Le Vent de la Chine Numéro 20

du 30 mai au 5 juin 2010

Editorial : Sommet Chine—USA : l’affrontement courtois

Les 24-25/05, à Pékin, le second sommet stratégique et économique (S&E), le plus large jamais tenu entre Chine et USA (qui alignaient 200 cadres et experts menés par Hillary Clinton) avait un air de déjà vu… lors de la récente visite du Président français N. Sarkozy. Dans les deux cas il s’agissait d’enterrer un malaise soulevé par une rencontre avec le Dalai Lama (aggravée, chez Obama, par une livraison d’armes à Taiwan). Dans les deux cas, disparaît le dossier droits de l’homme, hier encore, l’occasion de leçons assénées au côté chinois. Dans les 2 cas enfin le contrat est rempli, en apparence : le vice 1er Wang Qishan conclut que «nous sommes désormais plus capables de gérer nos différences… de façon plus rationnelle et mature»…

En matière monétaire, le Président Hu Jintao promit des « pas nouveaux » vers la convertibilité du yuan. C’est la plus ancienne demande du Nouveau monde à la Chine, dont la «monnaie du peuple» sous-évaluée- certains disent jusqu’à 25%- contribue en 2009 au déficit commercial américain de 228MM$. Mais l’offre ne lui coûtait rien, puisque dénuée de contenu ou de dates.

De même, Pékin promit pour juillet une offre révisée devant l’OMC, d’ouverture de ses marchés publics d’une valeur de 82MM$. Il évoqua aussi une solution (floue) à la discrimination enclenchée contre les industriels étrangers, au nom de la protection de l’«innovation technologique autochtone ».

Tim Geithner, le grand argentier américain concéda que « la réévaluation du yuan était l’affaire de la seule Chine » : manière de couvrir Pékin pour toute concession future de sa part. En tout état de cause, aucune réévaluation du ¥ ne semble plus possible en 2010, la chute de l’² faisant craindre à la Chine le recul de ses marchés européens. On voit donc les positions figées: côté Congrès, l’épée de Damoclès d’une taxe fédérale sur les exports d’une Chine jugée «manipulatrice de sa monnaie», et côté chinois leurs 895MM$ de bons du trésor, fort malmenés durant la récession…

De même, sur des dossiers sensibles comme ceux de la Corée du Nord ou de l’Iran, on ne voit officiellement que la bonne volonté courtoise et nulle concession—même si sur le fond invisible, le terrain bouge (cf notre analyse, p2).

Le second sommet a vu la naissance de nouveaux partenariats en matière de sécurité nucléaire civile, de santé publique et de défense de l’environnement. Sur ce dernier sujet, à sept mois du sommet de Cancun au Mexique en quête d’une (introuvable) stratégie mondiale contre le réchauffement global, on aurait aimé sentir un rapprochement annonciateur d’un co-leadership mondial. Mais hélas, Pékin n’en démord pas d’une idée en soi logique: aucun effort international, aucune promesse contraignante n’est de mise côté chinois, tant que la vieille puissance industrielle américaine n’aura démontré sa propre prise de responsabilité en ratifiant sa loi climatique -sa propre promesse de coupe de ses émissions de CO2.

Ce qui n’empêche le pays, au demeurant, avec le dernier sérieux, de préparer l’étape de la décarbonisation de son économie : de source officielle, la Chine pourrait être prête dès 2014 à ouvrir sa bourse des crédits carbone et ses quotas industriels «semi-contraignants »… agir sans parler…

On relève enfin de ce sommet l’image d’une Chine plus audacieuse, négociant d’égale à égale, portée par une opinion cocardière, sous la hantise de ne pas être traitée au rang qu’elle estime lui convenir. Instinctivement, la puissance émergente semble vouloir reproduire le modèle « impérieux » de l’Amérique, laquelle n’en pense pas moins, et s’apprête à relever le gant.

Au moins, ces deux géants, durant ces deux jours, auront étalé tous leurs différends, avec à l’avance, l’accord amiable de tolérer leurs désaccords, et l’optimisme de les aplanir dans un futur point trop lointain.

 

 


A la loupe : VINEXPO—Mutation de la treille dans l’empire du ciel

Vinexpo-Asia-Pacific 2010 vient d’achever sa 6ième édition à Hong Kong (25-27/05), confirmant son rôle majeur sur ce marché de l’ébriété asiatique, comme salon de référence. Par rapport à l’édition de 2008, il a réuni 12000 caves, acheteurs et marchands de vin soit 40% de mieux, et organisé une dégustation, ou un séminaire, ou une « master class » par heure, parmi les 880 exposants venus de 32 pays, dont (pour n’en citer qu’un), la cave californienne Francis Ford Coppola.

Avec une demande en hausse quatre fois plus vive qu’ailleurs, l’Asie Pacifique est la terre promise des vins et spiritueux dont elle absorbe désormais (dit Vinexpo) 50,6%. Venant en 2009 de dépasser les USA comme 1er importateur de Bordeaux (20M bouteilles), la Chine consommera cette année une bouteille par couple (700M), et une par habitant dès 2013. Elle choisit ses vins selon sa culture: 88% en vin rouge (symbole de mariage, vie et joie, par opposition au blanc, couleur traditionnelle du décès).

Avec 1million de tonnes produites annuellement, la Chine est loin de combler ses besoins. Les invests vont bon train chez des groupes tels Changyu, Grace ou DragonSeal – malheureusement parfois freinés par une gestion étati-que et un déficit en savoir-faire et en qualité. Le vin importé reste très minoritaire, mais progresse à +65% par an, voué à atteindre 17M de caisses sous trois ans.

Mais ici aussi, les leçons s’apprennent vite : à Vinexpo comme au SIAL de Shanghai un peu plus tôt, les acheteurs goûtent d’abord (et savent donc le faire), avant de s’enquérir des prix. Très conscients de leur rôle de leaders mondiaux des ventes, ces professionnels travaillent pour les restaurants, supermarchés, chaînes de vin fin et de plus en plus pour des fonds de spéculateurs qui tapent dans la récolte de Bordeaux 2009, année exceptionnelle : une quinzaine de 1ers crus les intéressent (Latour, Margaux, Haut Brion etc) à l’exclusion de tout le reste.

Côté Chine, on constate l’effort de groupes comme Dynasty (Tianjin), JV à 27% de Remy-Cointreau pour augmenter volume et qualité, de 70.000 à 100.000t d’ici 2013, mais aussi pour reprendre des vignobles mondiaux (Australie, Nouvelle Zélande, Chili, France) et en exporter la production : Dynasty annonce une cagnotte d’1MM¥ de réserves pour ce genre d’emplettes.

Une découverte de l’année aura été Silver Heights, bien de deux hectares dans le Ningxia, de la jeune maître de chais Emma Gao Yuan, épouse d’un viticulteur français (Thierry Courtade, Château Calon Ségur). Cette diplômée de l’institut d’oenologie de Bordeaux assure avec ses parents une minuscule production (6000 bouteilles), acclamée par tous les taste-vins du Rocher. Reste bien sûr aussi à attendre la sortie du DBR Château Lafite, médité depuis des années par l’oenologue Gérard Colin, sur la presque-île de Penglai -Shandong : autre étape d’avenir, d’une histoire du vin chinois encore dans les langes.

 

 


Joint-venture : Usines Honda—une coûteuse imprévoyance

Au 30/05, les quatre usines Honda sont fermées suite à la grève à Foshan (Guangdong), qui produit les transmissions des Accord, Odyssey et Fit. Ce site est la «jugulaire» de Honda-Chine, la plus chère et automatisée, où 1400 hommes prennent en ôtage des dizaines de milliers d’autre en aval. Curieusement, les «Honda» de Foshan semblent moins payés (1000 à 1500¥ contre 2500¥ sur les trois autres sites) : sous réserve d’inventaire, une erreur qui a peut-être permis au syndicat unique de porter cette offensive, juste après son annonce (25/05) d’une hausse de production de 28% à 830.000 voitures d’ici fin 2012.

Global Times croit savoir que le groupe aurait réagi en offrant une hausse (355-477¥), mais moyennant l’engagement écrit de ne plus débrayer, assorti de cinq minutes pour signer, sous peine de renvoi. Or, l’ultimatum a échoué : 1400 ont refusé, forçant ainsi la fermeture des trois usines en aval. Face à l’épreuve de force, l’administration a joué prudemment, tolérant la grève mais confirmant que Honda était dans son droit avec sa grille de salaires à Foshan.

NB : la vague de 10 suicides chez le taiwanais Foxconn, à Shenzhen à 160km, renforce sans doute la détermination des « Honda »: son PDG Terry Gou, espérant enrayer la crise, vient de promettre une hausse salariale de 20%…

 

 


A la loupe : Expropriations -vers un new deal ?

Un matin de 2009, une Pékinoise, ayant fait bâtir au noir un restaurant de montagne, eut la surprise de voir surgir un bulldozer, qui démolit son bien : la ville l’avait repéré par satellite, comme sans licence. Malheureusement limité par la capacité du satellite, ce type de frappe ne cache pas l’incroyable contradiction que vit (sous l’angle de l’immobilier) le régime, victime de son principe constitutionnel de la propriété publique du sol.

Se fondant sur cet outil juridique, les mairies financent notoirement, jusqu’à 60% de leurs budgets sur la vente du droit d’usage du terrain. Lequel expire après 25 voire maximum 70 ans. On exproprie donc à tour de bras. Très basse, la compensation revient au prix payé 20 ans plus tôt par le malheureux «propriétaire». Très haut (jusqu’à 100 fois l’invest), le prix de revente, est fixé en collusion par le rond de cuir, le financier et le promoteur. Gargantuesque, l’appétit du marché est nourri par l’exode rural.

Pour 70 métropoles en 2009, notre confrère du New York Times relève que ces expulsions-ventes à l’esprit peu socialiste, totalisaient 158MM$. Plus grave : à présent que l’export s’essouffle et que les autres espaces de création de valeur (bourse, industrie) marchent de moins en moins, il ne reste à ces administrations que l’immobilier pour se financer—sans regard ni pour les besoins du client ni pour ceux du spolié. Ce qui se traduit par une courbe exponentielle de ces adjudications qui, dans les 70 villes citées, augmentaient de 140% en 2009.

Tout ceci annonce pour la Chine une nouvelle crise, de limite systémique et développement non-durable. Pas un mois ne se passe dans le pays sans un nouveau cas de « maison-clou », dont le propriétaire se défend contre les milices mafieuses des développeurs. Dernier cas, dans le Hebei à Guangping : 330.000m² ont été démolis du 18 au 28/03, leurs 1000 familles étant en partie contraintes à dormir sous la tente à côté des décombres. Les plus chanceux ont reçu 300-570¥/m², les moins, rien du tout. La mairie promet à tous jusqu’à 900¥ (plus 2000¥ de prime) – le relogement le plus modeste coûte 1500¥.

Or, typiquement cette mairie (surtout de province ou de banlieue, zones de moindre droit) ressent le besoin de faire vite : les décrets protégeant les occupants arrivent. Pas encore voté, au stade du projet, le dernier règlement exige consultation des propriétaires, voire leur vote aux 2/3 de l’accord obtenu, le respect d’un prix du marché et le blocage de la démolition durant les palabres. Aussi autour de Pékin, des villages comme Laogucheng multiplient les équipes de démolisseurs et de nervis, face aux 600 propriétaires espérant que leurs masures tiennent debout jusqu’à la sortie du texte.

Suite à un suicide d’expulsé, Pékin a nommé une com-mission dirigée par un vice-maire, qui a lancé un pro-gramme-test sur 2 villages (Dawangjing et Beiwu), pour un meilleur partage de la galette. Deux villages et non pas trois, sur les centaines promis au marteau piqueur d’ici 2011… Comme quoi ici comme ailleurs, les meules du progrès social s’entrechoquent avec celles de la corruption !

 

 


Pol : Mundial sud-africain – les triades, aussi…

A 15 jours du début de la coupe du monde de Football, la Chine, qui n’est pas qualifiée, va de l’avant en nettoyant les écuries d’Augias de sa corruption sur gazon : la pratique du trucage des résultats des matches de ligue et sa raison d’être financière, les paris clandestins.

Arrêté fin février, l’ex-n°2 de la China Football Association, Nan Yong (47 ans) est livré à la justice, l’instruction bouclée. Le procès serait imminent, à Shenyang. Suivant qu’il sera jugé comme directeur du football à l’Administration Générale des Sports (donc fonctionnaire), ou comme patron de l’Association Nationale du Football (privé), il risque la mort ou 10 ans de prison. La même peine capitale est encourue par Li Jun, ex-arbitre international, qu’on disait «sifflet d’or» pour sa supposée probité, aujourd’hui en attente de son procès.

En même temps, depuis janvier, 369 membres de 24 réseaux de paris en ligne ont été arrêtés, et 360M² (si-si!) confisqués. L’enjeu n’est pas que moral : les loteries légitimes récupèrent 10 fois moins de petits sous des joueurs que les clandestines. Surtout à la veille de la fête mondiale du ballon rond où les Chinois s’efforcent désespérément de «jouer» par procuration devant leur écran, faute de pouvoir se produire sur le gazon. Or dès 2006, « Global Betting », de Londres, estimait ce marché du pari sur le football à 33MM$ – le chiffre avait triplé sur 2 ans plus tôt…

 

 


Temps fort : Trilatérale : la guerre de Corée n’aura pas lieu (?)

Ce n’est pas un mince paradoxe que ceci : la menace d’une guerre «chaude» en péninsule coréenne, pourrait contribuer à dissiper les vieilles brumes de guerre froide en Asie du Sud-Est. Le risque de conflit surgit suite au torpillage de la corvette Cheonan (26/03).

Après deux mois d’une enquête forçant le respect par son sérieux, Séoul a renfloué l’épave, les restes de la torpille et attribue l’attentat à Pyongyang, qui nie tout. La Chine elle, temporise. Séoul a appliqué ses premières sanctions : messages par haut-parleurs à la frontière, exercices navals anti sous-marins (26/05), blocage de toute aide et coopération, mise des troupes en alerte et avertissement que toute provocation aura sa réponse par les armes.

En 2010 comme depuis « toujours », Japon, Chine et Corée du Sud reproduisent des vieux préjugés de mé-fiance, héritage des fautes de leurs pères. Entre chacun d’eux et tout pays sur Terre, toutes coopérations avancent 10 fois plus vite qu’entre ces voisins—avec la Corée du Nord en leur milieu, comme si celle-ci tenait rôle d‘épicentre de haine. Jusqu’alors, au nom de leurs intérêts nationaux, ces pays se concédaient des alliances commerciales «minimales», mais sans rien vouloir oublier du lourd passé. Or la nouveauté absolue tient au fait qu’après l’attentat, ils semblent découvrir que l’inaction n’est plus une option : l’immobilisme risquant de coûter beaucoup plus cher qu’une gestion active de la crise.

Du coup, les rendez-vous se sont multipliés. A Gyeongju (Corée/Sud) les 15-16, se rassemblaient les ministres des affaires étrangères Yang Jiechi, Katsuya Okada et Yu Myung Hwan. Séance orageuse (cf VdlC n°19) mais où au moins l’on se parlait. Le 20/05 à Séoul, voyait les palabres des collègues du commerce Chen Deming, M. Naoshima et Kim Jong-hoon pour désembourber l’étude préliminaire pour un accord de libre échange tripartite : lancée en 2002, elle doit aboutir en 2012.

Les 29-30/05, sur l’île balnéaire de Jeju, c’étaient aux premiers ministres Yukio Hatoyama et Wen Jiabao, et au président Lee Myung-Bak de se voir. Wen devait poursuivre ces lundi et mardi par une visite d’Etat à Tokyo. Sujet central de tout cela: le traitement à réserver au pays du « Cher Leader ».

Pour la Chine, le choix est douloureux, et son silence lui coûte. Il deviendra intenable, dès que Séoul déposera une plainte au Conseil de Sécurité. Dès le 28/05 à Jeju, face au Prsdt Lee, Wen allait aussi loin que possible, présentant ses condoléances, prenant « note sérieuse» des résultats de l’enquête int’le, et surtout s’engageant à «ne pas protéger quiconque a coulé ce bateau en mars». L’enjeu est clair: la Corée/Sud d’abord, qui s’apprête à échanger 200MM$ avec la Chine d’ici 2012, ne le fera que si celle ci démontre ici sa capacité de partenaire.

Aussi, les diplomates américains, après le S&E, croyaient (anonymement) Pékin prête à lâcher Pyongyang. Et dès le 26/05, Wu Dawei, «Mr Corée» au gouvernement chinois, aurait informé Séoul d’un avertissement de son pays à celui du matin calme, de s’abstenir de toute provocation de plus, une fois enclanchées les sanctions du Sud…

Ces petits gestes tentent de prévenir une escalade annoncée. La question de fond étant, comme dans le drame de J.Giraudoux au titre prémonitoire, «la guerre de Troie n’aura pas lieu» (1935): ces efforts de bonne volonté suffiront-ils ? Notre instinct est de répondre par la positive, avec des conséquences fortes et positives sur la construction asiatique et son rôle dans le monde dans les décennies à venir. Sous réserve d’inventaire…

 

 


Petit Peuple : Dingdun : l’achèvement de l’homme, en trois étapes

Paysan à Dingdun (Guangxi, près du Vietnam), Liang Shusheng fit en 1989 la découverte qui allait transformer sa vie en trois fulgurantes étapes.

C’était dans une vallée sauvage, sous la falaise au bout de son lopin. Une infractuosité où il se glissa par pure curiosité le fit accéder à une grotte apparemment immense, vu l’écho. Armé d’une torche la fois d’après, il devina des couloirs, des salles, des vertigineux massifs de piliers et colonnes aux voilures délicates, aux charmantes concrétions irisées : trésor de millions d’années de travail de l’eau, à l’abri jusqu’alors de l’action humaine… Tant de beauté fit ressurgir en lui l’expression célèbre de «l’univers magique caché dans la caverne» (别有洞天 Bié yǒu dòng tiā>n).

Gardant tête froide, en bon fermier matois, Liang chercha le profit à tirer de sa grotte. Il le trouva vite. Tout bien considérées, stalactites, stalagmites n’étaient que du calcaire: calcinées, elles donneraient un gypse aussi bon qu’un autre. Il en avait pour des milliers de tonnes, en attente de se faire briser à la masse et enfourner. De quoi bâtir des tas de maisons. A l’aide de ses trois fils, il aplanit le chemin pour qu’y passe sa carriole chargée de pics, pioches, briques réfractaires. Il monta le four dans la 1ère salle : la 1ère étape était lancée, celle de la prédation.

Eût-il atteint le succès commercial, qu’il aurait fait venir du personnel, de la dynamite afin de dévorer toute la montagne par ses entrailles. Mais les Dieux en décidèrent autrement: son méchant plâtre n’étant pas au goût du jour, il finit en 1996 par déposer son bilan. Curieusement, il le fit sans amertume. Sept années vécues dans sa grotte, loin des siens (sous prétexte de protéger son outil de production) avaient déteint sur lui : il ne pouvait plus se sentir bien autre part. Dernièrement, un autre feeling bizarre avait commencé à l’envahir : quelque chose comme du remords, à détruire par le fer et le feu son lieu de vie qui était comme le ventre d’une mère, au silence majestueux, à la chaleur douce et étale. Les puits qu’il y avait forés fournissaient sans mégoter une source inépuisable de l’eau la plus pure du canton. Quand frappait la sécheresse toujours plus fréquente, on venait de loin, puiser son eau par citernes entières, qu’il facturait au seul prix du carburant de sa pompe…

Il ne s’en rendait pas bien compte, mais la grotte était en train de se rendre maîtresse de ses sens, de ses valeurs, de sa vision du monde. Aussi l’abandon du four, de la masse et du massacre, lui convenaient plutôt. Grillant à petit feu l’épargne d’une vie, il se mit à aménager sa caverne, panser ses plaies à vif, la décorer comme un palace. Ce fut la 2de étape, de l’art et du développement durable.

Il aménagea une cuisine digne de ce nom (avec garde-manger, 4 feux, évacuation extérieure, eau courante), 4 chambres, un living en loft, grand comme une galerie des glaces qui donnait (pour la sieste en hamac) sur une terrasse plantée d’essences tropicales-kapokiers, cactus, narcisses. Les concrétions sauvées de l’hécatombe, il les peignit, sculpta et éclaira par spots indirects. Il les nomma à sa guise, Bouddha qui médite, Eléphant qui boit, Grue qui vole… Pour la 1ère fois de sa vie, Liang découvrait que l’art était à tout le monde -même à lui, s’il l’osait. Aujourd’hui, ses économies touchent à leur fin, c’est son seul (léger) souci. Non par peur d’assumer les minces frais de sa vie. Ses fils sont là pour çà, reconnaissants qu’il leur ait légué sa maison, fiers de lui et de ses talents, qui lui portent tous les jours ses légumes, sa viande, sa bière parfois. Mais ayant franchi le cap des 80 ans, notre grison se demande s’il aura le temps de mener à bien les aménagements enthousiasmants qu’il envisage encore…

Au fond, Liang Shusheng vit un bonheur sans ride, comblé, prêt au moment où la mort viendra le prendre. Car en surprenant le regard émerveillé de ses visiteurs, il a découvert que seul parmi tous, il vit comme il l’entend, sans concession au qu’en-dira-t-on: c’est sa 3ème étape, celle du courage de la différence.

Le voilà donc marié avec sa grotte, qui l’a apprivoisé après avoir étanché ses trois soifs successives : celle matérielle, celle philosophique, et enfin la plus rare, celle existentielle, en lui faisant franchir la porte que peu connaissent en ce pays : celle de l’excentricité !

 

 


Rendez-vous : A Shanghai, le Salon des biotechnologies et de l’industrie pharmaceutique

1-3 juin, Shanghai PCIM China, Salon de l’électronique

1-4 juin, Pékin : Achemasia, Salon-Congrès du génie chimique et de la biotechnologie

2-4 juin, Shanghai : Aquatech, Traitement de l’eau potable

2-6 juin, Shanghai: Biotech & Pharma China, Salon des biotechnologies et de l’industrie pharmaceutique

3-5 juin, Pékin : China Eco Expo, développement durable

4-7 juin, Pékin : China Glass, Salon industriel du verre