Le Vent de la Chine Numéro 22

du 13 au 26 juin 2010

Editorial : Chine-USA : crise et percée dans la brume

75 jours après, l’attentat nord-coréen contre la corvette Cheonan (26 /03), émet toujours des ondes de choc résiduelles. Pour n’avoir plus osé évacuer la base américaine d’Okinawa (VdlC n°21), il fait tomber le 1er ministre nippon Yukio Hatoyama. Il cause peut-être la disgrâce à Pyongyang (7/06) du 1er ministre Kim Yong-il et du n°2 de la Commission nationale de défense Jo Myong-rok (relayés par des hommes du sérail, Jan Song-thaek beau-frère du «cher leader» et Choe Yong-rim, 81 ans, compagnon de son père). Peut-être aussi l’incident grave à la frontière—on y reviendra.

Surtout, il réveille la vieille méfiance entre militaires américains et chinois – ceux-là refusant désormais tout dialogue. Les 5-6/06 à Singapour en marge du colloque stratégique IISS Shangri-La, Robert Gates Secrétaire à la Défense rencontrait Ma Xiaotian, vice Chef d’état-major de l’APL, qui venait de refuser de le recevoir à Pékin après ce sommet (VdlC n°21). Ma réitérait les raisons du désaveu d’une invitation vieille d’un an:

[1] les 6,4MM$ de vente d’armes à Taiwan en 2009,

[2] les missions américaines d’écoute aériennes et maritimes hors des eaux souveraines et ƒ l’embargo aux ventes à la Chine de haute technologie. Quoique vieux de 20 à 50 ans, ces griefs puissamment théâtralisés incitaient le général Ma à soupçonner les USA de voir en la Chine un « ennemi » !

Toutefois cette mise en scène-même fait envisager d’autres raisons à cette réticence à rencontrer l’US Army. Tel le souhait d’éviter tout échange sur la modernisation de l’APL, l’armée chinoise, ses intérêts matériels dans l’alliance avec la Corée du Nord, ou sur les limites de son désir d’en brider la course nucléaire.

Lors d’une récente conférence de presse sur la Corée, un porte-parole du ministère des affaires étrangères renvoyait un journaliste vers le Secrétariat international du Parti, où l’APL est puissante : c’était l’aveu implicite que la compétence sur la Corée du Nord échappe aux diplomates pour être exercée par le Parti et l’armée !

L’APL a d’autres raisons à ce «black out». La visite de Hu Jintao aux USA a été mal vue par les militaires, craignant qu’il ne brade l’intérêt «planétaire» de la nation,qui diverge suivant le lieu d’où l’on se place: pour l’APL, la percée de sa marine vers les océans Pacifique et Indien; pour le Conseil d’Etat, la coopération pour sortir de la crise ou décarboniser l’économie.

Au demeurant, la méfiance ombrageuse qui se renforce envers l’Amérique est aussi à l’oeuvre sur l’autre rive du Pacifique, au Parti républicain par ex., qui soupçonne Obama, envers Pékin, de cette même mollesse dont l’armée taxe Hu Jintao envers les USA.

Mais en refusant de dialoguer avec les USA, surtout sur la Corée, l’APL lâche un indice sur son rôle politique empiétant sur les compétences du Conseil d’Etat. Et elle exprime une sensibilité patriot» parfois exacerbée, par-fois teintée de ses intérêts de corps…

Sous ce vent contraire, la diplomatie chinoise avance «en crabe», en zigzag. Face à l’Iran, elle accueille sur son sol le Président Ahmadinejad au moment-même (9/06) où elle vote au Conseil de Sécurité les sanctions contre lui. Il la fustige en retour, l’informant qu’elle perd «son image respectable dans le monde islamique».

Face à la Corée, elle dénonce la tuerie de ses trois citoyens sur la rivière Yalu (4/06) : deux incidents inexplicables et rarissimes. Puis elle sauve la mise, suggérant que les Coréens auraient cru à un cas de contrebande, et Pyongyang s’excuse, promettant de châtier ses gardes-frontière.

Tout cela laisse l’image d’une Chine tendue, aux forces internes pas si unies, aux alliances conjoncturelles voire contradictoires, basées sur le pétrole, le verrouillage de la péninsule coréenne … considérations tactiques plus qu’idéologiques ou morales, condamnées avec le temps à tomber en obsolescence !

 

 


A la loupe : Hausser les salaires : acheter du temps – mais à quel prix?

De jour en jour, partout, c’est la course aux augmentations salariales, suite aux grèves dans les entreprises, et aux ordres de l’Etat dans les mairies, concernant les salaires minimum. +24 à 32% chez Honda, +10 à 20% dans 16 provinces (le plus haut: 1020 ¥ à Shanghai)…

C’est un tournant à 180°, après 20 ans passés (depuis Jiang Zemin) à favoriser le profit d’entreprise, au nom de la création d’emplois, de l’export et de la constitution de grandes fortunes, dont 98% issues du Parti.

Cette nouvelle donne était urgente : en 12 ans (1996-2007), la part salariale du PIB passait de 53% à 40% et celle des firmes, de 21 à 31%. L’Etat en attend la relance de la consommation et du marché intérieur, une incitation à escalader l’échelle de valeur, et à produire moins dangereux et moins gaspilleur.

Un risque est la délocalisation : Foxconn pourrait déménager au Vietnam ou tout autre pays sans salaire minimum, à moins de 100$/mois/salarié, contre 135 à Shanghai ou Tianjin. Mais le risque est faible : le surcoût reste compensé par l’efficacité des bases chinoises et leur tissu de services et de PME équipementières, la paix sociale—si la confiance patrons-employés est rétablie par ce New deal salarial. Et par le fait que le marché est ici.

Le fantôme qui traumatise le régime, est l’inflation. En 20 ans, Pékin s’est habitué à une économie déflationniste, où la production dépassait la consommation, forçant à exporter. Mais depuis trois ans suivant l’économiste A. Kroeber, la pompe s’est inversée. Crise mondiale ou pas, les Chinois consomment plus d’automobiles (10M cette année), d’acier (600Mt) qu’ils ne produisent. Une source d’inflation structurelle apparaît, faite pour rester.

Ce qui pose malgré tout un risque de taille. En 2010, les salaires montent de 10 à 20% en moyenne ; le foncier, de 60%; les légumes de 40%. Mais l’inflation n’atteint que «  3,1% » : le compte n’est pas bon. Plus que d’un maquillage administratif genre méthode Coué, les experts croient à une « inflation pas encore comptabilisée ». Ce qui pourrait amener l’explosion des prix durant l’été, pouvant d’ailleurs être couplée une explosion sociale de colère contre les riches, la corruption etc.

C’est compter sans les résultats conjoncturels encourageants de mai : les ventes immobilières (-25%), les fruits et légumes baissent, et export et import reprenant +48,5%. Tout ceci laisse entendre que le train chinois reste sur ses rails -et confirme que la potion salariale de l’Etat n’a pas d’alternative !

 

 


Argent : Le dérèglement du monde du travail

Le dernier recensement, en 2000, avait nécessité 6millions d’enquêteurs au porte-à-porte, puis des mois de travail pour « mettre les chiffres au point ». Le prochain, 6ème du nom, est pour novembre 2010. Le goulet d’étranglement de cette enquête, réside dans les populations flottantes sans existence légale. En 2000, elles étaient estimées à près de 100M. Aujourd’hui, ces êtres au noir (typiquement, les fils cadets) ne seraient plus que 20M, souvent mineurs et cette fois, l’Etat veut retrouver leurs traces. Pour encourager leur enregistrement courageux et véridique, il leur promet aujourd’hui par voie de presse, l’impunité (l’interdiction aux cadres de taxer leurs existences hors la loi), le droit d’accès à l’école gratuite et obligatoire, et la couverture médicale. Toutefois, cette politique centrale, au 10/06, n’est pas encore connue des niveaux de base…

Curieusement, Canton annonce un plan pour légaliser 1,8M de migrants, via un genre de permis à points. Or, ce «permis de conduite morale» prévoit la suppression des points en cas d’infraction au planning familial: la punition des parents pour leurs enfants au noir.

Preuve que l’Etat, sur l’attitude à tenir face aux populations flottantes, hésite encore entre les intégrer, ou les garder dans la semi clandestinité.

 

 


Pol : TAIWAN—vers la paix des braves ?

En septembre 2009 Chen Shui-bian, l’ex-président, chef de file du DPP (Parti démocratique progressiste) prenait la prison à vie, comme sa femme Wu Shu-chen pour fraude et bakchich de 12M². Détenu depuis 18 mois, il se dit victime d’une vengeance de son successeur Ma Ying-jeou (KMT, nationaliste) pour avoir trop rêvé à l’indépendance pour son île. Or voilà que démentant ce verdict, la Haute cour de Taipei l’absout (9/06) du vol de 273.000$ de fonds diplomatiques. D’autres charges sont allégées: la perpétuité est révisée à 20 ans de prison, voire la moitié avec les remises de peines. Une libération est aussi possible par la cour d’appel, ou une grâce présidentielle.

Selon le bord politique à qui l’on s’adresse dans l’île, quatre explications circulent sur ce verdict plus magnanime :

[1] la magistrature, pro-KMT, doit répondre aux accusations de procès trafiqué : elle préfère se déjuger, par souci d’équité et pour démontrer son indépendance envers le pouvoir politique.

[2] Des élections locales auront lieu en décembre : il est bon, pour le KMT, de rappeler dès maintenant aux électeurs que le principal parti d’opposition a sa figure de proue en prison pour fraude, dans l’exercice de son mandat élu.

[3] A 59 ans, Chen est un homme fini. Toute la classe politique a retenu la leçon des risques pris à confondre ses biens et ceux publics.

[4] Mais l’île est fatiguée d’une division «fratricide» : en réduisant la peine de l’adversaire déchu, Ma se donne la chance de faire accepter à l’automne le traité de libre échange en cours de finalisation avec Pékin !

 

 


Temps fort : Gaokao : signaux convergents d’un grand tournant

Comme chaque mois de juin en Chine, c’est le temps du Gaokao (高考, baccalauréat) avec ses rires, ses pleurs, son folklore. L’issue de 9 ans d’études, le sas vers l’université. Ils étaient 9,57M à franchir l’épreuve, ces 7-8 juin, entre 320.000 centres d’examen. Pour la famille, c’était l’heure de vérité : en Chine, sans université, point d’avenir.

Aussi les parents ont-ils loué une chambre d’hôtel pour leur poulain, l’abreuvent de produits renforceurs de mémoire, vont prier à l’église, au temple taoïste, leur offrent des séances de massage ou d’oxygène. Les mairies ont fait fermer les chantiers, les cafés internet. Rien n’a été négligé pour assurer des conditions d’épreuve optimales.

Faits de QCM en deux options (lettres, et sciences), les deux jours d’exam sont raisonnables et équitables. En rédaction, la session 2010 a offert des sujets rivalisant d’imagination : « pour le chat (blanc ou noir), pourquoi chasser la souris, quand on a les poissons ?», ou encore «une fois adultes, les oiselets donnent la becquée aux parents vieillissants : les enfants peuvent-ils eux aussi nourrir leurs parents de ce qu’ils ont appris »?

On voit aussi cette année ce « bac » progresser en un domaine inévitable comme le chiendent : la triche. Par milliers à travers le pays, furent saisis les gadgets offerts sur internet, fausses lunettes récepteurs, stylos-scanners, oreillettes… 64 imposteurs furent arrêtés. Même si 68% de ces jeunes sont assurés d’une place en fac, certains espèrent, en trichant, obtenir une meilleure université.

Signe des temps: les gardes«bao’an» recrutés pour protéger les candidats d’éventuels assassins, après 17 infanticides ces derniers mois. Quoique les jeunes aient moins à craindre d’autres, que d’eux-mêmes : croyant avoir échoué, trois d’entre eux s’ôtaient la vie dès le 1er soir.

Détail significatif : ces 10M de jeunes sont 650.000 de moins qu’en 2009, et c’est la 2de année en baisse. L’érosion des effectifs a trois raisons fortes :

[1] le recrutement s’amenuise lui aussi, à mesure du succès du planning familial. Les 132M d’élèves primaires de 1995 ne sont plus que 100M cette année. On note au passage que 90M n’arrivent pas au bac, sacrifiés au « marche ou crève » du système chinois.

[2] l’offre étrangère, dernière mode : l’émigration scolaire. Pour les parents aisés, c’est un « vote avec les pieds », vers une école plus libre, suivie d’études supérieures et pourquoi pas, d’un passeport. Ils sont 229.000 cette année, payant 20 à 50.000$ pour ce privilège (+27%) ; sans compter les écoles étrangères qui se glissent en Chine dans l’enseignement supérieur…

[3] compte aussi le chômage croissant, une fois diplômé. Officiellement 87% trouvent du travail (chiffre douteux), souvent sous-qualifié et sous-payé. Dans ces conditions, pourquoi s’astreindre à un tel parcours du combattant?

Tout ceci amène à une conclusion imparable: cette université chinoise paie un lourd prix pour avoir longtemps privilégié la quantité sur la qualité, et être restée écrasée sous le carcan administratif et du Parti. Une université percluse de plagiat, combines ou jobs au noir. Selon un sondage, 59% des néo-diplômés estiment qu’aucune université de Chine ne peut se mesurer au niveau mondial…

Sous la baguette du recteur Zhu Qingshi, à Shenzhen, une réforme nationale est dans les langes (cf VdlC n°11), pour rectifier ces tares. A condition que le régime ait le courage de briser son propre monopole du pouvoir…

 

 


Petit Peuple : Beigou—passeur de savoir, ou passeur d’eau ?

A Beigou, dans les monts du Changbai (Jilin), la rivière Yongdian sépare le village de son école, comme que le fait le fleuve Yalu de la Chine et de sa voisine Corée du Nord. Un obstacle redouté à juste titre, avec son lit de 500m de large, aux courants tourbillonnants et aux glaces traîtres lors de la débâcle.

Que les paysans aient placé tel risque mortel sur le chemin de leurs enfants, peut sembler absurde. Mais la population est dense, et la terre rare. Au-tour du village, l’exiguïté du terroir n’a laissé pour l’école que ce sol derrière la rivière- priorité à l’alimentation.

D’ailleurs pour cette même raison, les adultes triment en tous temps sur leurs lopins, pour leur arracher assez de grain et de légumes durant les cinq mois hors glace, et protéger jour après jour paillotes et pergolas le reste de l’année. Et pour passer la rivière, les petits doivent se débrouiller tous seuls… ou plutôt, ils devaient ! Wang Yong l’instituteur s’est découvert une seconde vocation : en plus de sa fonction diurne de passeur de savoir, il s’est aussi fait passeur d’écoliers le matin et le soir.

L’idée lui est venue à l’automne ’90, en voyant certains petits entrer dans sa classe trempés et grelottant, se serrant comme des chatons pour se tenir chaud. Pilotée par les plus vieux d’entre eux, leur barque avait chaviré sous une rafale de vent. Certes se dit-il, ces gamins nés dans l’eau nageaient comme des poissons, mais il réalisa que le miracle ne se répéterait pas toujours. Le soir après le cours, il s’installa à l’arrière du canot, prit la gaffe, fit passer les enfants. Puis il recommença le lendemain à l’aube. Ainsi de suite durant 12 ans, il transborda 6 à 20 élèves par jour -en plusieurs navettes. Ce n’est qu’en 2002 que le bureau de l’éducation, au prix de lourds sacrifices, put lui offrir un petit bac à moteur : désormais il pouvait passer tous les enfants d’un coup, réduisant le temps perdu en rotations, et une partie des risques.

Mais pas tous : en 2005, une fillette tomba après avoir trébuché sur l’amarre: il n’eut que le temps de plonger, sans même enlever sa veste, pour la sauver du courant. Souvent, de même, Wang doit aussi affronter la purée de pois matinale qui limite la vision à 3m. Avec l’expérience, il a trouvé la parade : suivre en aveugle la ligne téléphonique au dessus d’eux, pour éviter de se perdre en dérivant.

A l’été, la saison sèche s’allonge à mesure que gagne le dérèglement climatique : la rivière à l’étiage ne permet plus le canotage. Alors, Wang qui connaît tous les galets, guide sa petite troupe à gué.

A l’inverse en octobre, une fois la glace solide, il ouvre la marche, ne laissant à personne le soin de sonder la surfa-ce : il ne connaît que trop le risque. En 1995, il avait mal évalué l’épaisseur de la couche qui avait cassé, le précipitant dans cette masse visqueuse à zéro degré. Malgré ses efforts, il n’avait d’abord pas pu re-monter-le bord glacé rebrisait sous ses mains et ses coudes, à chaque essai toujours moins vivace. Ce n’est qu’après 30 minutes qu’il avait trouvé le bord assez épais pour soutenir son corps, et lui permettre de s’arracher au gouffre glacé. Durant ce temps, haletant, il ne cessait de crier aux mômes de rester à l’écart, ne pas venir à son secours. Puis il était rentré chez lui troquer ses vêtements et godillots raidis de glace, prendre un thé brûlant, arrosé au baijiu et garder le lit, pour trois jours…

On l’aura deviné, 20 ans de ces exploits ont épuisé le pe-tit professeur : rhumatismes, lumbagos, pied d’athlète et toux caverneuse ont pris leur rançon sur sa santé désormais chancelante.

C’est le seul conflit qu’il connaisse avec Shumei, sa femme exaspérée de le voir se priver et tuer à la tâche pour ses chers petits, allant jusqu’à rembourser la paire pour la sandale tombée à l’eau, ou bien élaborer des stratégies compliquées et perdantes pour financer une opération de scoliose, de réduction d’un bec de lièvre.

Se sentant décliner, Wang veut mettre leur fils dans ses chaussures, passer la gaffe: «pas question», hurle-t-elle, « un Lei Feng par famille (genre de Bouddha vivant, mais socialiste), çà suffit ! »

Ce à quoi Wang Yong lui fait cette réplique mille fois méditée et répétée, celle qui justifie et résume toute son existence: « en canot, face au courant, t’as pas le choix : si tu n’avances pas, tu recules» ( 逆水行舟,不进则退 shuǐ xing zhōu, bú jìn zé tuì).

 

 


Rendez-vous : A Shanghai, le Salon du véhicule vert

14-18 juin, Pékin : CIMES, Salon de la machine-outil

17-19 juin, Shanghai : GVE/AES, Salon du véhicule vert, équipements et produits de l’électronique automobile

21-23 juin, Shanghai : Auto components, Salon des accessoires et équipements pour garages et stations services

22-26 juin, Shanghai : CITME, machines textiles

23-25 juin, Pékin : Salons et conférences sur les énergies renouvelables, et de l’énergie éolienne