Le Vent de la Chine Numéro 25

du 20 au 26 juillet 2008

Editorial : Doha -l’embellie, JO -le marasme

Les hauts faits de la semaine sont sans conteste la séance finale (21/07, Genève) de la ronde de Doha, accord commercial planétaire négocié depuis 2001, et la perte apparente du régime des espoirs qu’il plaçait en ses JO.

[1] Concernant Doha, le meeting de 35 cadres représentant 95% du commerce aurait dû s’ouvrir sans illusions, vu l’infructuosité des échanges des années précédentes. Le Nord veut sa part des marchés industriels des pays émergents. Le Sud revendique la levée des barrières agricoles d’Europe et d’Amérique. Pourtant à la veille de l’ouverture, un optimisme prudent prévaut : Pascal Lamy, Secrétaire Gal de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) voit «plus de 50% de chances d’accord». Discrètes mais efficaces, ses missions dans le monde ont rapproché les positions. 50MM$ de taxes/an disparaîtront, dont 2/3 entre UE/US, 1/3 entre émergents tels Inde ou Chine. L’Europe démantèle ses aides vertes de 54%. Le «paquet» de concessions réciproques est mûr. En outre, le monde s’inquiète d’une crise financière historique -on parle d’une sortie de crise fin 2009, après 2000 MM$ de pertes. Il ne peut plus faire la fine bouche sur son ultime chance de relance: de plus en plus, les frontières commerciales apparaissent comme un luxe que les nations ne peuvent plus se permettre.

[2] Concernant les JO, une ambiance tragi-comique se diffuse, escamotant la gaieté sans frontières que tous attendaient, par la discipline et les interdictions. Pour des raisons inintelligibles, les espoirs de Pékin semblent fanés. La mairie ne parle plus des «meilleurs Jeux de l’histoire olympique», mais de «JO de haute qualité, aux couleurs de la Chine» : le recul est frappant.

La rue a un regard plus cru. Alors que le Bocog (Comité d’organisation des Jeux Olympiques à Pékin) a créé pour ces Jeux cinq mascottes, elle s’est amusée à les coupler avec les calamités de l’année : Beibei le poisson avec le blizzard de février au Sud, Jingjing le panda avec le séisme du Sichuan, Huanhuan la flamme avec son relais mondial (l’opinion commence à réaliser le désastre qu’il infligea à l’image du pays), Yingying l’antilope tibétaine avec l’émeute de Lhassa, Nini l’oiseau avec l’inflation. Pour le Chinois, l’allégorie traduit la perte du mandat du ciel, ce qui explique les mesures urgentes, autoritaires, souvent vexatoires, parfois contradictoires. Ainsi, en plus des 100.000 agents antiémeutes et des 400.000 volontaires, des milliers de policiers locaux montent à Pékin pour aider à débusquer les pétitionnaires. A Kashgar (Xinjiang), deux Ouighours ont été exécutés pour terrorisme – 12 groupuscules démantelés. Pékin rémunère la délation (jusqu’à 73.000$) de terroristes embusqués. Mais il appelle aussi les 2300 cantons et leurs secrétaires du Parti à « écouter la population » et « régler les conflits dans l’harmonie»… avant les Jeux ! Autour de Pékin, trois «lignes de défense» et des centaines de postes filtrent toutes les routes, transformant la ville en camp retranché…

Certaines de ces mesures, seraient des excès de zèle de cadres intermédiaires déterminés à tout verrouiller, pour s’affranchir de toute critique, au cas où le pire devait arriver. Mais quel pire, alors que rien, sous l’angle olympique, n’est arrivé, sauf dans les têtes? La Chine paie au prix fort son absence de liberté de presse, qui empêche le pays de sortir du cauchemar où il s’est seul plongé. Car cette peur cristallise moins une menace sur les Jeux, que l’exaspération face aux problèmes sociaux et environnementaux auxquels on n’a pas de réponse…


Temps fort : Conjoncture—l’alerte rouge !

« Tant crie-t-on ‘Noël’ qu’il vient », chantait François Villon: à force d’attendre le refroidissement, il arrive, mais pas comme on croyait : par l’explosion des fonds gris étrangers («hot money») attirés par les 6,7% de hausse du ¥ face au $ depuis janvier. En hausse de +36%, les réserves en devises font 1800 MM$. La réévaluation a été l’oeuvre de la BPdC (Banque Populaire de Chine), afin d’enrayer l’inflation. Mais le Mofcom, Ministère du Commerce met le holà, soucieux des difficultés d’exports frappés par la hausse du ¥ et des prix industriels (+8,5% en juin, plus que l’inflation à 7,1%).

L’export a donc chuté. A 99MM$, le surplus commercial du semestre perd 12% éreinté par les prix du pétrole et du minerai de fer (+77% chacun). Et pas par hasard, leurs détenteurs augmentent leurs importations chinoises: Inde +53%, Brésil +86%, tandis que les US coupent leurs achats de 9% et l’UE de 3,2%. L’export chinois reste positif de 7%, contre plus de 20% l’an passé : c’est l’alerte rouge !

Autre alerte, du côté de l’alimentaire. Pour faire face à la menace de pénurie, en mars, la Chine a dû libérer entièrement les importations. Résultat, elles ont bondi de 59%, entraînant un déficit de 7,6MM$.

Conséquence de la déprime : laminée de 56% depuis octobre, la bourse attend le miracle et les financiers cherchent d’autres placements. L’ICBC en est à offrir des placements en vins de collection. Pour la 1ère fois, l’immobilier neuf dépasse la demande avec 5Mm² neufs pour 3,5Mm² vendus : -41% de ventes dans dix métropoles. Et les tutelles se disputent : la CBRC (banques) avertit la BPdC (monnaie) de ne plus rehausser le taux des réserves bancaires obligatoires, aujourd’hui à 17,5% : les banques ne pourraient plus payer leurs dettes !

Dernier regard sur ce ciel qui se couvre : l’énergie vint à manquer. Rejoignant les douze provinces déjà en proie aux baisses de tension, Hunan et Guizhou coupent la distribution urbaine de 20%, et après l’aluminium la semaine passée, c’est au zinc de réduire la production de 10%, pour ranimer un prix déprimé, et laisser la priorité de l’électricité aux fermiers. Aussi la croissance a perdu 1,5% en six mois, à 10,4%. D’ici décembre, elle pourrait atteindre 10%, l’inflation 7% et la balance commerciale devenir neutre, pour la 1ère fois depuis des années.

Pour l’instant sans réponses, deux questions conditionnent l’avenir : dans la crise sans précédent qui s’instaure, l’économie chinoise qui perd une part de son export, garde-t-elle les moyens de son propre contrôle? Les clients émergents compenseront-ils les pertes sur ses marchés matures? Détail inquiétant, l’Etat, capitaine dans la crise, est en conflit interne entre ses lobbies, Mofcom et CBRC contre BPdC. En cherchant à protéger ses parts de marché, Pékin retarde d’autant la remise à jour urgente de son économie dans un sens soutenable, tournée vers l’intérieur et protectrice de l’environnement.


Pol : Sarkozy, entre l’enclume et le marteau

Sarkozy, entre l’enclume et le marteau

Selon le sondage IFOP pour Paris Match du 15/07, 78% des Français veulent voir N.Sarkozy recevoir le Dalai Lama en août en France. Plus encore, depuis que la Chine a prétendu le lui interdire, sous peine de «sérieuses conséquences». Quoiqu’indiscrète, la démarche n’est pas spécialement dirigée contre Paris – chaque projet de rencontre avec le Dalai, voit une tentative chinoise d’y faire échec, pour isoler le chef politique du Tibet en exil. Sarkozy, il faut le dire, a pris un risque inutile, en envisageant publiquement une rencontre avec le Dalai. En plébiscitant celle-ci, la rue française exprime aussi son dépit de voir Sarkozy assister aux JO. Mais en face, la rue chinoise est aussi déçue que l’hôte de marque français ait osé envisager de refuser l’invitation. Plus profondément, elle se croit « lâchée » par la France, sur les questions du Tibet et des Droits de l’Homme aux JO : résultat de 15 ans de malentendu, entretenu par tous les leaders de l’Ouest, ayant suggéré à la Chine qu’ils acceptaient ses vues sur le monde. La blessure est exacerbée par la relation particulière avec la France : du « pays de la loi » (=Faguo, 法国), on attend davantage que de tout autre… Ainsi, tous les ingrédients semblent rassemblés pour que la relation, à nouveau, s’envenime – chaque bord se retrouvant prisonnier de son rôle.

● USA, ventes d’armes à Taiwan, la valse hésitation

Réaction thermique : quand les relations entre Taiwan et Chine se réchauffent, les Etats-Unis gèlent leur projet à 11MM$ de ventes d’armes à Taiwan. Depuis dix ans, les deux bords discutent de ce transfert de 3 sous-marins, 12 avions P-3C anti-sous-marins, des centaines de missiles (Cruise, Patriot, Harpoon), des hélicpotères Apache, 66 chasseurs bombardiers F-16 C/D. Gw.Bush a décidé ce gel, dès décembre, au nom de trois raisons: [1] ce «contrat du siècle» (dernier) a été bloqué par l’opposition du KMT, laquelle a pris le pouvoir en décembre. Alors son nouveau Président Ma Ying-jeou réclamait un « report ». [2] Déconsidéré, en fin de mandat, Bush n’est plus demandeur de nouvelles grandes décisions. [3] Elle-même en difficulté financière, l’Amérique n’a nul besoin d’une crise relationnelle avec Pékin. On assiste donc à un jeu complexe. Sous la pression de Pékin, Washington et Taipei ne peuvent plus avancer, ni reculer. Sur le fond pourtant, la pertinence de cette coopération leur apparaît toujours plus claire, alors que la Chine renforce ou renouvelle ses batteries de missiles vers Taipei. Ma lui-même, vient de réitérer la demande de livraison. Au moins, la lassitude américaine face à la procrastination taïwanaise, aura eu pour effet d’imposer à l’île un examen de conscience : nul ne peut être défendu, contre son gré.

● Harcèlement sexuel : le 1er coup de gong

Le soir du 11/ 03 à Chengdu (Sichuan), Chen Dan, fraîchement diplômée et engagée la veille, fut convoquée au bureau du chef du personnel. Liu Lun, ce dernier lui déclara tout de go qu’il la voulait pour girlfriend et à son refus, éteignit la lumière, passa à l’acte, lui agrippa le cou. Mais depuis décembre 2005 existait une loi du harcèlement sexuel. Selon la presse, un collègue resté en heures supplémentaires, alerté par les cris, aurait appelé la police. 60 jours plus tard, avec une célérité suspecte, un juge local déclara Liu coupable d’avoir «recouru à la force pour agir indécemment vis-à-vis d’une femme». Son avocat qui prétendait que Chen l’avait aguiché, n’a pas été suivi. Privilège évitable, ce butor de 29 ans entre dans l’histoire comme le 1er Chinois condamné pour harcèlement sexuel. Incidemment, il entre aussi en cellule pour cinq mois. C’est un coup de gong, qui vibrera. En Chine, seules 21% des femmes déclarent n’avoir jamais souffert du harcèlement. Selon la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales), 20% des employées en firmes d’Etat déclarent avoir été agressées- le double en entreprises privées ou étrangères. Ce verdict peut donc apprendre aux indélicats le risque pénal induit par leur pulsion. Trop de femmes il est vrai, gardent le silence, de peur de perdre leur emploi. Enfin, la proximité du verdict avec l’ouverture des Jeux, n’est peut être pas un hasard: elle redore le blason du régime, et prouve sa capacité à améliorer concrètement les droits… de la femme, « moitié du ciel » !


Argent : La foire d’empoigne de la TV sur téléphone portable

Après des années d’efforts pour ouvrir un réseau de TV sur téléphone portable à temps pour les JO, la Chine doit déclarer forfait. Non faute de standard, mais à cause d’en avoir deux. Dérivé du système coréen DMB, le T-MMB est l’enfant de MCCTV soutenu par le MIIT, le tout puissant ministère de la cybernétique qui l’a fait «recommander» comme standard national par le Bureau de la standardisation. Or, en face, la SARFT, le Goliath de l’audiovisuel pousse son propre bébé, le CMMB. Sûre de sa force, elle n’a pas même participé au concours du standard national. Par contre, elle a offert 1000 portables aux officiels du BOCOG, (l’organisateur des Jeux), et a investi 20M² pour qu’ils puissent marcher à travers 37 villes, d’ici fin juillet. Quoique le MIIT puisse refuser la licence d’émission. Pour tout simplifier, 140.000 privilégiés pékinois testent aussi le système nippon DBM, et dans le camp du MIIT, MCCTV a commencé la construction d’une tour de transmission en T-MMB à Pékin… Faute de la moindre chance de voir les deux titans s’entendre, il reste deux options à l’avenir : laisser le Conseil d’Etat arbitrer, ou bien qu’un des deux accède le 1er à la diffusion directe par satellite, mettant ainsi l’adversaire KO. La SARFT semble mieux armée…On y reviendra.


A la loupe : « Touche pas à mon panda !»

Le 20/06, le film d’animation Kungfu Panda démarrait en Chine sous les pires auspices : [1] un mois après le séisme du Sichuan, la Chine en deuil ne devait pas sourire -pas sur les pandas. [2] Le long-métrage était signé Spielberg (studios Dreamworks), qui venait de lâcher les JO, accusant Pékin de complaisance vis-à-vis du Soudan et sa guerre civile au Darfour. [3] Au fond, c’était un film de culture chinoise, domaine que le pays croit strictement inaccessible aux étrangers, plus encore aux «marchands de soupe» de Hollywood. [4] Zhao Bandi, «Mr Panda» à Pékin (écrivain, inventeur d une mascotte en peluche) appelait au boycott du film et ameutait la SARFT (censure du 7ème art chinois), exigeant la protection du monopole sur la plus nationale des bêtes de Chine. Il accusait Mark Osborne, le réalisateur, de profiter d’un moment de faiblesse pour faire tourner la tête au chinois, «voler son or»…Hélas pour Mr Zhao, un contrat est un contrat : la Sarft (State Administration of Radio, Film and Television) ayant signé pour 20 films US/an projetés en Chine, ne pouvait se dédire. Tout ce qu’elle pu faire, fut de retarder de 15 jours la projection au Sichuan !

Contre toute attente, la réaction du public au box office déjoua tous les pronostics. Même à Chengdu capitale du Sichuan (les 2 semaines de deuil une fois révolues), Kungfu Panda battit le record national de fréquentation. Car ce panda ventru, pataud (l’alter ego en fait du porc Zhu Bajie dans le voyage à l’Ouest) est l’allégorie du chinois de la rue, brave, pauvre, plein de travers mais aussi, de rêves de courage. Po (le panda) dirige son échoppe de nouilles, gagnée 50 ans en arrière par un ancêtre au terme d’une mémorable nuit de mah-jong. Et il rêve de devenir maître de kungfu, pour battre Tailung, le méchant léopard des neiges. Pour ce faire, il lui faudra subir une initiation sous les griffes des « 5 furieux » animaux mythiques qui lui dispensent l’enseignement des moines de Shaolin.

On l’a compris, sous prétexte de «cape et d’épée» façon asiatique, c’est avant tout un film initiatique, où légendes et proverbes chinois défilent. Par respect pour leur sujet, les auteurs se sont privés le plus souvent du comique facile et des bons mots gratuits.

Or, au moment du bilan, divine surprise ! Pour la 1ère fois, la Chine se reconnaît dans ce film étranger, et le dit. L’oeuvre suscite même un débat national, au CPPCC (Chinese People’s Political Consultative Conference) où le directeur de l’Opéra de Pékin demande pourquoi, sur leur propre terrain, les Chinois ne sont pas capables d’en faire autant. Cette instance de l’Etat conclut en recommandant au régime… d’alléger la censure !

Pour autant, le succès sera bref. Au 30/07, Kungfu Panda doit céder sa place à Falaise rouge, peplum moyen-âgeux et grande messe nationaliste qui truste (par ordre du ministère de la culture) 80% des salles du pays. Kungfu Panda aura juste dépassé 14M² -les professionnels lui voyaient le potentiel du triple. Mais c’est bien comme ça : même à l’ouverture d’esprit, il faut un temps d’acclimatation !


A la loupe : Continent noir, or noir, nuages noirs

On parle plus de la diplomatie africaine de la Chine que de celle qu’elle mène ailleurs, Asie ou Amérique Latine. A juste titre, car le continent noir voit se fixer bien des projets chinois vitaux pour elle : garantie en matières 1ères, quête d’alliés sûrs aux Nations Unies, constitution d’un «hinterland» pour vendre ses infrastructures, maintien d’un bloc non-aligné. Or cette semaine, deux incidents viennent questionner cette démarche.

[1] Le 10/07, ensemble avec Moscou, Pékin bloque au Conseil de Sécurité le projet US et britannique d’embargo au Zimbabwe de R.Mugabe (qui venait de confisquer les élections) : la sanction aurait fermé le pays aux trafics d’armes, aux voyageurs et aux fonds. Selon les experts, comme prix de sa protection, Pékin viserait le platine et le chrome zimbabwéen vitaux à ses industries, et les farms confisquées aux colons blancs. Peu de pays étaient opposés à cette tentative d’isolation, soutenue même par les églises chrétiennes locales : Pékin et Moscou auront du mal à maintenir leur front du refus dans les mois à venir.

[2] Autre souci, au Soudan : depuis La Haye, le 14/07, L.Moreno Ocampo, procureur de la Cour Pénale Internationale inculpe le Président O.al-Bachir, le vieil allié de la Chine, qui lui réserve les 2/3 de son pétrole. Motifs : le génocide au Darfour, les 0,3M de victimes depuis 2003, les 2,5M de réfugiés selon l’ONU (Organisation des Nations Unies). «Gravement préoccupée», Pékin voit ici un risque d’échec à quatre ans d’action politique. Pour faire accepter à l’Ouest son soutien à un régime violent, elle s’était impliquée dans le processus de paix, envoyant au Darfour un contingent de Casques bleus. Or, un malheur ne venant jamais seul, c’est le moment choisi par la BBC pour accuser Pékin (images à l’appui) d’avoir violé sa parole en livrant à Khartoum dès 2005 (après le vote de l’embargo soutenu par Pékin) 212 camions militaires Dong Feng, et des formations (au pilotage de ses chasseurs A5 Fantan). Par la voix de son ambassadeur itinérant Liu Guijin, Pékin taxe le reportage de «mauvaise foi »…

NB : Sur le fond, ces deux affaires risquent d’affaiblir, à l’Ouest et en Chine, les avocats du dialogue. L’affaire de la Cour Pénale Internationale démontre que même les politiciens occidentaux prêts à couvrir la Chine, n’ont plus toutes les cartes en main. Le veto de protection de Mugabe renforce intérieurement, mais affaiblit extérieurement le front «russo-chinois», dont l’intérêt matériel (à se partager les richesses des Etats-voyous) apparaît clair. Les deux affaires expriment avant tout les contradictions d’une politique africaine de la Chine encore jeune, à fort succès commercial, mais qui se cherche, et trouve ses limites. Après quatre années d’efforts pour rendre cette politique inattaquable aux critiques, retour à la case-départ : manifestement, la Chine, en Afrique, doit cesser de tenter d’être « l’amie de tous », et entre ses projets hétérogènes, faire des choix.


Joint-venture : L’Occitane en bourse de Hong Kong

● Shanxi : le solaire va au charbon

Un groupe public du centre de la Chine prend une place dominante dans un créneau d’avenir, grâce à une PME allemande. A Houbu (Shanxi), Lu’an est un poids moyen du charbon, qu’il extrait à raison de 12Mt/an. 155ème groupe du pays, il a aussi un pied dans la mécanique, le ciment, la filière bois -et bien d’autres. Le prix du charbon qui s’envole lui assurent une confortable réserve de cash: assez pour acheter à Centrotherm (Blaubeuren) la chaîne intégrée nécessaire pour maîtriser la transformation de sa silice en cellules photovoltaïques. Le contrat du 14/07 pourrait atteindre 160M², pour un «grand nombre» de réacteurs et convertisseurs (pour obtenir 7t/j de polysilice de qualité solaire), et deux lignes « clé en main » de cellules, d’une capacité de 30MW/an. 1ères livraisons prévues sous 12 mois. Le marché est évidemment porteur : dès fin 2009, la capacité solaire chinoise installée atteindra 4MMGW. Mais l’enjeu va plus loin. Des 50 producteurs chinois solaires actuels, peu survivront dans dix ans, faute de maîtriser toute leur chaîne de production. Lu’An fera probablement partie des gagnants, ayant toutes les cartes en main, matière première, fonds et technologie. La seule question qui intrigue, est quelle énergie poussant une groupe « baron de province » à s’arracher à sa léthargie : la loi, peut-être, qui lui impose l’investissement en énergies renouvelables?

 L’Occitane en bourse de Hong Kong

En 1976 en Hte Provence, O.Baussan lança LOccitane, vendant son huile de romarin sur les marchés du coin. Depuis, bien des huiles essentielles ont coulé sous les alambics : la PME dégage 417M² de CA en 2007. Si les savons, shampoings et autres parfums restent produits à l’usine-laboratoire de Manosque (400 salariés), la France n’arrive que 3ème dans ses carnets de commandes, derrière les US et le Japon. Après avoir risqué le rachat par L’Oréal, L’Occitane a réussi à regagner sa liberté l’an passé, reprenant ses parts chez Clarins, pour ne conserver que 20% de ses actifs en bourse européenne. Et voilà qu’à présent elle «remet ça», préparant son entrée en bourse de Hong Kong, une des rares places à résister au typhon financier mondial -elle n’a perdu, depuis janvier, que 3%. L’Occitane compte y lever 300M$, avec pour parrains de l’opération UBS, HSBC et CLSA. HK offre surtout une porte d’accès sur le marché chinois, où la firme provençale possède déjà 35 boutiques en propre – trop peu, pense-t-elle, en regard à la demande, et à ses 1000 surfaces dans 70 pays…

NB: Starbucks lui, ferme 600 cafés aux US et veut en ouvrir 80 en Chine cette année, cela lui en fera 380. Pour la 1èrefois dans l’histoire, on peut envisager que des groupes disparaissent du sol natal, pour renaître à l’autre bout du monde. L’Occitane passe à cet état dès l’enfance, produisant déjà à 86% pour l’étranger.

● Subprimes : la Chine éclaboussée

Le 11/07, Fannie Mae et Freddy Mac, organismes de crédit sous tutelle de l’Etat américain, détenteurs de la moitié des hypothèques privées US, furent repêchés par Washington. Mais pas leurs créanciers ! Peu après, China Daily, levant le coin du voile, évoquait les conséquences pour la finance chinoise : quatre banques risquaient la perte de 30MM$, dont 20MM$ à la BdC, le reste étant partagé entre CCB (7MM$), Citic et ICBC. C’était la plus grosse perte en subprimes jamais admise en Chine. Mais est-ce bien tout? Non, dit ce récent rapport du Congrès, qui estime à 400MM$ les bons d’Etat détenus outre Pacifique fin juin 2007 par la BPdC, banque centrale. Et parmi ces positions, Fannie Mae et Freddy Mac figurent au 1er rang. Or, depuis juin 2007, les réserves chinoises n’ont fait qu’augmenter, atteignant 1800MM$ : sur ces réserves, combien de centaines de MM$ sont grillés, que Pékin cache encore, ou ignore? Effrayées par ce questionnement, les Bourses d’Asie ont chuté (-3,43% à Shanghai le 15/07): désormais, la finance chinoise, publique comme privée, ne se sent plus invulnérable, puisque les cloisons avec la finance mondiale ne sont plus étanches. Mais s’il en est ainsi, quel avantage reste-t-il, à garder le RMB non-convertible ? La Chine perd des deux côtés.

 

 


JO : Jour J-18

A la veille des Jeux, Pékin émet moultes interdictions, peu d’assouplissements : depuis le 11/07, les internautes accèdent à des portails hongkongais tel MingPao, et la transmission directe de TV étrangère et chinoise (l’importation de 52 camions émetteurs, le droit de filmer sur Tian An Men) se débloque enfin.

Qingdao gagne sa bataille contre les algues. Dans sa rade, 1.700 bacs ont tiré 1Mt de végétation. Le 14/07, ils n’en trouvaient plus que 10.000t, permettant aux 37 équipes déjà sur place de reprendre l’entraînement.

Au 20/07, le chauffeur pékinois ne roule plus qu’1 jour sur 2. Les horaires sont réétalées (EE=9h/17h, cadres= 9h30/17h30, magasins=10h/22h), et la presse vante les beautés du car-pooling.

Retourné blessé au pays en juin, Yao Ming, la vedette de la NBA, rejouait le 17/07 son 1er match, en équipe nationale contre la Serbie. Score : 96 à 72, dont 11 points par un Yao Ming en grande forme. 1er match olympique contre les USA, le 10/08.

R.Dujkovic, entraîneur serbe de l’équipe chinoise de football, est remercié. En juin déjà, Vl.Petrovic pliait bagages, et chez les femmes, Elis.Loisel (en mars). Souvent en raison de leur vision du sport: la Chine fait appel aux étrangers pour en acquérir la technique, mais rapidement, n’en supporte plus l’esprit trop libéré.

NB : autre coach licencié – pour quatre ans et pour une toute autre raison: celui du marcheur Song Hongjuan, testé positif à l’érythropoiétine. La Chine n’a pas communiqué son nom.

 

 


Petit Peuple : Longting, le percepteur-balayeur

A moins d’un mois des JO, la saga de Dong Litai a une odeur délicieusement surannée, telle une malle de grand-mère dénichée au fond du grenier. Ses personnages sont frustes mais droits, animés d’une inébranlable foi en la morale, dont on se demande encore qui l’inspire davantage, Mao ou Confucius.

En 20 ans d’impeccables états de services à Longting (Henan), ce fils de paysan s’était hissé de sa condition de soldat à celle de chef du fonds de pension et des finances locales : position besogneuse, mal payée, mais au grand prestige.

Toute aussi vertueuse et endurante, Ming Qiongnü sa femme partait d’encore plus bas. Retirée de l’école par des parents trop misérables, elle déchiffrait à peine trois douzaines d’idéogrammes. Une conjonctivite mal soignée fondait son monde en brouillard laiteux au-delà d’un mètre. Une faiblesse cardiaque congénitale lui faisait risquer à tout moment la syncope. Avec un tel CV, on peut comprendre qu’elle ait dû végéter 20 ans dans des petits boulots, avant de pouvoir récupérer à Fenghua (leur quartier) l’emploi «stable» dont personne ne voulait : balayeuse, payée pour aspirer à longueur de journée les fumées et poussières de son entourage.

En somme, à part leur fille belle et studieuse, Qiongnü n’avait qu’une chance dans la vie : son mari qui, après l’avoir vue deux ans se débattre dans cet enfer, se décida à l’aider : depuis 2004, tous les matins de 5 à 7, il sort avec elle balayer, avant d’aller livrer son sac de déchets au dépôt 2km plus loin, puis d’enfiler veston et cravate, comme si de rien n’était. Le soir après le turbin, il fait la vaisselle, la lessive : tout pour alléger l’épreuve de sa moitié.

Durant ses heures de balai, Dong n’a qu’une hantise. Non pour sa propre santé, pourtant aussi précaire – il prend la corvée avec bonhomie, prétendant qu’elle lui fait «faire de l’exerci-ce». Dong a la terreur d’être pincé, lui, le collecteur d’impôts, à collecter trognons de pommes et crottes. Ce qui finit pourtant par advenir: ayant glissé, son masque le trahit au pékin de passage, qui n’était autre que son subordonné. Suite à quoi, deux heures après, tout le bureau ne jasait plus que sur le chef-trahissant-sa-caste-des-ronds-de-cuir-pour-jouer-les-intouchables.

Incroyable, mais -peut-être- vrai : à en croire la presse, parmi ses collègues, nul ne persifla. Le grand patron en personne aurait donné le ton, lui proposant à l’heure de la pause, assez haut pour être entendu de tous, de venir lui-même les rejoindre chaque matin, balai en main partager sa tâche.

Son voisin de bureau–flagorneur né- lui aurait alors suggéré la solution la plus rapide, à lui le grand Manitou des retraites : inscrire sa femme au grand livre des ayant-droits, lui signer son chèque mensuel. L’ennui, c’est que Qiongnü, justement, n’y avait pas droit. Ni l’âge, ni les années de cotisation. Dong qui n’avait jamais mangé du pain du népotisme, n’allait pas s’y mettre à son âge, sacrifiant ainsi son image si péniblement acquise…

C’est pourquoi le percepteur doit continuer à balayer, côte à côte avec sa femme, en attendant un repos encore lointain. En retour, elle lui exprime un amour éperdu, par exemple en lui offrant le meilleur de ses trouvailles dans les poubelles, telles ces trois paires de souliers pas encore éculés, qu’il porte «avec bonheur». Leur fille aussi le prend pour rien moins qu’un héros, tout comme une bonne partie de la ville. Sentiment qui fait deviner, à la base de son sacrifice, sa motivation profonde, le besoin de dignité : « pour garder la face dans la postérité, on endure mille maux du temps de sa vie » (死要面子, 活受罪 si yao mian zi, huo shou zui).