Le Vent de la Chine Numéro 23

du 27 juin au 3 juillet 2010

Editorial : Politique monétaire — un coup d’épée dans l’eau

Tous comptes faits, le grand virage monétaire annoncé en fanfare le 19/06 par la Banque centrale, n’est pas si aigu que cela. La Banque populaire de Chine se disait d’ accord pour briser le peg de 6,81RMB /1$ qui maintient depuis 23 mois la monnaie du peuple à un niveau artificiellement bas: le RMB s’étalonnerait dorénavant sur un panier de monnaies. Mais elle excluait d’avance, au nom de la «stabilité » du Yuan, toute réévaluation brutale, ce qui ôtait toute dent et griffe à son annonce.

La veille encore, Pékin déniait à l’Union Européenne et aux USA le droit d’aborder ce sujet lors du G20 de Toronto (26-27 /06). Aussi le revirement de la Banque centrale, flou et peu concluant, incitait le Congrès américain à douter de la sincérité de la manoeuvre, destinée selon lui à temporiser. D’ailleurs le 23/06, le ¥ bougeait … à la baisse (-0,23%), après avoir un peu monté la veille (+0,47%): comme pour rappeler que la Chine garde sur sa monnaie une main de fer.

Le même jour, Caijing (journal financier) épaississait la brume en citant le vice-premier ministre Li Keqiang, comme auteur de la réforme, avec son discours paru en février dans Qiushi (revue théorique), qui plaidait pour l’objectif de « stabilité » et d’un taux de change « raisonnable et équilibré ».

Pourtant au sein de l’appareil, les voix discordantes ne manquent pas sur le sujet. Tel Xi Jinping, vice-président ET rival de Li Keqiang dans la course au pouvoir, lequel préconise (17/06) une hausse « graduelle et en toute indépendance ». Tel aussi Chen Deming, ministre du commerce, notoirement hostile à la réévaluation. D’où l’hypothèse audacieuse d’analystes anglo-saxons: les ennemis de Li Keqiang auraient dévoilé sa paternité du plan contesté, dans le seul but de le mettre en difficulté en cas de suites négatives à l’avenir, par exemple sur les exportations. Selon la même source, Hu Jintao serait intervenu pour protéger Li Keqiang, son dauphin, en canalisant cette révélation vers Caijing, publication moins voyante…

Il se trouve que les 20-23/06, Xi était en Australie pour restaurer des relations tendues par les 10 ans de prison imposés en mars à Stern Hu, le représentant en Chine de Rio Tinto et par un visa australien accordé à Rebiya Kaader, l’égérie ouighoure. A Melbourne, Xi signait pour 9MM$ de contrats (mines, énergie, télécoms), et parrainait un projet de Wuhan Steel de reprise de 8% du charbonnier Riversdale, et de 40% de sa mine du Zambèze, pour 800M$ de cash. Quoique arrivant sur place en pleine crise de démission de son hôte K. Rudd le 1er ministre, Xi se donnait la stature de l’homme relançant les liens avec ce partenaire stratégique, aux échanges bilatéraux de 76MM$ l’an passé.

Puis comme pour disputer à son n°2 les feux de la rampe diplomatique, Hu s’envolait (23-28/06) vers le G20 et le cabinet Harper à Ottawa, (sous prétexte du 40. anniversaire des relations) – là aussi pour enterrer des années de rapports médiocres. Aujourd’hui, en peine de marchés frais, le Canada éteint ses critiques «droits de l’ homme». Hu rouvre les importations bovines, et inscrit le pays à la feuille d’érable à la liste convoitée des «destinations touristiques privilégiées». Le but commun étant désormais de doubler les échanges à 60MM$ d’ici 2015. De façon symptomatique, en échange de ses largesses, Hu réclame un geste: l’extradition de Lai Changxing, escroc réfugié depuis 10 ans au Canada…

Tels sont les pas actuels des leaders chinois, liés à la préparation de la succession de Hu Jintao, attendue en 2012 au 18ème Congrès de 2012. A défaut de pouvoir suivre les batailles et leurs issues, on repère les camps respectifs : celui de Hu (son bastion de la Ligue de la Jeunesse) avec son dauphin Li Keqiang, face au clan des shanghaïens avec Xi Jinping pressenti comme futur n°1, et pour outsider Bo Xilai, le chef de file des «petits princes », fils des apparatchiks !

 

 


A la loupe : À Taiwan— le « baiser de l’ours »

Tel que présenté à la presse (24/06), l’ECFA, accord-cadre de coopération économique sino-taiwanais est de ceux que même en rêve, l’île ne pourra refuser. Un accord non frappé au coin de la réciprocité.

Sur 539 lignes de produits parmi ses plus forts exports (des pièces auto à la chimie fine en passant par les textiles), Pékin renonce à 13,84MM$ de taxes, mais Taiwan, sur 267 positions tarifaires excluant son agriculture, à seulement 2,86MM$. En 2013, tout droit aura disparu. Dans les services, la Chine se voit offrir 9 secteurs d’affaires, dont cinéma et loisirs, et Taiwan 11 secteurs dans les hôpitaux, assurances, l’internet, la maintenance aérienne et la banque, qui pourra travailler en RMB après un an de stage sur le continent. Tout ceci débouchera pour Taiwan (selon un centre de recherche) sur 260.000 emplois nouveaux et 1,7% de croissance supplémentaire par an.

Immense perdant dans cette affaire, le DPP indépendantiste crie à la capitulation et à l’infraction à l’OMC (car Corée et Japon feront les frais de cet accord préférentiel). Prédisant la perte de 1,6M d’emplois sous le flot de biens chinois bon marché, le DPP tentait (27/06) d’organiser le refus avec une manif de 100.000 mécontents.

Soumis à Taipei par Chiang Pinkung et Zhen Lizhong -les négociateurs des 2 rives du détroit, cet accord taillé à la serpe en quelques mois sera signé à Chongqing le 29/06, et devra être approuvé au Yuan Législatif (parlement insulaire), où le KMT nationaliste, parti au pouvoir, dispose d’une écrasante majorité.

Autre effet possible de l’accord: une remontée dans les sondages de Ma Ying-jeou, l’actuel Président et auteur de cette politique de réconciliation, qui perdait en popularité ces derniers mois, plutôt malmené. Cette embellie pourrait lui faire gagner haut la main les municipales du 27/11, voire les présidentielles de 2012, comme le soupçonne Tsai Ing-wen, présidente du DPP…

Ce qui ne fait nul doute: l’accord reflète un choix déli-béré de Pékin d’acheter les coeurs taiwanais, sans regard pour le coût, comme l’affirme Lin Chong-pin, professeur à l’université Tamkang de Taipei: « c’est une offensive de charme pour couper les ailes de l’opposition». D’autres l’appellent joliment« le baiser de l’ours »…

Consistant avec l’objectif stratégique de Pékin, 3 jours plus tôt Li Jiaxiang, directeur de la CAAC annonçait à Xiamen huit aéroports neufs ou rénovés en zone côtière, et un renforcement des liaisons vers l’île—de 40 vols/jour en mai à 60 (420/semaine), assorties d’une baisse de tarif de 10 à 15%. Ce qui se traduira pour Taiwan par un accueil d’1 million de touristes continentaux, soit +70% dans l’année. Tout ceci plonge Taiwan durablement dans des affres de conscience, genre «le loup et le chien » (La Fontaine). Prix à payer pour tourner une vieille et stérile page de 60 ans de dos tourné au continent !

 

 


A la loupe : À Hong Kong – soudain la nouvelle donne

Très logiquement, c’est en pleine confusion que les élus de Hong Kong votèrent par 46 contre 13 l’amendement à la Constitution et au système électoral (23-24/06).

Depuis le retour à la patrie en 1997, l’opposition se bat pour obtenir, selon la promesse de Pékin, des élections directes dès 2012 pour les 60 députés du « Legco ». Les Hongkongais n’ont à cette heure le droit d’en élire que 30, les autres étant cooptés par les guildes, associations professionnelles – un tout petit nombre de privilégiés. Elle réclame aussi le suffrage universel dès 2017 pour élire le chef de l’exécutif, aujourd’hui désigné par un collège de 800 grands électeurs fort obédients aux désirs de Pékin.

Depuis ces 12 ans, le blocage était total, entre les trois acteurs de ce jeu politique figé dans ses principes irréconciliables:

– la rue et les intellectuels, coalition libertaire-autonomiste autour du Parti Démocratique (PD),

– les propriétaires-patriciens autour du DAB, parti conservateur, minoritaire en voix mais « cheval » de Pékin, au pouvoir avec le cabinet de Donald Tsang,

– et la Chine, qui joue le jeu de l’autonomie limitée (celui du principe « un pays deux systèmes »), mais reste très présente en sous-main.

Pékin imposait à Hong Kong un refus de toute concession démocratique -craignant un retour de flamme en Chine, à commencer par Canton. Les milieux d’affaire aussi, s’accrochaient à leurs privilèges de tenir le « Rocher » et son Parlement, sans s’astreindre au système électoral.

Or le 21/06, tout change. Sur ordre de Hu Jintao, Donald Tsang lâche une bombe, sous la formule de «un être, deux votes»: 10 sièges supplémentaires au Legco, tous au suffrage universel dont 5 « de districts » et 5 issus des listes des guildes, mais à faire élire par les 3,2M d’électeurs hors district.

De la part d’un socialisme refusant depuis 20 ans de discuter avec les démocrates, la concession n’était pas mince : elle diluait le système haï des guildes, et en annonçait la fin. Mais pour ses détracteurs elle n’offrait aucune garantie de passage réel à la démocratie.

Pourtant, après énorme hésitation, le Parti démocratique franchit le Rubicon en saisissant la main tendue.

Ce fut immédiatement une révolution, dynamitant tout le paysage politique local. Les mini-partis les plus engagés dans la lutte démocratique, comme le Parti Civique ou la Ligue social-démocrate s’enflammèrent, et au Parti démocratique-même, des leaders historiques comme Martin Lee ou Andrew Cheng donnèrent leur démission, incapables de supporter l’idée d’une collusion avec Pékin et d’autre idéal à terme, qu’une vie sous un modèle politique non-occidental.

Dans les jours précédant le débat, les partisans des deux bords se rassemblaient devant l’hémicycle, et les opposants tentaient en vain d’obtenir un «report» du débat sous prétexte d’ «informer davantage la base».

Une fois le vote obtenu, une nouvelle situation se décante. Convoyant le message d’un Pékin aux anges, le DAB (Democratic Alliance for Betterment) des financiers se dit prêt à « discuter » avec le Parti démocratique et la Chine de la suite du dialogue après 2012, et le Parti démocratique ne dit pas non.

Se relève de la table d’opération un nouveau corps politique plus mature, avec une droite (DAB), un centre (PD) et la gauche des petits partis. Tandis que Pékin apparaît prête à jouer avec deux alliés au lieu d’un, et négocier la suite de la démocratisation avec eux. On constate deux victimes: les deux extrêmes, DAB et les petits partis. Ainsi que, en Chine, les conservateurs jusqu’au-boutistes. Mais en épilogue, c’est le compromis raisonnable qui semble avoir gagné ici, et le seul avenir possible (sous réserve de d’inventaire) !

 

 


Argent : Sud : le déluge

La Chine n’a plus vu cela depuis des décennies : un mois de fortes pluies entraînant des inondations dans 10 provinces du Sud, avec au moins 500 noyés ou disparus et (au 26/06) plus de 6MM$ de pertes, triple de la moyenne annuelle depuis 2000. Dans le Jiangxi, deux sections de digues de la rivière Fu ont cédé, forçant 100.000 riverains à la retraite vers des stades ou des gymnases, tandis que des dizaines de milliers de volontaires et miliciens, de l’eau jusqu’aux hanches, tentaient de combler la brèche à coup de sacs de sable. Au 22/06, 732 hôpitaux étaient touchés et 6.563 chambres ou salles de soins se trouvaient sous eau. Au total, 30millions de personnes sont affectés, incapables de se rendre à leur travail, et au moins 2,4M sans abris. 215.000 maisons ont disparu, et 277.000 hectares de rizières et d’emblavures ont été emportés.

A l’heure où nous écrivons (25/06), des trombes d’eau continuent à se déverser sur le Jiangxi, qui attendait 8cm dans la journée, pour la pire crue depuis 1960, portant la rivière Xiang à 42m de fond. Classiquement, la réaction de l’Etat a été volontariste et déterminée, multipliant avions de premiers secours et envois de 16.000 militaires. En huit jours, le 1er ministre Wen Jiabao a fait deux fois la navette, félicitant les sauveteurs pour le « miracle » de leur travail, et les adjurant de «se préparer au pire, et ne pas craindre la mort» : le pire n’est pas encore passé !

 

 


Pol : Cambodge : la protection chinoise

Le 23/06 était jour de la Chine à Phnom Penh : Chi Wangjun, commissaire politique (logistique) de l’APL remettait 257 camions kaki dont 200 de transports de troupe. En avril 2010, pour le punir d’avoir cédé à la Chine et extradé en décembre 20 ouighours réfugiés sur son sol, Washington avait supprimé une livraison équivalente au petit royaume. La réplique chinoise est donc rapide (deux mois pour rassembler ces équipements neufs spécialisés), et claire : Pékin interdit toute rétorsion sur ses alliés. A Shanghai en mai, Hu Jintao avait annoncé ce cadeau, additionné de 50.000 uniformes. Et dans le cadre de l’Asean, 400 produits cambodgiens peuvent entrer, en Chine, libres de taxe.

Le sens de l’action est aussi net : en influence sur l’Asie du Sud-Est, la Chine relaie les puissances de l’Ouest: dès le lendemain de la déportation des 20 Ouighours, arrivait Xi Jinping avec un chèque de 1,2MM$ d’aide. Les deux pays depuis lors, démentent sans sourire le moindre lien entre les deux événements. L’évolution de ces liens étroits surprend d’ autant plus l’oeil occidental, qu’en fin des années ’70, la Chine avait soutenu les Khmers Rouges, formation maoïste responsable de massacres et de famine ayant éradiqué le tiers de la population cambodgienne.

Mais le Cambodge, pays très pauvre, prend ses moyens de subsistance là où il peut : comme disait Racine, « sans argent, l’honneur n’est qu’une maladie ».

 

 


Temps fort : Santé : deux coups de tocsin

Deux plans d’urgence viennent d’être annoncés au ministère de la santé, qui jettent un éclairage préoccupant sur l’évolution de la santé des Chinois.

[1] Yin Li, le vice-ministre, annonce la construction ou rénovation de 550 hôpitaux psychiatriques sous deux ans : réponse de l’Etat aux récentes épidémies d’infanticides, et de suicides chez Foxconn, à Shenzhen, de mars à mai.

C’est un retournement historique. Dès les années ’50, Mao réprimait la psychiatrie, «décadente» et la maladie mentale, «bourgeoise». Fin 2008, la Chine n’avait encore que 598 hôpitaux (pour 23% de l’humanité) et 16.383 « psys », dont 4000 diplômés—1/3 de la moyenne mondiale. Même Canton laissait sans soins 90% de ses déprimés, maniaques ou schizophrènes, à charge des familles.

Négligé, le mal se vengeait en proliférant. En 2010, la Chine compte 100M de malades mentaux, dont 16M de cas graves. En dix ans, les admissions aux hôpitaux à doublé (700 au lieu de 300). Et c’est la folie qui coûte le plus cher à la santé publique, avant les troubles cardiaques, respiratoires et les cancers. Et 82% des crimes auraient été évités si leurs auteurs, malades, avaient été soignés.

Mais le vent tourne. L’épidémie présente de violences irrationnelles, infanticides et suicides a donné l’alarme. En plus de ces hôpitaux neufs, depuis février, le ministère impose un centre « allo-psy » par province, dans le but avoué d’identifier et d’isoler les cas les plus dangereux…

[2] Un plan décennal est présenté le 22/06, contre la syphilis qui avait été éradiquée dans les années ’50, pour réapparaître dans les années ’90. Pendant ces 40 ans de traversée du désert sexuel, le moyen principal de lutte – non durable – avait été l’abstinence. Depuis, l’appel du corps a repris ses droits (seuls 3 jeunes adultes sur 10 arrivent vierges au mariage), mais sans information préventive, ni lutte contre la stigmatisation des malades. Ces derniers n’osent se faire soigner ou se rendent chez des charlatans. La suite est mathématique: en 2009, 327.433 cas furent enregistrés (+17%), dont 10.757 à la naissance. 9,1% des homosexuels, 2,4% des 6 millions de prostituées sont porteurs. Or, la syphilis, par ses ravages sur les nerfs et le coeur, compte en Chine parmi les cinq plus graves maladies contagieuses, si non traitée.

Le plan de lutte reprend les recettes bien connues ailleurs : sensibilisation des groupes à risques, conférences, émissions TV et sur internet, distribution de préservatifs, formation de médecins, et inscription de la pénicilline sur la liste des produits remboursés par la sécurité sociale. Le ministre Chen Zhu se donne cinq ans pour enrayer la progression, et cinq autres pour éradiquer les cas existants.

Ces deux plans ont un point commun : ils sont lancés en urgence, les maladies ayant atteint le cap du supportable. De gros moyens sont alors engagés, au risque de se détourner de l’essentiel : la prévention et le déploiement de l’assurance maladie.

A ce qu’il semble, médecins et patients d’aujourd’hui commencent à payer pour 20 à 30 ans d’imprévoyance de leurs aînés. Tandis que tapies dans l’ombre, d’autres pathologies très chères à soigner comme obésité-diabète, attendent leur jour, pour priver les Chinois du fruit si péniblement amassé de leur croissance !

 

 


Petit Peuple : Songzhuang : la vie neuve de Fan Ting

En cet été qui craque sous tension sociale et canicule, une aventure est suivie et applaudie par toute la Chine, censure comprise : celle d’une jeune financière pékinoise qui prétend réin-venter la vie, rien de moins. Dégoûtée par ses colonnes de cotations boursières, Fan Ting, à 26 ans, ne supportait plus la médiocrité de son existence, ses heures de bureau (pour payer son exorbitant loyer sur Xizhimen avec Xiao Ma son compagnon), train-train coupé que par ses 2 séances par semaine d’ aérobic et une virée au supermarché pour recharger le frigo. Fan Ting rêvait de vie bohème.

En août 2009, elle lança sa bouteille à la mer : « Je ne veux plus de pollution, professait-elle sur internet, -ni gâcher ma vie davantage. Je veux jardin, ciel bleu, un groupe d’amis choisis autour de moi, en banlieue. Qui m’aime me suive » !

Sans s’en rendre compte, Fan Ting reproduisait une démarche utopique tentée par tant d’autres avant elle. Et pour les mêmes raisons qu’eux : elle appartenait à une jeunesse assurée de ses besoins vitaux, et réclamant davantage, l’aventure d’une vie de groupe.

Fan s’aperçut vite qu’elle venait de provoquer un séisme dans les entrailles de l’humanité. En retour, elle reçut des centaines de messages d’encouragement ou de candidatures aux motivations variables : vivre moins cher, retourner à la nature, ou composer sa thèse. Avec quatre disciples, elle chercha, et trouva au bout de quelques semaines le site idoine : Songzhuang, à 17 km de la ville, une ex-ferme d’Etat des années ’50, courée de brique autour de quoi s’articulaient une dizaine de cellules monastiques, une ex-étable, une grande remise. Côté sud, l’indispensable potager donnait sur la colline plantée en pêchers et abricotiers : tous ces trésors ne coûtaient que 2000¥/mois, avec en prime le bus direct, la boutique du coin, à deux pas , l’électricité fréquente, l’eau courante et cerise sur le gâteau, l’internet.

Ils ont donc déménagé. Désormais, au lieu d’être muselé dans l’appart avec sortie à l’aube et à la nuit faute d’être légalisable, Lehman son corniaud (nommé selon la banque devant laquelle Fan l’a trouvé quelques mois plus tôt) peut vadrouiller dans la cour et saluer de ses abois le moindre visiteur.

Fan Ting a réorganisé son existence selon ses rêves : ni grande bouffe, ni sexe libéré, mais un plan étrangement sage et réglé. Chaque matin à 5 heures, elle se lève pour la promenade avec Lehman (à qui elle a appris le silence, pour pouvoir observer pies et lapins). Selon la saison, elle rapporte parfois champignons, fruits, une gerbe de fleurs. Puis vient le petit-déjeuner, et son départ en tailleur châtié, dans le bus de 6h30. De retour 12h plus tard, elle repasse jean et T-shirt, change d’âme et de langage, et bricole : lecture, cuisine, autres tâches. Elle a rédigé la charte du lieu, définissant partage des corvées et des frais, et des règles de sélection des nouveaux membres.

Petit ratage : en quelques semaines, un à un, les 1ers volontaires ont quitté le navire, préférant leur monde civilisé et craignant de s’en retrouver oublié. Seul lui est resté Xiao Ma, son homme.

Le bonheur est là quand même. Le week-end, c’est la marée haute des amis venus planter les haies, apporter des meubles, faire la cuisine, rebâtir la porcherie en café-théâtre avec bibliothèque, cheminée, scène, un mur aux dazibao, un autre chaulé blanc, pour le cinéma. Ses copains ne sont plus ceux de la gym ou du bureau, mais des artistes : un prof-poète, un peintre voisin, un architecte (qui se retient d’emménager, par peur que Lehman ne croque ses chats)… Au dessert, Xiao Ma gratte sa guitare, chante du Lennon dans le texte (« you may say I’am a dreamer/ but I’m not the only one »), repris en choeur par toute la bande…

Fan Ting n’a aucun doute, on va la construire, cette cité nouvelle : ce sera «faire du passé table rase » (comme chantaient ses parents quand ils étaient jeunes), et recréer, selon le proverbe, son « jardin des pêchers hors du monde» (世外桃源, Shìwài táo yuán) – sauf qu’ elle, l’aura fait sur Terre !

 

 


Rendez-vous : A Toronto, Canada, les G8 et G20

27-28 juin, Toronto, Canada, Sommet du G8 et du G20

28 juin – 1er juillet, Jinan : Salon Vinitech

30 juin – 2 juillet, Canton : Hosfair, Salon des équipements et fournitures pour l’hôtellerie, alimentation

30 juin-2 juillet, Canton : Salon int’l vins et spiritueux