Le Vent de la Chine Numéro 31

du 26 septembre au 9 octobre 2010

Editorial : Période de fêtes, Japon—casse-tête chinois

Voici venir le temps des fêtes, de la Mi-automne (Zhongqiu 中秋 22/09) et de la Fête Nationale (Guoqing 国庆1er/10), issues d’une refonte des congés en 2008, pour étaler les semaines d’or qui entassaient la population à la queue leu leu, derrière les tiroirs-caisses, sans vraiment les reposer.

En est ressorti un curieux calendrier, 7 séries de jours ouvrés et fériés. Les gagnants sont ceux qui cette année, font le «pont» et partent 16 jours, hors de Chine. Les autres, 210M, visitent localement: Pingyao, Suzhou, Hainan! A elle seule, Shanghai attend un essaim de 8M de touristes, +40%.

Côté trafic routier, c’est embouteillage et bouchon. Dès le 17/09, Pékin haletait sous 140 engorgements (4,5M de voitures) malgré l’interdiction de rouler pour 20% des voitures/jour. Et le hasard voulait que tombe, le 22 septembre, jour férié, la 4ème journée mondiale sans auto, à laquelle se pliaient difficilement 110 villes…

Selon l’usage, la police fait avant les fêtes la purge des salons de thé, massage, karaoké. Rien qu’au Shanxi,1900 sites furent nettoyés : 296 cadres, cueillis en de tels lieux, furent limogés, (auto)-critiqués, rétrogradés ou rééduqués.

Les gâteaux de Lune (月饼) sont l’offrande de saison. Ronds, dorés, emballés luxe, ils font jusqu’à des milliers de ¥uan le coffret, 10-20% de plus qu’en 2009, à cause de l’envol des prix des denrées. A 1² en moyenne par citoyen, il s’en vendra 250.000t ce mois-ci. Les inspecteurs d’hygiène, qui veillent, en ont fait retirer 9,5 tonnes avariées.

Chacun connaît la légende du Zhongqiu (15e nuit du 8e mois lunaire): celle où Houyu, l’archer puni pour avoir tué 9 des 10 oiseaux-soleil, peut rejoindre Chang’e, sa femme recluse sur la Lune (pleine) en son palais de glace.

Pendant ce temps là, un autre sujet, nettement plus grave, se poursuit : la crise avec le Japon, après qu’il ait arraisonné (7 /09) un chalutier chinois au large des îles Senkaku-Diaoyu.

Affaire complexe: Tokyo n’a pas donné ses raisons à la saisie, ni avoué d’où était parti l’ordre, des garde-côtes ou de S. Maehara, le bouillant ministre des Aff. Étrangères. Mais pourquoi une saisie si risquée en une zone de souveraineté contestée et à 11 jours du 79ème anniversaire de l’invasion japonaise? D’autres questions s’imposent côté chinois: le pêcheur était-il en mission secrète? Pourquoi avoir tenté d’enfoncer les coques des deux vedettes? Faute de réponse, impossible de dire si l’incident était dû au hasard ou à une provocation.

Mais l’escalade se poursuit. Pékin coupe tous les échanges : 1000 étudiants nippons sont désinvités à l’Exposition Universelle de Shanghai, et à New York à l’ONU (22/09), Wen Jiabao précise qu’il ne rencontrera pas Naoto Kan, son vis-à-vis nippon. La presse étale (23/09) la mort «de désespoir» de la mère du capitaine, et la police interpelle à Shijiazhuang (Hebei) quatre Japonais pour «espionnage». Pour l’instant, la rue ne s’active pas trop sur l’ambassade nippone convertie en Fort Knox. Comme si elle s’ intéressait moins à cette crise qu’aux congés, ou au coût de la vie.

Un 3e acteur reste en retrait, les USA muettement satisfaits. Joe Biden, le vice-président peut rassurer Tokyo (21/09) de la solidité de leur alliance, même en cas de conflit armé : à New York, on assiste à un rapprochement sensible des pays d’Asie Pacifique et des Etats-Unis (cf brève, p.2). Et Pékin, qui là, n’est pas gagnant, tente de limiter les dégâts en avertissant Washington (22/09) de s’occuper de ses affaires…

Enfin, vendredi soir, Tokyo jetant l’éponge sous la pression intense chinoise, libérait l’homme, renvoyé samedi à l’aube par avion spécial vers le continent. Ce qui n’empêchait Pékin, jouant très ferme, de revendiquer d’impossibles excuses nippones pour l’arrestation… A l’évidence l’affaire, qui explicite la vertigineuse montée en puissance de la Chine sur sa région, n’est pas terminée, et promet déjà de laisser des traces durables dans la relation bilatérale.

 

 


A la loupe : Yuan—la Chine entre poussée sociale et sanctions étrangères

Sur la «monnaie du peuple», les nuages noirs s’amoncellent.

A New York, le 22/09, à la 65. Assemblée générale de l’ONU parmi 140 chefs d’Etat et de gouvernements, Wen Jiabao était venu avant tout laver son pays des accusations contre sa monnaie. Si R. Zoellick (Banque Mondiale) lui ménage un léger répit en déclarant que la Chine «comprend désormais son obligation d’axer à l’avenir sa croissance sur son marché intérieur», B. Obama, sous pression électorale, enfonce le clou : les leaders chinois «n’ont pas fait tout ce qu’ils avaient promis» sur la dérégulation du ¥uan, qui reste «en dessous de ce que disent les conditions du marché» – donnant à la Chine un plus commercial.

Au 30/06, le déficit américain atteignait 119MM$, parti pour battre en 2010 le niveau de 2009 (227MM$).

Washington vient de lancer à l’organisation mondiale du commerce (OMC) deux plaintes pour discrimination de ses aciers et de ses services de paiement en ligne. Le Congrès veut aller plus loin: taxer les exportations chinoises. Seule chose qui retienne encore l’Amérique: l’incertitude sur la légalité-OMC de telles rétorsions.

Les Européens aussi relancent leurs plaintes contre les pratiques de Pékin. Ils ne peuvent plus tolérer les différents soutiens de la Chine à ses exportations, ni la perspective d’un déficit bilatéral de 3 à 500MM$ d’ici 2020. Aussi en avant-goût du Sommet Chine-Union Européenne d’octobre à Chengdu, Bruxelles lance (17/09) une procédure de rétorsion contre les subventions chinoises aux modems sans fil (WWAN), et les 27 Etats membres viennent de définir leurs «intérêts stratégiques».

Pékin balaie ces griefs d’un revers de manche : l’Union Européenne «nie l’intérêt des consommateurs»; Obama «manque de sagesse», à insister sur le taux de change; la Banque centrale « ne répétera pas l’erreur du Japon des années ’80, de céder à la pression et réévaluer ». Le Yuan « n’est pas la cause des maux du dollar ». Et Wen de marteler que la Chine «n’a pas les moyens» d’une forte réévaluation du Yuan, que la déstabilisation de centaines de millions de Chinois, n’est dans l’intérêt de personne…

Dès juillet 2010 toutefois, Pékin a racheté une poignée de bons du Trésor, portant son portefeuille à 847MM$ (+0,36%). C’est un message discret que la Chine ne renonce pas à ces acquisitions -et qu’elle le fait moins par foi dans la devise de l’Oncle Sam, que par esprit de responsabilité partenaire.

Si la Chine, contre vents et marées, tient bon sur son ¥uan, c’est suite aux 20 mois de stimulus géant qui ont nourri en toute indiscipline d’innombrables chantiers à fonds perdus : elle craint l’implosion de la « bulle » de ce crédit douteux, au cas où elle freinerait trop vite. Refusant de risquer une déstabilisation sociale majeure, ses leaders actuels préfèrent jouer sur le sens de responsabilité de l’Union Européenne et des USA. A leurs yeux, une chance sérieuse existe qu’ils échappent aux sanctions—soit par blocage de l’OMC, soit par pusillanimité du bloc de l’Ouest. Et de toute manière, si elles tombaient, ce serait à leurs successeurs, en 2012, d’y faire face.

 

 

 

 


Joint-venture : La couture quitte la Chine?

Pour le monde chinois de l’habillement, c’est un signe inquiétant : Top Form, un des producteurs de soutien-gorge pour Calvin Klein abandonne ses plans d’expansion en Chine. Le site de sa 4eme usine ira en Asie du Sud-Est. Une des raisons citées, est la hausse des salaires de + de 20% à travers la Chine en 2010 (40% à Canton), et le projet politique national de les doubler d’ici 2015.

Entre Thaïlande et Philippines, la paie moyenne est de 200$/mois. Elle est moindre en Chine (150$ à Shanghai), mais la courbe de hausse est plus aigue. Aussi seuls les secteurs à forte marge tels les cosmétiques peuvent absorber une telle hausse. D’autres tels l’électronique délocalisent à Chengdu (Dell), et à Wuhan, Zhengzhou (Foxconn), tablant sur les fortes cohortes de demandeurs d’emploi à l’intérieur du pays. Mais Eddie Wong, PDG de Top Form prédit : « ce n’est qu’une question de temps avant que la Chine ne devienne plus chère qu’ailleurs ».

Il pourrait faire erreur, car l’enchérissement des salaires chinois est suivi ailleurs, par des millions de prolétaires, de Dhaka à Saigon, via Calcutta et Jakarta, anxieux d’obtenir les mêmes hausses et disposant de droits syndicaux. Témoin, le Cambodge, où des dizaines de milliers d’ouvriers textiles font grève depuis mi-septembre pour imposer une enveloppe mensuelle de 93$, contre les 61$ de l’offre du gouvernement.

 

 


A la loupe : Taiwan— le désamour du grand retour

Aux présidentielles de 2008, Ma Ying-jeou et son parti nationaliste Kuomintang, étrillaient Chen Shui-bian et le parti autonomiste DPP. Chen descendait aux enfers, en prison pour corruption et Ma Ying-jeou entamait le rapprochement tous azimuts avec Pékin. Mais voilà que le pendule repart dans l’autre sens, dans l’opinion.

Publié le 13/09, un sondage d’août 2010, du KMT, compare l’opinion insulaire par rapport à 2000. Il dévoile que le soutien à la réunification s’amenuise de 9 à 5%, et celui de l’indépendance gonfle de 12 à 16%. Les pro-statu quo ont monté de 19% à 51%, majorité absolue. Au total, ils sont 67% désormais à revendiquer leur Etat séparé.

Dans ce sondage, l’image du Parti communiste chinois inquiète par son écrasante négativité : ils ne sont que 4% à le décrire comme « efficace et amical », 1% «civilisé et progressiste». Mais 20% des Taïwanais le taxent d’ «autocratie» et  17% de «tyrannie». Pire, la vision du peuple chinois n’échappe pas à ce qu’il faut bien qualifier de préjugé : 5% seulement le voient «sympathique», 1% «travailleur, capable, honnête et simple», mais 24% «grossier», 9% «mercantile», et même 7% de «brutal». Avec de telles opinions, on peut concevoir que 62% refusent d’envisager de franchir le détroit pour y travailler, 68% d’aller y créer une firme, et 87%, fût-ce d’y vivre.

Curieusement, ce refus frontal est démenti par la réalité quotidienne. Car sur la totalité des néo-diplômés   arrivant sur le marché du travail en 2010, 73% sont prêts à s’expatrier à Shanghai, 42% à Pékin et 11% ont déjà signé leur contrat de 1er emploi en Chine… Mais la conclusion qui s’impose, est que la politique de Ma de rapprochement avec la Chine est  désavouée —ce que confirme ce sondage de juillet, accordant au président KMT 32% de satisfaction et 56% de mécontentement.

Ce revirement reflète la valse des Taïwanais face à leur avenir. Mais l’hésitation s’avive aux premiers fruits de cette politique.

De janvier à juin, les échanges ont progressé de 56%, à 82MM$,  soit l’équivalent de 10% des échanges 2000-2009 (802MM$), dont 500MM$ d’excédent pour Taïwan qui, en partie grâce à la Chine, se classe au 4e rang mondial des investissements des multinationales (derrière Suisse, Singapour et Norvège). Or, le Taïwanais moyen sent que cette dépendance se renforcera suite à l’entrée en vigueur (12/09) de l’accord EFCA (Economic Framework Cooperation Agreement), favorable à l’île à dessein. Aussi l’image négative de la Chine traduit une peur symptomatique : celle de se voir «acheter son âme» par le continent, dont on se sent irréductiblement différent en dépit du patrimoine commun.

Conscients du risque, Pékin et Taipei multiplient les mesures : le 22/09, à Taipei et à Hong Kong, deux « forums  de la jeunesse » de 60 pays sur la réunification, et un autre forum à Shanghai, «entre compatriotes». Le 17/09, les manoeuvres conjointes des sapeurs-pompiers marins rassemblaient 30 navires et trois hélicoptères au large de Quemoy… 

Autant de gadgets qui ne peuvent cacher la tendance : la machine à normaliser, aujourd’hui, perd de la vapeur !

 

 


Pol : Retour de flamme en mers du Sud

Meeting jamais vu le 24/09 à New York, en marge des travaux de l’ONU entre Obama et 10 pays de l’ASEANAssociation des Nations d’Asie du Sud-Est.

Exprimant l’avis de tous, Lee Hsien Loong, 1er ministre de Singapour réclamait que les USA, après 10 ans de repli sous Bush, s’intéressent à nouveau aux mers d’Asie Pacifique.

L’action a été provoquée par plusieurs signes de déploiement accéléré de l’armée chinoise (APL) en Mer de Chine, que Pékin revendique en totalité sauf la bande côtière des 12 milles :

– La Chine « prie » ses petits voisins de s’adresser chacun séparément à elle pour tout conflit territorial, et non collectivement par l’ASEAN.

– En 12 mois, des centaines de chalutiers vietnamiens ont été arraisonnés, et

– L’APL a ostentatoirement montré ses forces cet été lors d’exercices maritimes.

– En mars, Pékin annonçait aux négociateurs américains que la Mer de Chine du Sud entrait dans ses «intérêts fondamentaux», comme Tibet et Taiwan. C’est ce dernier point qui a provoqué l’inquiétude des riverains et par réaction, leur rapprochement avec les USA qui tenaient dès août, avec le Vietnam, leurs 1ers exercices navals conjoints.

    Le communiqué  ASEAN + USA conclut en réaffirmant l’importance de la liberté de navigation en Mer de Chine du Sud, et en condamnant l’usage de la force pour imposer ses revendications territoriales. Conclusion du professeur Jia Qingguo, de l’université Beida : «notre déploiement maritime  a peut-être été trop rapide, donnant aux USA la chance de ce come-back».

 

 

 


Temps fort : Transports—bonnes affaires françaises

Depuis des années, la coopé franco-chinoise en matière de transports était en sommeil : par les projets innovants qu’elle vient de générer, la visite du secrétaire d’Etat Dominique Bussereau (11/15/09), l’en arrache décidément : 

[1]  Des palabres sont en cours pour ouvrir les lignes aériennes Papeete-Shanghai et La Réunion-Chine, conjointes à Air Tahiti Nui, Air Austral et des transporteurs chinois non précisés. La Réunion veut sa part du tourisme chinois, et valoriser sa place de tête de pont vers Madagascar et l’Afrique de l’Est. Papeete prétend exploiter sa position au croisement entre Chine et Amérique Latine, Australie et Amérique du Nord. Paris craignait bien d’ouvrir, à La Réunion, la boite de Pandore d’une migration chinoise vers une Afrique Orientale peu préparée à y résister. Mais apparemment, la voilà rassurée.

[2] Avec China Southern, Air France-KLM va exploiter en commun la ligne Paris-Canton, éliminant leur concurrence. Ouverte en juin 2004 par les deux groupes en code-sharing, la ligne n’a jamais bien trouvé sa rentabilité, perturbée par la formidable rivalité de Hong Kong. Dès le 1/11, AF-KLM et China Southern partageront coûts et profits à 50/50%. AF-KLM prévoit de poursuivre sa traque des coûts en 2011, en signant un accord  similaire avec China Eastern sur la ligne Paris-Shanghai. Il confirme ainsi son rang de 1er transporteur européen en Chine, avec 45 rotations depuis Paris et 39 depuis Amsterdam.

[3] Lors de l’étape de D. Bussereau à Wuhan, Air France-KLM s’est vue offrir une curieuse offre d’un autre type. Yang Song, Secrétaire du Parti pour la métropole du Yangtzé , lui demande d’ouvrir Paris-Wuhan, moyennant 30.000² de subvention par la ville à chaque vol durant un an.  Si forte est l’envie du Hubei d’un lien direct avec l’Europe, qu’il croit rentable ses 3M² d’incitation (dans le scenario de deux vols/semaine). Cette offre est sans doute aussi inspirée par l’échéance « électorale » du Parti communiste chinois en 2012, où les apparatchiks rivalisent d’imagination pour démontrer leur dynamisme et faciliter leur chance de promotion…   Sur cette offre, Air France n’a pas donné sa réponse.

[4] Enfin, en présence de D. Bussereau, Alstom a signé à Pékin une déclaration d’intention avec CNR et SEC pour développer des transports urbains. Satco et  Satee, les JV depuis 1999 entre Alsom et CNR, vont ainsi étoffer leur offre de métros, tramways et d’Intercity sur les marchés de Chine et d’ailleurs. SEC, le géant shanghaïen de l’électromécanique, est appelé à disparaître de l’alliance, une fois qu’il aura transféré sa branche ‘transports’ à CNR, le constructeur ferroviaire du nord, pour se recentrer à l’avenir sur l’énergie, conventionnelle ou renouvelable.

Pour Alstom, l’alliance a deux limites. L’une est sa part minoritaire dans Satco, producteur des rames (40%), et Satee, constructeur d’équipements (60%). A l’avenir, Alstom ne pourra pas lui confier ses modèles de pointes, ni ses marchés propres, d’Europe ou d’Inde (où Alstom construit une usine) : Satco-Satee prospectera l’Asie, voire l’Australie. L’autre souci est la licence de vente que la Chine lui dénie depuis 10 ans : en attendant, Satco devra vendre via Changchun (filiale CNR), qui prend désormais pied sur le marché de Shanghai (fief de Satco), et sera à la fois son actionnaire-partenaire, et son concurrent… 

Enfin, quoique rien ne l’évoque dans ce pré-accord, en cas de succès, la coopération pourrait alors être étendue aux TGV, où la Chine a des faiblesses technologiques (maîtrise des vibrations, dépense énergétique…) et un atout maître : le financement !

 

 


Petit Peuple : Nankin, l’inspecteur Li au jeu du mouchoir

Sur ce campus à Nankin, la salle d’étude ronronnait au bruissement des pages tournées et murmures des cours répétés-routine universitaire: nos potaches ignoraient encore la vilaine affaire qui leur arrivait droit dessus, ce 30 janvier au soir. De retour des toilettes avec sa copine Qu Chenfei, Qian Jin vit de suite que son portable n’était plus là où elle l’avait laissé cinq minutes avant, sur ses classeurs et livres en vrac. Elle fouilla son sac, s’accroupit au sol. Mais au fond du coeur, elle savait déjà qu’il était volé.

Vieux Nokia griffé, l’appareil comptait moins chez elle pour son prix que pour sa valeur sentimentale. Il renfermait ses photos de famille et les numéros de sa vie intime, parents, ami de coeur, toute sa bande… Une idée surtout lui était insupportable: que parmi ses camarades, s’en trouve un rat, indigne de leur confiance à tous…

Discrètement, elle avertit les chefs élus de la salle d’étude. A la seconde, le plus sanguin des deux s’enflamma, préconisant un comité de salut public et une vengeance exemplaire du peuple. Plus doux et circonspect, l’autre cherchait à régler tout cela « en famille ». Mais il fallut se rendre à l’évidence : priée de mettre fin à la blague («les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures»), la classe apeurée ou complice maintenait le mur du silence – il ne restait qu’à appeler la police…

Voilà donc l’inspecteur et un acolyte, dépêchés sur place en un temps record, cinq minutes depuis leur commissariat de Taishan Xincun. Perspicace, Li Mingyue, à la 40aine sportive, sentit bien la tempête sous cette 30aine de crânes déstabilisés. Survolté, le délégué jacobin réclamait la fouille générale, pour «percer l’abcès». « La loi m’y autorise » répliqua l’inspecteur, mais il objecta que vu la valeur basse du GSM, il ne pourrait coller qu’une amende-«trop d’efforts pour pas grand chose».

En fait, sur la raison de son hésitation, Li était en train de mentir par omission. Un an avant, il s’était trouvé coincé dans une affaire aussi glauque, un étudiant ayant volé un ordinateur de façon si nigaude que le limier l’avait confondu en 10 minutes, montre en main. L’appareil dépassant un certain prix, passer l’éponge était hors de question: le jeune fut expulsé de la fac, carrière brisée. Et pourtant, ce n’était qu’un moment d’égarement, et le gars avait bon fond, Li avait pu le vérifier… Aussi l’inspecteur était-il déterminé, cette fois-ci à éviter une telle casse. Mais comment faire?

Soudain Euréka, une idée lui vint. Faisant le noir dans la salle, il disposa en rond les potaches médusés et les invita à une partie de mouchoir, ce jeu de toutes les enfances de la planète où le «chasseur» doit lâcher un linge derrière un « lièvre » à son insu : s’il peut faire un tour du cercle sans que sa «proie» n’y voie rien, elle doit prendre sa place. Par son subterfuge, Li espérait replonger les jeunes dans un bain d’innocence naïve, loin du drame moral qu’ils vivaient.

Ils eurent d’abord du mal à se prêter au jeu: « Où veut-il en venir?», entendait-il grogner. Qu’à cela ne tienne : meublant l’obscurité, il se mit à raconter ses propres années tendres, ses 400 coups au village, ce jour mémorable où il était parti avec les copains chaparder les pastèques du père Wang. Comment il avait été pris la main dans le sac, au prix d’une belle fessée et plus belle dispute encore. Dans la nuit, les rires fusent de bon coeur, à l’idée d’un flic voleur de melons. «Mais, fait-il enfonçant le clou, ça ne m’a pas empêché de finir policier. Nous avons tous droit à la faute, à condition de savoir nous amender ».

Au bout d’un quart d’heure, l’inspecteur Li rallume et fait chercher le portable. Sans faute, il est retrouvé sous une table. Li conclut: «Cette faute, c’était juste une inspiration viciée, comme une maladie. Cà aurait pu arriver à n’importe qui. Maintenant, c’est guéri, et soyez en sûrs ça n’arrivera plus. D’une certaine manière, votre groupe ressort immunisé, renforcé – par votre tolérance à tous».

Ainsi partit-il sous la «standing ovation » des jeunes, pleins d’admiration pour la manière dont il leur avait sauvé la mise à tous, en « laissant le poisson filer à travers les mailles » 漏网之鱼 (loù wǎng zhī yú).

 

 


Rendez-vous : A Bruxelles, le rendez-vous Asie – Europe

26-28 septembre, Visite du Président russe Medvedev

28-30 sept. Shanghai : CIHS, Salon de la quincaillerie

3-6 octobre, Shanghai : Salon de la maison

4-5 octobre, Bruxelles : 12th ASEM—Asia Europe Meeting