécurité sociale, elle étend aux étrangers cinq assurances – maternité, chômage, accident/travail, maladie et retraite («de base à capital différé»).

 

Mais pour la majorité des expatriés, il y a problème : la cotisation est obligatoire, sauf pour les rares pays (Allemagne, Corée du Sud), ayant signé avec Pékin une convention de couverture sociale.

Pour les employés déjà couverts, qui étaient 31.700 fin 2010 (sur 693.000 expats), il s’agit donc d’une taxe sans contrepartie. Dès juillet, la compagnie étrangère paierait à Shanghai «au max» 4707 ¥uan pour son actif étranger (lui-même devant contribuer pour 1925¥), à Pékin 5329¥ (le salarié 2689¥), à Canton 4115¥ (1858¥).

 

Autre flou, la durée de capitalisation : 15 ans, dont la plupart des expatriés ne verront jamais le bout.

Le transfert des droits aussi pose problème : pour toucher sa pension, c’est à l’ambassade de Chine qu’il faudrait adresser une demande – sans garantie !

 

  La Chambre Européenne a rédigé son avis sur le système, et prépare un débat à Pékin.

Les pays concernés, dont la France, vont accélérer la signature d’un accord bilatéral. Enfin, sur le fond, avec ses maladresses, ce système est un 1er pas pour protéger l’étranger, pas pour l’éreinter.

 

 


A la loupe : Le Gaokao, Bac chinois, ca eût payé !

Trois jours de la semaine (7-9/06), à travers tout le pays, vont marquer les destins de millions de lycéens : les jours du Gaokao, concours mandarinal d’entrée aux universités. Aux meilleures notes, les meilleures places.

La simplicité du système cache les années de privations pour les ados : révisions chaque nuit, cours optionnels, gym ou art, pour obtenir sa place aux meilleures écoles préparatoires. Sans compter le déficit de sommeil pour 80% des 250 millions de potaches, dont la plupart deviennent myopes avant l’heure, à force de lecture nocturne. Mais pour toute la famille, des parents aux grands-oncles, c’est le grand rendez-vous avec l’histoire, l’heure de vérité et la chance ou non d’ascension sociale.

Comme chaque année, autour des centres d’examens, on loue des semaines à l’avance des taxis, de préférence aux chiffres de baraka (en « -8 », homophone de fortune) et évitant ceux de guignon (sans « -4 », homophone de mort). Les parents prennent congés et nourrissent leur môme de plats à thème (poisson = mémoire, soupe de corne de daim ou d’holothurie = puissance mentale). Aux temples (confucéen, chrétien, bouddhiste), ils font une visite rarissime, brûlant un bâtonnet d’encens dans chacun, investissant partout, ratissant large.

Tendance récente: les profs, qui hier ne juraient que par le stress, l’estimant déclencheur du génie, le combattent désormais au nom du « naturel ». S’allonger dans l’herbe après des heures d’étude est encouragé, comme taper au ballon, faire des batailles de polochon ou des avions en papier… C’est révélateur d’une influence anglo-saxonne : l’équilibre, tous comptes faits, serait la meilleure chance.

Autre changement, depuis des ans, les facs s’arrachent les meilleurs éléments, offrant jusqu’à 100.000¥uan de bourse au «meilleur score». Heureusement aujourd’hui, le culte du «polard» perd un peu de son lustre, relayé par celui de l’esprit créatif et de celui d’équipe.

Symptomatiquement, le ministère n’a pas encore publié le nombre des candidats de la session 2011. Il est pourtant connu : 9,2 millions, 300.000 de moins qu’en 2010. Depuis le pic de 2008, à 10,5 millions, c’est la décrue. Tandis que le nombre des places offertes augmente : à 6,7 millions en 2010, étaient enrôlés alors 69% des candidats, 12% de plus qu’en 2006.

La baisse des effectifs reflète la démographie qui, planning familial oblige, franchit son pic à ce moment précis – la tranche des 20-24ans est déjà en régression.

Mais une autre raison supérieure joue aussi, la fuite des jeunes à l’étranger.

Ils étaient 230.000 en 2009 à partir étudier hors frontières, +24% en 2010 (un total de 1,27 millions). D’ici 2014, ils seront 600.000, toujours plus jeunes -au lycée, même. 1er pays d’accueil: les USA, suivis en N°4 du Royaume-Uni, N°6 du Canada, N°8 de la France, N°10 de la Russie.

La raison n°1 est inquiétante : la foi dans la supériorité de toute école étrangère sur la locale. Retournant au pays, la 海龟« tortue de mer » (haigui, diplômé de l’étranger) trouve mieux à travailler que le diplômé local qui, en 2008, restait à 30% sur le carreau, à 70% embauché à 1500¥/mois: un salaire très loin de ses espérances.

Ce « vote avec les pieds » de l’étudiant boudant la faculté chinoise, est le symptôme criant du déficit en compétence du système national: de son besoin d’autonomie, de désengagement du régime, pour le laisser jouer avec les universités étrangères à armes égales.

 

 


Pol : Alcool au volant, la fin du dérapage

Au 1er mai 2011, nouvelle donne sur l’alcool au volant : 0,2g/litre valent 6 mois de retrait de permis, et 0,8g/litre jusqu’à 6 mois de prison fermes.

Durant le mois de mai, furent épinglés 2038 chauffeurs ivres, dont un quart à Pékin, plus sévèrement testée que d’autres villes. Effet dissuasif immédiat : en deux semaines dans la capitale, le fléau reculait de 82%.

Ce que l’État vise, est une réduction des morts sur la route, 65.000 l’an passé, contre 104.372 officiels en 2003. Baisse fort rassurante donc, et qui rendrait superflue une si draconienne reprise en main. Mais l’Etat le sait mieux que personne, les chiffres sont à prendre avec des pincettes : en 2003, se référant aux données des hôpitaux et non de la police, l’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, évaluait ces morts de la route au double. Or, sous l’explosion du nombre des immatriculations (5millions en 2008) et des chauffeurs novices, la courbe à la baisse semble devoir davantage à la gomme du cadre local, soucieux de ne pas compromettre sa carrière.

Pour l’État par contre, l’hécatombe de pères et mères de familles est intolérable-selon la Banque Mondiale en 2008, 67% des morts de la route avaient de 26 à 60 ans. D’où sa réaction.

NB: cette tolérance Zéro est plébiscitée par le petit peuple (1ère victime des chauffards), dont la seule hantise serait que le richard n’échappe à la prison, par une combinaison de bakchich et de piston !

 

 


Temps fort : La Mongolie Intérieure, à son tour, s’embrase

Le 10/05 à Abag (Mongolie Intérieure), un camion de houille écrase Mergen, berger qui tentait de protéger ses terres. Le 15/05, un autre Mongol est tué lors d’un conflit avec une compagnie minière: alors dans le territoire autonome, tout explose.

écoliers, bergers, camelots marchent sur Dongsheng, Tongliao, Chifeng, Shuluun Huh et d’autres. A Hohhot, les étudiants de l’Université Mongole jettent par les fenêtres leurs cours en chinois. A Xilinhot, le 25/05, 2000 jeunes crient en mongol, brandissent des calicots «protégez nos prairies», et revendiquent pour leur martyr un mausolée.

D’abord surprises, les autorités mettent quelques jours à réagir, coupant l’accès vers la Mongolie (route, téléphone, internet). Puis la riposte vient puissante, destinée à enrayer mais aussi à communiquer et à rasséréner. C’est peut être la 1ère sortie publique de Hu Chunhua, le jeune secrétaire du Parti (48 ans) protégé de Hu Jintao (son homonyme) promis aux plus hautes destinées : étant pressenti à la tête du Bureau Politique après Xi Jinping. C’était pour lui un baptême du feu, comparable à celui de Hu Jintao au Tibet en 1987, lors d’émeutes de lamas qu’il avait étouffé dans le sang sans état d’âme, donnant ainsi (du point de vue du régime) la preuve de sa capacité à tenir plus tard le navire-Chine. A Pékin, l’incident mongol avait été jugé assez grave pour justifier (30/05) un meeting du Bureau Politique, dédié au « renfort et à l’innovation de la gestion sociale ». En effet, la crise tombait au pire moment, juste avant l’anniversaire du printemps de Pékin 1989…

A Xilinhot, les meurtriers ont été vite arrêtés. Hu Chunhua promettait justice rapide, et de respecter la dignité du peuple mongol. Dans les rues, c’était la loi martiale, sous des milliers d’agents spéciaux qui dispersaient les manifs, faisant 18 blessés et 40 arrestations dans la semaine. Vite, la famille de Mergen reçoit 560.000¥ – pretium doloris très élevé en Chine. Mille promesses sociales fleurissent: la gratuité d’écolage et de manuels pour les collèges, 680 millions $ pour l’eau potable, les transports, l’agriculture. Hohhot promet la remise en état des prairies, et le doublement du revenu rural (de 5500 à 10.000¥/an d’ici 2016). Guo Shuyun, Président du groupe patron du camion, visite la famille en deuil, pour un kowtow à 90°: Pékin réalise soudain qu’obnubilé par Tibet et Xinjiang, il a oublié l’ethnie mongole, tranquille hier, aujourd’hui hors de ses gonds…

Les défenseurs des Mongols, cependant, doutent que ces gestes répondent à la vraie blessure -comment préserver les restes de la culture mongole ? Ce territoire est peu peuplé, 24 millions d’âmes dont 6 millions de Mongols, sur 2400km d’Est en Ouest. Sa croissance est la plus rapide du pays, grâce à ses 600Mt de charbon/an (+49,2% en 2010), et à ses terres rares (1er producteur). Mais cette richesse [1] est mal partagée, offrant un luxe tapageur aux patrons, l’indigence aux autres, [2] elle cause à la prairie des dégâts terribles,

[3] elle force sa société à une mutation trop rapide, empêchant sa minorité déboussolée, de refaire ses repères, dans un modèle de croissance non durable et qu’elle n’a pas choisi.

Enfin, on se rappelle les émeutes de Lhassa (14/03/08), d’Urumqi (05/07/09), où des masses tibétaines puis ouighoures avaient tué 200 victimes (surtout Han) chaque fois. Avec les manifs mongoles présentes, la trilogie est complète, boucle bouclée, confirmant l’échec d’une politique chinoise d’intégration harmonieuse de ses minorités.

Face à ce problème, depuis des années, la Chine cherche anxieusement la porte de sortie—en vain, faute, peut-être de regarder au bon endroit. Car pour la Mongolie, Chen Jiqun, chercheur, croit avoir la seule solution praticable : rendre aux bergers la propriété de leurs terres. Un geste auquel l’État n’est pas prêt.

 

 


Petit Peuple : Jixi : Liu Dali combat des moulins à vent, puis des fantômes

Le journal britannique Guardian dévoile ce curieux pot aux roses : au laogai (camp de travail) de Jixi (Heilongjiang), Liu Dali, 54 ans, a été forcé durant 3 ans (2004-07) à jouer sur internet à World of Warcraft. A coup de joystick, il a dû défricher, bâtir, escalader des murailles, décapiter des files inépuisables d’orcs et de goblins. Au fil des petites heures, il produisait ainsi des crédits, passeport pour les étapes supérieures du jeu.

Or, le monde virtuel chinois sait bien que ces crédits d’argent soi-disant parallèle, sans aucun lien à une monnaie licite peuvent parfaitement se vendre sur la toile, à l’étranger -en une sorte de bourse pour accrocs en mal de surfer plus haut, assez aisés pour pouvoir se le permettre. Rien qu’en Chine, des procès sont en cours, intentés par des joueurs floués de leurs dérisoires trésors de guerre, épée Durandal en pixels ou armure de tofou que le hacker met ensuite en vente sur QQ, au désespoir du propriétaire légitime, et au désarroi de l’administrateur qui n’en peut mais…

Par tranches de 12heures, selon Liu Dali, Jixi employait 300 prisonniers chaque nuit rivés à leurs écrans. Pas du tout pour rire, moins encore pour s’amuser. Pour qui ne réalisait pas son quota de crédits, c’était la torture et les coups. On trimait jusqu’à extinction des forces, les yeux injectés de sang. Les taulards abattaient une tâche de titans, 1,3 millions d’heures par an, rapportant 600² /jour (dont les taulards ne voyaient pas la couleur) : bien plus d’argent que celui du charbon qu’ils extrayaient, des baguettes et cure-dents qu’ils taillaient (et ex-portaient) le jour.

Cette production de crédits, les pros l’appellent «gold hunting» (chasse à l’or). En Chine, en 2008, ils étaient 100.000 internautes à s’y adonner—croit le Guardian, après enquête auprès des groupes mondiaux des jeux. Leur chiffre d’affaires était de 1,4milliards d’² – chiffre sans doute fort augmenté depuis lors. De ces internautes-fourmis, une partie est pensionnaire des camps. Liu, à l’époque, savait que son laogai était loin d’être le seul à produire du crédit virtuel à la chaîne. Combien, parmi les 1000 camps et les 2 à 3 millions de pensionnaires qu’estimait en 2005, le politologue Gordon Chang ?

Une chose frappe, quand l’on compare Jixi avec un camp que nous visitions 15 ans plus tôt à Huqiaoxia (Gorges du Saut du Tigre, au Yunnan). Par hasard en 1990, nous étions tombé, sur cet établissement qui taillait une route à travers la falaise du Yangtzé. A l’époque, ses gardiens ne gagnaient guère que leur salaire, et le droit de rester au chaud quand les bagnards piochaient sous la pluie. Mais à Jixi en 2007, le profit des cure-dents va à l’État, et celui des crédits aux surveillants. Le laogai fonctionne au préjudice de l’Etat dont les prisonniers ne travaillent plus qu’une poignée d’heures-obligés de récupérer après la longue tâche nocturne.

En somme, une des clés de voûte du système maoïste, le laogai a subsisté aux temps modernes, mais sous forme privatisée, et privée de sa justification morale. Celle-ci était de «redresser» l’homme par le travail, tout en faisant oeuvre utile à la collectivité : aujourd’hui, le produit est inutile, et n’enrichit que le gardien: « l’âme ne suit plus le corps » (魂不守舍, hún bù shǒu shě).

Enfin, un dernier détail offre peut être à cette péripétie son sens le plus haut. A condition d’être doté d’un solide sens de l’humour, Liu Dali peut se targuer d’avoir pu observer son camp et sa prison par les 2 bouts de la lorgnette, ayant été tout à tour geôlier puis prisonnier, pour avoir osé adresser une «pétition illégale» au gouvernement : Liu avait justement voulu alerter Pékin sur la dérive dans la pratique de son camp. La chose avait déplu à ses supérieurs, lesquels avaient le bras plus long que le sien.

Mais l’on s’interroge : si un organisme atteint d’une bactérie mortelle, la laisse se développer en toute liberté sans la combattre, quelles sont alors ses chances de survie ?

 

 


Rendez-vous : 5 juin, Journée Mondiale de l’Environnement et à Pékin, le Salon et Conférence sur l’environnement

5 juin, Journée Mondiale de l’Environnement

7-10 juin, Pékin: CIEPEC, Salon et Conférence sur la protection de l’environnement

8-10 juin, Pékin : FHC, Salon de l’alimentation, boissons, hôtellerie, restaurant et du commerce de détail

8-11 juin, Ningbo: CICGF, Salon des biens de consommation

9-13 juin, Chongqing : Salon de l’industrie automobile

9-12 juin, Canton : Salon international de l’éclairage