Le Vent de la Chine Numéro 32

du 23 au 29 octobre 2005

Editorial : BA JIN, MORT D’UN GEANT DES LETTRES CHINOISES

A101 ans s’est éteint (17/10) Ba Jin, dernier des géants littéraires (après Lu Xun, Mao Dun et Laoshe), qui changèrent la pensée de leur siècle par leur oeuvre visionnaire, et introduisirent en Chine les ondes de l’âme moderne.

Au plan du style, ce sichuanais né Li Yaotang fut le 1er à quitter le chinois classique pour la langue parlée.

Au plan des idées, il se rebella contre le conservatisme de ses parents, riches propriétaires. Étudiant en France en 1927-’28, il apprit les théories libérales et anarchistes : Ba Jin – son nom de guerre- vient de Bakounine et de Kropotkine. Il écrivit pour « dénoncer l’ennemi – la tradition, la pensée irrationnelle, les forces qui détruisent l’homme ». Sa trilogie autobiographique le rendit célèbre, Famille (’37), Printemps (’38) et Automne (’40). Sur un ton dickensien, il y décrivit la guerre de vieillards bornés contre leurs enfants idéalistes, qu’ils brisent. Utopiste, Ba Jin rêva d’une société égalitaire et coopérative. Il entra en ’36 à la «Société du travail littéraire » avec Lu Xun, et déclara à l’époque: «mon stylo est comme un feu en moi. Même si je tombe en cendres, mon amour pour ce monde demeurera ».

La Révolution culturelle (’66-’76) ne fut tendre pour aucun écrivain : «ennemi de classe», interdit d’écriture, Ba Jin dut nettoyer les égouts, tandis que sa femme se mourrait en ’72 d’une maladie sans soins.

Réhabilité en ’77, élu Président de l’Association des écrivains (’81), il réclama en vain un musée du souvenir de la Révo’ Cul’, et l’abolition de la censure (’85). Même si un musée Ba Jin s’ouvrait dans Chengdu sa ville natale, suivi en 2005, à Canton, d’un mini-musée privé, dédié à cette période noire.

Durant ces années ’80, Ba Jin publia plus de 100 essais décapants : « Pourquoi les lettres chinoises ne se relèvent elles pas? Ou d’autre dans le monde, dans l’histoire, les auteurs ont-ils vécu traitement plus ridicule, terrifiant et bizarre ? »

Dans une de ses nouvelles, sous les traits d’un ouvrier chauffagiste, il déclare « Docteur, vous devez me sauver. Je peux quitter sans peur ma femme et mes enfants. Mais sans moi, que deviendra le four ? »

Ba Jin ne reçut pas le prix Nobel: pour ne pas primer un régime totalitaire, ce jury lui préféra Gao Xingtian, auteur en exil en France. La Chine lui réserva une autre, rare  gloire : en 2003, des astronomes chinois donnèrent son nom à un astéroïde !

 

 


Temps fort : Espace : la Chine des étoiles et les Chinois de la Terre

35 ans après l’envol de son 1er satellite l’Orient est Rouge-1, la Chine récupère ses deux taïkonautes Nie Haisheng et Fei Junlong, qui atterrissaient (17/10) à bord du vaisseau Shenzhou VI dans le désert mongol sur le site de Siziwang, après 76 révolutions et plus de 3Mkm en 115h. Durant la mission, ces colonels de l’armée de l’air ont procédé à de nombreuses expériences scientifiques, mais surtout offert à leur pays une forte promotion de l’image nationale, voire d’effusions patriotiques. Présent à leur décollage à Jiuquan (Gansu), le 1er ministre Wen Jiabao était aussi là pour les accueillir.

Toute à sa fierté pour cet exploit, la Chine annonce la suite. En 2007, Shenzhou-7 pourrait voir la participation d’une femme et une sortie dans l’espace. Comme entre Shenzhou-5 en 2003 et Shenzhou-6 à présent, deux ans sont nécessaires pour exploiter les données récoltées et préparer la mission suivante. Un alunissage inhabité est pour 2010, et pour 2020, une mission lunaire humaine.

De retour au plancher aux vaches, la mission suscite des commentaires divers. Fierté, mais aussi critiques, sur l’achat des bases du programme à la Russie, et la pertinence d’un programme remake de missions effectuées ailleurs 30 ans plus tôt. Objections surtout sur son coût global, possiblement en dizaines de MM$, qui aurait pu (pense la rue) être engagé dans les luttes contre pauvreté, pollution ou santé.

NB : la Chine de base n’a pas encore la notion de politique à long terme, pour l’indépendance technologique spatiale ou aéronautique, telle que la pratiqua avec succès la France sous de Gaulle, menant aujourd’hui à des fleurons industriels mondiaux comme ESA ou Airbus !


Pol : Grippe aviaire – le collet se resserre

— On aurait pu croire que la réélection franche de J. Koizumi (21/9) l’aurait affranchi de la pression de l’extrême droite de son parti LDP, et lui aurait permis d’investir dans la réparation des relations avec ses voisins.

Mais le 17/10, le 1er ministre nippon retournait (5ème fois) au temple de Yasukuni s’incliner sur les tombes de victimes de la 2de guerre mondiale, y compris de criminels de guerre exécutés par les Alliés!

Le résultat ne s’est pas fait attendre: Pékin (comme toute l’Asie) condamne. Il annule aussi (18/10) la visite du Ministre des Affaires étrangères N. Machimura. Pourtant, ces Etats ont plus que jamais besoin de se parler pour régler les questions du pétrole offshore, de la ligne de partage maritime, et celle de la paix en la péninsule coréenne. Tokyo perd aussi le profit du soutien qu’il avait accordé à la Chine lors du G20 à propos du taux juste du ¥ Yuan. En somme, vu le prix à payer par son pays, la raison du comportement du n°1 japonais, est incompréhensible.    

— Avançant vite entre Europe et Russie, le fer de lance de la grippe aviaire n’épargne plus la Chine. Après la découverte de 2.600 volailles contaminées près de Hohhot (Mongolie Intérieure), 91.000 poulets ont été abattus dans un rayon de 3km autour de l’élevage frappé. Hui Liangyu, vice 1er ministre a qualifié la menace de  grave  (20/10) : la saison hivernale s’approche, la plus favorable à l’éclosion du virus H5N1.

Le port de Shanghai détruit toute importation suspecte (3,5t depuis janvier. Comme bien d’autres pays, la Chine stocke des réserves de Tamiflu, remède anti grippe. Taiwan vient de mettre la main (gantée) sur 1.037 oiseaux rares en transit clandestin au port de Taichung, dont 276 morts, et 8 atteints du H5N1. Ils provenaient de Chine. Dès maintenant, tout passager arrivant à Shanghai par voie aérienne, terrestre ou maritime doit marcher dans un bain stérilisant, et Hui Langyu prévient : à la 1ère mort d’homme de grippe aviaire sur le territoire, les frontières ferment. Mesure dramatique, peut-être inapplicable, mais qui exprime le sérieux absolu avec lequel le pouvoir aborde ce risque, majeur pour le développement futur du pays  

 

 

 


Argent : Framedia-Focus / le rachat-roulette russe

A101 ans s’est éteint (17/10) Ba Jin, dernier des géants littéraires (après Lu Xun, Mao Dun et Laoshi), qui changèrent la pensée de leur siècle par leur oeuvre visionnaire, et introduisirent en Chine les ondes de l’âme moderne.

Au plan du style, ce sichuanais né Li Yaotang fut le 1er à quitter le chinois classique pour la langue parlée.

Au plan des idées, il se rebella contre le conservatisme de ses parents, riches propriétaires. Étudiant en France en 1927-’28, il apprit les théories libérales et anarchistes : Ba Jin – son nom de guerre- vient de Bakounine et de Kropotkine. Il écrivit pour « dénoncer l’ennemi – la tradition, la pensée irrationnelle, les forces qui détruisent l’homme ». Sa trilogie autobiographique le rendit célèbre, Famille (’37), Printemps (’38) et Automne (’40). Sur un ton dickensien, il y décrivit la guerre de vieillards bornés contre leurs enfants idéalistes, qu’ils brisent. Utopiste, Ba Jin rêva d’une société égalitaire et coopérative. Il entra en ’36 à la «Société du travail littéraire » avec Lu Xun, et déclara à l’époque: «mon stylo est comme un feu en moi. Même si je tombe en cendres, mon amour pour ce monde demeurera ».

La Révolution culturelle (’66-’76) ne fut tendre pour aucun écrivain : «ennemi de classe», interdit d’écriture, Ba Jin dut nettoyer les égouts, tandis que sa femme se mourrait en ’72 d’une maladie sans soins.

Réhabilité en ’77, élu Président de l’Association des écrivains (’81), il réclama en vain un musée du souvenir de la Révo’ Cul’, et l’abolition de la censure (’85). Même si un musée Ba Jin s’ouvrait dans Chengdu sa ville natale, suivi en 2005, à Canton, d’un mini-musée privé, dédié à cette période noire.

Durant ces années ’80, Ba Jin publia plus de 100 essais décapants : « Pourquoi les lettres chinoises ne se relèvent elles pas? Ou d’autre dans le monde, dans l’histoire, les auteurs ont-ils vécu traitement plus ridicule, terrifiant et bizarre ? »

Dans une de ses nouvelles, sous les traits d’un ouvrier chauffagiste, il déclare « Docteur, vous devez me sauver. Je peux quitter sans peur ma femme et mes enfants. Mais sans moi, que deviendra le four ? »

Ba Jin ne reçut pas le prix Nobel: pour ne pas primer un régime totalitaire, ce jury lui préféra Gao Xingtian, auteur en exil en France. La Chine lui réserva une autre, rare gloire : en 2003, des astronomes chinois donnèrent son nom à un astéroïde !


A la loupe : Deux américains à Pékin, ‘retournés’

A Xianghe (Pékin, 15-16 /11), le G20 des Ministres des finances et des banques centrales de 20 pays riches et pauvres aborda du bout des lèvres le thème du 3ème choc pétrolier, sans vraiment évoquer (moins encore adopter) des solutions. Il esquiva la question brûlante du taux du Yuan.

John Snow, Secrétaire américain au Trésor, réclamait une réévaluation bien plus vive que celle de 2,1%, de juillet. L’échec de la 4ème ronde de négociation bilatérale sur les exports textiles, l’incitait à plus de fermeté. Mais même Londres, actuelle Présidente de l’Union Européenne, et Tokyo s’étaient désolidarisés, estimant Pékin «sur la bonne voie de réforme»: les US étaient donc seuls, et Snow, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, repartait après la 17. Commission économique mixte (17/10), «soulagé…convaincu de la volonté chinoise de déréguler sa monnaie». Snow changeait de demande, réclamant (sans illusion) la levée de conditions discriminatoires aux investissements en bourse, dans les banques et les assurances

Le lendemain, c’était à Donald Rumsfeld, patron des forces américaine et faucon notoire, de venir à Pékin (18-19 /11), réclamer à Hu Jintao des comptes sur la budgétisation de l’armée APL (les experts parlent désormais de 90MM$/an, 50% de plus qu’en 2000), pour une montée en puissance rapide -nucléaire, notamment.

Taiwan demeurant la pomme de discorde traditionnelle entre ces deux puissances. Nonobstant, Rumsfeld devint le 1er Américain à visiter le QG des missiles stratégiques chinois, et les 2 pays convinrent en grommelant, de renforcer leur coopération militaire.

Ces rencontres préparaient la venue de G.W. Bush à Pékin en novembre, et la nécessité d’aplanir préalablement les ornières, pour garantir au Sommet son obligatoire succès.

Faute de quoi le Congrès risquerait d’aller aux sanctions commerciales, 27,5% de taxe aux imports, qui mettraient à mal des années d’effort de rapprochement !


A la loupe : Matières premières – tous les coups sont permis

Cette semaine, 3 domaines (parmi 100) montrent la bataille acharnée menée (avec succès) par ce pays pour tirer du monde ses matières premières :

u En mai 2003, Sinopec et Cnooc s’étaient vus refuser l’entrée au club pétrolier de la Caspienne, (champs de Kashagan, Kazakhstan), ostracisés par les multinationales.

Or, CNPC se venge en rachetant PetroKazakhstan pour 4,2MM$, acte approuvé (19/10) à 99% par les actionnaires. En ce deal, CNPC avait grillé l’indienne ONGC. Mais c’est face au pouvoir local que la CNPC a dû cette fois transiger : anxieux de reprendre la maîtrise de ses ressources, le Président Nazarbayev venait de faire voter un droit national de préemption sur les cessions de son pétrole entre étrangers.

Aussi, PetroKaz sous contrôle CNPC devra rétrocéder pour 1,4MM$ 33% de ses parts à la compagnie nationale de gaz KazMunaigaz, et les deux se partageront à 50%/50 la raffinerie de Shymkent.

Accord à l’amiable… Pour peu qu’un juge de l’Alberta (adresse légale de Petrokaz) déboute (le 25/10) une plainte du russe Lukoil, s’estimant lui aussi des droits sur cette sombre manne !

u Autre champ de matières 1ères sur lequel la Chine fait (si l’on peut dire) « feu de tout bois » : les grumes de Birmanie, qu’elle enlève aussi vite que possible, sans regard sur les conséquences écologiques pour son petit voisin. Dans ces dernières forêts primaires du globe, 20.000 Yunnanais bûcheronnent à perdre haleine, ayant en 2004 sorti (illégalement) du pays 1M m3, double ou triple du volume de l’an 2001. Pour nourrir en Chine une industrie du meuble en hausse de 40%/an, tout en y protégeant ce qui y reste de forêt, la plus belle forêt de teck du monde n’a plus que peu d’années à vivre !

u Enfin, la Chine se défend aussi en matière d’import d’uranium dont elle aura besoin pour ses futures 27 centrales nucléaires d’ici 15 ans.

Sollicitée, l’Australie qui tient 41% des réserves mondiales d’uranium, (par son ministre des affaires étrangères A. Downer) se déclare a priori favorable à laisser la Chine exploiter des gisements sur son sol.

Sur ce lucratif marché chinois, l’Australie est concurrente du Brésil : ceci explique cela!


Joint-venture : Bic, de ‘faire au loin’! à ‘venir voir’!

— Champion mondial du stylo, briquet et rasoir jetables, Bic se jette à l’eau chinoise.

A Shanghai-Pudong, sous quelques mois, une usine d’un coût de 3M² (100 emplois) reprendra aux sous-traitants ses productions assurées en Chine, petites séries de nouveautés pour les marchés euro-US, dont la fabrication est rapatriée en cas de décollage des ventes.

Tournant stratégique: Bruno Bich le PDG le confie, il s’agit d’«apprendre à travailler en Chine», et résoudre le défi local de la constance de qualité. Tout ceci, pour prendre à terme sa part du marché chinois—aujourd’hui confiné, pour toute l’Asie, à 2% du chiffre global de Bic!

Le secret : par le marketing et la technologie, battre sur leur terrain les 1000 fabricants qui fonctionnent à des prix dont la modestie n’égale que celle de la qualité. Tout ceci, pour que le «bi-ke», pour les Chinois à leur tour, prenne le goût de petite Madeleine, du stylo mordillé de leur enfance.

Volkswagen ne baisse pas les bras, et tente de s’arracher au maelstrom qui lui fit perdre sa moitié du marché chinois fin des années ’90, pour un maigre 18% aujourd’hui.

Traitement-choc : d’ici 2009, le groupe de Wolfsburg, depuis ses deux JV, veut sortir 10 à 12 nouveaux modèles, y compris (en 2008 avec SAIC) une motorisation hybride à basse conso, et (en 2007) une Skoda, d’un dépouillement pouvant séduire le Chinois à bas budget.

Tout ceci, en se finançant sur les seuls gains en productivité, prévus à 40% sur trois ans. L’ensemble du plan a pour nom «Olympique» : dans l’espoir de capitaliser sur l’engouement des jeux de Pékin, tout en pratiquant l’esprit d’équipe, par ces temps difficiles !

— L’américain George Soros refond Hainan Airlines, sa success story aérienne (500 lignes chinoises et asiatiques, 107 avions, n° 4 chinois) qui deviendra Grand Air China dès fin 2005 après absorption des 3 transporteurs sous contrôle – Xinhua, Changan et Shanxi Airlines.

Soros qui, 10 ans avant, prenait 14,8% des parts pour 25M$, double son investissement, et achète encore 4% du futur groupe : juste assez pour encourager les financiers à investir. D’ ici déc., selon le plan, GAC devra peser 500M². En 2006, il passera en bourse de Hong Kong, pour y puiser 860M² (Hainan Airlines. est déjà présent à celle de Shanghai). Au chapitre dépenses, figure le rachat du reliquat des parts des firmes fusionnées, le lancement de Shilin Air, filiale au Yunnan (79M²), l’acquisition (860M²) de huit B-Dreamliner, et celui d’un nombre indéterminé d’A380 (250M² /pièce)!

Tout ceci pour gagner la course chinoise aux lignes nouvelles (ouverture future d’un vol vers les US), et le marché des Olympiades de Pékin 2008 puis de l’Exposition Universelle de Shanghai 2010, avec leurs 70M passagers/an!

— On vient de s’arracher en bourse de Hong Kong 12% des parts de la CCB (la banque de la construction), 1ère des quatre soeurs bancaires à sauter le pas, après années d’assainissement. Vu l’engouement, le prix maximal a pu être appliqué, pour une recette de 8MM$: record mondial depuis 4 ans, qui justifie a posteriori l’entrée dans CCB par BoA (Bank of America) et Temasek (Singapour), et qui fait taire pour un temps les doutes sur le niveau réel de son endettement.

Parallèlement, la finance européenne investit des banques de 2d rang, moins célèbres, mais moins risquées. Naviguant de concert, Deutsche Bank place 272M² pour 9,9% dans Huaxia Bank, et Sal Oppenheim (banque allemande privée) prend 4,1%.

Objectif : renforcer la gestion, et ouvrir les réseaux chinois de vente aux produits financiers d’Outre-Rhin. Un montage très similaire est suivi chez BNP-Paribas, qui prend pour partenaire la Banque municipale de Nankin (22ème chinoise), achetant 19,7% de ses parts moyennant 70M². Un plan de coopération est en place, pour renforcer la gestion nankinoise dans les secteurs du détail, des obligations, du crédit à la consommation, de la banque privée, des crédits à risques, des technologies de l’information et de l’organisation.

NB: l’enjeu pour toutes ces banques, est les 10aines de MM$ de profits espérés, dans l’ouverture du marché financier chinois exigée par les US et l’Union Européenne (cf p.1) —le démantèlement des barrières !


Autres : LE XINJIANG — MIRAGE OU TERRE D’AVANT-GARDE ?

Les murs crénelés, les tourelles ajourées, les azulejos de calligraphie arabe le disent : cette école d’Urumqi n’est pas comme les autres.

Elle est l’unique séminaire coranique, Ouighour du Xinjiang, bâti en 1987 sous l’ombrelle du Conseil d’Etat, pour 2M$, dont la moitié donnée par la BIM – la banque islamique mondiale! Son doyen Abdulaziz Dorlatch révèle le prix à payer son « autonomie » : «enseigner l’amour de la patrie». Autonomie relative, puisque les 30 élèves admis/an, sur concours, doivent être validées par une commission mixte « patriotique »! Une fois dans les murs, les jeunes sont dans un paradis d’étude de l’arabe, du Coran sous 100 formes, mais aussi du mandarin, de la loi et des institutions socialistes. A 600²/an, les études sont financées 50% par la famille (lourd effort!), 50% par la province et la paroisse, qui les attend une fois imams.

A 160 pensionnaires, ils passeront ces 5 ans à 4 par chambre, avec pour viatique une bibliothèque de 10000 livres en arabe, une salle d’internet, une mosquée et le kiosque des 5 rituelles ablutions /jour.

En 19 ans, le séminaire a formé 339 imams et mollahs, 140 traducteurs, et renforcé la culture de 100aines de prêtres de base, issus des 24.100 mosquées et des 8,9M fidèles du Xinjiang. Curieusement, c’est grâce à la censure rigide, que l’institut peut se permettre d’envoyer des élèves au Caire (université AlAzhar),en Lybie ou à Oman, tout en proscrivant des groupes comme Al Qaeda ou les Talibans, «musulmans qui nuisent sur notre sol, contre la paix, au nom de la religion ».

A l’opposé, le lycée de Changqi (le plus riche canton du Xinjiang) déploie fièrement ses 132000m² de classes modernes et d’équipements de qualité. D’une capacité de 4100 élèves, à 60 élèves par classe, il forme l’élite du Xinjiang. Alors que la moyenne nationale au bac est de 50%, Changqi réussit à 100% en lettres comme en sciences ! Le reste du Xinjiang (Han) fait presque aussi bien -90% des candidats arrivent à l’université ! Cette assiduité est une énigme, dont la réponse tient à la coupure géographique de la région par 1000km de désert du Gobi, l’absence de loisirs, la survie d’une morale « à l’ancienne », et l’esprit de frontière.

Seule ombre au tableau : la quasi-absence des Ouighours. En partie à cause des coûts (1000²/an), en partie car sur les 1,6M du canton, les Ouighours sont moins de 100.000, contre 1,2M aux Han. Le proviseur Wu Zhangjing n’essaie même pas de briser une barrière si profondément ancrée : son rêve se limite à augmenter les places d’études des Hui, Hans islamisés (120.000 dans le canton).

Entre Ouighours et Hans, le rejet est mutuel, comme en témoigne une jeune enseignante : « ils ont leurs propres écoles, et puis il n’y a pas de confiance entre nous »… Une question de culture qui prendra du temps à se détendre !

Après des 100aines de km de route rectiligne à travers le Xinjiang, entre cotonneraies et désert de bruyère écarlate surgit soudain dans la brume de chaleur, une ville. Tirée au cordeau, à l’américaine, technologique, maniant gazon hydroponique, éclairage au néon ou à diodes à faible consommation et signalisation par panneaux solaires.

C’est Dushanzi, la nouvelle Mecque du pétrole qui s’apprête à exploiter la manne du sous-sol local et celle du Kazakhstan voisin. Le désert semble une pépinière de ces cités neuves, Shihezi, Manas, Karamai ou Kuitun : agglomérations propres et pimpantes, bizarrement dépourvues de la promiscuité bruyante de la côte. 50 ans après sa fondation par Mao, ce Xinjiang, issu des migrations de tout le pays, se mue en une Californie d’avant-garde -quoique toujours pauvre. Berceau de pionniers dont le niveau d’éducation (cf édito) n’égale que leur audace et esprit d’entreprise, et croyant évidemment en leur chance.

Cette terre a aussi ses vieux démons et ses risques d’avenir. Les autochtones Ouighours (et de 24 autres minorités) restent dépossédés de leur terre et de la richesse potentielle. Pour eux, moins de travail, vu la méfiance respective, la violence séparatiste intermittente soutenue à travers la frontière -partout musulmane, sur 6000km- et celle de la police secrète. L’avenir du Xinjiang repose sur ces paramètres instables, telle la capacité de l’Empire à continuer à imposer sa paix armée en son Extrême-Occident.

Ici, vient se glisser un espoir inopiné : une génération plus tard, ces Chinois de la marge oublient leur origine, et se définissent volontiers comme 华侨 huaqiao, « chinois de l’étranger ». Ils sont fiers de leur nouvelle terre et identité, loin du foyer natal : une Chine de synthèse, aux frontières et richesses plus généreuses (3 fois la France), qui devraient suffire à employer ces 20M d’âmes, voire, plus tard, permettre la réconciliation!


Petit Peuple : Zhuji, un bébé sur le bureau du juge

— 狗急跳墙 Gou ji tiao qiang, «l’urgence pousse le chien à sauter le mur!»

C’est bien ce que fit Lu Wanfu, paysan du Henan, exilé depuis 1999 à Zhuji (Zhejiang). Là-bas, il travaillait pour l’entrepreneur Bian comme chef de chantier, et lui fournissait des maçons de son pays.

Mais voilà qu’un an plus tard, alléguant un litige commercial, Bian congédia Lu sans solde, avec une reconnaissance de dette de 1900

². Patiemment, Lu attendit 2 ans avant d’aller chercher son argent au tribunal.

Au début, celui-ci sembla prendre les choses en main: le juge enjoignit le patron de payer. Puis un calme impérial retomba sur la plaine : en 3 ans, les greffiers rédigèrent 5 ordonnances, toutes oiseuses: insolvable, Bian se prélassait dans sa villa de 5 étages -il y avait collusion au moins passive. Lu était roulé, et le comprit! Les choses auraient pu s’éterniser, si la cour n’avait commis un jour une erreur, une seule, mais qui suffit à Lu.

Le 15/7 ,elle fit une «porte ouverte»! Se présentant au Président avec sa femme et sa fille de 8 mois, Lu exposa sa plainte. Comme une fois de plus, l’homme de droit se retranchait derrière ses arguties, le maçon posa le bébé sur la table et s’en alla, plantant là le magistrat. Or, paralysée par les cris du poupon qu’il fallut allaiter, torcher, langer, la Cour cessa de fonctionner.

La presse avait tout vu. La face était perdue : 40 jours plus tard, toute honte bue, le juge convoqua Lu pour lui rendre son dû. Magnanime, ce dernier reprit son héritier. L’histoire ne dit pas quels moyens avouables ou non, le juge magna pour pressurer l’entrepreneur désinvolte!


Rendez-vous : Shanghai, Chinapharm ‘2005

25-28 oct, Shanghai : China Pharm 2005

27-28 oct , Wuhan : Rencontres franco-chinoises de coopération décentralisée