Le Vent de la Chine Numéro 5
L’Est rencontre l’Ouest le 14/02 à travers deux fêtes, toutes deux populaires. Romantique (浪漫, langman), la St Valentin passera au 2eme plan au profit de celle qui pèse plus lourd au pays du Milieu : la fête du printemps (春节, chunjie) qui saluera le départ du Boeuf, l’avènement du Tigre, et comme chaque 12 ans, celui d’un élément nouveau — le métal. Entre ces deux années astrales, quelles dissemblances !
Autant le boeuf était constant, fort de sa régularité quotidienne, autant le tigre gagne par son audace, son panache et son goût du pari. Symbole de l’armée, c’est lui qui protège la maison des trois désastres traditionnels -feu, voleurs et fantômes. Assimilé au yin féminin, par opposition au yang du dragon, il ne peut vivre sans rassembler les autres sous sa coupe. Susceptible sur les questions d’honneur, fier de sa différence, il s’avère charmeur, imprévisible et flexible. Il a les qualités d’un chef : bourreau de travail, stratège (visionnaire à long terme), et froid – sur ses gardes. Ses défauts étant le soupçon, l’emportement et l’atermoiement. Le tigre de métal est aussi jusqu’au-boutiste, sans regard sur les conséquences.
Cette année encore, le chunjie va battre les records de voyageurs: 2,5MM (+7,7%) , dont 210M en train, chargés de cadeaux (+9,5%). Pour les protéger des vendeurs à la sauvette, Canton a inauguré un système électronique de tickets nominatifs, plus sûr, mais qui a forcé des millions à des files d’attentes bien plus longues.
Malgré le risque d’accidents, les pétards restent tolérés. Restent aussi de rigueur : les raviolis, dont un chargé d’une piécette, la ceinture rouge cachée, pour ceux nés sous ce signe. Mais au-delà de ces formes éternelles, le chunjie reflète la mutation sociale : des départs moins vers le village, plus à l’étranger, un réveillon moins chez les parents, plus dans les restaurants de luxe, complets 15 jours d’avance.
La fête du printemps est aussi le temps de la vertu confucéenne et du retour à soi : celui où le régime veut se faire aimer, en multipliant les actions et déclarations de bonne volonté. Il envoie ses inspecteurs sur les chantiers, espérant que les migrants puissent retourner chez eux tête haute et poches pleines. Il a fort à faire. Comme tous les ans, peu de villes échappent aux scènes de manifestations et de désespoir pour des mois de salaires détournés par des patrons sans scrupules. Au mépris de la loi des contrats de travail, vieille de deux ans, les deux-tiers des migrants travaillent toujours au noir, révèle ce sondage tout juste publié…
Chaque ville rehausse alors son salaire minima, et Pékin promet aux migrants un permis de séjour réactualisé, assorti de droits sociaux.
Un autre projet de loi veut forcer les promoteurs à dédommager au prix du marché ceux qu’ils expulsent. Cela permettrait, si suivi d’effets, d’ôter une des premières causes d’émeutes, tout en calmant la bulle immobilière.
Concession aux amis des animaux, la Chine prépare aussi l’interdiction dans les restaurants des plats de chiens et de chats.
Signe patent de cette volonté d’apaisement, Feng Zhenghu, signataire de la Charte 2008, est autorisé à rentrer chez lui à Shanghai, après 91 jours de séjour forcé à l’aéroport de Narita (Japon) – la Chine qui l’avait expulsée, lui ayant refusé durant tout ce temps le retour.
Le maire de Shanghai, la cité d’ avant-garde, ose s’aventurer sur ces sables mouvants de la démocratie, promettant une administration plus trans-parente et crédible: mince promesse, au respect non garanti, mais c’est un discret message : le progrès des droits de l’homme reste à l’agenda, à condition de garder (forte) patience…
Que la Maison Blanche présente au Congrès américain un contrat de ventes d’armes à Taiwan de 6,4 MM$ (30/01), a mis la Chine dans une colère noire. Elle a prévenu Barack Obama que la démarche n’irait pas sans rétorsions, diplomatiques ou commerciales.
La réaction a surpris par sa vivacité, voire son invraisemblance. Mettre les industries américaines de l’armement sur liste noire chinoise, causerait une plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Préférer Airbus à Boeing, priverait Pékin de sa capacité de jouer le groupe européen contre l’américain dans ses négociations de prix, dont elle doit en acquérir 2800, d’ici 2030. La perte à terme, se chiffrerait en dizaines de milliards d’euros.
C’est un symptôme: au fil des années, les contentieux s’accumulent entre Chine et USA, promettant à Obama une année « du tigre » plus vraie que nature. Pékin confirme son projet d’envoyer des Taïkonautes sur la Lune, alors que la NASA, faute de fonds, abandonne l’idée. Il annonce ses visées sur l’Arctique, guignant ses ressources minérales et ses voies maritimes d’avenir : démontrant ainsi sa volonté de jouer dans la cour des grands.
Puis arriva Google, dénonçant un cas de hacking sophistiqué mi décembre contre son serveur chinois. Le groupe menaçait de renoncer au marché local, à moins d’obtenir le droit d’y fonctionner hors censure. Aux dernières nouvelles, Google semble vouloir rester, ouvrant sur internet un service de cartes routières interactives.
Un dernier litige est dans les langes : après des hésitations et un report, Obama recevra en février le Dalai Lama. Ici encore, Pékin déploie sa fureur. Mais il vient aussi de reprendre le dialogue, interrompu depuis novembre 2008, avec des émissaires du pontife lamaïste. Non pour normaliser avec les Tibétains de l’exil – les palabres du week-end dernier n’ont une fois de plus rien donné-, mais pour prévenir, à travers le monde, le reproche qu’il soit celui qui dit toujours non.
Disons le : la masse de litiges ne vient pas par hasard. La Chine vient désormais de passer seconde puissance industrielle et commerciale du monde. Elle n’est plus menacée par la faim ni la guerre civile. De nouveaux leaders de la « 6ème génération » apparaissent, qui reprendront les rênes du pays en 2012, à l’issue du mandat de Hu Jintao. Ce sont des technocrates universitaires formés dans un creuset ultra patriotique, de plus en plus impatients de voir la Chine retrouver un rang qu’elle avait il y a deux siècles, celui de la première nation du monde.
Vu sous cette perspective, les avertissements théâtraux aux Etats-Unis semblent servir une démarche «pédagogique» : celle de convaincre tout pays, puissant ou non, que l’empire du Milieu ne veut plus jouer selon les règles des autres, sur les dossiers qu’elle considère de son intérêt vital. Une démarche pas forcément agréable aux grands du moment, mais inévitable, dont le but est de les amener à lui faire de la place dans le jeu mondial.
Mais Obama promet (4/02) aux sénateurs de son Parti d’exercer à l’avenir sur la Chine une pression « beaucoup plus dure » sur le Yuan chinois, et Taiwan réclame désormais sous-marins et bombardiers F16… Décidément, l’an 2010 se promet plein d’étincelles, quelque soit la volonté de chacun des deux géants d’étouffer les litiges!
Au Xinjiang, comme au Tibet, Pékin cherche des solutions pour barrer le retour des sanglantes émeutes de l’été 2009.
Une nouvelle sort avec un mois en retard. A Shenzhen, dans presque le même foyer de violence raciste qu’il y a 6 mois, un jeune ouighour, rôtisseur dans un restaurant Xinjiang était assassiné le 6/01 par un agent municipal «chengguan» d’ethnie Han. La gestion de la crise est instructive : le meurtrier et six compagnons ont été arrêtés dans les heures suivantes et restent emprisonnés en l’attente du procès. La famille du défunt a été invitée 8 jours par avion à Shenzhen, qui a organisé des funérailles discrètes mais honorables et payé aux parents 60.000² en compensation, le triple du plafond usuel. Tout a été fait pour calmer l’affaire, et la maintenir hors du Xinjiang. Même le patron du restaurant a été «incité» à ne pas fermer, mais à rouvrir—business as usual.
Ce qui n’a empêché, 24 jours après, un autre incident potentiellement gravissime de se produire, peut-être par vengeance: en route Urumqi-Wuhan, deux ouighours ont tenté d’incendier le vol CZ, contraint à faire demi-tour après avoir maîtrisé les pyromanes, un homme et une femme.
Enfin aux dernières nouvelles, le Xinjiang rétablit au compte-gouttes le téléphone interurbain et l’internet après 6 mois de black-out, et recrute et entraîne une nouvelle force antiterroriste multi ethniques de 5000 hommes : autant de tentatives de la province, de retour à une vie normale.
Sur le front climatique, la douche froide de la COP 15 de Copenhague en décembre, semble être suivie d’une intense activité diplomatique: comme si surpris par l’orage, les pays devaient réagir en se mettant à courir. Au 3/02, 67 pays, berceaux de 78% des émissions mondiales de CO² avaient remis à l’UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Change) leurs objectifs «volontaires» d’atténuation des émissions, dans le but commun d’un plafond du réchauffement global à 2°C.
Wen Jiabao vient d’engager son pays auprès de Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l’ONU, à rechercher un accord «complet, efficace et contraignant» lors de la prochaine conférence COP 16 à Cancun (Mexique) en novembre.
Ministre d’Etat français à l’Environnement, Jean-Louis Borloo était à Pékin le 1/02, en route vers New Delhi pour reprendre le dialogue et préparer Cancun. Pour Borloo, la COP 15 a produit un accord «rapide» mais «conforme à la feuille de route» et sur lequel on peut travailler. Il attribue les blocages à une «incompréhension culturelle» de l’Ouest qui voulait un accord «qui lui ressemble», sur la vérifiabilité des efforts des pays émergents, sans s’interroger sur sa recevabilité. Déjà dotés d’institutions supranationales, les 27 Etats-membres pouvaient se plier à un tel système. Mais émergents et PVD, à peine sortis de l’ère coloniale, ne pouvaient ressentir que comme une insupportable atteinte à leur souveraineté les prétentions de contrôles et punitions. Ce qui ne signifie pas qu’ils refusent un plan mondial. Mais ses outils doivent être inventés de toutes pièces, non recopiés de l’Union Eropéenne.
Borloo se dit convaincu que la Chine, sous peu d’années, sera un des pays en pointe du monde dans les filières solaires, éoliennes, de la « voiture décarbonisée » (sic) et de la capture et stockage du CO²: stratégie qui l’aura fait passer du « low cost » au « low carbone ».
Pour Borloo, reste à régler à Cancun : [1] le lancement du fonds de 10MM$/an pour l’agriculture et les forêts des pays pauvres, [2] les réductions des émissions d’ici 2050 (50% aux PVD, 80% aux pays riches), et [3] un mécanisme d’information régulière des nations à l’ONU, sur leurs progrès d’atténuation des émissions. «L’essentiel», précise-t-il, «est de rétablir la confiance, afin que le monde sans exception s’ébranle, et que toute nation fasse sa part, avec ses moyens propres du moment».
A Pékin, le ministre annonce l’octroi par la Chine à la France d’un ambitieux projet conjoint : deux villes nouvelles de 0,5 million d’habitants : au Nord (Tian’an, Liaoning) et au Sud (ville satellite de Shenzhen), « le plus proche possible d’une neutralité carbonique ». Dès la planche à dessin, le projet intégrera des solutions aux transports publics et privés, des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique des bâtiments et le retraitement des déchets. Un projet de laboratoire, mais de grande ampleur, qui reflète la confiance franco-chinoise justement: retour d’ascenseur de Pékin peut-être, pour ce soutien français à la Chine climatique, plutôt rare par les temps qui courent.
Le 28/02 à Bahrain, dans sa course à l’Océan Indien, l’Armée populaire de libération (APL) franchissait un grand pas en obtenant du SHADE (l’organe occidental de surveillance des pirates somaliens) le commandement tournant de sa flotte de 40 bâtiments militaires des USA, du Japon ou de l’UE entre autres. C’était une première, gagnée après un an de présence de ses deux destroyers au Golfe d’Aden, exerçant 5 rotations/mois et ayant escorté 1300 bâtiments sous pavillon chinois, Hongkongais et même de Taiwan, sans qu’un seul d’entre eux ne soit kidnappé. L’APL devrait exercer ce commandement conjoint pour trois à quatre mois, dès l’été 2010. Elle s’est aussi vu accorder en propre, conformément à sa demande, un segment de 60 milles à surveiller sur le corridor de transit sécurisé.
Au même moment, la Chine créait la surprise en révélant que ses commandos spéciaux stationnaient parfois à bord de vaisseaux sous son escorte, parmi les plus lents et vulnérables. La pratique est compatible avec le droit de la mer, pour peu que ces bâtiments battent son pavillon. La présence de combattants de métier peut être dissuasive, face à des pirates armés de bric et de broc et sans entraînement militaire. Mais armateurs et équipages, notamment de HK y sont défavorables, redoutant l’escalade de violence qu’elle fait risquer. Jusqu’à présent, les arraisonnements se font sans verser de sang.
La décision chinoise de se joindre au SHADE est récente : suite à la capture du vraquier chinois De Xin Hai en septembre, libéré en novembre après rançon de 3,5M$. Cette affaire avait brutalement révélé à l’opinion chinoise que « fraternité tiers-mondiste » mise à part, sa flotte marchande était logée à même enseigne que toutes les autres. Dès le mois suivant, le contre-amiral Yin Zhuo plaidait pour un droit à une base logistique dans la zone, pour pouvoir réapprovisionner ses navires de protection.
Côté Occidental aussi, le désir de voir les Chinois rallier leur groupe n’est venu que progressivement de la prise de conscience de la difficulté croissante et du combat incertain. Car si la bande côtière est à peu près sécurisée, les pirates compensent en audace, capturant leurs proies à 1100 milles de leurs côtes : en l’état, la situation est « sans espoir », pensent les gestionnaires du SHADE.
En entrant au club, la Chine s’est engagée à renforcer sa flotte. D’autres, tels Inde et Russie, qui jusqu’à présent s’abstenaient, vont devoir suivre la Chine dans ce pari sur le renforcement de leur présence dans l’Océan Indien.
Ainsi, la Chine entre dans cet océan par la grande porte. Outre, sans doute, un port d’attache local, elle y gagnera ses galons de puissance maritime, et un savoir-faire utilisable soit pour des missions de paix, soit dans des objectifs plus dérangeants. Tels le contrôle du détroit de Malacca, ou le blocus de Taiwan… Mais une telle étape était inévitable, et le monde, face cette montée en puissance, n’a d’autre choix que de faire confiance à la République Populaire.
La tendance de 2009 en Chine, qui durera jusqu’à au moins l’été, tient en 2 mots: enrichissement et confiance. Au Wold Economic Forum de Davos, fin janvier, le pays a envoyé une armada sans précédent de 54 hauts fonctionnaires et grands patrons, dont Li Keqiang, le Vice Premier.
En 2010 Comac, le rival d’Airbus et Boeing vise 100 ventes de son C919 de 190 places: bon pour GE-Safran, fournisseur des moteurs (10MM$ de commandes).
CNOOC, pétrolier va renforcer son débit de 21 à 28% et son budget d’exploration à 8MM$ (+30%). CSG, marchand de canons, a haussé son chiffre de 30% à 20MM², y compris en vendant 6M de motos (n°1 mondial). China Rail Construction (CRC) fait+50% de profits, 360M² sur les chantiers publics… Le textile a réalisé 19,6MM$ de profits (jan-nov), +25%. Sans parler du marché du luxe: la Chine diamantaire passe n°2 avec 700M$ de ventes (+31%), et en France, en détaxé, le touriste chinois, n°1 mondial, achète 1071² par an, en moyenne….
Tout ceci ne peut occulter le spectre du dérapage. Après 13 mois, l’inflation réapparaît (+1,9%) en décembre, poussée par le panier de la ménagère et les frimas hivernaux. On voit fleurir le béton inutile : villes dortoirs, bureaux vides. A Fuzhou, une école de 2 ans à 2,2M$ est démolie, terrain cédé à l’immobilier : 1000 enfants à la rue, laissant place à une galerie marchande désertique… Plus que de l’inflation, le pouvoir s’inquiète de ces investissements spéculatifs sans marché, des prêts bancaires en hausse de 44% dont 30 à 40% seront faillis, faisant perdre aux banques 500MM², selon les calculs de Victor Shi, chercheur américain.
Aussi Pékin freine. Au moins deux banques dont Banque de Chine ont été interdites de prêts fin janvier. La NDRC (National Development and Reform Commission) annonce le blocage des surcapacités, acier et ciment entre autres. De même, le Yuan pourrait remonter dès mars (5% de hausse attendue dans l’année), ce qui est en fait l’ultime levier encore inemployé pour refroidir l’économie. Pour les sidérurgistes, l’Etat s’apprête à interrompre la course aux volumes, au profit d’investissements dans la qualité, dit Li Xinchuang, Président d’un centre de R&D des métaux.
En 2010, la Chine va renforcer ses rachats de mines et puits pétroliers, dépassant ses investissements de 32MM$ en 2009. Que fera-t-elle des quatre agents de Rio Tinto en prison pour « espionnage »? En tout cas, elle va devoir vite négocier avec cette maison et les lobbies du minerai, et accepter un tarif en forte hausse: toujours moins cher que ses actuels ruineux achats sur le marché «spot».
Dernière tendance : Pékin augmentera ses prêts aux alliés pauvres, comme l’Irak (coupe de 80% de la dette, 2/02), la Moldavie (1MM$ prêtés en été 2009), la Grèce (achat raté de 25MM² de bons d’Etat)… Sans compter, bien sûr, l’Afrique, fer de lance de son expansion !
Q. En décembre 2009 à Copenhague, le sommet de la COP 15 fut perçu par beaucoup comme un échec. Quels aspects positifs peut-on en retirer?
Il y a le fait pour cet accord, de valider la cible de 2°C d’élévation maximale de température moyenne du globe – cible consensuelle et utile, même si l’on n’a pu trouver de clé de répartition de l’effort entre pays. L’accord maintient aussi le soutien financier des pays industrialisés aux PVD. 100MM$/an pour financer leurs projets de développement durable et de changement climatique est un montant dans les fourchettes des évaluations scientifiques mondiales. Ici, nous sommes d’ailleurs exactement dans le domaine d’intervention de l’Agence française de développement (AFD). Enfin, l’accord de la COP 15 inclut l’utilisation des sols et forêts: c’était capital, puisqu’ un tiers des gaz à effets de serre (GES) dans le monde proviennent de l’agriculture ou de la sylviculture, et bien plus dans les pays forestiers (75% au Brésil).
Q. Après le blocage à Copenhague par des pays tels Chine ou Inde, d’un accord contraignant mondial, peut-on envisager de renoncer à cette formule à l’ avenir pour viser un «Plan B» de réductions d’émissions de CO2 par les nations chacune pour soi ?
La COP 15 est une Conférence des Parties, supranationale par essence. Y renoncer serait reconnaître que le système onusien n’est pas le bon. Certes il atteint des limites, mais il a le mérite suprême d’associer tous les Etats. Le processus, et l’accord qui en résultent doivent être consensuels, associer tout le monde, s’assurer collectivement que cela répond aux enjeux. De la même manière, un accord proposé par un groupe restreint de pays peut ensuite être adopté consensuellement par les autres : le consensualisme n’est donc pas obligatoirement lié au « leadership » exercé par les pays les plus influents. Mais je ne pense pas que l’accord final doive être contraignant (au sens juridique du terme), ni que l’objectif d’un consensus empêche les pays les plus influents et les plus grands émetteurs de jouer un rôle moteur, au contraire.
Quant à l’idée d’un Plan B par pays, elle ne sert absolument à rien. Seule une action concertée associant les pays les plus émetteurs, peut résoudre la question. Pour caricaturer, laisser les PVD sur leur trajectoire d’émissions actuelle, ne permettra pas de respecter le plafond des 2°C recommandé par les scientifiques, même si on arrêtait les usines des pays industrialisés.
Q. A Copenhague, les diplomates chinois se sont retrouvés prisonniers d’un mandat arrêté à Pékin, sans marge de manoeuvre. Il en est ressorti en fin de compte l’image d’un pays « adolescent », émergent, qui découvre sa puissance mais pas encore capable d’assurer une responsabilité de puissance : comment voyez-vous son évolution, au plan diplomatique ?
La question dépasse le cadre du réchauffement global. Effectivement, la Chine s’est découverte une stature internationale. Effectivement, de nombreux analystes attribuent à une erreur de jeunesse son comportement rigide à Copenhague. C’est en partie fondé. Pékin ne se rend sans doute pas encore compte de toutes les conséquences de ses positions d’alors. Annonçant ses objectifs avant le Sommet, la Chine espérait arriver aux négociations avec une aura. Mais l’impact de son annonce s’est dissipé avant, et après la clôture, on n’a plus retenu que sa position bloquante…
Cela dit, bien sûr, elle va évoluer, car certains fondements de sa position se fragilisent. Ainsi, elle se fait encore le porte-parole des PVD, et elle a encore pour le justifier de nombreuses poches de pauvreté criante. Mais si l’on retient sa stature de deuxième économie mondiale, l’argument est affaibli. De même, en émissions de GES elle est N°1 mondial, et elle joue sur son niveau par habitant inférieur à celui des pays industrialisés, notamment des USA. Mais au rythme actuel en 2013, son niveau par habitant aura dépassé celui de la France. D’ici là, elle devra changer d’attitude, car ses fondamentaux ne seront plus vrais.
Q. Quelle est la présence en Chine de l’AFD, dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
‘ Historiquement l’AFD, banque de développement, travaille sur les pays les plus pauvres, Afrique notamment. Mais depuis 2005, le changement climatique nous a donné un mandat politique très fort pour élargir notre mission et intervenir auprès de nouveaux pays émergents, là où se trouvent les enjeux – Chine, Inde, Brésil, qui ont besoin d’aides technologiques et financières. L’AFD s’est progressivement impliquée dans cet enjeu stratégique d’atténuation des gaz à effet de serre. En 2009, nous avons octroyé en prêts et en subventions dans le monde le quadruple de l’an 2000, plus de 6MM², dont près d’un tiers peut être lié au climat, notamment dans les pays émergents.
En Chine, depuis 2003/2004, nous avons financé une dizaine de projets dans les énergies renouvelables, le développement rural, les chemins de fer pour 700M². D’ici 2012, nous envisageons de maintenir ce rythme, avec une dizaine de projets pour 500M². Mais il n’y a pas que l’argent : à travers ces projets, nous cherchons à apporter des idées nouvelles et à nous en servir pour dialoguer avec des ministères, métropoles, provinces. Ainsi nous promouvons de nouvelles normes énergétiques dans le bâtiment. Conjointement avec trois grandes banques chinoises, nous rédigeons un guide pour la profession, sur l’évaluation des projets d’efficacité énergétique en vue de leur financement. Dans ce genre de domaine, prêcher la bonne parole est une chose, mais la démarche est encore mieux entendue si elle est accompagnée d’un projet doté d’un financement, pour en démontrer l’efficacité par A+B. Cultiver et nourrir le dialogue France-Chine sur le combat du réchauffement climatique, tout en apportant des solutions concrètes : tel est notre défi.
A Longkou (Shandong), Li Wenji, 75 ans, tient avec ses enfants un restaurant d’âne réputé, à l’unique plat de petits pains étuvé farcis à cette viande, selon une recette de famille depuis l’époque Tang ou plus.
Li se souviendra toujours de ce jour de 2008 où au marché, il acheta une haridelle dont les mouches mêmes ne voulaient plus, famélique à en battre tous les records. Une fois la pauvre bête démembrée, quelle ne fut sa surprise de découvrir dans la tripe 4 boules châtain brillantes et dure comme l’agate. Lui re-vint alors en tête une autre découverte 20 ans plus tôt en la carcasse d’un autre baudet: une bille grande comme une boule de boulier. Un pékin la lui avait rachetée pour la somme (immense pour l’époque) de 200¥. Or, la plus grande de ses pierres avoisinait les 3 kg !
Que Li ait touché le gros lot, fut vite évident : tout Longkou se pressa à sa porte pour voir la merveille sur son piédestal de velours jaune d’or, couleur de l’empereur. Les journalistes débarquèrent. L’un emmena Li à l’hôpital, faire analyser (aux frais du journal) ses pierres au scanner : c’étaient des calculs, expliquèrent les hommes de sciences, décantés en 20 ans des résidus inassimilables des dîners d’Aliboron. La pierre s’ était formée à faveur d’une faiblesse morphologique de l’âne, dont les cuisses plus hautes que les viscères empêchaient calcium, fer ou protéines complexes, d’être évacuées.
Des amis affinèrent la re-cherche. Le ben cao gang mu, bible des docteurs (本草綱目 de Li Shizhen, 1578, époque Ming) leur confirma la place inestimable qu’occupait ce « trésor de l’âne » dans la pharmacopée chinoise, capable de faire tomber la fièvre et dissiper les poisons du corps. Les billes de Li valaient de l’or: 500.000¥ rien que pour la plus grosse…
Il faut l’avouer, jusqu’alors, Li avait une réputation méritée d’avare. Il tenait la caisse seul -quoique analphabète. Il rognait sur les dépenses. L’été 2009, malgré la canicule qui exacerbait l’infernale chaleur de l’étuve, il leur avait refusé la dépense modeste d’un climatiseur. Aussi quand il se mit à éconduire un à un tous ceux qui offraient de racheter ses trésors même à bon prix, «Quel grigou!», grogna-t-on dans son dos: «一毛不拔 (yī máo bù bá), il ne donnera rien, même une plume ».
Tous autant qu’ils étaient, ils n’auraient pu être plus loin de la réalité. Loin de planer dans des limbes mesquines, Vieux-Li était en pleine réflexion philosophique. Ne voulant rien savoir des rêves de succession et de l’avidité de tous, il cherchait tout simplement le meilleur usage pour le don du ciel. Après avoir longtemps cherché un lieu sûr pour ses trésors (au coffre-fort d’une firme de la ville), pour gagner du temps, il joua à l’imbécile. Dans son restaurant désormais, il passait des heures à descendre coupe sur coupe d’ alcool blanc à bon marché, assis sur sa chaise dans un silence profond dont il ne se départait que pour pousser des rires idiots.
Quatre mois passèrent ainsi, dans un climat familial nerveux. Jusqu’au jour où, inconscient de l’image de grippe-sous du vieil homme, un jeune vint le voir, le priant naïvement de lui céder une bille pour soigner sa mère malade. Et là, à la stupéfaction générale ce fut pour Li l’instant du karma. Au lieu de se défiler d’une pirouette selon sa coutume, il observa un long silence, puis il tendit la main pour saisir la plus petite des billes qu’il plaça dans la main du jeune, sans rien vouloir accepter en échange.
Révoltés, les trois fils, la bru, osèrent réclamer des comptes sur cette dépossession d’héritage. Mais Li avait ses bonnes raisons, qu’il leur confia. Trimant avec lui, leur mère n’avait pas vécu un jour à l’aise en 30 ans de misère. Quand ils commençaient à s’en sortir en ’90, elle était décédée à 50 ans. Alors à présent, qu’un des «trésors d’âne» rachète la vie d’une autre, à défaut de pouvoir ramener à la vie sa chère disparue. Confondus, s’excusant même, les enfants ne trouvèrent rien à répliquer!
Li venait de trouver sa solution. Sa vie telle quelle lui suffisait. Son restau marchait bien. Il venait de passer du plus pauvre au plus riche du village. L’argent ne faisait pas le bonheur, mais le bonheur se trouvait en aidant les autres. Les semaines suivantes, il décida: ses pierres, il allait les donner pour rien à une oeuvre. Ses enfants, les voisins, l’hôpital l’aidèrent vite à choisir.
Léguer les pierres, c’était sa manière de résister d’un pied de nez au piège du destin. Pas besoin de richesse! La publicité générée par sa donation vaudrait au restaurant assez de clients pour prospérer jusqu’à sa mort, et au-delà. Le vrai trésor, comme dirait La Fontaine, étant dans le travail !
Stupéfiantes mais authentiques, les tranches de vies qui suivent, d’une mère et d’un fils à Yuling (Shaanxi), pourraient plaider en faveur de l’existence d’un gêne de l’énergie vitale (活 力 huoli) aléatoirement distribué dans la chaîne ADN de quelques happy few…
Mal mariée en ’85 par un père inconscient à l’âge tendre de 18 ans, avec un monstre qui la battait, Yunsun réclamait le divorce 5 ans après, avec deux bébés sur les bras. Selon la coutume, le juge réservait au père la garde de l’aîné (pour sauvegarder le nom), Yunsun obtenant la cadette. Enfin libre, elle s’était donné 48h pour pleurer, puis s’était retroussée les manches. Avec de l’argent des amis, elle avait passé le permis de conduire et acheté une auto poussive, qu’elle avait re-peinte: la 1ère Cie de taxis de Yu-lin («village» de 100.000 habitants) venait de voir le jour et prospérait, lui permettant d’acheter une 2de unité, puis une 3ème . Quand elle revendit la firme en 1992, elle en comptait 12.
En cédant sa «boite», Yunsun avait une idée en tête. Après le divorce, toute chance de remariage ou d’emploi était perdue à Yulin. Tant qu’à faire, pourquoi ne pas reprendre ses études ailleurs? Avec sa fillette, elle monta à la capitale, y loua une chambrette. Elle choisit un job de chauffagiste de nuit: il lui permit de préparer le concours d’entrée pour travailleurs à l’Université légale, qu’elle réussit. Dès 1996, diplôme d’avocate en poche, elle passait à Beida, la prestigieuse base pékinoise, le temps d’obtenir son master de juriste, un poste de prof, puis un de juge (ayant passé le concours de la magistrature), qu’ elle exerça dès lors en tribunal.
Entre-temps, son fils Zhongzhong, avait lui aussi vécu des débuts tourmentés. Les mauvaises fréquentations du père, bientôt en prison à vie pour jeu illicite, escroquerie et trafic de drogue. Privé de mère et de père, Zhongzhong était resté chez des grands-parents taraudés par la double déchéance du fils -le divorce, la perpète. Aussi avaient-ils inventé, pour eux-mêmes, plus que pour l’enfant, une légende calomniatrice : Yun Sun ayant poussé son mari au désespoir, lui faisant perdre le droit chemin, avant de déserter le foyer familial. Le petit avait gobé l’histoire: à 16 ans il rêvait de retrouver sa mère, pour l’étrangler …
Par chance, Zhongzhong était le digne fils de Yunsun, de la même engeance. Plus il souffrait de l’abandon (présumé), plus il compensa dans les études, toujours en tête de classe, passant un gaokao (bac) brillant et conquérant une bonne place d’études supérieures.
A l’époque lui revinrent aussi des bribes de son enfance, contredisant la version officielle. Il lui suffit de demander aux oncles et tantes pour découvrir le pot aux roses.
En 2002, il obtenait une bourse de PhD de l’université de Toronto. Après ces études de troisième cycle, il trouva un bel emploi sur place. Puis obéissant à l’appel des siens, il revint fin 2009 à Yulin, épouser une héritière des charbons du Shaanxi-sa fortune était faite.
A l’union arrangée, Zhongzhong n’avait qu’une condition : retrouver celle à qui il n’avait cessé de rêver toute son enfance, Yunsun. Pour satisfaire une demande qui au fond l’absoudrait d’une culpabilité, la grande famille se mit en chasse, fit appel à une agence de détectives, qui remonta sans peine jusqu’à la mère.
Et c’est ainsi qu’en janvier 2010, à Yulin, eut lieu le mariage en grande pompe. A la fête, rien ne manqua, ni les stocks d’eau, de bois et de charbon dans l’entrée de l’appartement, ni le nourrisson placé sur le lit conjugal pour bien montrer aux tourtereaux la marche à suivre, ni les enveloppes rouges de 100.000 RMB aux deux conjoints, pour leur rappeler qu’ils étaient chacun choisis parmi une infinité. Ni les deux jours de banquets avec pour les mariés, changement de tenue chaque trois heures, afin de parader devant les centaines d’hôtes du gratin de la ville (passée en 30 ans à 0,5M d’âmes), …
Seul détail insolite : 48h durant, ce n’était pas la main de la promise que Zhongzhong tint anxieusement sans jamais la lâcher, mais celle de la juge, sa mère, qui le lui rendait bien. Après exactement 20 ans de séparation, mère et fils étaient réunis. C’était «la joie qui succédait aux malheurs du passé», 苦尽甘来,Kǔ jìn gān lái !
… dans tous les coins de Chine, chaque ville ou temple, la Fête du Printemps – incontournable !