Le Vent de la Chine Numéro 34

du 30 octobre au 5 novembre 2006

Editorial : A Pékin, Jacques Chirac polit son image d’avenir

« Jamais nos relations n’avaient été aussi confiantes», conclut Jacques Chirac au terme de son 4ème voyage en Chine (25-28/10).

Formule polie, mais non exagérée : après 10 ans de relations intenses, les deux Présidents s’épaulent spontanément, somment d’une seule voix Iran et Corée du Nord de quitter la voie nucléaire, réclament ensemble la levée de l’embargo européen sur les ventes d’ armes: pour renforcer sa cause, Hu Jintao promet de «mieux» respecter les droits de l’homme à l’avenir. J. Chirac endosse sa campagne de «société harmonieuse», et appelle la Chine, «1er émetteur mondial d’oxyde de soufre », à adhérer à une ONU verte, son ultime initiative pour entrer dans l’histoire mondiale…

Car le Chef d’Etat français à l’aube de la retraite, se montre fort soucieux d’image, et moins « hexagonal ». Contre l’Occident, il soutient la pénétration chinoise sur le continent africain: « faute d’une maximisation urgente de l’aide extérieure, l’Afrique éclatera. Tout effort est bon à prendre!»

Toujours pour son image, J. Chirac ne passe pas à Pékin sa dernière bavure en droits de l’homme, et réclame avec l’Europe une enquête publique sur la mort par fusillade (« Assassinat!») de Tibétains en fuite, à la frontière népalaise. Autre souci : assurer le maintien de la priorité chinoise à l’Elysée, après son départ. Pour ce faire, il décuple la coopération au moyen de 14 accords signés entre les deux gouvernements, couvrant océanographie, maladies infectieuses, microprocesseurs, espace, et chemins de fer

 Par ce bon climat, Chirac espère porter la part française du marché chinois de 1,4% à 2% («la moitié de la part allemande»). Pékin fait un effort, et octroie une série de contrats forts, pour plus de 10MM² (cf p.2, « JV »).

Ici, J. Chirac avoue un repentir, qu’il souhaite faire partager par les groupes industriels : n’avoir pas fait assez de place aux PME par le passé, et avoir trop visé les gros contrats. Aussi en monte-t-il quelques unes en épingle, telle Constellation, de B. Delmas, 30 ans, qui vient de modéliser sur internet, avec ses 30 emplois, tous les métiers  du tourisme hexagonal, y compris (en 3D) tous les objets touristiques de Rennes et de Paris. Pour reproduire ce bel outil à Pékin 2008, le BOCOG est intéressé !

NB : il y convergence de démarches entre Chirac et l’Union Européenne, qui lance (25/10) une nouvelle stratégie Chine: elle multiplie les coopé, crée un vrai partenariat prioritaire, mais exige en retour plus de responsabilités…  signe d’une relation qui passe à l’état adulte !

 

 

 


A la loupe : L’enfer de Dazhong chez Paradise

Depuis 10 ans, la distribution n’a cessé de connaître tressaillements et mal de croissance, pour suivre les besoins toujours croissants en consommation. Elle doit relayer les petits magasins d’Etat, faire sa place au privé, et (surtout) rompre le morcellement du marché par l’émergence de groupes de taille nationale.

La semaine passée (VdlC n°33), Wal-Mart prétendait acquérir le taiwanais Trust Mart, 100 magasins d’un coup.  Puis il marque un nouveau pas en lançant sa 2ème carte de crédit en Chine, en JV avec GE Money et Shenzhen Development Bank, au Sud du pays : le Nord étant déjà couvert par son autre carte, avec la BoCom.

Le 28/10 en présence de la ministre française du commerce Christine Lagarde, Carrefour réagit en inaugurant à Tongzhou (28/10) sa 1000ème surface mondiale, sa 84 ième chinoise. S’inscrivant en faux contre la stratégie de Wal-Mart, J.L. Duran, son directeur général, ne veut plus ramifier le réseau sur 600 villes moyennes, par rachat de chaînes locales : le risque lié à l’intégration est trop élevé. Carrefour compte sur son taux de croissance de 25 à 30% pour poursuivre sa croissance «endogène» au rythme de 20 hypermarchés /an.

Les choses bougent aussi dans le secteur de l’électroménager. Dazhong, 5ème distributeur  du pays, maître du fief pékinois, n’a pas apprécié le retournement d’alliance de Paradise Electronic, le N°3, qui avait d’abord accepté de le racheter en avril, mais fusionnait ensuite en juillet avec Gome le n°1, concurrent direct de Dazhong.

Refusant de disparaître fusionné avec Gome sans l’avoir choisi, Dazhong a mis trois mois pour affûter sa riposte : il brise son pacte avec Paradise, et garde en souvenir du coup bas, les 19M$ d’acomptes versés par l’industriel. Qui bien sûr, ne l’entend pas de cette oreille, alléguant que leur mariage pouvait toujours se faire, par le biais de leurs filiales en bourse. Et réclame 38M$ à Dazhong.

C’est la CIETAC, cour d’arbitrage, qui tranchera. Entretemps, Dazhong en quête d’avenir, sourit à Best Buy, n°1 américain cherchant à s’implanter en Chine, dont elle pourrait servir de premier tremplin!

 

 


Joint-venture : Visite président Chirac—les fruits

— Parmi la manne des contrats engrangés par la mission française, Airbus prend la part du lion, avec sa commande de 150 A320 (8MM²), complétée par 20 A350– un avion encore dans les cartons.

A Alstom reviennent 110 locomotives (plus 390 autres à son partenaire Datong), et 12 turbines pour 3 barrages — 400M² de marché. Suez reçoit un contrat d’1MM² sur 30 ans, de distribution d’eau à Changshu (Jiangsu), et va aussi vendre du gaz GNL à la Cnooc (comme Total et Shell). Dassault se lance dans la voiture électrique en Chine, fournissant le moteur, Citic la carrosserie et la Mongolie Intérieure, les batteries.

Pour EDF, P. Gadonneix signe avec Datang, l’accord de production-exploitation (comme investisseur minoritaire) de centrales nucléaires de 2èmegénération. EDF rachète aussi pour 1,5Mt de crédits d’émission de gaz à effet de serre.

Chirac a d’autre part ferraillé avec ardeur, sans succès apparent, en faveur de certains très gros sujets :

[1] le contrat de fourniture de centrales nucléaires de 3ème génération, où l’EPR d’Areva reste en lice avec l’AP1000 de Westinghouse. Quoique l’offre française ait la solidité des 20 ans de coopé étroite, les «financiers»  publics chinois ont besoin de contrats à donner aux US pour rééquilibrer leur balance commerciale … Verdict de cet enjeu (8MM² pour commencer), d’ici déc. 2006   

[2] Le TGV Wuhan-Canton (pour Alstom) -en rivalité avec Siemens.

[3] La reprise de la Guangdong Development Bank, aux 500 agences. La rumeur persiste, d’un avantage à Citibank sur la Société Générale, en raison du même impératif, de rééquilibrer les comptes bilatéraux sino-US…

 — Ce qui frappe dans la plainte de Neoplan (filiale MAN, Allemagne) contre Zonda : les dates !

Neoplan accuse la compangie de Yancheng (Jiangsu) d’avoir recopié le design unique de son bus Starliner, sorti dans un salon allemand à l’automne 2004 — la même année que son clone chinois, le A9 !

Le préjudice en tout cas, est net : avec 5 usines, Zonda sort 15.000 bus/an, ses ventes intérieures ont monté de 89% en 2006, l’export de 249% – d’ici peu, les 3/5 de ses ventes iront à l’export, y-compris ces 3000 bus produits sous licence à Istanbul, pour le marché européen—son propre produit (vu de loin), à 30% de moins !

Quoique le Starliner soit breveté en Chine, les chances de Neoplan d’obtenir reconnaissance du préjudice, voire réparation, sont minces : toutes les marques automobiles portant plainte en Chine, ont perdu. Le dernier, GM-Daewoo, s’est entendu  à l’amiable en novembre 2005 avec son pirate, Chery.

Piratage ou pas, le secteur vans et minibus se porte bien en Chine, avec 860.000 fourgonnettes vendues l’an passé. N°1 mondial du moteur diesel, Cummins (USA) annonce le 20/10 sa 10ème JV chinoise : à Pékin, avec Beiqi Foton, pour 316 M$, partagés à 50—50%.

La JV produira 40.000 moteurs 2,8 et 3,8l, diesel propre, conforme aux normes d’émission Euro IV. Autrement dit, un produit d’avenir ! Avec cette dernière usine, l’investissement de Cummins en Chine, atteint 1MM$.

Grand branlebas sur le marché pharmaceutique chinois : n°3 mondial du médicament hors prescription (1,26MM² au 1er trimestre) Bayer reprend la division rhume et toux de Topsun. Avec des remèdes tel White & Black, son produit-phare. Depuis Qidong (Jiangsu), cette branche réalisait l’an passé 32M² de ventes.

Bayer paiera 122M² plus ou moins, selon les performances après reprise. Pour le géant allemand, cette acquisition suit son rachat du catalogue hors prescription de Roche, 18 mois plus tôt. Dotée d’un bon réseau de vente national, la division de Topsun, une fois son transfert  avalisé, lui permettra de doubler son marché local et d’entrer dans la botte des 10 premiers pharmaciens chinois sans ordonnance : bonne affaire, sur un marché atomisé entre 5000 producteurs ! Quant au groupe privé du Jiangsu, il utilisera ces fonds pour renforcer sa R&D, et sa production de remèdes traditionnels revisités, de narcotiques et de psychotropes, son marché principal.

 


A la loupe : Xugong—la dernière offre de Carlyle

Le rachat de Xugong par le fonds de placement américain Carlyle ressort des limbes, apportant avec lui son lot de questions fortes. Rejeté par Pékin, suite à la plainte «patriotique» de la concurrence Sany, le deal de décembre 2005 lui aurait fait accéder à 80% de ce n°1 chinois du chariot-élévateur, pour 375M$. Carlyle révise sa copie avec 2 concessions majeures aux exigences chinoises : 50% seulement du capital repris, au prix de 228M$, soit +20% par rapport à la précédente valorisation par action.

Cette volte-face intrigue. Carlyle avait insisté pour maintenir son prix, refusant une hausse revenant à avouer une mauvaise foi initiale de sa part. Sany avait fait une contre-proposition de rachat à 30% plus cher. Finalement, Carlyle transige à 20%, et cède même le droit de nommer le Président du Conseil d’Administration. Pourquoi, alors que cette reprise étrangère, pour Xugong, semble la seule alternative à la faillite. En outre, la nouvelle offre, avalisée par la province du Jiangsu et l’assemblée du personnel, ne dit rien sur deux points essentiels du montage de l’américain : le droit de revendre la firme assainie   5 ans plus tard, et la nature du capital à investir— fonds propre, ou crédit hypothécaire.

L’humilité de Carlyle s’explique sans doute par sa volonté de sauver son contrat «mal embarqué», et peut-être par d’autres affaires en tractation.

Le Conseil d’Etat veut et doit aboutir, mais doit se prémunir des accusations d’avoir cédé (ou pire, bradé) à l’étranger un fleuron technologique. Au 08 /10, il vient de jeter les bases réglementaires.

Avec Xugong, il veut établir un précédent pour les dizaines d’autres cessions d’actifs qui se profilent, telles Chaudières de Wuhan, n° 4 national, prêtes depuis mars au rachat par Alstom, tel Supor, la cocotte minute chinoise (rachat Seb), ou les roulements à billes de Luoyang, (reprise par l’allemand Schaeffler).

Dans ce processus, la face cocardière vient s’interposer, compliquant la tâche de la SASAC (State-Owned Assets Supervision and Administration Commission). Sentiment hardiment exploité par une concurrence qui n’a rien à perdre. C’est donc le cas d’une politique du Parti qui en lèse une autre. A Pékin, à présent, de décider quel message il veut communiquer sur ce dossier, qui engage la dernière phase de sa réforme industrielle !

 


Argent : Banque – l’éléphant ICBC et la souris Grameen

La banque asiatique ne cache pas sa perplexité devant le triomphe de l’ICBC (Industrial & Commercial Bank of China)

en bourse à Hong Kong et Shanghai, où elle plaçait 17% de ses actifs.

A Hong Kong, 400MM$ de commandes ont été faites, pour 14MM$ de parts en vente, et au 1er jour (27/10), le titre bondit de 15%.L’ICBC remplit donc haut la main son pari de ratisser 22MM$ d’épargne surtout mondiale (une fois placée une tranche supplémentaire de 15%).

Cette 1ère banque chinoise (150M clients, 20% du PNB en prêts), n°5 mondiale se permet donc de refuser aux petits actionnaires un lot d’actions «cadeau de bienvenue» traditionnel : plus la peine! Pourtant en 2004, l’ICBC avait encore 20% de mauvaises dettes, ramenées depuis à 4,1% par divers soutiens d’Etat—un chèque (15MM$) et un transfert  d’écritures (85MM$) vers sa structure de défaisance. Aucune preuve, donc, que ses fondamentaux se soient assainis. La place de Shanghai ne s’y est pas trompée, maussade face à cette arrivée (5MM$, +5,1% au 1er jour).

— A l’opposé de ce mammouth bancaire, une banque Liliputh se  présente : la Grameen, de Mohammed Yunus (Bengladesh), prix Nobel de la Paix.

En microcrédit, cette ONG a prêté 5,7MM$ à 6M de clients, surtout clientes -elles ont remboursé à 97%. La demande chinoise potentielle est immense : jusqu’à 600M de Chinois à moins de 18¥/jour, privés de tout espoir d’emprunt pour créer leur gagne-pain.  Mais la loi chinoise ne permet à l’ONG que le prêt, pas la collecte de fonds, refoulant le microcrédit vers le champ confidentiel de la charité.

Mairie de Pékin et Conseil d’Etat s’intéressent à ce projet de type très “société harmonieuse” – et demandent du temps  pour s’organiser : oseront-ils sauter le pas, de rendre à la base cette liberté bancaire ?

 

 


Pol : Fonds de pension : les grandes manoeuvres

— Le scandale du fonds de pension de Shanghai force le pouvoir à réagir.

En effet, avec 30MM$, le FNSS (le fonds national de sécurité sociale) ne suffira pas—même sans être détourné : avec 200M de retraités attendus dès 2020, McKinsey évalue à 100MM$, le déficit dans 5 ans.

Répandue dans la presse (pour avis), une série de mesures fortes est à l’étude :

[1] Confier au fonds 10% de toute émission d’actions chinoises—c’est déjà le cas pour toute émission de firme chinoise en bourse étrangère. Avec cette mesure déjà tentée (sans succès) en 2001), le FNSS puissamment recapitalisé, agirait « en bon père de famille » sur les assemblées des actionnaires, garantissant une meilleure gestion.

[2] Imposer à ces firmes le paiement de dividendes boursiers au fonds.

[3] Enfin, le FNSS s’apprête à confier jusqu’à 2MM$ d’actifs en gestion expatriée aux US à des noms tels BlackRock ou State Street, et a déjà nommé Citigroup et Northern Trust, curateurs de tels placements : prouvant sa détermination à s’arracher à l’impasse, et offrant une leçon d’humilité et de pragmatisme !

— Les violences dans deux instituts de mode et de technologie à Nanchang (Jiangxi) font suite à celles vécues au Henan en juin 2006: du 21 au 25/06, 10.000 étudiants se battirent avec la police, puis la milice, manifestèrent dans les rues, tandis que des provocateurs cassaient magasins, voitures, ordinateurs…

Pour la même raison : durant des années, ces instituts ont proposé sans le dire, des filières offrant aux recalés au bac, les mêmes études qu’aux reçus, avec des diplômes équivalents. A condition, bien sûr, de payer plus cher. Tardivement, Pékin fait le ménage à travers le pays, refusant d’homologuer les diplômes —mais la pilule passe mal auprès de ces jeunes, “floués”, et qui n’ont rien à perdre.

La crise sera donc courte mais rude, à travers le pays : Nanchang, après les émeutes, compte 5 arrestations et 20 blessés. La composition ethnique des jeunes a dû inciter les autorités à redoubler de prudence : parmi les émeutiers, figuraient 2000 Ouighours du Xinjiang, clients peu commodes.

 

 


Temps fort : Hydrologie, la mort des grands fous projets chinois ?

En aval de Lanzhou (Gansu), le 23/10, le Fleuve Jaune se fit rouge et fétide. La pollution semblait venir d’une chaufferie urbaine, nettoyant ses tuyaux pour l’hiver. Moindre mal : pour une fois, les 20.000 usines chimiques fluviales n’étaient pas en cause, comme à Harbin (déc. 2005), avec les 100t de benzène versées dans la Songhua, et les incessantes catastrophes admises depuis.

La pollution du Fleuve Jaune est aggravée par son sous-débit, qui est celui du déficit en eau de toute la Chine du Nord. Guo Kai, hydraulicien de haut vol, propose de pomper 200MMm3/an des sources du Brahmaputra (Yarlung Zangpo), de la Salween (Nu) et du Mékong (Langcang), pour les réinjecter dans le Fleuve Jaune. Projet délirant, qui quadruplerait la capacité du canal Sud-Nord en sa version actuelle.

Or, le ministre de l’eau Wang Shusheng vient de torpiller ce projet, «inutile, non scientifique, et infaisable». Il dénonce les difficultés techniques, le coût prohibitif de l’eau à l’arrivée, et surtout l’incapacité du cours à absorber tant de ressources nouvelles, sans briser ses digues. Et ce, sans compter la fâcherie perceptible de voisins riverains tels Inde, Bengladesh, Thaïlande, Vietnam.

NB : pour le barrage des Trois Gorges en 1993, l’Etat monolithique avait imposé le projet au Parlement, malgré le vote négatif de 300 élus (record historique). Même refus de débat en 2000 pour le canal Sud-Nord. Le ministre ose à présent barrer un nouveau projet  à haut risque (rappelant l’assèchement  de la mer d’Aral dans la défunte URSS). Il le fait en public, à l’étranger (à HK), au nom de l’environnement : c’est un tournant dans les mentalités !

 


Petit Peuple : Au Shaanxi, les noces d’outre-tombe !

Née du fond des âges (époque Han -206 à +226 JC), la pratique survit en Chine du Nord et Centre, indifférente au règne de l’ordinateur ou du téléphone portable. Mais hélas, impossible de dépeindre les sentiments de ses acteurs transis : ils sont défunts! 

En tradition chinoise, la vie ne saurait être complète sans mariage. Aussi, sur les étendues arides de la plaine mongole, sur le plateau de Loess aux profondes vallées ocres, dans les villages isolés-misérables, les familles ayant perdu un fils vont voir l’entremetteur, et prennent date: la prochaine fille à disparaître, ils la lui donneront en épouse, en une noce posthume dite minghun, 冥婚. L’orchestre est réuni, avec banquet, rubans rouges. Tout le village trinque, joue, suite à quoi les cercueils sont (ré-) enterrés. Les parents de la mariée voient leur peine allégée par une dot de 10.000¥, qui est pour eux quatre ans de revenus.

Parfois, le minghun gagne la ville: on le vit à Shijiazhuang (Hebei) en 1997, quand une lycéenne mit fin à ses jours, suite à son échec au bac: trois mois après, les parents s’entendaient avec ceux d’un accidenté de 18 ans, pour les unir dans l’au-delà.

Janvier 2005 vit même un cas extrême, de minghun mixte, morte et vivant. Ye Sherong, célèbre chanteur hongkongais, était au désespoir, après le trépas inopiné de Xu Yunshan, son amante depuis 3 ans. Dans le tourbillon de ses tournées et shows TV, Ye n’avait jamais pris le temps de l’épouser. Saisi d’un violent remords, il lui passa la bague au doigt blafard, convaincu de la laisser, 死而无憾(si er wu han) « libre de tout regret d’outre-tombe » !

Et le Parti, face au minghun ? En principe hostile à la superstition, il tente mollement de l’éradiquer : sans conviction ni succès. Car personne ne la dénonce, ni ne s’en plaint. Et surtout, si le minghun semble folie ou enfantillage, il ne fait de tort à personne. A défaut d’apporter plénitude et paix aux disparus, il calme la souffrance de ceux qui leur survivent !