Le Vent de la Chine Numéro 40

du 19 décembre 2005 au 8 janvier 2006

Editorial : OMC, échec annoncé, avenir inévitable

A Hong Kong (13-18 /12), 149 ministres ont sauvé en dernière minute le sommet de l ‘OMC.

L’ambition affichée depuis 1999, était d’affranchir la planète de toute taxe, quota ou obstacle abusive à la concurrence. Les sommets précédents (Seattle 1999, Cancun 2003) avaient connu l’échec, et des manifs violentes. Hong Kong aussi en vécut une, (le samedi, 900 arrestations de paysans sud-coréens chauvins), mais tous ces Etats s’entendirent sur un programme minimal, très en-deçà des ambitions de départ, mais suffisant pour donner, selon le Secrétaire Général de l’OMC Pascal Lamy, « une énergie nouvelle à l’OMC ». Et en tout cas mieux qu’ un échec de pays déterminés à ne rien se céder, quitte à perdre toute chance du « plus » de business lié à la suspension des barrières nationales !

Au banc des accusés, avec les US comme accusateur n°1, l’Union Européenne doit accepter la disparition de son « Europe verte » d’ici 2013. Tout comme toute autre régime de subventions, prix garantis, primes à l’export agricole. Les sanctions seront fixées lors du prochain sommet, en avril 2006. Les US se sont engagés à abolir dès 2006 leurs primes aux aides alimentaires et crédits à l’export. A même époque, disparait toute subvention à l’export du coton, dont les US sont les 1ers fauteurs. Au chapitre « services », cheval de bataille de l’Union Européenne, l’acquis est égal à zéro. Au chapitre « industries de transformation », il est quasi nul, le seul principe adopté étant que les quotas les plus fort, seront les plus érodés. Concession symbolique : d’ici 2008, les PVD les plus pauvres, verront 97% de leurs exports (de toute manière nuls) libérés universellement. Dans ces échanges très denses, on note que la Chine n’a joué qu’un rôle de potiche, dû au fait qu’elle n’avait rien à offrir, en terme de concessions, mise à part sa solidarité tiers-mondiste formelle.

On note aussi la terreur de tous les Etats de se retrouver, en fin de compte, estampillés responsables de l’échec d’un deal ou mariage mondial—car c’est de cela qu’il s’agit.

Enfin, alors que le Président Chirac avait juré bloquer la fin de la politique agricole commune (PAC), elle est bel et bien votée- à juste titre, pour laisser les plus pauvres échanger leur sucre ou leur soja, contre nos centrales nucléaires ou Airbus. Ce que cela semble vouloir dire : ce sont des hauts fonctionnaires de tous bords, loin de leur base, après 6 jours et nuits de brain storming ensemble, qui se sont votés un genre de « nuit du 4 août » – d’abolition des privilèges, au nom du bien commun de la nation mondiale. Dans ces conditions là, l’OMC a quelque chose d’adulte, et a du bon!


A la loupe : Dongzhou—une bavure exemplaire

Un rare dérapage policier s’est produit à Dongzhou (Canton) le 6/12. Trois morts selon Pékin, 33 disent les témoins. Histoire classique d’expropriation d’un terrain pour construire une centrale électrique, et d’indemnisation détournée. Faute de cet argent, Dongzhou refusait la cession de son sol. Le gouvernement local choisit la manière forte : 2000 soldats anti-émeutes tirèrent à la mitraillette -on parle aussi d’un tank. La ville fut ceinturée, des 10aines de résidents arrêtés. Un témoin évoque une exécution sommaire.

Détail significatif du changement de mentalité: loin de céder, des villageois contactèrent la presse étrangère, des journalistes purent recueillir témoignages et photos. Après quatre jours, la presse locale évoqua le drame, avec profil très bas – mais tout le monde sait quand même tout ! A travers la Chine, 50 intellectuels ont émis sur la toile une lettre ouverte réclamant des comptes à propos de cette violence publique, et de sa censure.

Entre deux feux, obligé de soutenir une bavure qui n’est pas de son fait, l’Etat central tente ce blackout, mais en même temps interpelle le commandant responsable.

Hu Jintao vient de demander à toutes les autorités de dédommager les victimes de toutes les catastrophes des dernières semaines. Le Quotidien du Peuple rappelle que 3M de paysans sont expropriés par an, soit 50M de Jean-sans-terre et 10M sans ressources.

Le 14, Xinhua dénonce « ces autorités locales causant des crises par leur âpreté au gain ». Et le pouvoir avertit les firmes de payer, avant le Chunjie, leur dû aux travailleurs migrants

Autour du silence sur le drame de Dongzhou, tous ces messages sont autant de signaux rouges clignotants, évoquant un débat crucial au sommet, avec pour enjeu, la bonne réponse du régime à cette crise rarissime : son image populiste en dépend.


Joint-venture : Hong-Kong-Delhi, une autoroute IT

— C’est pour prendre à bras le corps l’enfer écologique chinois que l’ADB (Asia Development Bank) octroie (13/12) un prêt de 100M$ au Henan pour assainir la rivière Hai, 3ème cours d’eau le plus pollué de l’empire.

C’est la moitié du budget, le reste étant à charge des banques et collectivités locales. Le prêt à taux commercial est alloué à 25 ans, dont 5 « de grâce». L’investissement paiera la canalisation des effluents industriels et urbains, la construction/réhabilitation de centrales d’épuration des eaux usées (à plus de 70% du volume), et celle du réseau d’eau potable de 15 villes du bassin, au bénéfice d’1,5 M d’habitants, dont 12% en dessous du seuil de pauvreté, pêcheurs ou agriculteurs qui verront leur santé monter en flèche.

Autre bénéfice inappréciable : la convalescence des nappes phréatiques pourra commencer, pour le profit local, mais aussi des provinces en aval – Hebei et Shandong. Après l’empoisonnement au benzène de la Songhua, cette nouvelle arrive comme un contrepoint d’espoirpeut-être un « petit Noël » voulu par l’ADB!

— Pas de synergie informatique sino-indienne sans renforcement des lignes. Pour l’instant, ces télécoms géants doivent transiter via Europe ou Etats-Unis, ce qui impose un signal cher et faible.

Plus pour longtemps: Reliance Infocomm, le maharajah du mobile indien et China Telecom s’apprêtent à lancer une ligne sous-marine, pour leurs 15,5M d’abonnés indiens et 202M chinois. Pour cette connexion à large bande, le câble existe déjà, entre océans Indien et Pacifique, jusqu’à Hong Kong : celui du britannique Flag Telecom, repris par Reliance en 2003.

L’autoroute informatique réduira les coûts des appels de 55% et permettra une montée en puissance, et des services en ligne: base solide pour maintenir la croissance des échanges bilatéraux, de +30 à +50% ces dernières années. A 67M d’abonnés et +35%/an, le téléphone mobile indien est le plus vif au monde, devant atteindre 300M en 2009. Cette barre est déjà dépassée par la Chine, à 334M ! Pour telle manne, cela vaut la peine de créer jeux, discothèque et bases de données!

— A la brasserie planétaire, un bras de fer croisé vient de finir pour la reprise de Sedrin, champion du Fujian de la cervoise, 7,3Mhl de bière/an, n°8 national.

Le match opposait Heinecken (Nl), Anheuser Bush (US), Yanjing (Pékin) et Inbev (Belgique) : c’est le belge qui a gagné, emportant l’affaire pour “750M$”.

L’addition sera en faite bien moindre, car ce qui est à vendre, n’est guère plus que les 39,5% de parts de l’Etat, le reste ayant été écoulé 10 ans plus tôt au personnel en stock options. Ainsi Inbev poursuit son parcours du combattant du houblon, après reprise de K.K. (Zhejiang, 3MHl) en septembre. N°1 mondial, Inbev espère d’ici 2010 tirer de Chine un tiers de son cash flow (10,5MM$ en ’04),et y contrôle 28 usines et 14.000 emplois.

Le jeu de la bière est trompeur en Chine. Car ce marché croît avec des bottes de 7 lieues, +144% en 10 ans et +30% d’ici 2010, mais la concurrence aussi, qui dépasse aujourd’hui de 40% la demande!


A la loupe : Quelles promesses de 2006, pour la Chine ?

L‘horizon 2006 est hanté par les spectres de la grippe aviaire (30 foyers avoués) et de la paix sociale. Les bavures écologique de la rivière Songhua, et policière de Dongzhou (cf ci-contre) montrent l’étendue de la frondeuse autonomie des provinces. Or, la base, en s’éduquant, gagne en audace et en conscience de ses droits. De 74.000 en 2004, les conflits sociaux sont passés à 70.000 au premier semestre 2005 -presque doublés. Dossier à suivre !

Autre question dans l’air, celle de la réévaluation du ¥uan.

La presse étrangère prédit une hausse de + 7,5% au 1er janvier 2006 : elle est improbable, car pas indispensable. Le monde ne fait plus pression -même G.W. Bush a renoncé à accuser Pékin de «manipulation de sa monnaie». La réévaluation comporterait un risque pour les banques (aux lourdes dettes en ¥), et pour l’ export bien-sûr. Mais le temps vient, où réévaluer sera raisonnable: gaspilleuse de mat. 1ères qu’elle importe, la Chine pourra alors les payer moins cher. Elle cessera aussi de faire appel d’air pour le «hot money» spéculant sur la hausse, et asséchera les investissements incontrôlables de la surchauffe.

Plus subtilement, elle interviendra moins dans ses grandes entreprises, se rapprochera des méthodes de marché. Il est temps : en novembre, la production industrielle a augmenté de 16,6% et pour l’année 2006, les prix à la production seront en baisse, la guerre des prix fera rage, tout comme la hausse de l’export (l’excédent commercial atteignait 90,8MM$ en 11 mois de 2005).

Enfin sur la question de Taiwan, la Chine resserre le filet, et semble avoir trouvé une méthode qui marche. Avec un Président Chen Shui-bian, séparatiste éreinté et une opposition KMT (Kuomintang) forte, en dialogue avec Pékin, s’ouvre une plage d’opportunités pour rétablir des liens : dès aujourd’hui, se négocie la réouverture du tourisme continental dans l’île !


Argent : Export, la houille a mauvaise mine

Autre signe de “mauvaise mine” de la houille chinoise : avec 74Mt livrés au 31/12, les exportateurs auront perdu, en 2005, 15% de leur marché, et n’auront pas rempli leur quota.

Diagnostiquées -sans complaisance- par l’interprofession CCIA (China Coal Industry association), les raisons sont variées. Il y a ces mines qui n’ont pas tenu leurs contrats l’année d’avant (en volume, qualité et délais).

Il y a la valse des quotas du ministère, empêchant toute garantie à long terme. En 2001, le quota s’envolait, à +60Mt. En 2003, il atteignait 94,1Mt, avant d’être cisaillé à 80Mt, taux actuel, reconduit en 2006. En filigrane, se lit la soif inextinguible de la Chine en énergie. De 2MMt cette année, la production passera à 2,2MMt en 2006, et une capacité excédentaire de 100Mt, qui passera d’ici là à 130Mt… La rationalisation de ce secteur n’est donc pas pour demain !


Pol : Planning – les nababs trichent et gagnent

— Le 9/12, Chine et Pakistan, vieux complices signent leur accord de « récolte précoce » (EHP, Early Harvest program, en anglais), sorte de pré-accord de libre échange.

Au 1er janv 2006, 769 produits pakistanais cesseront de payer des taxes à l’import—mangues, oranges, marbre, coton, nylon…

Dans l’autre sens, 486 articles chinois seront libérés -fruits et légumes, machines textiles, engrais… Des milliers d’autres positions tarifaires, sans disparaître, seront rognées. Cet accord est dans la logique de l’accélération d’échanges qui atteignent 3,4MM$ cette année (+44%). Il fait partie d’un démantèlement conçu comme planétaire, à trois vitesses, et trois groupes à qui la Chine octroie des concessions ce 1er janvier 2006 :

[1] Les très proches, Pakistan, Hong Kong et Macao (accord CEPA),

[2] Les voisins (ASEAN, avec qui l’accord de libre échange est supposé régner en 2015), et 30 PVD,

[3] Le reste du monde. Ces concessions altéreront peu le paysage douanier chinois, avec une taxe moyenne de 9,9%, contre 10,4% en 2004. Le tarif agricole moyen est de 15,2%, et le tarif industriel, de 9%.

— Avec 180MM$ de ventes en 2004 (+46%), la Chine double les US, comme 1er fournisseur de matériel IT.

Les US plafonnent à 149MM$ (+12%). Ce succès tait ce qu’il doit à la délocalisation par un monde de l’IT contraint à solliciter les «petites mains» chinoises, qui a investi 20MM$ en 2004 en Chine, comme Dell, à Xiamen. Les deux dernières années marquent une nouvelle étape, celle de la tentative de constitution de géants hybrides biculturels, Thomson-TCL (TV) ou Lenovo-IBM (ordinateur), et la percée de jeunes géants tel ZTE. Logiquement, la suite du feuilleton devrait parler d’une auto affirmation chinoise dans la recherche et création de produits de nouvelle génération, « designed and made in China » !

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Brèves de dernière minute :

– Le pipeline Atasu-Alashan (Kazakhstan-Xinjiang) ouvre (15/12). 962km, JV CNPCKazmunai, 10Mt de brut/an.

// Cnooc avait contracté 2,5Mt de GNL indonésien (Tangguh), mais en décommande 60% : “le Fujian ne peut en absorber autant!”. Le Henan, lui, en manque: entre 7 villes, des M de gens ne cuisinent plus!

// le Vénézuela accélère ses ventes de brut à la Chine (170.000 barils/j), mais en même temps, notifie à la CNPC une note d’impôts, 100M$ sur 4 ans, payable en 15 jours, sous peine de 10% d’amende!

– Pour prouver son sérieux dans sa guerre à la corruption, Pékin annonce 50.000 cadres punis depuis 2003—mais 500 sont au large, avec 7MM² de fonds publics.

Trois ex-roitelets du Heilongjiang sont en jugement , pour 1,8M² de bakchichs : mme Han Guizhi, ex-n°2 provincial, condamnée à mort avec sursis, comme Ma De, boss de la ville de Suihua. Ex-gouverneur et ministre du sol, Tian Fengshan encourt la même peine.


Temps fort : General Electric, dans les starting blocks du développement durable!

La plus grosse entreprise de la planète, puissante en Chine, General Electric peut préparer l’avenir avec sérénité, tout en anticipant un univers économique au taux de croissance demeuré très haut (8,6% les années à venir), mais avec un déplacement de priorité des activités, correspondant à une société plus mature.

Or, avec tous ses contrats géants en équipement (5MM$ en 2005, + de 20% de progression dans l’énergie, les transports…), General Electric a chaque année des centaines de millions d’² à investir. D’où le concept présenté par son PDG Steve Bertamini, qui attend jusqu’à 2009 le maintien de son taux de croissance présent, soit 20%/an.

Pierre angulaire, le rachat, déjà évoqué dans nos colonnes (Vdlc n°34), de 7% de la Shenzhen Development Bank, lui donne accès au crédit (à l’épargne privée) -aux conditions chinoises.

Ceci lui permet de jouer dans la cour des grands de l’immobilier, jusqu’alors chasse gardée des nouveaux milliardaires. General Electric arrive avec un concept différent et rassurant : pas de concurrence, mais un plus qualitatif et technique, dans un sens de développement durable : le bâtiment d’occasion, racheté en JV avec des développeurs locaux, retapé et changé de fonction, permettant de rattraper des erreurs commerciales précédentes. Ainsi, l’hôtel inutile se changera en logement.

Dans la finance pure, à prix imbattable, General Electric va acheter des avions (ces mêmes qu’il motorise!) pour les transporteurs chinois, soit par prêt, soit en leasing.

En énergie renouvelable (secteur à taxation faible), en 2 ans, General Electric va doubler son propre investissement, à 1,5MM$ , et doubler aussi le parc chinois d’éoliennes, par la fourniture de 100 unités de 1500W à Longyuan, générateur spécialiste basé au Jiangsu. Autant dire que General Electric ne manque pas de souffle!

Par ce choix réfléchi de niches industrielles d’avenir, le géant de Seattle, avec 10 ans d’avance, s’engage dans le corridor doré des industries aux services!


Petit Peuple : Mariage acheté, célibat libéré

— En Chine comme ailleurs, les jeunes nubiles rêvent d’âme-soeur, et souffrent de solitude, qu’ils vivent comme une malédiction.

Nouveau riche, Da Fuyu réfléchit au moyen le plus efficace de quitter cette condition : il recruta He Xin, avocat célèbre pour ses talents d’entremetteur. Ayant reçu carte blanche, He dépensa 0,3M² en annonces dans la presse de 5 villes notées pour leurs filles canons (Pékin, Shanghai, Chengdu, Chongqing, Changsha), précisant les critères requis : plus d’ 1m 63, entre 18-23 ans, vierge, et belle à (沉鱼落雁闭月羞花, chen yu luo yan, bi yue xiu hua) «faire se pâmer le poisson dans son étang, et l’hirondelle en vol». Dès la 1ère semaine, vu la fortune miroitée, 600 dossiers étaient reçus à l’étude du maître-marieur. Parmi les photos les plus enjôleuses, Da Fuyu retint 80 filles qu’une à une, l’avocat rencontra, pour en écrémer les trois-quarts. Dans ce harem, le nabab s’est donné 6 mois pour faire son choix, puis signer le chèque d’un mariage à éclipser tous les records du Gotha chinois. Ce qui frappe dans cette méthode philistine, est sa négation de l’imagination et du hasard, terreau de l’amour. La femme sera objet, ou ne sera pas.

En cela, Da et He récusent fièrement la tradition romantique occidentale, et l’émancipation, en cours en Chine, de «la moitié du Ciel»! La liberté et créativité si absentes de cette bourse des mariages, c’est en face qu’il faut les chercher: au club des célibataires, 光棍协会 guanggun xiehui, qui fête en Chine sa 4ème année. Grâce à son site web, ils sont 3000 à agrémenter leur solitude, jouer au foot, au mahjong, chanter au karaoké, suer en danseuse dans les côtes du Yunnan ou s’enivrer à la Bierfest de Qingdao.

Grâce aux Guanggun, le célibat n’est plus la honte des familles, mais un hédonisme, une détente, un art de vivre que le club résume en sa devise d’une concision taoïste: «réduire notre nombre, prendre notre pied»!